lundi 20 novembre 2017

Japon — la sélection à l'entrée des universités

Jean-François Sabouret, directeur de recherche émérite au CNRS, présente le système de sélection à l’entrée à l’université mis en place au Japon, qui lui semble efficace pour promouvoir l’égalité des chances.

Au moment où le Japon s’ouvre à l’Occident, dans la seconde moitié du XIXe siècle, quelque 40 % de la population savaient lire et écrire. Le peuple apprenait surtout dans les écoles des temples bouddhistes (terakoya) et dans les écoles privées (shijuku). Jusqu’alors, ce qui correspondrait aujourd’hui à l’université était surtout réservé à la noblesse de sabre, serviteurs des chefs de fief (daimyo). Les samouraïs étaient aussi (… et surtout) des fonctionnaires des fiefs. Lors de l’ère Meiji (1868-1912) a été institué un système éducatif nouveau, même si des écoles de la période précédente ont été incorporées au nouveau système. La grande innovation vient de ce que l’entrée à l’université passait désormais par la réussite à un concours. Dans les faits, cette période de modernisation de l’ère Meiji a surtout vu les héritiers de l’ancienne noblesse passer ces concours.


La véritable révolution est arrivée durant l’occupation américaine (1945-1952) à la suite de la défaite japonaise. Une véritable course aux diplômes a été lancée. C’est tout un peuple qui est parti à l’assaut des lycées et des grandes universités avec pour credo « l’égalité des chances ». Aujourd’hui, 97 % d’une génération termine les études au lycée et obtient le parchemin du sotsugyo shosho. Ce « bac à la japonaise » [diplôme d’étude collégiale au Québec] est obtenu sur la base de la moyenne des compositions trimestrielles, faites sur table, tout au long des trois années de lycée. Les professeurs dont les élèves ont des résultats insuffisants donnent gratuitement des cours de rattrapage. L’important est la réussite du plus grand nombre et le système éducatif japonais du primaire au lycée a pour but de rassembler, de réunir et non de faire échouer.

Étudiant célèbre son succès à l’examen d’entrée à l’Université de Tokyo, l’une des plus prestigieuses du pays

La sélection véritable ne s’effectue qu’au moment des concours d’entrée dans les universités. Le Japon en compte 780 de cycle long (quatre ans et plus) et 350 de cycle court de deux ans. Dans le système universitaire japonais, il y a de la place pour tous. En réalité, les concours d’entrée sont très disputés pour les 30 premières universités parmi lesquelles on trouve de grandes universités nationales (Tokyo, Kyoto…), de grandes universités privées (Keio, créée en 1858, Waseda, etc.) et de grandes universités publiques (universités préfectorales ou municipales). Chaque université prépare et gère son concours alors que les facultés fixent le barème nécessaire pour intégrer l’institution. Dans les universités moins prisées, les étudiants sont plutôt recrutés sur dossier et entretiens personnalisés.
Confronté au raz de marée des candidats passant les épreuves des grandes universités, le ministère de l’Éducation et de la Recherche (Monkasho) a institué un « filtre » intermédiaire pour ne permettre l’accès aux concours des universités nationales et publiques qu’aux candidats ayant obtenu un certain nombre de points.

Le ministère a donc créé en 1977 une institution indépendante (le Centre national des examens d’entrée à l’université), très rentable d’ailleurs, qui est dédiée uniquement à la préparation d’un examen national sur le modèle américain du savoir de type à choix multiple (QCM). L’examen est payant (65 euros) et est corrigé par des machines. Les Japonais apprécient ce mode de correction qui élimine au maximum le facteur de la subjectivité, selon eux. 500 000 candidats se sont ainsi présentés l’an dernier aux épreuves du Centre national des examens. Pour pouvoir se présenter ainsi à la faculté la plus prestigieuse de l’université la plus renommée, la faculté de droit de l’université de Tokyo, il faut totaliser environ 60 % des points sur un total maximum de 900. Le candidat qui n’a pas obtenu le nombre de points requis peut soit passer le concours d’une université moins exigeante, soit préparer à nouveau le concours pour l’année suivante (ichiro). Les deux épreuves, celles du QCM et celle du concours proprement dit, sont additionnées pour le classement final.

L’université de Tokyo a un numerus clausus (3 100 places en première année). Après le premier filtre de l’examen national de type QCM, la pression « n’est plus » que de quatre candidats pour une place disponible. Il y a donc trois seuils à franchir pour intégrer une grande université : le « bac à la japonaise », l’examen du Centre national d’examens et enfin le concours d’entrée proprement dit à l’université. Les grandes entreprises, la haute administration, les grandes maisons de commerce, les journaux et les chaînes de télévision nationales proposent des postes aux diplômés des grandes universités.

Cette ouverture hiérarchisée de l’université a eu pour conséquence le développement rapide d’institutions privées, de « boîtes à concours », les juku et les yobiko (environ 50 000). Il est pratiquement impossible aujourd’hui de réussir à intégrer une université renommée sans avoir préparé consciencieusement les concours dans ces « gymnases du savoir », qui peuvent faire penser à nos classes préparatoires.

En moyenne, un candidat devra passer cinq concours d’entrée, le cinquième (appelé suberidome, littéralement « antidérapant »), le plus facile, a pour fonction de sécuriser une inscription dans une université située à une place honorable dans la hiérarchie des universités. Les frais de préparation aux concours dans les écoles parallèles, les frais d’examen et de concours d’entrée dans les universités, les frais d’inscription et de cours (9400 $ canadiens pour celle de Tokyo, 14 000 $ canadiens pour les universités privées comme Keio) représentent des sommes importantes pour les familles, mais les Japonais acceptent le verdict des concours parce que le système est exigeant, mais transparent. Il n’y a pas d’autres moyens pour entrer à l’université de Tokyo que de réussir le concours ouvert à tous. Au Japon, les concours restent des garants de l’égalité des chances et de la qualité de la formation.

Source : Le Figaro

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