Texte d’Antoine Robitaille, un de meilleurs chroniqueurs du Devoir, avec quelques remarques dans le texte.
Faut-il enseigner l’histoire comme un récit ou, au contraire, la décortiquer avec les élèves pour qu’ils développent des compétences ? Au moment où l’on prépare une nouvelle version du cours d’histoire au secondaire, cet intéressant débat a ressurgi la semaine dernière dans nos pages. Selon nous, un compromis est possible. Malheureusement, les tenants du programme de 2006 le rejettent totalement.
Il y a quelques jours, l’enseignant François-Xavier Delorme publiait un intéressant texte dans notre page Idées (Le Devoir, 6 février), où il se réjouissait de la transformation prochaine (à l’automne 2016) du cours d’histoire de 3e et 4e secondaires. Depuis l’adoption du programme de 2006, on enseigne l’histoire de matière chronologique en 3e secondaire. L’année suivante, en 4e secondaire, on réétudie la même histoire selon des thèmes (politique, économie, population et culture). Certains élèves se plaignent de nombreuses redondances. Les professeurs admettent que le peu de temps disponible en 3e secondaire les contraint à passer de grands pans de l’histoire du Québec sous silence. Le nouveau programme adopte une présentation chronologique sur deux ans avec 1840 comme date charnière. C’est là un progrès.
Mais M. Delorme souligne que l’esprit dans lequel le contenu doit être présenté est toujours celui qui rejette le récit. Or, comme il le soulève de manière pertinente : « Les élèves du secondaire n’ont pas comme préoccupation première de décortiquer scientifiquement la matière en se souciant des données quantifiables de l’histoire économique et sociale. Ces élèves veulent d’abord qu’on leur raconte une histoire. » En effet, le cours d’histoire au secondaire n’est pas un séminaire de doctorat. Les énoncés de compétences de notre école du renouveau pédagogique donnent parfois l’impression de catapulter les élèves aux études postsecondaires poussées.
D’accord pour orienter une fille ou un garçon de 14 ou 16 ans vers l’idéal d’« interroger les réalités sociales à l’aide de la méthode historique » ; mais encore faut-il qu’elle ou il ait un minimum de connaissance des « réalités sociales » et de la « méthode historique ». On sait à quel point le renouveau pédagogique a eu tendance à mettre les connaissances au second plan. Par peur de ce repoussoir caricatural qualifié d’« encyclopédisme ». Pourquoi ce qui va de soi en mathématiques (apprentissage par cœur de tables de multiplication) ou en français (conjugaisons) est-il considéré comme de l’encyclopédisme abominable en histoire (quelques dates, quelques personnages, un récit) ?
Les craintes « des critiques du récit » sont compréhensibles. Veut-on revenir à une époque où l’on chantait que notre « histoire est une épopée des plus brillants exploits » ? Personne ne le suggère ! Ni M. Delorme, ni Jacques Beauchemin et Nadia Fahmy-Eid, coauteurs d’un rapport nuancé à l’origine de la présente réforme du cours d’histoire. Cette dernière consiste en une réforme synthèse proposant justement un compromis entre l’histoire dite « sociale » et l’histoire nationale ; entre l’approche par compétences et l’histoire-récit.
Mais les tenants du programme de 2006 n’en démordent pas : ce sera leur vision ou le nationalisme « endoctrineur ». Dans une réponse au texte de M. Delorme, une doctorante [en didactique et non en histoire !], Chantal Rivard, écrit « l’enjeu est clair : savoir penser, critiquer la société ou lui appartenir, l’aimer, l’admirer » (Le Devoir, 11 février). Aucun compromis possible : « Ce n’est pas le rôle de l’enseignement de l’histoire que d’entretenir les mythes fondateurs de notre identité », dit Mme Rivard, non sans raison.
[Note du carnet : Si c’est ou critiquer la société ou lui appartenir, de manière apparemment exclusive et qu’il faut comme cette Chantal Rivard que « [l’enseignement de l’histoire] doit développer une pensée critique », doit-on comprendre que l’enseignement de l’histoire produira des jeunes qui n’appartienne pas, n’aiment pas, n’admirent pas leur société ? ]
Mais pourquoi réintégrer le récit dans l’enseignement de l’histoire ainsi que l’étude de quelques grands personnages — qui, par exemple, marquent notre toponymie — équivaudrait-il nécessairement à un endoctrinement encyclopédique suspect des élèves du secondaire ? Dans sa réplique, Mme Rivard se moqua des professeurs-conteurs « fredpellerinisés ». D’autres vont plus loin que le simple mépris. Un des penseurs du programme de 2006, Jocelyn Létourneau, en juin, dans un blogue, après avoir amalgamé maladroitement des commentaires du chef péquiste, Pierre Karl Péladeau, et des phrases écrites ici même dans cette page, concluait que si ces idées devaient l’emporter, « l’horizon s’annonce brun ». Oui, « brun » ! Comme dans « chemises brunes nazies » !
[Note du carnet : faut-il vraiment s’en étonner ? Les souverainistes ont longtemps pensé qu’il fallait être de gauche (le Québec indépendant serait plus solidaire, plus généreux, plus social), mais c’était oublié que le logiciel de la gauche moderne est internationaliste, multiculturaliste, immigrationniste, d’où l’appui du PQ urbain au cours ECR, à l’immigration de masse, à l’interculturalisme, d'où une certaine gêne devant le combat trop identitaire, trop profrançais, trop en faveur de tout enthousiasme fondé sur les racines communes des Français d’Amérique du Nord. Nous pensons que ce logiciel de gauche sape la base sur laquelle doit s’appuyer tout mouvement souverainiste. Moins il y aura de québécois francophone qui se sentent liés à une histoire séculaire, moins le projet souverainiste a de chance de réussir. Cette frange importante des « souverainistes » qui n’aiment guère ni l’identité franco-canadienne ni le récit de leur épopée y voient de manière manichéenne et simpliste des relents de fascismes européens...]
M. Létourneau souhaite peut-être secrètement recevoir une mise en demeure de la part du chef péquiste. Ou alors, plus simplement, ce chantre de la complexité historique, du passé « ni simple, ni clair, ni léger, ni docile », a — paradoxe ! — atteint son point Godwin. Chose certaine, l’histoire nationale ou postnationale, l’histoire comme récit, comme méthode, mérite mieux que ce manichéisme universitaire.
Faut-il enseigner l’histoire comme un récit ou, au contraire, la décortiquer avec les élèves pour qu’ils développent des compétences ? Au moment où l’on prépare une nouvelle version du cours d’histoire au secondaire, cet intéressant débat a ressurgi la semaine dernière dans nos pages. Selon nous, un compromis est possible. Malheureusement, les tenants du programme de 2006 le rejettent totalement.
Il y a quelques jours, l’enseignant François-Xavier Delorme publiait un intéressant texte dans notre page Idées (Le Devoir, 6 février), où il se réjouissait de la transformation prochaine (à l’automne 2016) du cours d’histoire de 3e et 4e secondaires. Depuis l’adoption du programme de 2006, on enseigne l’histoire de matière chronologique en 3e secondaire. L’année suivante, en 4e secondaire, on réétudie la même histoire selon des thèmes (politique, économie, population et culture). Certains élèves se plaignent de nombreuses redondances. Les professeurs admettent que le peu de temps disponible en 3e secondaire les contraint à passer de grands pans de l’histoire du Québec sous silence. Le nouveau programme adopte une présentation chronologique sur deux ans avec 1840 comme date charnière. C’est là un progrès.
Mais M. Delorme souligne que l’esprit dans lequel le contenu doit être présenté est toujours celui qui rejette le récit. Or, comme il le soulève de manière pertinente : « Les élèves du secondaire n’ont pas comme préoccupation première de décortiquer scientifiquement la matière en se souciant des données quantifiables de l’histoire économique et sociale. Ces élèves veulent d’abord qu’on leur raconte une histoire. » En effet, le cours d’histoire au secondaire n’est pas un séminaire de doctorat. Les énoncés de compétences de notre école du renouveau pédagogique donnent parfois l’impression de catapulter les élèves aux études postsecondaires poussées.
D’accord pour orienter une fille ou un garçon de 14 ou 16 ans vers l’idéal d’« interroger les réalités sociales à l’aide de la méthode historique » ; mais encore faut-il qu’elle ou il ait un minimum de connaissance des « réalités sociales » et de la « méthode historique ». On sait à quel point le renouveau pédagogique a eu tendance à mettre les connaissances au second plan. Par peur de ce repoussoir caricatural qualifié d’« encyclopédisme ». Pourquoi ce qui va de soi en mathématiques (apprentissage par cœur de tables de multiplication) ou en français (conjugaisons) est-il considéré comme de l’encyclopédisme abominable en histoire (quelques dates, quelques personnages, un récit) ?
Les craintes « des critiques du récit » sont compréhensibles. Veut-on revenir à une époque où l’on chantait que notre « histoire est une épopée des plus brillants exploits » ? Personne ne le suggère ! Ni M. Delorme, ni Jacques Beauchemin et Nadia Fahmy-Eid, coauteurs d’un rapport nuancé à l’origine de la présente réforme du cours d’histoire. Cette dernière consiste en une réforme synthèse proposant justement un compromis entre l’histoire dite « sociale » et l’histoire nationale ; entre l’approche par compétences et l’histoire-récit.
Mais les tenants du programme de 2006 n’en démordent pas : ce sera leur vision ou le nationalisme « endoctrineur ». Dans une réponse au texte de M. Delorme, une doctorante [en didactique et non en histoire !], Chantal Rivard, écrit « l’enjeu est clair : savoir penser, critiquer la société ou lui appartenir, l’aimer, l’admirer » (Le Devoir, 11 février). Aucun compromis possible : « Ce n’est pas le rôle de l’enseignement de l’histoire que d’entretenir les mythes fondateurs de notre identité », dit Mme Rivard, non sans raison.
[Note du carnet : Si c’est ou critiquer la société ou lui appartenir, de manière apparemment exclusive et qu’il faut comme cette Chantal Rivard que « [l’enseignement de l’histoire] doit développer une pensée critique », doit-on comprendre que l’enseignement de l’histoire produira des jeunes qui n’appartienne pas, n’aiment pas, n’admirent pas leur société ? ]
Mais pourquoi réintégrer le récit dans l’enseignement de l’histoire ainsi que l’étude de quelques grands personnages — qui, par exemple, marquent notre toponymie — équivaudrait-il nécessairement à un endoctrinement encyclopédique suspect des élèves du secondaire ? Dans sa réplique, Mme Rivard se moqua des professeurs-conteurs « fredpellerinisés ». D’autres vont plus loin que le simple mépris. Un des penseurs du programme de 2006, Jocelyn Létourneau, en juin, dans un blogue, après avoir amalgamé maladroitement des commentaires du chef péquiste, Pierre Karl Péladeau, et des phrases écrites ici même dans cette page, concluait que si ces idées devaient l’emporter, « l’horizon s’annonce brun ». Oui, « brun » ! Comme dans « chemises brunes nazies » !
[Note du carnet : faut-il vraiment s’en étonner ? Les souverainistes ont longtemps pensé qu’il fallait être de gauche (le Québec indépendant serait plus solidaire, plus généreux, plus social), mais c’était oublié que le logiciel de la gauche moderne est internationaliste, multiculturaliste, immigrationniste, d’où l’appui du PQ urbain au cours ECR, à l’immigration de masse, à l’interculturalisme, d'où une certaine gêne devant le combat trop identitaire, trop profrançais, trop en faveur de tout enthousiasme fondé sur les racines communes des Français d’Amérique du Nord. Nous pensons que ce logiciel de gauche sape la base sur laquelle doit s’appuyer tout mouvement souverainiste. Moins il y aura de québécois francophone qui se sentent liés à une histoire séculaire, moins le projet souverainiste a de chance de réussir. Cette frange importante des « souverainistes » qui n’aiment guère ni l’identité franco-canadienne ni le récit de leur épopée y voient de manière manichéenne et simpliste des relents de fascismes européens...]
M. Létourneau souhaite peut-être secrètement recevoir une mise en demeure de la part du chef péquiste. Ou alors, plus simplement, ce chantre de la complexité historique, du passé « ni simple, ni clair, ni léger, ni docile », a — paradoxe ! — atteint son point Godwin. Chose certaine, l’histoire nationale ou postnationale, l’histoire comme récit, comme méthode, mérite mieux que ce manichéisme universitaire.
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