lundi 1 avril 2019

L'absence de nouveau programme d'éducation sexuelle explique-t-elle la hausse des MST ?

On entend souvent chez les partisans du nouveau programme d’éducation à la sexualité qu’on a vu une hausse des infections transmissibles sexuellement en l’absence du cours d’éducation sexuelle.

Mais est-ce crédible ou ces partisans agissent-ils sur les peurs des citoyens pour imposer ce programme d’éducation sexuelle qui contient bien plus que des informations biologiques ou prophylactiques ?

Il est sans doute utile de rappeler que les infections transmissibles sexuellement augmentent dans d’autres pays occidentaux alors qu’il n’y a pas eu de changement notable dans leurs programmes d’éducation sexuelle.

Un nombre record d’infections sexuellement transmissibles ont été signalées aux États-Unis en 2017, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC). Au total, il y a eu près de 2,3 millions de cas de chlamydia, de gonorrhée et de syphilis, soit 200 000 de plus qu’en 2016, une année record en soi.

De même dans la très « libérée » Suède :

Parmi les maladies sexuellement transmissibles appartenant à des maladies à déclaration obligatoire, l’infection à chlamydia est la plus répandue et son incidence est élevée par rapport aux autres IST (environ 36 000 cas par an). Depuis la seconde moitié des années 90, la tendance de la gonorrhée a augmenté et 1 624 cas de gonorrhée ont été signalés en 2016 (incidence 16,5 cas pour 100 000 habitants). Les cas de syphilis ont augmenté au cours des années 2000 et 330 cas ont été signalés en 2015 (incidence 3,3 cas pour 100 000 habitants).

Dès les années 2000, les autorités notaient une augmentation d’infection chez les adolescents :

Les infections génitales à Chlamydia sont passées de 14 000 en 1994 à 22 263 en 2001, dont 60 % chez les jeunes et la plus forte augmentation chez les adolescents.
 (Source)

Il en va de même aux Pays-Bas tout aussi libérés :

Les infections sexuellement transmissibles augmentent rapidement aux Pays-Bas (2017)

Aux Pays-Bas, de plus en plus de personnes reçoivent un diagnostic de maladie sexuellement transmissible, selon un rapport du service national de santé RIVM. Le nombre de diagnostics de gonorrhée et de syphilis a considérablement augmenté chez les hommes homosexuels l’année dernière. La chlamydia est la MST la plus répandue chez les femmes et les hommes hétérosexuels. Les diagnostics séropositifs ont diminué.



Voir aussi

L’État québécois impose son programme d’éducation à la sexualité, car les écoles ne l’ont pas adopté volontairement

Le cours d’éducation sexuelle ontarien évite-t-il l’augmentation du nombre de maladies vénériennes ?

Québec — Éducation à la sexualité (uniformisée) — Revue de presse commentée.

Danemark — Imposition de l’éducation sexuelle (historique, l’affaire Kjeldsen et autres c. Danemark en 1976)

La « laïcité » s'impose aux écoles privées selon le Mouvement pour la laïcité

Daniel Baril, vice-président du Mouvement laïque québécois, publiait une longue lettre ouverte dans Le Devoir le 30 mars (avant le 1er avril donc). Il y affirmait notamment :

L’État est légitimé d’étendre la laïcité à ces établissements [privées] au nom [de] leur mission éducative, de leur financement public et de la protection de conscience des enfants.

De plus, les écoles privées sont tenues par la loi d’offrir le programme d’enseignement approuvé par le ministère de l’Éducation. Le caractère laïque de ce programme doit être respecté même dans les écoles privées, d’où la nécessité d’y interdire le port de signes religieux.

M. Baril semble dire (« doit ») que la loi (mentionnée dans la phrase précédente) impose le caractère laïque des programmes scolaires donnés dans les écoles confessionnelles.

C’est très discutable.

C’était la prétention maximaliste des avocats du gouvernement québécois dans l'affaire qui l’a opposé au collège Loyola.

La Cour suprême du Canada en a décidé autrement : le plus haut tribunal au pays conclut que contraindre l’école Loyola d’enseigner le cours ECR de manière « laïque » est inconstitutionnel, car cette contrainte porte « gravement atteinte » à la liberté de religion des personnes qui veulent offrir et qui souhaitent recevoir une éducation confessionnelle.

Quel intérêt d’ailleurs d’avoir une école catholique pour n’y enseigner que ce que des laïcistes comme M. Baril considèrent comme acceptable ? M. Baril pense que les écoles catholiques enfreignent la « protection de conscience des enfants » de parents qui ont choisi une école confessionnelle. Voilà Daniel Baril protecteur des enfants ! On est en droit de se demander s’il ne s’agit pas plutôt pour M. Baril d’imposer sa propre vision aux enfants d’autrui : l’absence d’égard envers toute religion particulière. M. Baril soutient le monopole de l’État devenu « laïque » (mais pas assez encore pour ce laïciste), car cela lui permet d’imposer ses préférences philosophiques aux enfants des autres.

Quant à l’argument éculé que les écoles privées sont financées par le Trésor public ! D’une part, ce n’est pas vrai de toutes les écoles privées, d’autre part les parents qui envoient leurs enfants à ces écoles paient deux fois pour ce qui devrait être un droit, une fois par leurs impôts, une autre fois par les frais d’inscription à ces écoles si peu privées (le monopole de l’Éducation y impose programme, pédagogie, limite le recrutement des enseignants, la publicité qu’elles peuvent faire, etc.)

Ce carnet veut garantir l’égalité de tous les enfants et le choix des formations scolaires : l’État devrait garantir les moyens à tous les élèves de fréquenter l’établissement scolaire de leur choix. Privé, confessionnel ou non. Que les parents soient nantis ou non. Cela pourrait se faire par des déductions fiscales pour les parents aisés ou une allocation scolaire pour les parents démunis. Plutôt que de restreindre de plus en plus l'accès aux écoles privées, elles devraient être abordables pour tous.
Voir aussi

Les règles imposées à l’école privée sont responsables de la sélection pratiquée

ECR — La surprenante ignorance de Georges Leroux et la sélectivité de Daniel Baril


Les écoles « privées » doivent être financées à 100 %

L’école gouvernementale coûte deux fois plus cher que l’école (semi — ) privée

Québec — Syndicat de l’école publique contre les écoles (semi —) privées

Formatrice d'enseignants en ECR « objective » : croisades, inquisition, pédophilie, femme non acceptée

Radio-Canada interrogeait différents acteurs dans le cadre d’une révision du très controversé programme d’éthique et de culture religieuse :

Mais, même pour ce volet [religieux du programme ECR], M. Baillargeon dit entretenir « de sérieux doutes » sur la possibilité que les enseignants présentent « les choses déplorables dans la religion catholique, dans l’islam, etc. ». « Je pense que ça dépend de la bonne volonté des profs », affirme-t-il. « Au secondaire, on voit les deux côtés de la médaille, affirme Karine Beaulieu qui enseigne ÉCR depuis 2008 et qui forme des enseignants dans cette matière. La compétence “éthique” vient éclairer [comprendre : juger selon les valeurs actuelles] la compétence “religieuse”. » Au deuxième cycle du secondaire, les élèves entendent parler « des croisades, de l’inquisition, des méfaits », ajoute l’enseignante, dont le conjoint enseigne ÉCR comme elle. Je présente des faits. Pas des opinions.  C’est un fait qu’il y a de la pédophilie dans l’Église catholique et qu’on n’y accepte pas les femmes.

Notons :

1) Que nous la croyons quand elle dit que les enseignants « éclairent » le volet religieux et « critiquent » les religions. En effet les enseignants ne se privent pas de le faire et parfois dépassent sans doute leur devoir officiel de « neutralité » (voir cette enseignante qui s’est déguisée en curé pour dénoncer le machisme de l’Église catholique ou cet autre enseignant ECR — Marie s’est fait violer, elle a inventé l’histoire du Saint-Esprit, Joseph a gobé son histoire). Dans la pratique, une fois la porte de la classe fermée, les professeurs peuvent orienter la discussion selon leur conviction. Ils poseront les bonnes questions pour donner l’inflexion au cours qu’ils privilégient. « Mais quand vient le temps d’enseigner la portion “éthique”, beaucoup d’entre eux vont donner leurs opinions personnelles », de déclarer Stéphanie Gravel, une étudiante au doctorat en sciences des religions à l’Université de Montréal. «  Un prof convaincu et habile fera des miracles avec ce cours dans les consciences des jeunes [...] Cet enseignant modèle posera les bonnes questions, abordera des sujets peu fréquents, éveillera les consciences... », d’ajouter Luc Phaneuf, enseignant d’ECR.

2) Que tous les exemples qu’elle cite sont des critiques à l’encontre de l’Église catholique. N’y a-t-il pas de pédophilie dans d’autres groupes ? Pourtant, malgré la quasi-disparition des prêtres catholiques enseignants ou aumôniers de troupes scoutes ou d’associations, la pédophilie est loin d’avoir disparu dans l’enseignement, chez les scouts ou dans les équipes de sport. La pédophilie est un péché pour le catholicisme. On ne peut pas en dire autant de certains intellectuels qui, à la suite de la révolution sexuelle, car nombre d’entre eux de gauche et athées, en faisaient alors l’apologie. Cette défense de la pédophilie est, il est vrai, passée de mode même chez les intellectuels « à l’esprit large ».


Daniel Cohn Bendit faisant l’apologie de la pédophilie et de la consommation de drogues

3) Aucune critique envers les musulmans ? Les autres religions ? Ne disons rien d’une critique de l’athéisme, du communisme athée, etc.

4) On aimerait bien savoir en quoi les Croisades sont un argument contre le christianisme... On peut arguer qu’il s’agissait d’entreprises défensives (accès des pèlerins aux lieux Saints interdits, la moitié de la population de la grande Syrie était sans doute encore chrétienne...) Cette professeur dénonce-t-elle les guerres d’invasion musulmanes ? À la lumière des manuels officiellement approuvés par le BAMD qui traitent de la question, on peut très fortement douter de l’impartialité de ses leçons d’ECR en la matière. Voir Manuel d’histoire (1) — chrétiens intolérants, Saint Louis précurseur des nazis, pas de critique de l’islam tolérant pour sa part et Manuel d’histoire (2) — Chrétiens tuent les hérétiques, musulmans apportent culture raffinée, pacifique et prospère en Espagne. Et pour un point de vue différent sur les Croisades : 27 novembre 1095 — Appel lancé pour porter secours aux chrétiens d’Orient et aux pèlerins et Le mythe de la violence religieuse.

5) Il est simpliste de déclarer à l’emporte-pièce « qu’on n’[...] accepte pas les femmes » dans l’Église catholique. C’est, bien évidemment, inexact ou très simplifié : plus de la moitié des fidèles sont des femmes, d’innombrables abbesses et religieuses sont des femmes. Marie, mère de Jésus, y joue un rôle central, le christianisme a été une avancée pour les femmes de l’Antiquité, etc. Mais bon, ce même simplisme se retrouve aussi dans les manuels d’ECR. C’est ainsi que « L’arrivée de Muhammad [Mahomet], au 7e siècle, améliore la situation de la femme » pour l’islam, son rôle chez les autochtones n’est qu’élogieux « La femme représente la Terre-Mère et incarne la fécondité. Elle veille à la croissance et à la socialisation des enfants. Toutes les activités des femmes feront d’elles des Gardiennes de la vie. » alors que chez les catholiques « Le rôle de la femme dans l’histoire de l’Église a été variable. [elles] ne peuvent devenir prêtres. » Progrès en islam, éloge dans les spiritualités autochtones et bilan mitigé pour le catholicisme (Voir Le rôle des femmes dans les religions selon le livre ECR d’ERPI pour la 2e secondaire)

Bref, on peut présenter des faits de manière sélective, simpliste ou tronquée et appuyer par là des opinions particulières. Il n’y a aucune contradiction contrairement aux dires de cette enseignante ECR : « Je présente des faits. Pas des opinions. »


Cette personne forme des enseignants en ECR...

Allô Prof : une aide scolaire par téléphone au Québec

Reportage de la télévision d'État belge francophone :


Pénaliser les enfants d’enseignants et de syndicalistes en enseignement pour lutter contre les inégalités sociales

Depuis des années, les chercheurs ont constaté que ceux-ci, grâce au niveau intellectuel de leurs parents, connaissent un parcours scolaire et universitaire beaucoup plus favorable que celui des autres enfants. « Les statistiques montrent un lien fort entre la réussite scolaire et la catégorie sociale. Par exemple l’étude de la proportion d’élèves en retard à l’entrée en sixième en 2010 indique que 3,4 % des enfants de cadres et d’enseignants entrent en 6e avec du retard, alors que 18,3 % des enfants d’ouvriers sont dans ce cas. L’étude des lauréats au diplôme du brevet des collèges conduit à une conclusion comparable : 95,3 % des enfants de cadres et de professions intellectuelles supérieures obtiennent ce diplôme cette année-là contre 78 % des enfants d’ouvriers. Il y a bien une influence. » (Source : Grande Classe et Pourquoi les enfants de profs réussissent-ils mieux que les autres ?)

Pour lutter contre inégalité, le ministère de l’Éducation du Québec, conscient de cette inégalité, considère deux types de solutions : soit une pénalisation par les notes des enfants « héritiers », soit l’obligation de les scolariser dans les écoles des quartiers pauvres ou immigrés.

Opposition des syndicats

Ce projet bute cependant contre la farouche opposition des syndicats d’enseignants, à la pointe du combat pour réduire les inégalités sociales et culturelles. Ils refusent ces dispositions qualifiées de populistes concernant les enfants de leurs adhérents.









D’où vient la coutume du poisson d’avril ?

Ne noyons pas le poisson : il n’existe aucune histoire exclusive de l’origine de la fête. Si la naissance du « poisson d’avril » remonterait, suivant les dictionnaires, au XVe siècle pour désigner un « entremetteur » ou « un jeune garçon chargé de porter les lettres d’amour de son maître » ; au XVIe siècle pour désigner un « maquereau » (souteneur) ou encore au XVIIe siècle pour qualifier une « tromperie », aucun thésaurus n’a jusqu’alors pu faire l’exégèse en ses pages de la curieuse célébration. Autant dire que ce poisson est vraiment... pané !

Toutefois, de nombreuses explications ont été avancées au fil des siècles, dont certaines très plausibles.

La première — la plus répandue — nous fait remonter au XVIe siècle. En 1564 plus précisément, date à laquelle le roi Charles IX décida, par l’édit de Roussillon du 9 août, de faire désormais commencer le premier jour de l’année un 1er janvier, au lieu du vraisemblable 1er avril. En réaction à ce subit changement, certains réfractaires décidèrent de ne pas tenir compte du calendrier et de continuer de s’offrir leurs étrennes du Nouvel An, un 1er avril. Pour se moquer de ces derniers, les plus sages n’hésitèrent alors pas à leur tendre des pièges et autres faux présents...
Prudence néanmoins sur l’anecdote. Si l’unification du calendrier s’est bien jouée en 1564, aucun écrit ne fait nulle part mention d’un début d’année ayant jamais commencé un 1er avril. En effet, avant la réforme du pape Grégoire XIII qui étendra l’édit du roi à l’ensemble de la chrétienté, le jour de l’An variait selon les villes et les régions. Qu’en est-il par ailleurs de notre fameux poisson farcesque ? Mystère. L’histoire reste bien ni chair ni poisson...

La deuxième origine de la fête dériverait du mois d’avril lui-même. Une période qui était le moment privilégié des pêcheurs au maquereau et donc l’époque la plus favorable à se voir offrir du poisson. Prudence là aussi avec cette anecdote, car selon d’autres versions le mois d’avril correspondait à l’interdiction de la pêche, en raison de la période de reproduction des poissons... Et qu’en est-il de la farce chez nos pêcheurs ? Mystère... Décidément notre poisson nage en eaux bien troubles !

Enfin, notons que le 1er avril a peut-être pu naître en échos du dernier jour du carême. Période durant laquelle, rappelons-le les Chrétiens doivent s’abstenir de manger de la viande et privilégier le poisson. Mais là aussi, le problème de la farce et des blagues en lien avec notre petit animal subsiste. Malheureusement pour cette anecdote, celle-ci finit également en queue de poisson...

Et ailleurs alors ?

Dans les pays anglophones, on célèbre ce que l’on appelle l’April Fool’s Day, ou en français le « jour de la duperie ». En Écosse, il est de coutume en cette journée de partir à « la chasse à l’imbécile ». En Angleterre, il est d’usage de redoubler d’inventivité et d’humour. Le canular à la sauce british prend ainsi un tout autre niveau. Le plus emblématique de tous ? Le facétieux reportage de la BBC tourné en 1957 sur « l’arbre à spaghetti ».

En Allemagne, on fête l’Aprilscherz, un terme introduit au XIXe siècle indique le média allemand Deutschland. À cette période, il est d’usage comme dans les autres pays de faire des blagues et de Jemanden in den April schicken (comprenez : « envoyer quelqu’un en avril »).

En Espagne et dans les pays sud-américains, il est de coutume de commémorer le « Jour des saints innocents ». Un événement qui retrace le massacre des enfants de moins de deux ans à Bethléem. Tradition qui dépourvue de toute connotation religieuse s’est transformée en jour de fête humoristique.

En Russie, est célébré le « jour des fous » et au Portugal, est fêté ce que l’on nomme le dia das mentiras ou dia das petas, à savoir le « jour des mensonges ».







Canada et Québec — fragilité des jeunes étudiants


Un texte de Samuel Veissiere, anthropologue et professeur de psychiatrie à l’université McGill.

Nous, professeurs d’université canadiens, faisons face à une véritable épidémie de troubles de la santé mentale, surtout chez les jeunes. Chaque semestre, le nombre d’étudiants réclamant des « accommodements raisonnables » ou des services de soins en santé mentale pour gérer leur anxiété augmente sur les campus.

Mon confort est sacré !

À l’université McGill de Montréal où j’enseigne, la demande d’accès aux soins a augmenté de 57 % de 2014 à 2017. L’administration ne sachant faire face à la demande, les étudiants enragent et se désespèrent. L’office des « étudiants en situation de handicap » est rempli à craquer. Ceux qui s’y inscrivent bénéficient de délais supplémentaires pour préparer leurs examens et rendre leurs travaux. Ils ont même accès à une salle d’ordinateurs spéciale en période d’examen, où ils se connectent à leurs professeurs, disponibles par téléphone pour répondre à toutes leurs questions.

Pourquoi une telle épidémie ? La génération Z (jeunes nés après 1994) est la plus touchée. Les couches sociales élevées et blanches semblent « surreprésentées » dans les statistiques. Pourquoi ? Temps d’écran à la hausse, réseaux sociaux, solitude, tyrannie du choix, montée du perfectionnisme… autant de facteurs que l’on propose gauchement pour diagnostiquer l’origine d’un malaise encore incompris.


Examinons plutôt un des symptômes les plus saillants : l’obsession de la sécurité et du bien-être, et le contournement obsessionnel de tout ce qui n’est pas « confortable ». Les nouvelles générations ne bénéficient pas seulement de taux de chômage à la baisse : les taux de criminalité et de morts par accident ont atteint un nadir historique, alors que la perception du danger est à la hausse. C’est pourtant dans cet univers aseptisé et inexorablement parano que les nouvelles générations sont restées enfermées dans leurs sous-sols, sous l’œil vigilant de leurs parents et des réseaux sociaux. Les enfants ne jouent plus dehors sans adultes, ne prennent plus le métro, ne sortent plus sans leurs parents. Au Canada, la plupart des provinces interdisent formellement de laisser les enfants « sans supervision » avant l’âge de douze ans. En Ontario, le seuil légiféré est maintenant passé à seize ans !

Le temps des « boutons de panique »

Sur le campus, les étudiants livrés à eux-mêmes s’incitent les uns les autres à se sentir en insécurité perpétuelle. Les affiches d’associations étudiantes placardées dans tous les couloirs, ascenseurs, et toilettes bombardent nos attentions déjà saturées de suggestions directes : « soyez vigilants ! », « si vous vous sentez dans l’insécurité, parlez à un membre du personnel », « se faire voler son ordi est traumatique, ne soyez pas une victime ! », « si vous avez peur, appelez le programme Walksafe, ou le programme d’aide aux victimes de violences sexuelles ». L’autocollant du « centre des violences sexuelles » est d’ailleurs très populaire sur les MacBook, aux côtés d’autres injonctions à boycotter Israël, à reconnaître les terres indigènes non cédées, ou affirmer que l’on « croit toutes les victimes ». Répondant à la demande des étudiants-consommateurs, l’administration redouble la présence de policiers et gardes de sécurité privée sur le campus. Elle installe des « boutons de paniques » un peu partout. Alors que ces mêmes étudiants squattent le bureau de la doyenne en demandant une « démilitarisation » des investissements de l’Université (surtout, bien sûr, en Israël !), ils expriment en même temps le désir d’être plus fliqués ! Ils demandent ensuite d’être mieux protégés contre le comportement de « prédateur » de leurs professeurs. En avril dernier, ils ont manifesté devant les bureaux d’administration, haut-parleurs à la main, brandissant des pancartes délirantes : « don’t fuck your students! », « stop paying predators », ou tout simplement « fuck you ». L’enquête menée par la suite conduit à un non-lieu. La seule allégation concrète publiée par les étudiants parlait d’un « prof de sciences humaines qui tenait ses heures de bureau dans un bar ».

Si vous avez peur, appelez le programme Walksafe à McGill


L’enfer postcolonial

Où ont-ils appris à avoir si peur ? Le post-colonialisme rabâché par leurs professeurs ne les aide sûrement pas. Cela fait près de vingt ans que l’enseignement des sciences humaines est saturé de suggestions fragilistes : le monde ne serait qu’oppression, violence, colonialisme, trauma ; il est rempli de prédateurs et de grands méchants loups mâles, hétérosexuels, et blancs, et n’est tempéré que par la souffrance de nobles victimes aux identités marginalisées. Mais les suggestions commencent sans doute plus tôt.

Les jeunes d’aujourd’hui connaissent moins de relations durables, sortent moins entre amis, et ont moins de rapports sexuels que toutes les générations précédentes. [Et pourtant, paradoxalement, malgré les cours d’éducation à la sexualité imposés par l’État depuis des décennies, les maladies sexuellement transmissibles sont en hausse aux États-Unis, en Suède, aux Pays-Bas, etc.] Malgré cette solitude, ils ont passé beaucoup plus de temps avec leurs parents que les générations précédentes (50 % de plus en moyenne depuis 1965, sauf en France !)


Ceci nous amène à un facteur clé : la surprotection des enfants – ou, dit moins poliment, la culture de l’enfant-roi. Les enfants-rois ont été doublement handicapés par un excès de responsabilités dans certains domaines, et une carence de responsabilités dans d’autres. Dans un premier temps, les enfants surprotégés et surstimulés sont présentés à un éventail de choix débilitants. On les traite comme des adultes, on « raisonne » avec eux, on leur demande s’ils veulent aller se coucher ou ce qu’ils préféreraient manger ; on leur dit qu’ils peuvent accomplir tous leurs rêves.

L’enfant au centre

Les parents délivrent un message très clair : l’enfant est le centre du monde, et tout s’adapte à ses besoins et désirs. [L’État prétend la même chose : il dit mettre l’enfant au centre, c’est en partie pour écarter les parents qui ne seraient pas d’accord avec « le plein potentiel » que l’État transmettra en imposant sa vision des religions (ECR), de la sexualité, de la pédagogie de l’instruction à domicile.] Le premier problème dans le cadre « accommodant » de l’enfant roi est qu’il est tout sauf rassurant — c’est beaucoup trop de responsabilités pour un petit être en devenir que se sentir responsable de tout ce qui se passe autour de lui.

École québécoise : l’enfant au centre, pas les connaissances ? Les parents, nulle part ?


C’est ici qu’entre la deuxième injonction, ou la vie de l’enfant-roi devient trop cadrée, et paradoxalement déresponsabilisée. Dans un univers qu’il perçoit comme entièrement construit pour lui, l’enfant trouve ses désirs et besoins assouvis, se confortant dans l’illusion qu’il agit sur le monde. La première responsabilité qu’on ne lui a pas donnée c’est celle de savoir se réguler tout seul. Celle-ci ne peut d’ailleurs pas être donnée : elle ne peut être apprise que seul, en apprenant à s’ennuyer, à se divertir, mais aussi à se tromper, à se perdre, à tomber, et à se relever tout seul. Dans l’univers hyper-cadré où les emplois du temps surchargés sont choisis, gérés, et surveillés par les parents, l’échec d’auto-régulation est total. L’enfant désire tout contrôler, mais il ne possède aucune capacité pour le faire. Plus le monde s’ouvre à lui, moins celui-ci se révèle conforme à ses attentes ; c’est alors que l’enfant se fâche, et demande à une maman métaphorique de rectifier le monde, tout en gardant l’illusion que c’est lui qui agit.

Tyrannie des bonnes intentions

C’est la raison pour laquelle la génération Z est si imbue de « justice sociale », et que des armées de gamins post-genrés tyrannisent leurs supérieurs en permanence pour que le monde soit « décolonisé » — c’est-à-dire rendu conforme à leurs valeurs ultra-individualistes où chaque identité unique doit être accommodée par tout le monde. On est bien loin de la maxime stoïcienne, largement perçue comme totalitaire de nos jours, qui préconise la politique dans l’autre sens : « Si tu veux changer le monde, commence par ranger ta chambre ». [Voir Jordan Peterson]

L’anxiété se solidifie et se propage dans le cadre narratif d’une culture qui, en mimant les symptômes d’une dépression majeure avec caractéristiques psychotiques, sculpte notre attention et nos automatismes vers le mal-être. Aujourd’hui bousillée, la génération Z a été victime d’une infâme tyrannie de bonnes intentions.


Face à la peur, les nouvelles générations préfèrent changer le monde d’abord, ou demander que quelqu’un le fasse pour eux. Si le libre arbitre, la volonté et la capacité d’agir existent, c’est uniquement dans notre capacité d’examiner et de recadrer nos expériences immédiates — ou parfois de les refuser. Il est sans doute important que les enfants-rois en détresse reconnaissent qu’ils ont été victimes d’un tyrannie de surprotection, mais il ne faut surtout pas s’arrêter là. Diriger leur colère vers leurs parents et enseignants — qui ont fait de leur mieux — ne servira à rien. Recentrer leur colère vers eux-mêmes (qui ont aussi fait de leur mieux, et qui souffrent sincèrement) ne marchera pas non plus. Mieux vaut recadrer la belle énergie de leur colère vers leur peur, et faire autre chose avec.

[...]

Source

Voir aussi

Ressac face à une campagne antiraciste dans les écoles de Colombie-Britannique et l’université de l’Ontario