mardi 19 février 2013

Ôtez ce col romain, monsieur l’abbé !

Résumé d’un article paru dans Convivium écrit par Douglas Farrow, professeur de théologie à McGill, sur la décision de la Cour d’appel du Québec à l’encontre du collège Loyola. Douglas Farrow a été un des témoins experts du collège Loyola dans l’affaire qui l’oppose au Monopole de l’Éducation.

Pour Farrow, les jugements contradictoires de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d’appel du Québec soulèvent des questions juridiques qui devraient intéresser la Cour suprême du Canada auquel le collège montréalais a fait appel. Parmi celles-ci, on retrouve la question cruciale de savoir si un établissement comme Loyola peut prétendre à la liberté de religion. Cette seule question a d’énormes répercussions pour le vaste réseau d’établissements et institutions religieuses qui contribuent à former le tissu social du Canada. Mais il existe au moins deux questions essentielles pour tous ceux qui se soucient des libertés fondamentales inscrites dans la Chartre canadienne des droits et libertés.

Tout d’abord, est-il vrai – comme le prétend le ministère et désormais la Cour d’appel – que la décision de Loyola d’enseigner le programme d’éthique et de culture religieuse (ECR), comme toutes les autres matières, d’un point de vue catholique rend cette école incapable d’atteindre les deux objectifs d’ECR, à savoir « la reconnaissance de l’autre » et la « poursuite du bien commun » ?

Car, si c’était le cas, on pourrait alors soutenir que l’enseignement catholique en tant que tel ne doit plus être considéré comme une forme légitime d’instruction (c'est-à-dire agréée et subventionnée par l’État). Cette question, en passant, se pose également en Ontario, mais dans des circonstances quelque peu différentes.

Une réponse affirmative à cette question ne pose pas seulement problème eu égard à la place qu'occupe l’enseignement catholique dans la Constitution, mais elle est absurde en soi. Car ces objectifs étaient des objectifs catholiques avant qu’ils ne deviennent ceux de l’État…tout comme l’éducation publique était l’œuvre de l’Église avant que l’État ne se l’approprie. La seule manière de rendre rationnelle une réponse affirmative est d’avancer que le « bien commun » a désormais un nouveau sens qui exclut le sens que lui donne l’Église catholique et d’accorder à ce nouveau sens un monopole dans la sphère publique.

En second lieu, et c’est encore plus vital, un gouvernement ou un tribunal peut-il obliger un établissement confessionnel à mettre de côté – peu importe l’objectif et la durée – sa propre identité et ses croyances pour plutôt adopter la posture imposée par l’État. Et si l’État peut le faire – ou plutôt légitimement tenter de le faire en appliquant des sanctions pénales – quel sens a encore la garantie constitutionnelle accordée à la liberté religieuse ?

Bien sûr, il est parfois nécessaire de demander à une communauté religieuse, comme à toute autre communauté, de procéder à des ajustements pour le bien commun. Ou de renoncer sur un point mineur pour conserver l’essentiel. C’est ainsi que la Cour suprême a déclaré aux Frères huttérites (ou huttériens), bien que d'une manière peu généreuse selon d’aucun, si vous avez des raisons religieuses pour ne pas admettre de vous faire photographier pour votre permis de conduire, c'est parfait, mais vous ne pouvez rouler sur la voie publique pour des raisons de sécurité. [La juge Abella, dans un avis minoritaire, affirma qu'on n'avait pas prouver que la sécurité était réellement en jeu et qu’il fallait admettre le point de vue des huttériens. Pour elle, le gouvernement albertain ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que l’atteinte à la liberté de religion des huttérites est justifiée au sens de l’article premier de la Charte.]

Mais le dossier Loyola est complètement différent. La Cour d’appel fait exécuter la demande du ministère selon lequel une communauté religieuse doit se soumettre à quelque chose que — en son âme et conscience — elle réprouve : enseigner comme si elle n’était pas catholique et comme si son interprétation de son devoir de catholique était erronée ou de peu d’importance.

Le programme ECR n’impose pas seulement aux professeurs de présenter le volet « culture religieuse » et les concepts éthiques (moraux) de manière objective et juste – une exigence parfaitement raisonnable même si elle est difficilement réalisable –, mais aussi d’adopter, professionnellement, une posture complètement neutre envers tout ce qui est exprimé en classe, qu’il s’agisse du matériel pédagogique ou des propos des élèves eux-mêmes.

Si Loyola devait accéder à cette imposition, elle ne violerait pas seulement sa conscience, mais elle permettrait au tribunal de la sorte de dominer sa conscience. Dans les faits, cela reviendrait à reconnaître au ministère un magistère qui dépasse celui de l’Église catholique. Elle ne peut accepter cela et demeurer véritablement catholique.

Pour le professeur Douglas Farrow, nous n’avons donc pas affaire à une imposition sans conséquences d’une tâche en quelque sorte obligatoire, comme le prétend le juge Fournier de la Cour d’appel. [Comment-il peut-il le savoir ? Est-il vraiment catholique et enseignant ?] Il s’agit plutôt d’une abrogation pure et simple de la liberté de conscience et de religion en refusant à Loyola le droit d’accomplir la tâche (le contenu du programme) sur lequel tout le monde s'accorde conformément à son optique catholique plutôt que manière non catholique. Douglas Farrow ne peut voir de meilleure manière de dénuer de tout sens la clause de la Charte qui protège la liberté religieuse, et pas uniquement pour les catholiques. Est-ce vraiment ce que l’on veut faire ? Est-ce vraiment ce que les tribunaux supérieurs de ce pays veulent faire, de se demander le professeur montréalais ?

À nos yeux, Farrow compte beaucoup sur la communauté des visées de l’État et de Loyola : tous les deux veulent promouvoir la reconnaissance de l'autre et la poursuite du bien commun et pour insister sur la seule différence : l'optique laïque demandée par l'État qui s'oppose à la vision catholique de l'école. Il n’est pas sûr que Québec remette en doute la similitude des objectifs : il s’en servira même pour montrer que ce qu’on demande à Loyola ne porte pas à conséquence au niveau moral. À notre avis, Québec insistera sur les documents fournis par Loyola dans sa demande d’équivalence afin de montrer que le refus du ministère était raisonnable : la description fournie par Loyola était trop schématique selon le ministère, Loyola n’enseignait pas le volet « dialogue » selon la documentation fournie. Voir notre compte rendu de l’audience à la Cour d’appel pour plus de détails à ce sujet.

Voir aussi

Notre dossier Loyola

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