L’Union européenne envisage d’ouvrir son célèbre programme d’échanges universitaires Erasmus+ aux étudiants de ses voisins méridionaux, situés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. C'est ce que rapporte Politico.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un plan plus large, le « Pacte pour la Méditerranée », destiné à renforcer la présence et l’influence de l’Europe dans la région.
Un pacte global : jeunesse, économie et migration
Présenté jeudi à Bruxelles, ce pacte vise à favoriser la mobilité étudiante, stimuler les échanges économiques et mieux gérer les flux migratoires entre les deux rives de la Méditerranée.
La Commission européenne prévoit ainsi de doubler le budget consacré à la région, pour atteindre 42 milliards d’euros sur la prochaine période de programmation.
Les pays partenaires concernés sont : l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, la Palestine, la Syrie et la Tunisie.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, a détaillé les trois piliers du pacte — les peuples, l’économie et la sécurité/migration — en soulignant que la Méditerranée devait redevenir une « passerelle entre les continents, pour les personnes, les biens et les idées ».
Une « Université méditerranéenne »
Dubravka Šuica, commissaire européenne en charge du dossier, a annoncé que l’objectif était de « connecter les jeunes » en étendant Erasmus+ et Horizon Europe, tout en encourageant la création de diplômes conjoints entre universités européennes et méditerranéennes.
Elle a évoqué la mise en place d’une « Université méditerranéenne », censée favoriser l’intégration académique et scientifique entre les deux rives.
Parallèlement, l’UE compte faciliter la délivrance de visas, notamment pour les étudiants du Maroc, de la Tunisie et de l’Égypte, et renforcer les « partenariats de talents » avec ces pays.
Une approche migratoire à double tranchant
Šuica a présenté la migration comme « le plus grand défi commun » mais aussi comme une « chance partagée ». Le pacte prévoit un soutien aux efforts de lutte contre les départs illégaux et le trafic de migrants, tout en ouvrant des canaux légaux de migration de travail afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre européens.
Analyse critique et enjeux
Cette extension du programme Erasmus+ à la rive sud de la Méditerranée présente des ambitions généreuses, mais soulève plusieurs questions stratégiques et socio-économiques :
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Risque de fuite des cerveaux
L’ouverture du programme pourrait encourager les jeunes diplômés talentueux d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à s’installer durablement en Europe, aggravant la pénurie de compétences dans leurs pays d’origine.
De nombreux étudiants, une fois formés dans des universités européennes, choisissent en effet d’y rester, attirés par de meilleures conditions de vie et des perspectives professionnelles plus stables. -
Redondance institutionnelle
L’UE présente cette ouverture comme une nouveauté, alors que de nombreux accords bilatéraux ou programmes de parrainage entre universités européennes et méditerranéennes existent déjà (coopérations franco-marocaines, italo-tunisiennes, etc.).
L’intégration dans Erasmus+ risque donc de dédoubler des dispositifs existants, plutôt que de les coordonner efficacement. -
Effet d’attraction migratoire
En rendant les visas étudiants plus accessibles et en créant des « voies légales de migration », l’UE espère réduire l’immigration irrégulière. Mais l’effet inverse pourrait se produire : plus de jeunes verront dans les études en Europe une porte d’entrée vers l’installation durable, alimentant ainsi un flux migratoire indirect mais croissant. -
Asymétrie des bénéfices
Alors que l’Europe y gagne une image de puissance bienveillante et des talents formés selon ses normes, les pays partenaires risquent d’en tirer peu de retombées locales si leurs diplômés émigrent ou si leurs institutions deviennent dépendantes des partenariats européens. Un instrument géopolitique
Enfin, cette initiative vise aussi à contrer l’influence croissante de la Chine et de la Russie dans la région. L’UE cherche à se repositionner comme partenaire privilégié, en mobilisant le pouvoir d'influence universitaire.
La référence explicite de la commissaire Kaja Kallas à la « concurrence d’autres acteurs géopolitiques » confirme cette dimension stratégique du pacte.
1 commentaire:
Construire l’Europe en la détruisant, en la déseuropéanisant, en l'Africanisant, en l'anglicisant, en l'arabisant...
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