jeudi 1 septembre 2022

Allemagne — Retrait de deux livres du célèbre indien Winnetou

En Allemagne, le retrait de deux livres pour enfants relance les débats sur la « culture du bâillon ».

Image extraite du film « Der junge Häuptling » [Le jeune chef Winnetou], de Mike Marzuk, sorti en août.

Les aventures de l’Apache Winnetou, un personnage du célèbre écrivain allemand Karl May, font l’objet d’importantes critiques après des accusations de racisme et d’appropriation culturelle. Outre-Rhin, l’affaire divise jusque dans les éditoriaux des journaux.

Le film Der junge Häuptling Winnetou [« Le jeune chef Winnetou »] devait être un succès en Allemagne. Les producteurs comptaient sur cette figure mythique de la littérature pour enfants, créée par l’écrivain Karl May à la fin du XIXe siècle, pour attirer les foules. Les aventures du jeune Apache ont déjà fait l’objet de plusieurs longs métrages dans les années 1960 et d’une série télévisée, vingt ans plus tard. À chaque fois, le public allemand était au rendez-vous.

Pourtant, l’œuvre ne fait pas les gros titres pour son nombre d’entrées, affirme T-Online, mais pour une polémique. Après sa sortie, le 11 août, l’entreprise Ravensburger avait annoncé la mise en vente de plusieurs produits estampillés Winnetou, dont deux albums jeunesse pour accompagner la sortie du film allemand. Quelques jours plus tard, « elle a décidé de les retirer de la vente, suite à des accusations de racisme ».

 

Bande-annonce du film en question [Les blancs n’y sont pas à leur avantage…]

Selon l’entreprise de livres et jouets pour enfants, les aventures du jeune Apache véhiculeraient « un imaginaire romantique et plein de clichés » sur le mode de vie des Amérindiens. [C’est exact, mais c’est plutôt par angélisme et généralisation, un peu comme Lucky Luke.] Elles éclipseraient notamment « l’oppression » dont ces populations ont été victimes en Amérique du Nord.

Le scandale a éclaté après le choix de l’éditeur Ravensburger de retirer de la vente deux ouvrages pour enfants adaptés du personnage légendaire de Karl May. Pour la presse populaire, l’éditeur remet en cause le patrimoine culturel allemand. L’influent journal conservateur « Bild » dénonce pour sa part les « activistes de gauche », coupables d’imposer la « censure ».

 

Bild TV interroge des Indiens, pour eux toute l’affaire du racisme supposé de Winnetou est très exagérée.

Les responsables politiques de tous bords ont suivi le mouvement en accusant Ravensburger de céder au « wokisme ». « J’ai adoré tous les livres de Karl May. Ça ne fait pas de moi un raciste ! », s’est offensé Sigmar Gabriel, ancien président du Parti social-démocrate (SPD). « Tout cela est absurde ! Le chancelier doit convoquer un sommet contre la “culture de l’interdiction”», a ajouté le conservateur Rasmus Vöge (CDU), cité par « Bild ».

 Ravensburger a expliqué son choix. « Plusieurs milliers » d’internautes avaient protesté contre ces ouvrages qui entretiennent, selon eux, des « stéréotypes racistes ». « Vos réactions nous ont montré que les titres Winnetou sont aujourd’hui susceptibles de blesser certains », a déclaré l’éditeur dans un communiqué. Winnetou entretient une « image romantique avec beaucoup de clichés » qui ne correspond pas à la réalité, c’est-à-dire l’oppression des peuples indigènes d’Amérique, a ajouté un porte-parole de la maison d’édition. Ravensburger ne veut donc plus diffuser ce genre de « clichés qui minimisent la gravité des faits ».

L’association allemande des indigènes d’Amérique (NAAoG), une ONG d’informations sur l’histoire de ces peuples, regrette que les clichés continuent d’être véhiculés par les romans de Karl May. Les vêtements à franges, les bandeaux avec des plumes, les peintures de guerre, les hurlements, les tipis, les haches ou les poteaux de torture font partie des clichés. Ils sont repris dans les carnavals ou les films. Or, il existe 574 groupes ethniques rien qu’aux États-Unis. Chacun a sa culture, sa langue et son histoire. L’ONG regrette que tout soit mélangé et que les représentants soient définis sous le nom générique «
d’Indiens ».

Cette affaire a des répercussions en Suisse. La « glace Winnetou », fabriquée à Rorschach par le géant Frisco, est dans la ligne de mire des critiques qui dénoncent une appropriation culturelle à des fins commerciales. Citée dans le journal « Blick », Johanna Gollnhofer, professeure à l’Université de Saint-Gall et experte en marketing, estime : « C’est une bombe à retardement. On attend aujourd’hui des marques qu’elles se comportent de manière politiquement et culturellement correcte. » Hasard ou pas, le groupe a supprimé la tête d’Indien qui figurait auparavant sur ses emballages de bâtons glacés.


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