dimanche 8 mars 2009

Un nouveau dérapage de la liberté en éducation au Québec

Lettre ouverte publiée dans Le Soleil de ce dimanche.
Le débat autour de l'imposition du nouveau cours d'éthique et culture religieuse fait écho à un débat quasi identique qui fit réfléchir la société québécoise il y a de cela presque cinquante ans. En 1962, alors que la commission Parent était au cœur de ses travaux, une question dérangeait : au nom de quel droit, l'État pourrait-il interdire aux parents non croyants une éducation conforme à leur conscience pour leurs enfants ? La réponse apportée par l'un des plus grands penseurs de toute l'histoire du Québec, le professeur Charles de Koninck, frappe par la force de son argumentation et par son étonnante actualité.

Le philosophe écrivait alors dans un esprit d'ouverture « Si les parents sont agnostiques, s'ils pensent que les enseignements religieux donnés dans les écoles sont nuisibles à l'idéal qu'ils conçoivent pour leurs enfants, il me semble qu'ils n'ont pas simplement le droit, mais le devoir de faire tout ce qu'ils peuvent, dans les limites de la loi, afin d'obtenir pour leurs enfants, aux frais de la société civile, l'institution d'une école non confessionnelle. »

Même raisonnement

De même qu'hier, nous demandions de ne pas forcer les enfants à recevoir un enseignement religieux contre la volonté de leurs parents, aujourd'hui, c'est en vertu de la même raison que nous demandons que nos enfants ne soient pas obligés de recevoir un enseignement antireligieux et relativiste dans nos écoles. Car rien ne sert de jouer à l'autruche, les manuels ne sont pas neutres idéologiquement [voir féminisme et Québec solidaire, bioéthique, le rôle de la femme dans les religions, le traitement des révélations religieuses, l'écologisme, l'histoire juridique du Québec, le multiculturalisme et le pluralisme normatifs comme valeurs intrinsèques du cours] pas plus que les personnes qui doivent les enseigner [voir le sociologue Gary Caldwell et le Mouvement laïque québécois « posture intenable » sur le sujet]. Demander aux enseignants d'être aussi objectifs en éthique et culture religieuse qu'en mathématiques est une utopie qu'il faut cesser de viser.

La situation est à un tel point préoccupante et unique parmi les pays démocratiques que certains observateurs étrangers commencent déjà à citer l'exemple du Québec comme un dérapage à éviter. La semaine dernière, le cardinal polonais Zenon Grocholewski, préfet de la Congrégation pour l'éducation catholique, a même soulevé que l'imposition du nouveau programme d'éthique et culture religieuse dans les écoles du Québec constitue une violation des droits parentaux et frôle l'« anticatholicisme ». L'anticatholicisme, pas plus que l'antisémitisme ou l'anti-islamisme et toutes les autres formes de haines ségrégationnistes, ne doivent pas pouvoir éclore, ne serait-ce que sous une forme « légère », dans nos sociétés. Le fardeau du passé est trop lourd pour être si vite oublié et répété.

Au nom de quel droit ?

L'erreur n'est pas encore dramatique, mais elle est suffisamment préoccupante pour que l'on s'interroge sur les conséquences possibles qui y sont contenues en germe. Au nom de quel droit privons-nous les parents de choisir l'éducation qu'ils jugent, selon leur conscience, appropriée pour leurs enfants ?

Tout droit découle d'un devoir. C'est parce que nous avons le devoir de vivre que tout ce qui est nécessaire à la vie (nourriture, logement, etc.) nous est dû. C'est parce que nous avons le devoir de participer à la vie politique de la cité que le droit de vote existe. Ainsi, la famille a le devoir d'éduquer ses enfants d'où découle le droit de tous les parents à être aidés par l'État, à travers l'école, à donner une partie de cette éducation. La famille demeure la première responsable de l'éducation des enfants. « Son droit est inaliénable, antérieur au droit de l'État, et inviolable », nous rappelait sans détour l'ancien doyen de la faculté de philosophie de l'Université Laval.

D'ailleurs, c'est parce que la famille est première responsable de l'éducation des enfants que l'Église s'oppose à baptiser de jeunes enfants contre la volonté de leurs parents. Or, l'État ne semble-t-il pas vouloir aujourd'hui baptiser à sa façon tous nos enfants sans notre consentement ?

Consciences « formatées »

Charles De Koninck n'avait pas peur d'affirmer ce qu'il entrevoyait alors presque prophétiquement comme un dangereux dérapage démocratique : « J'ai bel et bien qualifié de tyrannique un régime qui n'admettrait et n'appuierait que des écoles non confessionnelles. Car justement ce régime dénierait la priorité du droit des parents — croyants, cette fois-ci — en matière d'éducation. Si, par ailleurs, nous voulions imposer les croyances de la majorité à tous les membres de la cité, nous serions coupables du même despotisme. Voilà ce qu'entraîne inéluctablement la liberté religieuse. »

C'est la santé même de la démocratie et des libertés fondamentales qui est en jeu. En effet, la liberté de toutes les consciences, même erronées, est indispensable au bien commun de notre société pourvu qu'elle ne s'oppose pas aux lois civiles. Sans cette liberté de conscience, formée principalement par une libre éducation des parents, c'est la vie politique et la citoyenneté même qui risquent de sombrer dans le despotisme. Car la principale différence entre un régime véritablement démocratique et une tyrannie, c'est que les citoyens du premier ont la « puissance de contredire » et sont ainsi maîtres d'eux-mêmes et non entièrement soumis à une autorité. Mais quand, dès le plus jeune âge, toutes les consciences d'une nation sont «formatées» identiquement selon le moule préféré de l'idéologie d'État, il devient dès lors presque impossible d'espérer enrichir le dialogue et le débat public de pensées et de consciences libres.

Le professeur [Charles de Koninck] ajoutait dans son article d'un point de vue plus personnel : « C'est la société chrétienne qui restera pour moi l'idéal. Cependant, cette société ne mériterait pas son nom si elle voulait de force imposer les croyances de sa majorité à tous ses membres. Ce serait nier la gratuité de la foi, la gratuité de la grâce. » De même, ceux qui croient aux libertés fondamentales de l'être humain ne doivent pas imposer de force leurs croyances s'ils veulent être dignes de leurs idéaux. Ce n'est pas seulement la liberté des personnes croyantes qui est attaquée par ce programme (ainsi que le changement à l'article 41 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qu'il fut nécessaire de modifier pour le rendre légal), c'est la liberté même de tous les Québécois, croyants en quelque religion que ce soit, agnostiques ou même athées qui est compromise, puisque si un jour une idéologie dominante au sein de l'appareil gouvernemental peut être imposée de force à tous les enfants, demain cela pourra être n'importe qu'elle autre idéologie dominante qui sera prescrite.

Espérons que nous saurons être cohérents et ne pas suivre l'adage des régimes totalitaires : « Quand nous sommes en minorité, nous réclamons pour nous la liberté au nom de vos principes; quand nous sommes en majorité, nous vous la refusons au nom des nôtres. » Si hier les parents québécois ont obtenu une éducation non confessionnelle pour leurs enfants, c'est en vertu du même principe que nos enfants doivent aujourd'hui avoir le droit de ne pas recevoir une éducation qui va à l'encontre de la conscience de leurs parents. Loin d'être une menace, la liberté des parents à demeurer les premiers responsables de l'éducation de leurs enfants est une richesse à protéger pour le plus grand bien de tous.
Daniel Bauchemin, Jean-Philippe Brissette, Julian Dugas, Simon Lessard, Laure Marais, Pierre-Nicolas Merkel, Jean-Denis Paz, Hélène Rivest

Étudiants de 1er et 2e cycle en philosophie, Université Laval