mardi 18 février 2020

Les enfants de la loi 101, l'école en français : une immersion forcée, ensuite ruée vers l'anglais

Joseph Facal est revenu sur l’attrait grandissant des cégeps anglophones (fin du lycée en France, du gymnase en Suisse et Allemagne, à 17-19 ans)

Le palmarès des cégeps publié dans nos pages est un travail de moine qui fourmille de données intéressantes.

On a surtout retenu que les cégeps du réseau anglophone ont des taux de diplomation supérieurs à ceux du réseau francophone.

Inévitablement, on nous a resservi que les anglophones valorisent plus l’éducation que les francophones.

C’était sûrement vrai jadis, peut-être encore un peu, mais le gros de l’explication de cet écart de réussite est aujourd’hui ailleurs.

Le collège Dawson (Montréal) accueille des élèves et enseignants du gymnase Rotteck à Fribourg en Allemagne.



Sélection

Le chercheur Frédéric Lacroix a compilé des données révélatrices sur la population collégiale.

Les cégeps anglophones accueillaient, en 2018, 19 % de tous les étudiants collégiaux.

Mais au Québec, il n’y avait, en 2016, que 8,1 % de gens de langue maternelle anglaise.


En réalité, 37,8 % des étudiants dans ces cégeps anglophones sont des allophones et 20,7 % sont des francophones.

Comme me le faisait remarquer Lacroix, comment la communauté anglophone pourrait-elle être félicitée, tenue pour responsable des succès de diplomation des cégeps anglophones alors que les étudiants de langue maternelle anglaise y sont minoritaires ?

En fait, les « Anglos de souche » sont minoritaires dans « leurs » cégeps... depuis 2001.

Vous devinez la vraie cause de cette plus grande réussite des cégeps anglophones.

Le cégep anglophone Dawson, par exemple, n’accepte qu’un candidat sur trois. Or, 40 % de ses étudiants sont des francophones.

Pour le dire autrement, les francophones qui vont vers les cégeps anglophones se recrutent essentiellement parmi ceux qui ont les plus fortes notes.

Si les cégeps anglophones affichent de meilleurs résultats, c’est tout simplement parce qu’ils recrutent les meilleurs étudiants.

C’est un phénomène d’écrémage un peu similaire à celui qui explique, au niveau secondaire, les taux de réussite supérieurs de l’école privée [ou les écoles publiques dans les banlieues nanties, voir nos billets sur l’écrémage].

Depuis plusieurs années, on voit simultanément une ruée vers les cégeps anglophones et une baisse des inscriptions dans les cégeps francophones.

Entre 2013 et 2017, c’est 11,1 % de moins d’inscriptions pour le cégep Maisonneuve, 13,1 % de moins pour Bois-de-Boulogne et 12,8 % de moins pour le Vieux-Montréal.


À l’inverse, les inscriptions dans les cégeps anglophones augmentent même... hors de Montréal, en fait partout où il y a des établissements anglophones.

Les anglophones, eux, n’ont aucun intérêt ou presque pour les cégeps francophones : ils n’étaient que 1,3 % en 2018.

Quant aux allophones, c’est simple : dès que la fréquentation de l’école française cesse d’être imposée par la loi 101, ils se ruent vers les cégeps anglophones, avant d’aller ensuite massivement, dans une proportion de 91 % (!), à Concordia et à McGill.

Pour eux, la fréquentation de l’école française est une immersion forcée.

Pari perdu [par naïveté ?]

Quand la loi 101 fut adoptée, on fit le choix de ne pas l’imposer au cégep parce qu’on pensait que la fréquentation de l’école primaire et secondaire en français garantirait que cette personne vivrait ensuite en français à la maison et au travail.

[Nous pensons que les Québécois ont en outre été naïfs, apeurés ou timorés. Débonnaires. Les Flamands avaient compris que l’école flamande en concurrence avec l’école française n’était pas suffisante, ils ont fermé les écoles, collèges et universités francophones en Flandre. La section francophone de l’université catholique de Louvain a dû déménager et quitter Louvain en 1968. Auparavant, des universités comme celles de Gand ont été néerlandisées. L’Université de Gand passa d’abord partiellement en 1923 du français au néerlandais, puis intégralement en 1930, mettant fin à plus d’un siècle d’enseignement en français à cette université. La naïveté et la peur d’être traités d’extrémistes des Québécois expliquent, en partie, cette défaite pour le français à Montréal. 

Il existe bien sûr d’autres éléments : la part grandissante des jeunes immigrés dans la clientèle scolaire qui n’a pas de rapport charnel avec le français, ainsi que la mondialisation qui impose davantage l’anglais au travail, dans les médias et sur internet.

Il faut que l'État québécois montre que le français est utile au Québec : il doit imposer la communication en français avec l'État québécois dans toute affaire professionnelle, dans la tenue des dossiers médicaux, de la comptabilité professionnelle, des affaires juridiques. Il ne faut plus qu'un hôpital québécois envoie des résultats d'analyse en anglais à des patients québécois, il ne faut plus qu'une juge provinciale puisse écrire un jugement en anglais au Québec. Il faut aussi que cessent les demandes de bilinguisme pour des postes qui ne le nécessitent pas. Nous avons ainsi travaillé dans des entreprises montréalaises propriété des patrons francophones où l'on demandait le bilinguisme aux francophones pour qu'ils parlent avec les employés unilingues anglophones établis au Québec et certains à des postes très bas dans la hiérarchie.]


C’était une illusion. Tout est à repenser.

Cette question des langues d’enseignement est si complexe et si déterminante pour notre avenir que j’y reviendrai.