dimanche 15 décembre 2013

Les gènes influeraient sur la réussite. Mais alors qu'est-ce que l'égalité en éducation ?

Les gènes comptent pour beaucoup lors de la scolarisation. Il est moins clair que les écoles puissent s’adapter à ce fait.

La question fondamentale de G is for Genes (« G comme gènes ») est de savoir ce qu’est l’égalité en éducation. Pour les auteurs de cet essai, cette égalité n’existe que lorsque le potentiel génétique de chacun peut s’épanouir au maximum. Il s’agirait d’identifier les dons des enfants et de les cultiver plutôt que d’imposer des solutions à taille unique dans l’instruction conçue dans une optique de massification de la scolarisation à bon marché.

Cet objectif est louable, mais peu dans l’air du temps, du moins sous nos latitudes. Une telle conception sera dénoncée par de nombreux experts comme ne pouvant qu’exacerber l’effet de ces différences génétiques plutôt que de les amoindrir.

Robert Plomin est un vétéran dans le domaine de la génétique du comportement qui cherche à expliquer comment les différences génétiques entre les gens influent sur leurs actions et leurs capacités. Kathryn Asbury (ci-contre) est l'une de ses disciples spécialisées dans les études sur le développement des jumeaux (EDJ), un projet qui se penche notamment sur une meilleure compréhension de la scolarisation des enfants.

Sur la base de leurs recherches, ces deux chercheurs pensent qu’une bonne part des différences dans les résultats scolaires s’explique par la génétique. Cela contredit bien sûr la prémisse (le préjugé) de la table rase qui veut que la plupart des enfants (au moins ceux sans besoins éducatifs particuliers) sont en quelque sorte des pages blanches qui ont tous un potentiel d’apprentissage égal à leur rentrée dans le système scolaire. Cette théorie de la page blanche signifie, selon ces chercheurs, qu’à de très rares exceptions facilement identifiables comme la trisomie 21, la scolarisation des enfants ne leur est pas adaptée. À leur avis, chaque enfant est spécial, différent, et mériterait une scolarisation sur mesure. Cette théorie de la table rase explique que l'on pousse tant d'enfants à devenir des généralistes non universitaires médiocres quelles que soient leurs aptitudes naturelles, leurs intérêts, leurs espoirs et leurs rêves.

Comme le livre l'explique, l’étude sur le développement des jumeaux britanniques a suivi une méthode consacrée en génétique du comportement en comparant statistiquement de vrais jumeaux à de faux jumeaux. Les vrais jumeaux (monozygotes) partagent tous leurs gènes, les faux jumeaux (dizygotes) n'en partagent que la moitié.

Dans les deux cas, cependant, les jumeaux reçoivent une même éducation. Cela permet à ceux qui mènent une telle étude d’estimer les effets relatifs des gènes et de l'environnement (et aussi, s'ils posent les bonnes questions, de différents aspects de l'environnement) sur toutes sortes de phénomènes, y compris ce que les enfants apprennent et comment ils l'apprennent.

Les effets de génétique sur la scolarité seraient grands. Ils expliqueraient de 60 % à 80 % des différences dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Pour les mathématiques, il s’agirait de 60 à 70 %. Pour la science, de 50 à 60 %. Une grande partie du débat houleux qui oppose les déterministes environnementaux et les déterministes génétiques porte sur la partie héritée de l’intelligence générale (le QI pour le grand public, le facteur g pour les spécialistes). C’est certainement un aspect important.

L'éducation généralisée ne fait qu'exacerber ces différences génétiques. En effet, au début du XIXe siècle, plus de 50 % de la population de la plupart des pays occidentaux étaient analphabètes. À cette époque, le manque d'instruction était un bien meilleur prédicteur de l'analphabétisme qu'une faible prédisposition génétique. Une analyse génétique comportementale des données de l'époque montrerait, si elle était possible, une forte influence génétique sur l'environnement (qui s'en sort ou pas), mais une faible influence sur les différences individuelles dans la capacité de lecture. Être riche (même peu doué) était un meilleur indicateur prévisionnel d'alphabétisme qu'une tête bien faite pour la lecture. L'introduction de l'enseignement obligatoire universel a changé cela. Quand tous les enfants sont scolarisés, les différences entre ces enfants sont désormais principalement dues à des différences individuelles (en grande partie génétiques) dans leur réaction par rapport à cette même instruction.

Mme Asbury et M. Plomin montrent que d'autres facteurs que l'hérédité entrent également en ligne. Un bon indicateur de la réussite d'un enfant dans une matière, par exemple, est sa conviction qu'il est bon dans ce domaine, indépendamment du fait qu’il le soit réellement. (Ceci signifie par exemple que pour certains élèves il vaut mieux parfois être parmi les meilleurs dans une bonne école, que dans le tiers inférieur dans une école d’élite.) Le niveau de cette confiance en soi serait influencé à environ 50 % par des facteurs génétiques.

Une des idées les plus intéressantes développées par les auteurs – assez évidente quand on y songe – c'est que les influences génétiques et environnementales ne sont pas simplement additives.

En effet, les gènes déterminent l'environnement où grandit un enfant. L'enfant sportif cherche le terrain de sports. L’enfant studieux, la bibliothèque. Cet environnement de prédilection ne fera qu’amplifier les effets de toute prédisposition génétique lors de la croissance de l’enfant.

Le patrimoine génétique des parents peut aussi affecter les enfants qui n'ont pas hérité directement, à cause des aléas de la formation des gamètes, des gènes adéquats. C’est une vérité dérangeante, mais pourtant avérée, que le statut socio-économique est en partie déterminé génétiquement (pour les chercheurs la génétique expliquerait environ 40 % de la variation du niveau social des emplois que les gens occupent). Il est également vrai que les ménages à faible niveau social, ne fût-ce que par manque de moyens, entravent le développement d’un enfant par rapport à un enfant né dans une famille de la classe moyenne.

Les auteurs soutiennent que des projets tels que l’EDJ montrent également que la dyslexie ou le talent musical ne sont pas des phénomènes distincts. Il s’agirait en fait de l’extrémité de distributions statistiques qui reflètent le brassage d’une myriade de minuscules effets génétiques appelés locus à caractères quantitatifs, dont la véritable fonction demeure encore incomprise. Il en résulte, en leurs mots, que « l'anormal est la norme ». Une des failles dans l’état actuel de notre connaissance est l’absence de prise en compte de ces locus à caractères quantitatifs. Mais une meilleure compréhension de la génétique pourrait changer cet ordre des choses, en particulier une fois que nous saisirons mieux le rôle de gènes régulateurs appelés ARN non codants, dont il en existe probablement plus de 100.000, mais dont l'existence n'avait jusqu'à récemment même pas été soupçonnée.

Après cette analyse magistrale viennent les recommandations. Et c’est là que le livre sombre dans la conversation de café. D’autres chercheurs auraient préconisé des moyens pour réformer le système scolaire actuel, de préférence sans en augmenter les dépenses. Au lieu de cela, Mme Asbury et M. Plomin recommande une coûteuse révolution. Leur idée maîtresse consiste à dire que les locus à caractères quantitatifs démontrent que chaque enfant a besoin d'une instruction qui lui serait unique. Ceci pourrait, selon eux, se faire de trois manières.
La première consiste à utiliser le logiciel pour créer des précepteurs adaptés aux besoins de chaque enfant qui complèteraient le travail des enseignants en chair et en os. Un tel logiciel pourrait s'adapter au rythme de l'enfant. Mais, même si les auteurs insistent ailleurs dans leur ouvrage sur l'importance de fonder toute politique sur des preuves scientifiques solides, ils doivent admettre que les expériences qui utilisent de tels logiciels ont jusqu'ici échoué à démontrer que ceux-ci améliorent les résultats des élèves...

Leur deuxième idée est que chaque enfant doit, en plus des enseignants à son école, être aidé d’un type d’ange gardien qui le suivrait pendant tout son parcours scolaire, afin de choisir le programme qui lui conviendrait le mieux. Encore une fois, il n'existe aucune preuve claire cela fonctionnerait ou que ce fonctionnaire supplémentaire ferait mieux que les parents et les enseignants qui entourent déjà les enfants.

Leur troisième suggestion consiste à renforcer les écoles pour en faire de « petites universités » afin de créer des établissements qui pourraient offrir toutes les matières en un seul lieu et permettre ainsi des programmes hautement personnalisés.

Enseignement automatisé, ingérence par encore plus de bureaucrates et, finalement, des écoles géantes. Le tout risque de coûter encore plus cher et rien ne permet d’affirmer scientifiquement que cela aurait le moindre effet positif.


G Is For Genes
The Impact of Genetics on Education and Achievement.
par Kathryn Asbury et Robert Plomin
chez Wiley-Blackwell
à Londres
en 2013
216 pages;
16,98 $ sur Amazon.ca
Voir aussi

Genes do influence children, and acknowledging that can make schools better

BBC — What can confer an advantage in schooling (Forum, radio, 44 minutes)

Inné ou acquis, culture ou nature ? Tout dépendrait où l'on vit ? 

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