mardi 11 février 2025

Études manipulées autour de la maladie d'Alzheimer

Tromperie dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer.

La maladie d’Alzheimer touche plus de 30 millions de personnes dans le monde, principalement des personnes âgées. Après 65 ans, le risque de développer la maladie double tous les cinq ans. À 85 ans, ce risque est d’un sur trois. Ses symptômes, qui comprennent la perte de mémoire, la difficulté à accomplir des tâches élémentaires et la dépression, s’aggravent progressivement. L’augmentation de l’espérance de vie dans le monde s’accompagne d’une augmentation du nombre de cas d’Alzheimer, ce qui en fait l’un des grands défis de santé publique d’un monde vieillissant.

Il n’existe pas de traitement curatif. Entre 1995 et 2021, environ 42 milliards de dollars ont été investis dans plus de 1 000 essais cliniques. Pourtant, seule une poignée de médicaments a été mise sur le marché. Et même ceux-là traitent les symptômes de la maladie plutôt que de l’arrêter.

La principale explication de la maladie d’Alzheimer est l’« hypothèse amyloïde », qui suggère que des dépôts de bêta-amyloïde, un type de protéine, s’accumulent entre les neurones et perturbent leur fonctionnement. Mais cette théorie reste controversée : tous les cerveaux atteints de la maladie d’Alzheimer présentent des plaques de bêta-amyloïde, mais toutes les personnes présentant ces plaques ne connaissent pas de déclin cognitif. La question de savoir si l’accumulation d’amyloïde est à l’origine de la maladie d’Alzheimer ou n’en est qu’un symptôme n’est toujours pas résolue.

Dans « Doctored » (Trafiqué), Charles Piller, journaliste scientifique, explique comment la pensée de groupe et la malhonnêteté ont détourné la recherche sur la maladie d’Alzheimer de son objectif. En 2006, un article publié dans Nature par des chercheurs de l’université du Minnesota semblait constituer une avancée majeure. L’étude affirmait qu’un sous-type de bêta-amyloïde était à l’origine des troubles de la mémoire. Elle est rapidement devenue l’un des articles les plus cités et a inspiré des centaines de millions de dollars de subventions publiques à la recherche. Un autre article influent publié en 2012 par des scientifiques associés à Cassava Sciences, une société de biotechnologie, a renforcé la théorie amyloïde en établissant un lien entre la résistance à l’insuline et la formation de plaques amyloïdes. Cette découverte a alimenté une vague de recherches sur l’idée que la maladie d’Alzheimer est un « diabète du cerveau » qui pourrait être traité par des médicaments. Il n’y avait qu’un seul problème : les deux études étaient basées sur des données falsifiées.

« Doctored » suit l’enquête de M. Piller sur cette supercherie. Au centre de l’histoire se trouve un groupe de limiers de l’image, avec un œil aiguisé pour les pixels manipulés des buvardages de western (une technique de laboratoire utilisée pour étudier les protéines, qui ont été trafiquées dans les études). Certains chapitres se lisent comme un polar scientifique. Dans l’un d’eux, M. Piller doit travailler dur pour gagner la confiance d’un dénonciateur réticent. Dans un autre, il se rend à Prague pour une réunion privée avec un groupe de détectives de l’image aux pseudonymes énigmatiques.

Malgré les preuves évidentes de manipulation des résultats de recherche, les revues érudites et les autorités de réglementation ont été lentes à agir. M. Piller accuse les puissants défenseurs de l’hypothèse amyloïde d’avoir ignoré les signaux d’alarme. Ce n’est qu’en juin 2024 — deux ans après les premières allégations — que l’article de Nature a été rétracté par ses auteurs. Cassava Sciences, tout en niant avoir commis des actes répréhensibles, a interrompu les essais de son médicament contre la maladie d’Alzheimer, le Simufilam, en novembre, après avoir constaté l’absence d’effets bénéfiques sur le plan clinique.

Les conséquences de ces articles dépassent le cadre du laboratoire. Pour les patients et leurs familles, les traitements expérimentaux représentent souvent une ultime bouée de sauvetage. Encourager les gens à placer leurs espoirs dans des médicaments inefficaces, voire dangereux, est une trahison. La fixation sur une théorie dont les essais sur l’homme n’ont donné que des résultats limités peut également avoir détourné des ressources précieuses au détriment d’autres thérapies plus prometteuses.

Depuis 2023, la Food and Drug Administration, l’organisme américain de réglementation des médicaments, a approuvé deux nouveaux médicaments qui ralentissent modestement le déclin cognitif en s’attaquant aux plaques amyloïdes. Ils s’accompagnent également d’effets secondaires dangereux pour certains, notamment des gonflements et des hémorragies cérébrales. M. Piller reste sceptique quant à ces traitements. Il en va de même pour nombre de ses lecteurs, après son histoire captivante de la pensée de groupe médicale et des incitations biaisées. 

Source : The Economist

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