vendredi 9 août 2019

Bureaucratie et monopole de l'éducation : enseignant chevronné doit faire 600 heures de stages ou perdre son poste

Le ministère de l’Éducation du Québec veut qu’il fasse 600 heures de stages, alors qu’il enseigne déjà depuis 2003.

Le ministre Jean-François Roberge a déposé en juin un projet de règlement qui vise notamment une « meilleure reconnaissance des acquis expérientiels ». Reste à savoir si les modifications s’appliqueront aux profs du primaire et du secondaire.

Jean-Pierre Racine adore enseigner aux élèves qui ont des difficultés ou susceptibles de décrochage. S’il perd son poste, il sait qu’il pourrait enseigner ailleurs, mais peut-être pas auprès de cette clientèle, craint-il.

Un prof d’expérience craint de perdre son poste dans une école secondaire en raison d’un blocage bureaucratique dans son parcours universitaire, alors que les écoles sont en pleine pénurie de personnel.

Jean-Pierre Racine, 49 ans, enseigne à temps plein les sciences et les math depuis 15 ans au secondaire dans les Laurentides.

Cet automne, il pourrait perdre le poste qu’il aime tant dans une école de Lachute parce qu’il n’est pas suffisamment avancé dans sa formation universitaire en enseignement, selon les balises du ministère de l’Éducation.

Le cœur du blocage : on lui demande de réaliser au moins 600 heures de stage, alors qu’en 15 ans, il a cumulé plus de 21 000 heures en classe, notamment comme prof titulaire.


Il lui semble donc peu pertinent de faire des stages portant, par exemple, sur comment gérer une classe quand la cloche sonne, illustre-t-il en riant.

« Ça prend quoi comme expérience ? Je vais être à la retraite avant d’avoir mon brevet [si ça continue] », ironise-t-il.

MAÎTRISE

Géophysicien de formation, M. Racine n’avait pas fait d’études en enseignement quand il a réalisé qu’il aimerait transmettre sa passion pour la science aux adolescents. La Commission scolaire de la Rivièredu-Nord l’a embauché en 2003 grâce à une « tolérance d’engagement », autorisation qui doit être régulièrement renouvelée.

Afin d’obtenir son brevet en bonne et due forme, M. Racine a décidé de faire une maîtrise qualifiante à temps partiel, tout en enseignant le jour. Il s’est donc inscrit à l’UQAM vers 2008, puis à l’Université de Montréal.

Il a alors suivi plusieurs cours pertinents. « J’ai trippé sur mes cours de psycho », illustre-t-il.

Dès 2012, il a commencé à faire des démarches auprès des deux universités pour que son expérience soit reconnue et créditée à la place des stages. Il a donc fourni de nombreuses lettres de supérieurs témoignant de sa compétence (voir autre texte).

Or, il n’existe aucune « mesure » permettant aux universités de reconnaître l’expérience des profs chevronnés pour leur éviter d’avoir à faire les stages obligatoires, indique Esther Chouinard, des relations de presse du ministère.

SITUATION ABSURDE


Concrètement, M. Racine pourrait réaliser son stage dans l’école où il enseigne déjà. Il lui faudrait alors être supervisé par un mentor, explique-t-il.

Mais il n’y a qu’une seule personne plus ancienne que lui à son école, ajoute-t-il pour illustrer l’absurdité de la situation. De plus, cette collègue n’utilise pas la même méthode d’enseignement que lui, qui fonctionne par projets.

Il serait difficile, voire impossible pour lui de faire ses stages dans une autre école tout en continuant d’occuper son poste.

« Si on me prouvait la pertinence des stages, pour moi, ce serait différent », dit-il.

Mais tous les responsables universitaires, ministériels et députés caquistes qu’il a sollicités au fil des ans lui ont dit qu’il avait raison de chercher à faire reconnaître son expérience, tout en se renvoyant la balle, raconte-t-il.

Voir aussi

Le nombre d’enseignants « non qualifiés » continue d’augmenter dans les écoles québécoises

On se rappellera l’histoire du professeur de latin qui, après onze années d’enseignement au secondaire, avait décidé de remettre ma démission. L’enseignant était détenteur d’un baccalauréat ainsi que d’une maîtrise en histoire avec spécialisation en études anciennes (latin, grec ancien, histoire, archéologie, mythologie, littérature gréco-romaine). Ce latiniste avait ainsi perdu un emploi lorsqu’un syndicat avait exigé d’un directeur qu’il trouve une personne légalement qualifiée. La tâche d’enseigner le latin avait échu à un enseignant qui avait appris cette langue durant son enfance. Le fait qu’il n’avait pas retouché à cette matière durant plus de 25 ans n’était d’aucune importance. À une autre occasion, un poste que le latiniste découragé est revenu à un jeune diplômé en enseignement. Le candidat désigné n’avait jamais fait de latin, mais il s’était engagé à suivre des cours à l’université : il est devenu l’étudiant du latiniste non qualifié selon le syndicat, car celui-ci était aussi chargé de cours en latin à l’Université de Montréal !