mardi 16 juillet 2024

Le 17 juillet 1761 — la Nouvelle-France a 14 % d'habitants de moins qu'en 1759

Le 17 juillet 1761, dix mois après la capitulation de Montréal, le commandant James Murray envoie à William Pitt, ministre de la Guerre britannique, un relevé de la situation du pays conquis, et il constate que, depuis 1759, il y a au Canada dix mille habitants de moins [1]. Dix mille habitants de moins sur un total qui ne peut pas avoir dépassé de beaucoup soixante-dix mille, c’est là, pour la Nouvelle-France, le prix de la défaite et de l’invasion.

La Place-Royale de Québec est presque entièrement détruite par les Anglais. De l’église Notre-Dame-des-Victoires, il ne reste que les murs calcinés, comme en témoigne une gravure (ci-dessus) de l’officier de marine Richard Short réalisée en 1761.
 
Devant l’ennemi les Canadiens n’ont point accoutumé de se ménager. Au début de la guerre, ils sont seuls à composer les partis qui disputent aux Anglais les marches de l’Ohio. Ce sont eux qui, avec Beaujeu, remportent la belle victoire de la Manongahéla [2] (près de Pittsburgh actuel) ; eux encore qui, avec Villiers, vengent Jumonville et reprennent le fort Duquesne (Pittsburgh actuel) [3]. Ils ont une part beaucoup moindre à la journée de Carillon où la milice n’est représentée que par un détachement de deux cent cinquante hommes [4]. Au siège de Québec, tout le monde prend part à la résistance, même les écoliers, même les séminaristes [5]. À la bataille d’Abraham, les milices forment les deux ailes de l’armée de Montcalm [6]

L’armée de Braddock tombant dans l’embuscade tendue par les Français et de leurs alliés amérindiens à la bataille de la Monongahéla.

Mais c’est surtout dans les deux dernières campagnes que Lévis a recours à la milice, cette milice où toute la population mâle de la colonie, de seize à soixante ans, est enrégimentée [7]. Il verse un certain nombre d’habitants dans ses bataillons de réguliers qui ne peuvent plus se recruter autrement [8]; et quand, en plein hiver, il reprend l’offensive contre l’envahisseur, il emmène tout ce qui est mobilisable dans les districts des Trois-Rivières et de Montréal. De soldats et de miliciens il y a, à Sainte-Foy, à peu de chose près, le même nombre [9]. La dernière victoire française sur la terre canadienne coûte aux milices du Canada cinquante-et-un tués et cent quatre-vingt-dix blessés [10].

Déjà décimé par la guerre et par la maladie, ce malheureux peuple a enfin à subir l’invasion. Les Anglais ont entrepris de décourager la résistance par la dévastation systématique. Dès son entrée dans le fleuve, Wolfe se fait la main sur Gaspé et Montlouis. Parvenu devant Québec il adresse aux habitants, le 27 juin 1759, une proclamation qui se termine sur des menaces terribles. Malheur aux Canadiens s’ils persistent à prendre part « à une dispute qui ne regarde que les deux couronnes [11]. » Le bombardement de Québec commence. Il dure soixante-huit jours. Lorsque Ramezay capitule, la Haute-Ville est à demi détruite, la Basse-Ville l’est tout à fait [12]

Principales batailles de la guerre de Sept Ans (qui commença plus tôt en Amérique du Nord qu’en Europe où elle débuta en 1756)

Le retour offensif de Lévis en 1760 achève la ruine de la petite capitale. Battu à Sainte-Foy, Murray incendie les faubourgs de Saint-Roch et de la Potasse [13]. Les campagnes n’ont pas été épargnées davantage. Exaspéré par l’échec que Montcalm lui inflige à Montmorency, Wolfe livre tout le pays à ses soldats. Ils brûlent toutes les paroisses de l’ile d’Orléans, toutes celles de la côte nord depuis l’Ange-Gardien jusqu’à la baie Saint-Paul, toutes celles de la côte sud depuis L’Islet jusqu’à la Rivière-Ouelle [14]. Le plus souvent l’incendie éclaire le massacre. Les rangers, sorte de coureurs de bois que commande le major Rogers, tiennent à honneur de rapporter des chevelures françaises [15]. Un officier américain se signale par sa fureur sanguinaire : c’est le capitaine Montgomery, un futur lieutenant de Washington. Les Canadiens se vengeront plus tard de l’égorgeur de Saint-Joachim [16].

Murray ne fait pas la guerre plus humainement que Wolfe. Lui aussi, il refuse aux Canadiens le droit de défendre leur patrie [17]. Il prétend réduire Lévis aux débris du détachement de la marine et des sept bataillons de réguliers. Toutes les fois qu’il trouve une maison abandonnée de son propriétaire, c’est-à-dire dont le propriétaire sert à son rang de milicien, il la détruit [18]. Par ses ordres lord Rollo, qui a déjà passé au feu l’île Saint-Jean, renouvelle son exploit à Sorel [19]. Cette guerre sans pitié se prolonge quinze mois sur le sol de la Nouvelle-France. Wolfe paraît à l’entrée du Saint-Laurent le 11 juin 1759, Lévis traite le 8 septembre 1760. Ce que fut le lendemain de cette invasion de barbares on le devine ; la famine et l’hiver achèvent l’œuvre de mort.

Extrait de la colonisation de la Nouvelle France, huitième partie, La guerre de Sept Ans.

Voir aussi  

Histoire — Le 8 juillet 1758 eut lieu la victoire de Fort Carillon

Québec — La communauté anglophone a demandé de modifier le programme d’Histoire pour le rendre plus canadien et divers 

Dix février 1763 — Signature du traité de Paris 

Histoire — Pas de célébration pour le 350e anniversaire de d’Iberville

Préconisé par le rapport Durham, l’Acte d’Union voté en juillet 1840 par le parlement britannique prend effet le 10 février 1841.

 

 Notes

[1] Murray à Pitt, 17 juillet 1761. Arch. canadiennes. Papiers d’état, 9, 1. Correspondance du général Murray, 1761-1763, p. 9.

[2] Deux cent cinquante Canadiens à la Manongahéla. Garneau, His toire du Canada, 4• édit., 1882, t. II, p. 231.

[3] Casgrain, Montcalm et Lévis, t. I, p. 92.

[4] Collection Lévis, Journal de Montcalm, 8 juillet 1758, p. 398.

[5] Voir sur le « Coup des Écoliers » et la déconfiture du « Royal Syntaxe », Casgrain, Montcalm et Lévis, t . II, pp. 105, 106.

[6] Id., p. 243.

[7] « Les premières levées avaient fourni un contingent d’une douzaine de mille hommes, mais ce chiffre s’accrut d’année en année et atteignit celui de quinze mille au moment de la dernière crise (1758 à 1760). » Id., t. 1, p. 76.

[8] Instructions concernant l’ordre dans lequel les milices attachées à chaque bataillon seront formées pour camper et servir pendant, la campagne. Journal des campagnes du chevalier de Lévis, pp. 248-254.

[9] « Notre armée était d’environ cinq mille hommes, dont deux mille quatre cents miliciens. » Id.

[10] Id.

[11] « Si la folle espérance de nous résister avec succès porte les Canadiens à refuser la neutralité que je leur propose, et leur donne la présomption, de paraître les armes à la main, ils n’auront sujet de s’en prendre qu’à eux-mêmes lorsqu’ils gémiront sous le poids de la misère à laquelle ils se seront exposés par leur propre choix. Il sera trop tard de regretter les efforts inutiles de leur valeur indiscrète lorsque pendant l’hiver ils verront périr de famine ce qu’ils ont de plus cher. Quant à moi, je n’aurai rien à me reprocher. Les droits de la guerre sont connus et l’entêtement d’un ennemi justifie les moyens dont on se sert pour les mettre à la raison. » Proclamation de Wolfe, Saint-Laurent de l’île d’Orléans, 27 juin 1759. Collection Lévis, Lettres et pièces militaires, p. 275.

[12] « La nuit du 8 au 9 (août 1759), les ennemis n’ont cessé de jeter des pots à feu et carcasses sur la basse-ville qui a été presque entièrement incendiée ; cent quarante-quatre maisons ont brûlé. » Collection Lévis, Journal du marquis de Montcalm, 8 août 1759, p. 587. Journal du siège de Québec (traduit de l’anglais). Collection Lévis, Relations et Journaux, p. 197.

[13] Collection Lévis, Lettres du marquis de Vaudreuil, 6 mai 1760, p. 175.

[14] Campagne de 1759, pièce non signée. Collection Lévis, Relations et journaux, p. 190.

[15] Collection Lévis, Journal de Montcalm 1er septembre 1759, fol. 602.

[16] « Les Anglais ont tué l’abbé de Portneuf curé de Saint-Joachim et neuf habitants avec lui, quoiqu’ils se fussent rendus prisonniers… Le curé a eu la tête ouverte en quatre endroits et toute la chevelure faite. » Bigot à Lévis, fol. septembre 1759. Collection Lévis, Lettres de l’intendant Bigot au chevalier de Lévis, p. 53. — Les Canadiens battent et tuent Montgomery devant Québec le 31 décembre 1775.

[17] « Canadiens, vous êtes encore pour un instant maîtres de votre sort Cet instant passé, une vengeance sanglante punira ceux qui oseront avoir recours aux armes. Le ravage de leurs terres, l’incendie de leurs maisons seront les moindres de leurs malheurs. » Proclamation de Murray. Québec, 23 juillet 1760. Collection Lévis, Lettres et pièces militaires, p. 285.

 [18] « La terreur que le brigadier général Murray a su imprimer aux habitants du Canada en brûlant les maisons de ceux qui étaient au camp et épargnant celles des miliciens qui étaient chez eux. » Relation de la suite de la campagne de 1760 depuis le 1er juin jusqu’à l’embarquement des troupes pour la France. Collection Lévis, Relations et journaux” p. 261.

[19] Collection Lévis, Lettres de Bourlamaque au chevalier de Lévis, 22 août 1760, p. 101.

 

 

Aucun commentaire: