vendredi 16 mai 2025

L'Algérie règle ses comptes avec la France et sacrifie la « langue du colonisateur »


À l’ombre de la crise diplomatique qui caractérise les relations entre Alger et Paris, la langue française perd de plus en plus du terrain. Malgré tout, elle tente de résister.

« C’est donc une décision judicieuse ! » Debout devant des étudiants de la Faculté de médecine de Béchar (Sud-Ouest) jeudi 24 avril, le président algérien Abdelmadjid Tebboune, entouré du ministre de l’Enseignement Supérieur, du chef d’État-Major de l’Armée le Général d’armée Said-Chengriha et d’autres responsables, s’est félicité d’une décision que son gouvernement avait prise quelques jours auparavant : à partir de la rentrée universitaire de septembre 2025, les filières médicales, jusque-là enseignées en français, seront désormais dispensées en anglais. Une des dernières digues qui entourent la langue de Molière en Algérie vient ainsi de tomber. Car si l’arabe et le berbère sont les deux langues officielles, beaucoup de filières sont encore enseignées en français. De moins en moins depuis quelques mois. Motif ? « Depuis 2022, tous les ouvrages que nous utilisons sont en anglais. Il n’y a pas d’autre solution que le passage à l’anglais, si nous voulons être au diapason des nouvelles technologies », a expliqué un enseignant au chef de l’État lors de la même visite.

Reconversion forcée des professeurs

Le remplacement du français par l’anglais dans les facultés de médecine est le dernier épisode de la démarche qui consiste à supprimer graduellement la langue française des enseignements universitaires. Rien que ces cinq dernières années, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a produit plusieurs circulaires dans ce sens. Cela a consisté d’abord à « obliger » les professeurs à se reconvertir à l’anglais depuis la rentrée universitaire 2022-2023. Des cours accélérés en langue de Shakespeare étaient prévus. Sans succès. « Après 37 ans d’enseignement en français, on m’oblige à dispenser des cours en anglais. Je préfère prendre ma retraite », nous confiait à l’époque un professeur de physique à l’Université des Sciences et technologies Houari-Boumediène, dans la proche banlieue d’Alger. Comme notre interlocuteur, beaucoup d’enseignants n’ont pas caché leur désarroi. Le projet est tombé à l’eau, mais il est sorti des tiroirs à chaque poussée de fièvre dans les relations algéro-françaises.

En plus de l’Université, le gouvernement algérien a décidé, à l’été 2023, d’introduire, dans la rentrée de septembre de la même année, l’anglais dès la troisième année du cycle primaire, ex aequo avec le français qui était jusque-là première langue étrangère. Les deux langues se partagent désormais le volume horaire hebdomadaire, qui diffère d’un niveau à un autre. Des professeurs d’anglais ont été recrutés et formés dans l’urgence. Et malgré la sonnette d’alarme des syndicats d’enseignants et des partis de l’opposition qui ont dénoncé une décision prise dans la précipitation, Abdelmadjid Tebboune, parfait francophone, a maintenu le cap. « L’école, c’est du temps long. Il faut planifier sur 20, 30 ans », avait par exemple dénoncé le sociologue Aissa Kadri qui a consacré une bonne partie de sa très longue carrière universitaire, menée autant en Algérie qu’en France, aux questions pédagogiques.

Du prestige, encore et toujours

L’école et l’Université ne sont pas les seuls espaces où la langue française est pourchassée. Dans l’espace public, de nombreux frontons d’établissements publics, civils et militaires, portent désormais des inscriptions en arabe et en berbère doublées de l’anglais, alors que jusque-là, c’est le français qui côtoyait les deux langues nationales. Puis, plus récemment, la compagnie de transport aérien, Air Algérie a supprimé la langue de Malraux de ses billets et la Société de distribution des eaux d’Alger, fondée initialement avec l’assistance de la française Suez avant d’être nationalisée, de ses factures. « Un manque de respect aux clients qui ne comprennent que le français », a posté le syndicaliste Nouredine Bouderba. Cette chasse au français est étendue à la musique puisque depuis le début des récentes crises diplomatiques entre les deux pays, les chansons françaises, très populaires dans le pays, sont quasiment bannies des radios d’État, dont l’une des chaînes les plus importantes parle… en français.

« La langue française est un butin de guerre ! À quoi bon un butin de guerre si l'on doit le jeter ou le restituer à son propriétaire dès la fin des hostilités ? » Cette phrase prononcée par le célèbre écrivain algérien Kateb Yacine a toujours sonné comme une parade aux nombreuses tentatives visant à évincer la langue de l’ancien colonisateur du pays. Car, depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, quasiment tous les gouvernements ont eu leur projet de remplacer cette langue par l’arabe, devenue certes au fil du temps celle de l’administration, de l’enseignement et de la majorité des filières des sciences humaines à l’université.

Mais les projets, idéologiques pour la plupart car répondant souvent à une revendication des courants conservateurs qui poussent des cris d’orfraie contre « une colonisation linguistique » de la langue française, ont souvent échoué. Des livres continuent d’être édités en Français, tout comme une bonne partie des journaux du pays. Des écoles privées continuent de dispenser des programmes français, y compris clandestinement et le nombre d’Algériens inscrits aux cours de langue français à l’Institut français d’Alger n’a jamais baissé, selon une responsable de cette institution qui confirme que le nombre a même augmenté en 2023. À l’Université, comme dans des pans entiers de l’économie tels que les banques, les impôts et les assurances, le français tient seul le haut du pavé et n’est pas près d’y descendre, ce qui permet aux cadres y travaillant de garder un prestige souvent envié. Un sursis, selon de nombreux observateurs.

Fait paradoxal, des figures de la classe politique algérienne, y compris parmi les pourfendeurs de la langue française, font des pieds et des mains pour inscrire leurs enfants dans la seule école française autorisée en Algérie !

(Notons que l'arabe est aussi la « langue du colonisateur »...) 
 
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