mercredi 2 novembre 2016

Les règles imposées à l'école privée sont responsables de la sélection pratiquée (rediff, voir billet suivant)

Extraits du livre Le Monopole public de l'Éducation par Jean-Luc Migué et Richard Marceau publié en 1989 aux Presses universitaires de Laval (on verra que bien peu a changé en bien depuis 1989) :

Les bien-pensants chez nous sont révoltés. L’observation de certaines pratiques des écoles privées suscite chez eux le scandale. Et quelle est la source de l’indignation qui étreint ces inquisiteurs modernes ? C’est la coutume ingrate, dont se rendent coupables les écoles privées de pratiquer la sélection des étudiants, celle de ne pas automatiquement fondre dans la même classe ou la même école les plus doués et les cancres, les studieux et les fainéants, les mieux équilibrés et les « difficiles », etc. On aura compris que ces sentiments s’inspirent de la même philosophie égalitariste qui alimente l’activisme contre la stratification sociale. Les individus naissent égaux en aptitudes scolaires, ou s’ils ne le sont pas, il faut s’abstenir d’incorporer la dimension dans la composition des classes ou dans la confection des programmes, de crainte de briser l’uniformité absolue qui doit caractériser la population des diplômés au terme de la filière scolaire.

Il serait probablement difficile d’identifier un pédagogue sérieux qui soutienne l’idée saugrenue qu’il faille soumettre tous les enfants au même programme, dans une même école, dans une même classe. Même s’il s’en trouvait, les parents dans leur sagesse naturelle n’en auraient cure. Comme notre compétence en cette matière équivaut à celle du parent type, nous nous contenterons de réaffirmer la position à peu près unanime des pédagogues sur le principe de l’école uniforme pour tous : l’idée n’est rien moins que farfelue.

C’est d’ailleurs en partie ce qui fait que l’école publique est médiocre. D’un point de vue strictement pédagogique, la permanence de cette philosophie de l’uniformité reste incompréhensible. La recherche en éducation confirme ce que le sens commun suggère : le rythme d’apprentissage varie selon les groupes socio-économiques, et tous les étudiants ne répondent pas de la même façon aux différentes méthodes pédagogiques.

Pourtant le régime continue à adhérer à l’idéal du programme standard pour enfants « normaux ».

Nous voulons plutôt consacrer nos efforts à expliquer pourquoi l’école privée de notre régime ne fait pas que de la sélection, ce qui est une vertu, mais qu’elle cantonne son recrutement principalement aux niveaux supérieurs du bassin intellectuel de la population. Pourquoi l’école privée sélectionne-t-elle surtout l’élite intellectuelle de la population ? C’est un reproche que lui adressent les égalitaristes.

Cet aboutissement, tout comme son élitisme économique relatif, découle directement de la réglementation et du régime actuel de financement, imposés par le législateur. Pour s’en convaincre, il suffit de faire l’exercice d’imaginer ce que serait la structure de l’industrie scolaire concurrentielle, en l’absence de la réglementation centralisée et de la tarification arbitraire qui caractérisent notre régime. Comme toujours dans un régime de marché, le prix des services convergerait vers le coût de production minimum et la composition des différents services correspondrait aux préférences des parents. Or, il arrive qu’il en coûte moins cher de former un étudiant doué qu’un enfant moyen ou sous-doué ; il en va de même de l’élève studieux ou discipliné relativement au fainéant ou à l’enfant difficile. Ce qui revient à dire que moyennant les mêmes efforts (coût), on peut obtenir un produit de meilleure qualité avec des enfants aux caractéristiques favorables. Un vrai régime de marché pratiquerait donc la sélection de façon serrée, mais non pas uniquement en faveur des meilleurs élèves, des moins coûteux. Les écoles, ou même les classes se spécialiseraient dans des clientèles particulières. Le prix à payer varierait aussi en fonction de la qualité des étudiants, en raison des coûts relatifs variables de leur formation. Les programmes et la pédagogie s’adapteraient aussi vraisemblablement aux clientèles variables. Tous les types d’élèves trouveraient des maisons où s’inscrire, suivant leur rythme et leurs dispositions propres. Un grand nombre d’entre eux se déplaceraient constamment d’une catégorie à l’autre selon leur évolution et leur performance conjoncturelle. Le secteur de l’enseignement aurait ainsi évolué vers une diversification, aujourd’hui inimaginable, des formations, des régimes pédagogiques et des méthodes d’enseignement. Chacun y trouverait son compte.

Deux contraintes insurmontables interdisent aujourd’hui à l’école libre d’évoluer dans le sens prédit par l’analyse économique. La première et la plus déterminante provient de la réglementation en vigueur.



En raison de son rôle prépondérant, nous avons consacré une section spéciale du présent ouvrage [voir ci-dessous] à son examen. Qu’il nous suffise ici de rappeler les éléments de cet encadrement qui rendent l’école privée impuissante à s’ouvrir aux diverses clientèles. La plus importante catégorie de dispositions restrictives a trait aux difficultés que la loi et la pratique administrative opposent à l’ouverture et à l’expansion des écoles privées. Même après le moratoire total qui a duré de 1976 à 1986, c’est au compte-gouttes et au prix de préparatifs prohibitifs que s’accordent les permis d’ouverture de nouveaux établissements. Sous l’administration la moins défavorable à l’école libre des quinze dernières années, la place réservée à cette institution par les déclarations officielles du ministre de l’Éducation est strictement subsidiaire, marginale, insignifiante.

Quand on sait le discrétionnaire que réserve la loi à cet agent supérieur en la matière, cette position officielle équivaut rigoureusement au refus franc de la concurrence à l’école publique. Dans tout ce qui s’adresse à des clientèles non standard, telle l’enfance inadaptée, on peut dire qu’en pratique le moratoire total se perpétue. Ajoutons également que la loi interdit explicitement l’ouverture et la subvention d’établissements scolaires à but lucratif. Dans tout autre secteur d’activités qui serait soumis à semblable régime, les analystes concluraient unanimement à l’absence de concurrence. Par le jeu de ces seules contraintes réglementaires, on serait justifié de conclure à l’impossibilité pour l’école privée de répondre aux préférences variables et complexes de la population. Mais il y a plus. On sait que la subvention du Ministère est accordée à un taux uniforme par enfant, quelle que soit la composition des effectifs scolaires. Le régime se complète enfin d’une autre disposition qui interdit à l’école de prélever des frais de scolarité supérieurs à 50 % ou 100 % de la subvention obtenue.

Qu’on s’étonne ensuite que les établissements assujettis à un tel régime s’avèrent insensibles aux demandes diversifiées de la population tient de la mauvaise foi ou de l’incohérence analytique. La sélectivité, l’élitisme intellectuel, comme l’élitisme socio-économique sont inhérents aux règles du jeu en vigueur. Ils sont imposés par l’encadrement réglementaire et budgétaire.

Ils sont le fruit d’un « choix public ». Tant que le contexte institutionnel restera ce qu’il est, l’école, frustrée de ses principales vertus concurrentielles, privilégiera la clientèle de qualité, moins coûteuse à former. Pour faire profiter l’ensemble des parents, plutôt qu’une minorité, des bienfaits de la concurrence, il faut donc lever les obstacles à la liberté d’entrée de concurrents et supprimer les contraintes factices au mode de tarification. Le malheur veut que, sous un régime d’allocation politique des ressources scolaires, ce vœu reste pieu. L’uniformité de la médiocrité répond aux finalités mêmes du processus.

S’il fallait une preuve supplémentaire que le partage actuel des populations découle des règles du jeu imposées par l’autorité centrale, on n’aurait qu’à refaire l’évolution des effectifs universitaires par programme. Le financement et la croissance des programmes universitaires obéissent à des règles et à des conditionnements essentiellement semblables à ceux de l’école : subventions par tête centralisées à taux uniforme, contrôle central de l’ouverture de nouveaux programmes, limites à la liberté d’entrée dans l’industrie, variations prononcées du coût unitaire selon les programmes. Les conséquences ? Ce sont les mêmes qu’à l’école : gonflement excessif des programmes peu coûteux en sciences sociales et humaines, en lettres et philosophie, etc., au détriment de disciplines et de champs scientifiques et d’autres domaines professionnels. Le régime d’incitations en vigueur détermine partout l’aboutissement des systèmes.

Parents, mauvais juges !

Le paternalisme d’État sert de fondement à la suprématie des pouvoirs publics sur l’éducation depuis au moins le Siècle des lumières. En raison de l’inaptitude des parents, surtout des pauvres, à choisir la bonne qualité et aussi la quantité optimale de scolarité pour leurs enfants, l’État doit se substituer à l’étroitesse de leur prévoyance et à la faiblesse de leur volonté. J. Vaizey, chez les plus modernes, affirme explicitement que les parents font vis-à-vis leurs enfants des choix mal informés et contraires à l’intérêt de leurs enfants. Le paternalisme transpire à travers tout ce courant de pensée, bien que ses défenseurs modernes, notamment ceux qui avancent cette thèse au nom du peuple, hésitent à l’exprimer explicitement.

En fait, cette conception camoufle à peine l’ambition des uns de contrôler l’éducation des autres, surtout des classes inférieures. En réalité, si l’on adhère à cette doctrine, il faudrait étendre la règle à toutes les activités, y compris la religion. Comme le soulignait déjà E.G. West en 1964, cette bienveillance formelle vis-à-vis l’incompétence des autres tient du plus pur autoritarisme. Mais c’est l’incohérence même de cette argumentation qui, en dernière analyse, la condamne. Si en effet les citoyens d’une démocratie s’avèrent incompétents à juger de l’éducation, comment peuvent-ils posséder la compétence pour choisir les représentants qui, eux, décréteront la bonne éducation ?

On retrouvera ci-dessous un résumé du même ouvrage des contraintes imposées aux établissements dits privés au Québec.

Réglementation à l’entrée

En vertu de la Loi sur l’enseignement privé, c’est le ministre de l’Éducation qui détient le pouvoir d’autoriser une institution à fournir des services d’enseignement. Au-delà de toutes les exigences requises par l’ensemble des lois et règlements, le ministre a l’autorité de réviser le permis d’enseigner de tout exploitant. Le passé récent tout comme le présent témoignent de manière éloquente de la latitude dont il jouit dans l’utilisation régulière et même systématique de ce contrôle à l’entrée. De 1977 à 1986, un moratoire absolu existait sur la création de nouvelles écoles privées subventionnées. Par ce recours à son pouvoir discrétionnaire, le ministre rend inutile l’instauration d’un lourd appareil réglementaire, mais au prix du rejet total de la concurrence.

Le moratoire a été levé en 1986. À ce jour, huit nouvelles institutions ont obtenu l’autorisation d’enseigner. Le jugement du ministre demeure cependant déterminant pour d’éventuelles institutions.

L’actuel ministre, fidèle en cela à la tradition des vingt-cinq dernières années, conçoit l’école privée comme un simple complément à l’école publique qui elle, joue le rôle de premier plan. Selon cette philosophie, un établissement privé n’est autorisé à ouvrir ses portes que si le secteur public n’occupe pas déjà le terrain. C’est le refus explicite des avantages de la concurrence. On comprend dès lors que le ministre puisse s’appuyer sur son pouvoir de monopoliser le secteur pour donner libre cours à toutes les finalités politico-bureaucratiques que l’aménagement institutionnel permet.

Avant d’autoriser l’ouverture de nouveaux établissements, le ministre doit se conformer aux dispositions de la Loi sur l’enseignement privé. Il lui est loisible, en vertu des articles 9, 15 et 23, de déclarer un établissement « institution d’intérêt public », « institution reconnue pour fin de subvention », ou « institution détentrice de permis d’enseignement ». Bien qu’affectées par des articles précis de la Loi, ces catégories visent surtout à distinguer les établissements qui auront droit à des subventions (les deux premières catégories), des autres.

[...]

Pour passer l’épreuve de l’approbation, l’exploitant potentiel doit aussi endosser le credo gouvernemental en matière de production scolaire et d’organisation. D’après le règlement d’application de la Loi sur l’enseignement privé, les critères d’évaluation des requêtes touchent des dimensions aussi variées que les objectifs de l’institution projetée, son administration générale, son régime pédagogique (dont le plan d’études, la bibliothèque, le matériel audio-visuel, les laboratoires les studios, les ateliers, l’éducation physique et les jeux), son organisation matérielle (aménagement général et mobilier), son personnel, et enfin, son rendement.

Tels sont les critères d’évaluation que l’administration applique et qui deviennent en fait les premiers obstacles que les soumissionnaires de projets éducatifs doivent surmonter. On devine immédiatement l’étendue du pouvoir que cette multiplicité d’exigences laisse au ministre. En fait, sur une cinquantaine de pages, cette procédure administrative n’encourage le proposeur à poursuivre les étapes officielles que s’il consent à rationaliser son projet sous la forme demandée. Il devient indispensable dans ce marché particulier, que les promoteurs ne laissent rien au hasard, que tous les événements soient prévus, que la formule soit non seulement au point, mais que sa viabilité se démontre sur papier, à la lumière, bien entendu, des canons de la « Méthode pédagogique universelle ».

La conséquence est prévisible : le nombre de projets présentés au Ministère ne sera qu’un pâle reflet de l’étendue de l’entrepreneurship existant en matière d’expériences pédagogiques. Les préférences des parentsconsommateurs n’apparaissent qu’accidentellement dans le dossier.

Contrairement à ceux qui œuvrent dans les secteurs dynamiques de l’économie, c’est en dépit du cadre administratif que les entrepreneurs scolaires peuvent se permettre d’innover, d’affiner leurs projets selon les circonstances et le rythme de leurs réflexions sur la fonction de production. Ils doivent plutôt remplir des cahiers sous une forme précise, qui convaincra la toute-puissante administration.

Ces exigences ne constituent pas seulement un filtre pour ceux qui ne peuvent se permettre ce coûteux exercice pour des raisons financières ou contextuelles. Encore plus insidieusement, elles servent de prétexte au politique et à l’administration pour porter un jugement sur la fonction de production, sur la façon de combiner les inputs, comme si une instance quelconque était en mesure de prévoir, parmi les innombrables formules concevables, celles qui s’avéreront gagnantes, qui incarneront le progrès, tant du point de vue des coûts que de la qualité !

Car il est bien évident qu’on ne demande pas ces informations pour rien.

Elles servent à vérifier la conformité du processus envisagé dans le projet éducatif aux vues du politique et de l’administration. Même les promoteurs les plus audacieux, détenteurs de formules gagnantes autant que de formules moins intéressantes, sauront, bien avant d’avoir la réponse du ministre, qu’ils ne répondent pas au credo officiel, et qu’il devient inutile de poursuivre plus avant leur projet.

[...]

Le pouvoir politique et administratif s’exerce lourdement sur l’entrée et sert essentiellement à circonscrire l’étendue de la concurrence et à figer le processus de production. Il serait naïf de souhaiter l’essor de l’entrepreneurship dans cet environnement. Dans un domaine pourtant considéré par les instances publiques comme fondamental, du moins si on en juge par les budgets consentis, on perpétue un régime qui se caractérise par la pauvreté d’idées, l’uniformité des entreprises, et qui, bien entendu, devra se passer des éléments les plus productifs de la société, attirés ailleurs par une reconnaissance plus tangible.

Réglementation des intrants

Les exploitants potentiels qui franchiront l’enceinte du domaine de l’éducation seront donc peu nombreux. Non par coïncidence, ils se révéleront aussi uniformes dans leur organisation et leur régime pédagogique. Les institutions projetées n’ont pas qu’à remplir scrupuleusement leur demande suivant les paramètres définis par l’administration et la Loi ; ils doivent aussi se conformer à des processus de production tout à fait particuliers. La Loi et les règlements prévoient de façon méticuleuse les pratiques qui présideront à l’administration générale de l’école, au régime pédagogique, au recrutement et à l’encadrement des maîtres, de même qu’au financement. Nous croyons pouvoir affirmer qu’aucun autre secteur d’activité, même parmi les plus réglementés, ne fait l’objet d’une réglementation aussi tatillonne.

Règlements pointilleux

Toute nouvelle institution, à l’instar des anciennes, doit fournir des prévisions budgétaires qui distinguent les niveaux et catégories d’enseignement, les dépenses pour le logement, la pension, le transport, etc. Les prévisions d’effectifs font l’objet d’une attention toute particulière de l’administration centrale. Le Guide précise les étapes rigoureuses de cette opération. Les prévisions doivent définir les caractéristiques de la population visée (sexe, provenance sociale et géographique, catégories de difficultés d’apprentissage), les effectifs par classe pour la première année d’activité, les critères de composition des groupes, les hypothèses relatives à l’accroissement ou au maintien de la population scolaire pour les trois premières années d’activité et aussi les effectifs pour chaque année du processus d’implantation.

La loi prévoit que toute institution doit se conformer aux conditions d’admission exigées par les règlements de la Loi sur le Conseil supérieur de l’Éducation. Mais les formalités administratives exigent en plus de détailler finement la composition du personnel et ses qualifications, ainsi que les instruments utilisés à des fins d’admission, de sélection et d’exclusion des élèves.

La loi sur l’enseignement privé et les règlements sont particulièrement pointilleux en matière de réclame de l’institution, instrument par excellence d’information, mais perçue par le législateur comme menaçant pour les concurrents en place, privés comme publics. Si cette loi s’en tient à des énoncés très généraux en cette matière, le règlement d’application précise que tout texte publicitaire doit obtenir l’approbation du ministre. Il interdit également aux exploitants de faire mention d’un service de placement, à moins qu’il soit précisé qu’on ne garantit pas l’emploi, d’indiquer le salaire qu’un élève est susceptible de gagner après avoir suivi un enseignement donné, de faire une déclaration susceptible de jeter du discrédit sur d’autres institutions, et enfin de citer des lettres de recommandation. L’observateur n’a-t-il pas raison de se demander lequel de l’élève ou du monopole public jouit de la plus grande protection par l’effet de ces dispositions ?

La tenue de dossiers doit se faire suivant la forme et la teneur prescrites par le ministre. Il faut aussi évidemment fournir les états financiers, statistiques ou toutes autres informations que le ministre ou une personne autorisée par lui peuvent exiger.

Liberté pédagogique limitée

En vertu du principe que toutes les institutions d’enseignement, privées ou publiques, décernent des diplômes identiques, elles sont tenues d’offrir le même programme. Les rares variantes autorisées doivent recevoir l’assentiment du ministre. Une abondante documentation ministérielle vient appuyer les énoncés législatifs et règlements9 qui encadrent les établissements. Les directives précisent les matières obligatoires, les cours à option pour chaque année, le nombre d’heures par matière, le nombre de jours de classe, le nombre de journées pédagogiques, le nombre de journées d’examen, l’horaire hebdomadaire, le cycle précis des études, etc. En fait, rien ne distingue l’institution privée de l’institution publique dans leurs dimensions formelles et combien structurantes de la production. Si, dans ce carcan, l’institution privée réussit à se distinguer, c’est par la virtuosité de l’entrepreneurship enseignant et de gestion, qui parvient malgré tout à occuper quelques parcelles de terrain laissées vacantes par la réglementation. Il faut admettre que sa marge de manœuvre est étroite, lorsque tant de procédures cruciales ne peuvent être remises en cause.

Est-il besoin de préciser que ces exigences ne reposent nullement sur quelque théorie pédagogique ? Nous l’interpréterons plutôt comme les composantes indispensables d’une vaste entreprise de cartellisation de l’industrie scolaire. La notion de cartel prend tout son sens, lorsqu’on découvre que dans les dimensions les plus fondamentales, les producteurs privés et publics doivent se comporter de façon rigoureusement identique. C’est donc la réglementation, et en particulier celle qui touche l’organisation pédagogique, tout autant que la nationalisation de la production, qui cartellise l’éducation, standardise le produit, bloque l’innovation, augmente le prix et diminue la qualité.

Choix du personnel limité

Le choix du métier d’enseignant dans l’un et l’autre réseau ne dépend pas que de la volonté du candidat et de l’institution qui l’emploie. En fait, il relève assez peu de ces deux éléments. Avant d’obtenir un contrat, le futur enseignant doit d’abord recevoir la sanction de l’administration centrale, puis obtenir un permis, lequel sera accordé à la suite d’un programme officiel de formation comportant au minimum un an de cours théoriques et de travaux pratiques de nature psychopédagogique. Cette exigence s’ajoute bien sûr aux règles de scolarité minimale de 13 ans. Le permis confère le droit d’enseigner pour une période de deux ans, après quoi le brevet d’enseignement permanent pourra être décerné.

À la lumière de ce qu’on connaît aujourd’hui sur le rôle de la scolarité et de l’expérience dans la performance des maîtres, ces règles ont quelque chose d’arbitraire. Mais c’est surtout des dispositions de conventions collectives négociées par le monopole public et le monopole syndical que découlent les innombrables contraintes imposées à l’utilisation optimale de la main-d’œuvre et à sa mobilité. C’est dans ces documents aussi que sont consignées les règles qui font de la scolarité et de l’expérience les critères pratiquement uniques de traitement. On peut dégager de l’examen, même superficiel, des règles de recrutement en vigueur, de rémunération et d’affectation des enseignants, la conclusion que la rigidité, plutôt que le souci d’excellence et d’économie, caractérise l’encadrement du personnel. L’école locale est dépourvue de toute latitude en cette matière. La constitution d’équipes vouées au projet éducatif local se révèle pratiquement inconciliable avec le régime de travail en place. Les incitations qui lui sont associées s’exercent rarement en faveur de l’excellence et de la productivité. Tout se passe comme si l’intérêt des offreurs de services avait préséance sur celui des parents consommateurs dans l’aménagement institutionnel en place.

Financement

Nous démontrerons que le gouvernement favorise le monopole public par ses subventions plus généreuses que dans le secteur privé et donc par la double imposition des parents qui choisissent le secteur privé. Là ne s’arrêtent pas les contraintes qu’il exerce sur le financement de l’enseignement privé. Par simple énoncé législatif et indépendamment de la volonté des parties et de toutes considérations de productivité, le législateur a choisi de plafonner le montant que l’institution privée peut exiger des parents. Une institution déclarée d’« intérêt public », ne peut exiger un montant supérieur à 50 p. 100 du montant de la subvention. Bon prince, il daigne permettre à l’institution « reconnue pour fins de subvention » de prélever des frais de scolarité égaux à la subvention, étant donné que cette dernière s’établit à la moitié de celle prévue pour la catégorie précédente. Les établissements privés de toute assistance auront droit de demander, en principe, ce qu’ils jugent nécessaire, bien que le choix ultime du montant repose toujours sur l’opinion favorable du ministre.

Aucun fondement n’appuie cette pratique, autre que la volonté d’étouffer la concurrence, c’est-à-dire de gêner l’essor du réseau privé en le frustrant d’une source de financement supplémentaire. Dans son souci de protéger le monopole public, le législateur se trouve en contre partie à brimer la volonté des individus d’investir autant qu’ils le voudraient dans la formation, capital humain de leurs enfants. Cette bêtise, apparente en économique, cache une logique politique universelle : la protection d’intérêts spéciaux.

Le sens général qu’on dégage de ce survol de la réglementation est donc qu’elle sert d’abord à cartelliser l’industrie scolaire. En plus de l’étatisation généralisée, c’est la réglementation qui gêne l’essor et la diversité des deux secteurs. L’école privée d’aujourd’hui ressemble probablement plus à l’école publique qu’elle ne s’en distingue. Les différences d’output entre écoles et commissions scolaires s’amenuisent ; on tend vers l’homogénéité. L’école est probablement la seule institution sociale qui ressemble à ce qu’elle était il y a cent ans.

C’est, comme pour l’étatisation, au nom de l’égalité d’accès aux services que s’est poursuivie la marche ininterrompue en faveur de la standardisation des services et donc de l’uniformité de l’output. Les partisans du monopole public s’en réjouissent, sous le prétexte douteux que la variété scolaire confère des avantages injustes à certaines tranches de la société et oppose des obstacles à la mobilité sociale des moins fortunés. Nous examinerons la valeur de ce raisonnement ultérieurement. Soulignons seulement les effets probables de cette uniformité imposée sur les consommateurs et les producteurs du service scolaire. En l’absence de réglementation, le consommateur choisit l’output scolaire qui lui donne le plus grand bénéfice. Si telle école ne lui offre pas ce qu’il attend, il se déplace en faveur de l’école qui lui paraît plus satisfaisante. Après l’imposition de règles standardisées, le consommateur voit ses choix se rétrécir et, à la limite presque atteinte chez nous, disparaître. Dans sa perspective, l’évolution ainsi décrite ne peut être qu’une perte. C’est un jeu à somme négative pour l’ensemble des parents. Loin d’y trouver des bénéfices, il n’en subissent que des coûts.




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1 commentaire:

Louis Blouin a dit…

Ce site est une vraie mine d'or.

Merci, merci, merci.