jeudi 27 février 2025

Australie — les universités font les frais de la lutte contre la crise du logement





Vaches à lait pour les uns, boucs émissaires responsables de la crise du logement pour les autres, les étudiants étrangers sont actuellement au cœur d’une bataille opposant les universités australiennes à leur gouvernement. Si l’Australie, sur le plan économique, doit toujours l’essentiel de sa prospérité à ses matières premières, l’éducation est également un secteur crucial : il a rapporté plus de 30 milliards d’euros (45 milliards de dollars canadiens) l’année dernière.

Il faut dire que les universités australiennes accueillent une quantité phénoménale d’étudiants étrangers. Ceux-ci n’ont jamais été aussi nombreux que l’année dernière : plus de 555 000 sont entrés sur le territoire en 2023, portant à près de 1 million le nombre d’étudiants étrangers présents en Australie, venus essentiellement de Chine (22 %), d’inde (17 %), du Népal (8 %), des Philippines et du Vietnam (5 %), selon les statistiques du ministère de l’éducation. Il s’agit là du principal contingent d’immigrés en Australie et une manne considérable pour les universités, pour qui les onéreux frais de scolarité versés par ces étudiants étrangers peuvent représenter 20 % à 40 % de leur budget. Ainsi, au sein du « groupe des 8 », rassemblant les universités les plus prestigieuses du pays, « les étrangers représentent entre 30 % et 40 % des élèves », selon Nico Louw, chef économiste du Menzies Research Centre, un laboratoire d’idées affilié au Parti libéral.

Le problème, c’est que le gouvernement travailliste a commencé à tarir cette manne. Sommé par l’opposition d’agir pour juguler l’immigration, accusée d’aggraver la crise du logement - les loyers ont augmenté de 9,4 % en moyenne dans les grandes villes australiennes - il a annoncé plusieurs mesures destinées à réduire significativement le nombre d’étudiants étrangers. Le prix du visa a ainsi plus que doublé, passant de 437 euros à 987 euros en juillet dernier, et les candidats doivent par ailleurs désormais prouver qu’ils ont au moins 18000 euros sur leur compte en banque. Un filtre financier très efficace : les demandes de visa en juillet et en août ont ainsi diminué de moitié en glissement annuel.

Résultat, plusieurs universités vont voir leurs revenus fondre, et annoncent d’ores et déjà des coupes radicales dans leur budget. C’est le cas de l’Australian National University (ANU) à Canberra, qui prévoit pour 2024 un déficit de 130 millions d’euros et potentiellement, des centaines de suppressions de postes. «Le gouvernement et l’opposition sont engagés dans un combat visant à démontrer qui est le plus dur en matière d’immigration et ils le font sur notre dos, déplore Luke Sheehy, le président de Universities Australia. On a déjà 60 000 étudiants de moins qui sont arrivés en Australie au cours des six premiers mois de l’année, ce qui met en péril au moins 1 400 emplois dans le secteur universitaire. » Selon le représentant de la filière, ce tarissement du vivier estudiantin représente un manque à gagner de 2,5 milliards d’euros pour l’ensemble de l’économie australienne.

Un chiffre « largement exagéré », selon Abul Rizvi, ancien secrétaire général adjoint du ministère de l’immigration. «Si vous regardez le nombre d’étudiants étrangers entrés sur le territoire en 2023 sur un graphique, c’est le mont Everest ! C’est un niveau phénoménal qui n’était pas soutenable et il est certain que le gouvernement le ramènerait à un seuil plus bas, en l’occurrence, à celui d’il y a un an ou deux, donc ce n’est pas non plus radical. » Il concède toutefois que les universités ont été maltraitées par les gouvernements successifs ces dernières années : « Pendant la pandémie, elles ont énormément souffert de la fermeture des frontières, et sans aucune raison valable, elles ont été exclues du dispositif de chômage partiel mis en place par le gouvernement. »

Scott Morrison, l’ancien Premier ministre, a, par la suite, levé toutes les restrictions sur le travail appliquées aux visas étudiants «et significativement augmenté la part de ses détenteurs qui en fait travaillaient plutôt que d’étudier». En fin d’année dernière, la tentative du gouvernement d’instaurer un quota sur les visas étudiants, limitant à 270 000 par an les entrées sur le territoire, avait été bloquée au Parlement par les Verts, et de façon plus surprenante, par le Parti libéral, qui pourtant ne cesse de tancer les travaillistes pour leur soi-disant gestion incontrôlée de l’immigration. À la place, le gouvernement a fait adopter une autre mesure le mois dernier, qui consiste à ralentir le processus de délivrance des visas.

[Impact sur la qualité de l'enseignement]

Dans tous les cas, l’économiste Nico Louw regrette que la solution retenue ne soit pas plus précise. « C’est au niveau des filières et non pas des universités qu’il faut imposer des limites, car quand on regarde dans le détail, pour certaines d’entre elles, il y a 70%, voire 80% d’étudiants étrangers, et cela a forcément un impact sur la façon qu’ont les professeurs d’enseigner et donc sur la qualité de l’éducation dispensée. »

S’il y est personnellement assez peu confronté, Romain Fathi, professeur d’histoire à l’ANU, le confirme. « Quand je suis arrivé en Australie il y a quinze ans, le niveau de maîtrise de l’anglais était bien supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Et pour certains de mes collègues, qui ont beaucoup d’étudiants étrangers, ça peut être très compliqué. » Il note par ailleurs que la dépendance financière accrue de ces derniers produit un « effet pervers ». « On n’est plus dans une relation de prof à élève mais plutôt de vendeur de diplôme à client. Ces étudiants peuvent donc imposer certaines exigences, par exemple, qu’il y ait moins d’examens, et plutôt des devoirs maison. »

D’ici les élections fédérales, qui se tiendront au plus tard le 17 mai, les questions liées au pouvoir d’achat et à l’accès au logement seront centrales.

Source  : Le Figaro

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