samedi 3 mars 2012

Et vos enfants ne sauront pas lire… ni compter!

Marc Le Bris n’a qu’un regret : le temps qu’il a fait perdre à ses premiers élèves, les efforts surhumains qu’il leur demandait pour un résultat ridicule, les souffrances inutiles infligées à eux et à leurs parents, et son regret est la raison de ce livre. (Et la raison de ce petit « digest » est que, depuis 2004, rien n’a changé, si ce n’est en pire, et que ni parents ni instituteurs n’osent se révolter, convaincus que « les professeurs d’université savent mieux que nous »). Le Bris a rectifié le tir.

Après un profond mépris pour « les vieux et leurs vieilles méthodes » et l’essai des nouvelles, est venu le refus des diktats « modernes » de pédagogues en chambre qui continuent – depuis plus de trente ans! – à imposer des méthodes aux résultats de plus en plus désastreux. [Québec : Chute importante des résultats en lecture des élèves francophones aux derniers tests interprovinciaux]

Mais comment parents et jeunes instituteurs le sauraient-ils ? Les méthodes comparatives sont interdites et on offre un riche « choix » de méthodes « modernes » au jeune instituteur.

Ces méthodes seraient « naturelles » : phonologique, par hypothèses, idéovisuelle, par voie directe…

En réalité, elles sont tout, sauf naturelles : elles demandent au petit enfant de retrouver en quelques mois – de préférence en groupe et autour de « situations – problèmes » – un cheminement de pensée qui a demandé des milliers d’années à l’humanité !

« L’enfant construit lui-même ses apprentissages ». C’est le constructivisme. Nos petits élèves ne reçoivent plus la culture de l’humanité, ils passent leur temps à essayer de la réinventer… ce n’est pas rapide, ce n’est pas sûr et c’est traumatisant pour celui qui n’« invente » pas. C’est traumatisant pour ses parents qui ne comprennent pas « la méthode par hypothèses », méthode contraire à la psychologie du jeune enfant. Il a besoin de certitudes, de répétitions, de passer du simple au compliqué … et de respect pour ses parents !

Et pour que l’enfant « construise » son apprentissage, on fait trop souvent des activités aussi variées que des gâteaux, des sorties nombreuses, des maquettes, des peintures et des sculptures… quand ce n’est pas une pièce de théâtre inventée par toute la classe. Les gosses apprendraient à lire, à écrire, à calculer… en faisant officiellement autre chose et cela s’appelle « les compétences transversales ». Il faut lire la recette avant de faire un gâteau, non ? Il faut peser les ingrédients, donc calculer ! Il faut veiller à ce que tout soit bien mélangé, cuit à bonne température, donc faire de la physique et de la chimie ! Et les parents applaudissent devant tant d’ingéniosité.

Le Bris est franchement vieux jeu en constatant qu’un enfant apprend à lire… en lisant et en lisant beaucoup, pas seulement une recette ou un mode d’emploi.

L’enseignant « moderne » passera des nuits à préparer des « situations-problèmes » permettant ces « compétences transversales » et… à la fin de l’année ses élèves ne sauront ni lire ni écrire ni compter… mais là, heureusement, le ministère peut expliquer que « chaque enfant évolue à son rythme » et que « ça va se débloquer » … à l’occasion d’une bonne petite activité de groupe bien choisie ? Le plus sûrement grâce à une logopède [orthophoniste], des leçons particulières ! [Note du carnet: où l'on emploie des méthodes traditionnelles...]

Il y a encore des enfants qui n’ont pas besoin d’être « débloqués » : leurs instituteurs se débrouillent, jonglent entre des méthodes imposées et les réalités qu’ils affrontent.

La réalité, c’est que l’effort est indispensable pour apprendre, qu’un apprentissage efficace est rigoureux et passe du simple au compliqué. On apprend en se concentrant sur un sujet, en répétant, en faisant de très nombreux exercices. On n’apprend pas en jouant, sauf au berceau et grâce à maman.

Par les méthodes « modernes », on arrive par exemple à la situation suivante :

« Un étudiant en licence a sorti devant moi sa calculette pour prendre un millième de trois millions. Celui-là n’avait même pas la numération décimale dans la tête. C’est la faute de l’école primaire. Ça ne me fait pas rire : c’est un peu ma faute.

Des têtes bien pleines ou des têtes bien faites? Avez-vous jamais vu une tête vide qui soit bien faite ? » (pp.160-161)

Les enquêtes internationales PISA et PIRL nous montrent que l’enseignement français est à peine moins lamentable que celui du sud de la Belgique. Quand on sait que ces enquêtes sont largement biaisées par le fait que les enseignants corrigent eux-mêmes les travaux (!!), que des « instructions » précises sont données aux correcteurs… on peut se demander quel est le VRAI niveau de « nos chères têtes blondes ». On peut surtout craindre le pire…

Et je transcris quelques pages instructives du livre de Marc LE BRIS :

« Cher lecteur, vous supporterez bien un peu de la grammaire moderne qu’on fait subir à vos enfants :
Trouver le groupe complément d’objet direct dans la phrase suivante : « Le groupe d’enfants promène le petit chien dans le jardin. »

A. METHODE MODERNE

1. Permutations (sur le mode « Belle marquise… »)

Le groupe d’enfants dans le jardin promène le petit chien.
Le groupe d’enfants le petit chien dans le jardin promène.
Le groupe d’enfants le petit chien promène dans le jardin.
On peut faire passer « dans le jardin » de l’autre côté du verbe conjugué « promène » mais pas « le petit chien », « le petit chien » est donc un complément fixe (non déplaçable).

2. Inventer une autre phrase (cadavres exquis)

Le petit chien ronge un os. Le petit chien est un coquin.
Dans le jardin se couvre de rosée. Impossible!
« Le petit chien » peut devenir sujet dans une autre phrase inventée : il est direct. « Dans le jardin » ne peut pas servir de sujet dans une autre phrase inventée, c’est un complément indirect.

3. Voix passive (subjectivation de l’objet)

Le petit chien est promené par les enfants dans le jardin.
« Le petit chien » est devenu le sujet du verbe à la voix passive.
Conclusion : « le petit chien » est fixe car il ne peut pas passer de l’autre côté du verbe conjugué. Il est direct car il peut devenir le groupe sujet d’une autre phrase inventée, et il devient sujet à la voix passive. « Le petit chien » est le complément d’objet direct. Récré!

B. MÉTHODE ANCIENNE (mécanique, fausse, un peu bête, réactionnaire… À proscrire)

Le groupe d’enfants promène quoi ? « Le petit chien » ! « Le petit chien » est le complément d’objet direct de « promène ».

Je dois tout de même être plus précis sur les raisons qui poussent les modernes à dénigrer la méthode ancienne. La méthode de la question « quoi? » n’est pas exhaustive, elle provoque quelques erreurs, en cas d’exception, si le verbe n’est pas un verbe d’action mais un verbe d’état. C’est à cause de l’attribut du sujet qu’il ne faut pas poser la question « quoi? »
« Le petit chien ronge un os. » Le petit chien ronge quoi ? « Un os ». « Un os » est C.O.D.

« Le petit chien est un coquin. » Le petit chien est quoi ? « Un coquin ». Mais « un coquin » est attribut du sujet du verbe d’état, et pas du tout C.O.D. Ça vient du verbe. Il suffit de s’entraîner à faire attention au verbe ou de mettre au féminin, « la petite chienne est une coquine  », et en même temps de voir par le sens s’il y a une action et un objet à cette action. Ce qui deviendra ensuite la seule méthode. La méthode du débutant qui n’a pas encore compris, celle de la découverte, celle qui sert à comprendre, n’est pas forcément la plus vraie.

En fait, nos modernes didacticiens nous obligent à travailler comme des soldats en manœuvres, en traînant un sac plein de cailloux inutiles. Ils ajoutent des difficultés au débutant, parce qu’ils le veulent immédiatement parfait. Ils cherchent des méthodes de découverte qui soient exhaustives, qui évitent tout de suite toutes les exceptions et les cas particuliers (comme les verbes d’état pour le C.O.D.) et qui, en même temps, fassent comprendre d’un coup toute la finesse, la quintessence de l’objet étudié.

Je dis qu’il faut commencer par le commencement et qu’il y a forcément des méthodes pour débutants qui ne sont pas immédiatement complètes. Il faut bien prendre les choses par un bout. Avec les systèmes proposés par nos modernes, l’exception devient plus importante que la règle. Ils ergotent et font ergoter sur les détails avant de s’attaquer au cœur de l’affaire. C’est aussi comme ça qu’on en arrive à des situations où, abreuvés de détails innombrables, les élèves modernes n’ont plus l’essence des objets étudiés. (pp. 169-171)

LE BRIS nous explique comment le niveau fait pour « monter » alors que – ne soyons pas tous sourds et aveugles – il dégringole. À la page 280 de son livre, il donne un communiqué de presse du collectif « Sauver les lettres »

« Voici le texte de la dictée qui servait, jeudi 29 juin 2000, à évaluer la maîtrise de l’orthographe grammaticale et lexicale dans les académies de Paris, Créteil et Versailles.

Le petit Gavroche

Pourtant il avait un père et une mère. Mais son père ne pensait pas à lui et sa mère ne l’aimait point. C’était un de ces enfants dignes de pitié entre tous qui ont père et mère et qui sont orphelins. Il n’avait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas d’amour; mais il était joyeux parce qu’il était libre.

V. Hugo


Soit un texte de 63 mots (dont trois fois « père » et « mère » et cinq fois « pas » et « de »), aux accords enfantins et sans aucun mot difficile si on excepte l’accent circonflexe de gîte. Pour mémoire, jusqu’en 1999, le texte de dictée ne comptait jamais moins de 150 mots – et souvent plus de 200 – et comportait davantage de difficultés sans pour autant constituer, loin de là, un répertoire des difficultés de la langue française.

Mais laissons ceux qui sont payés pour cela nous rassurer : « Le niveau monte. » Pour s’en persuader, on a même modifié la façon de noter. Voici comment il importe désormais de faire :

Consignes aux correcteurs

On attribuera ½ point pour la graphie correcte des mots suivants « mais », « à », « aimait », « ces », pluriel dans « enfants dignes », « pitié », « tous », « sont », « orphelins », « gîte », « était », « parce qu’ ».

On enlèvera un maximum de 2 points pour d’autres fautes commises, à raison d’1/2 point par faute.

On l’attendait depuis l’instauration du nouveau brevet des collèges, c’est fait. Désormais, la dictée est évaluée non plus en sanctionnant les mots mal orthographiés mais en attribuant des points quand ils le sont correctement!

C’est pourquoi la copie suivante et ses 29 fautes :

Pour temps il avais un paire et une mer. Mais son pair ne pensé pas à lui et sa maire ne l’aimait poing. S’étaient un de ses enfants dinieux de pitié antre tous ki on perd et mêre ait qui sont orphelins. Ils n’avaie pas deux gîte, pas de pin, pas de feus, pas d’amoure; mais ile était joiieu parce qu’il été libres.

Devait obtenir 13,5/20! »

LE BRIS recommande aux parents et instituteurs qui veulent instruire leurs enfants:

M.BOSCHER e.a., Methode Boscher, la journée des tout-petits, Belin 1984

M.SOMMER, T.CUCHE, Lire avec Léo et Léa, Belin 2004

ARDIOT, WANAULD, BUDIN, Calcul, cours élémentaire, Hachette, 1960

Source Mia Vossen




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