mardi 26 juin 2018

Critique de la réforme Parent (1963-1968)



Né en 1961, Jean-Claude Dupuis a étudié au Collège de L’Assomption, au Cégep de Saint-Jérôme, à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. Diplômé en histoire, en droit et en pédagogie, il fut procureur de la couronne pendant quelques années avant de faire une maîtrise sur L’Action française de Montréal (1917-1928), sous la direction de Pierre Trépanier, et un doctorat sur Mgr Elzéar-Alexandre Taschereau et le catholicisme libéral au Canada français (1820-1898), sous la codirection de Brigitte Caulier et Nive Voisine. Spécialisé en histoire intellectuelle et religieuse du Québec des XIXe et XXe siècles, boursier du Fonds FCAR et du CRSHC, il a présenté plusieurs communications dans les sociétés savantes et publié des articles dans diverses revues, notamment la Revue d’histoire de l’Amérique française, L’Action nationale, Études d’histoire religieuse et Le Sel de la Terre. Il a remporté le Prix Guy-Frégault (1994), décerné par l’Institut d’histoire de l’Amérique française, pour son article sur « La pensée économique de L’Action française ».  Se considérant comme un héritier du nationalisme groulxien, il n’hésite pas à critiquer le bilan de la Révolution tranquille et les valeurs matérialistes du Québec contemporain.

Baccalauréat (licence) — le retard grandissant du Québec

Le taux de diplomation universitaire est beaucoup plus faible au Québec qu’ailleurs au pays et l’écart ne cesse de s’accroître, soutiennent des chercheurs du CIRANO dans un nouvel ouvrage, Le Québec économique. Éducation et capital humain. Ils attribuent cette situation à la « très forte sous-performance » des francophones et à un cheminement ralenti par l’obligation d’aller au cégep. « Contrairement aux attentes, on constate une sous-représentation de la diplomation québécoise dans l’ensemble de la diplomation canadienne pour la période 2001-12 », écrivent Robert Lacroix, ancien recteur de l’Université de Montréal, et Louis Maheu, ancien professeur de ce même établissement, dans un chapitre consacré à la diplomation universitaire.

Les Québécois représentent 23,3 % de la population canadienne, mais ils ne représentent que 22,0 % des diplômés. À titre comparatif, l’Ontario, qui est « la province dominante en diplomation universitaire », forme 44,7 % des diplômés universitaires au Canada, alors que sa population constitue 38,5 % du total canadien. Les auteurs ajoutent que « la forte croissance de l’écart entre les taux de diplomation au baccalauréat de l’Ontario, du Canada et du Québec est frappante » et ils tentent, pendant près d’une trentaine de pages, d’expliquer cette « dégradation graduelle » du système universitaire québécois. Robert Lacroix et Louis Maheu évoquent « un effet collatéral et non anticipé de la structure même du système d’éducation postsecondaire particulier au Québec », rappelant qu’ailleurs au Canada, les jeunes passent directement du secondaire à l’université. « Bon nombre des diplômés des études préuniversitaires collégiales sortent du cégep à un âge plus avancé que prévu et, pour certains, déjà passablement endettés, ayant eu accès au régime de prêts et bourses du gouvernement québécois. Ils décident donc de remettre leurs études universitaires à plus tard ou de les poursuivre le soir tout en travaillant le jour. »

Un problème francophone au Québec

Selon cette étude, la piètre performance du Québec à l’échelle canadienne « découle essentiellement de la faible diplomation des francophones » au baccalauréat. Et si le Québec fait meilleure figure quant aux études supérieures (maîtrise et doctorat), c’est « dû à la surreprésentation des diplômés […] de langue maternelle anglaise et d’autres langues maternelles dans le total des diplômés du Québec ». Pour en arriver à cette conclusion, les auteurs ont mis en comparaison le taux de diplomation des francophones, celui des anglophones et celui des allophones du Québec par rapport à leur poids démographique. « La sous-représentation des diplômés de langue maternelle française, présente au niveau du baccalauréat, est encore plus marquée à la maîtrise et devient dramatiquement forte au doctorat. » Pourtant, les anglophones vont eux aussi au cégep, reconnaissent les auteurs. Ils expliquent la différence de performance par des « facteurs culturels » liés à une longue tradition de valorisation des études supérieures chez les anglophones. Enfin, ils notent que les francophones sont davantage attirés par les formations universitaires plus courtes, comme les certificats et les attestations « qui peuvent avoir une certaine valeur et desservir certains segments du marché du travail, [mais qui] ne procurent toutefois pas la formation disciplinaire complète que fournit le baccalauréat ».

Gagnants et perdants

Reconnaissant que la Commission Parent et feu Paul Gérin-Lajoie ont permis une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur au Québec depuis 50 ans, les auteurs remettent toutefois en cause son héritage. « Force est de reconnaître, pourtant, que l’essentiel est ailleurs : il ne faut pas seulement accéder à l’université, mais aussi en sortir en ayant acquis un grade universitaire en bonne et due forme […] Les grands gagnants au Québec sont les allophones et les anglophones », écrivent-ils. « Cinquante ans après les réformes de la Commission Parent, essentiellement mises en place par et pour les francophones, leurs répercussions effectives en ce qui a trait spécifiquement à la scolarisation universitaire des Québécois francophones demeurent pour le moins ambiguës, voire décevantes quant à l’acquisition des compétences que livrent les grades universitaires du baccalauréat au doctorat. »

Source : Le Devoir

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L'Éducation devenue une priorité québécoise, vraiment ? L'immigration inquiète plus les Québécois

Le baromètre CIRANO présente sa dernière étude.

Dans le résumé de La Presse, la santé et l’économie sont présentées comme les enjeux qui préoccupent le plus les Québécois, sans aucune mention sur l’éducation. Le Journal de Montréal souligne que « l’éducation ne préoccupe pas non plus outre mesure les Québécois alors que seuls 28 % des répondants ont dit s’inquiéter de l’accès à l’éducation ». Le Devoir mentionnait que « les enjeux liés à l’éducation — le décrochage scolaire ou encore l’accès à l’éducation universitaire (frais de scolarité) — ont glissé respectivement au 24e et 34e rang des priorités de l’heure des Québécois ». Pour les frais de scolarité, ce carnet comprend les Québécois : les frais de scolarité sont peu élevés au Québec comparés à d’autres pays.

En comparaison, selon Le Devoir, près de la moitié de la population québécoise est d’avis que l’immigration présente un « grand », voire un « très grand risque » pour le Québec, indique un sondage commandé par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).


Précisément, 48 % des 1000 personnes sondées associent à un « grand » ou à un « très grand » risque l’arrivée de dizaines de milliers d’immigrants par année au Québec ; 28 % à un « moyen » risque et 22 % à un risque « faible » ou « négligeable ». « [Le motif] dépend toujours du répondant. Ça peut être un risque perçu pour sa sécurité, pour son emploi, pour la culture ou d’autres raisons », explique la coauteure de l’étude, Ingrid Peignier, dans un entretien avec Le Devoir.

Les femmes, les personnes âgées de 55 ans et plus ainsi que les francophones « se montrent [les] plus inquiets », fait-elle remarquer. En effet, parmi ceux percevant des risques « grands » ou « très grands » associés à l’immigration, il y a : 53 % de femmes contre 43 % d’hommes ; 55 % d’individus de 55 à 74 ans contre 39 % de moins de 35 ans ; et 50 % de francophones contre 36 % d’anglophones et 31 % d’allophones.

Les Québécois associent un risque plus grand à l’immigration qu’à la pollution de l’air et de l’eau, à la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), au terrorisme ou encore aux épidémies, indique le Baromètre CIRANO 2018 dévoilé à 100 jours et des poussières des prochaines élections générales.

Pour ce carnet, les questions de ce type de sondage sont trop vagues : de quelle immigration parle-t-on ? De francophones européens qualifiés ? De réfugiés anglophiles peu qualifiés ? On peut trouver excellente la première, mais être nettement moins enthousiaste envers l’autre. Comment alors répondre à une unique question sur le risque lié à l’immigration ?

« Il y a une inquiétude, une perception des risques qui ne devrait pas être là », prétend Mme Peignier, rappelant que l’immigration économique serait arrimée en grande partie aux besoins du marché du travail québécois. « Ils ne devraient pas être inquiets », ajoute la directrice du CIRANO.

Cette dernière affirmation nous paraît simpliste : le taux de chômage parmi les immigrants non francophones de naissance et réfugiés est plus haut que parmi la population, l’arrimage n’est donc pas si optimal. On parle beaucoup d’un manque de main-d’œuvre, mais il est naïf de prétendre que d’accepter plus de réfugiés (ou prétendus tels) permettra de pourvoir ces postes qui ne trouvent pas preneurs. Les immigrés peuvent ne pas avoir les qualifications, connaître le français, vouloir quitter une grande ville, la rémunération peu attrayante, etc.

En outre, même si tous les immigrés trouvaient un bon emploi et contribuaient financièrement au Trésor public, même alors, une population peut être inquiète par l’afflux important de populations aux mœurs, à la religion ou à la langue différentes. Il suffit de penser à l’immigration européenne qui anglicisait Montréal tout au long du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La bilinguisation de plus en plus évidente de Montréal montre bien que la loi 101 actuelle ne suffit pas à assimiler linguistiquement les immigrés non francophones.



Décès de Paul Gérin-Lajoie et les fruits de la démocratisation de l'enseignement ?

Paul Gérin-Lajoie, « le père de l’éducation au Québec », s’est éteint à 98 ans cette semaine. Ministre de l’Éducation dans le gouvernement libéral de Jean Lesage de 1964 à 1966, il fut l’un des plus grands artisans des transformations apportées au système d’éducation québécois. Paul Gérin-Lajoie naquit à Montréal le 23 février 1920. Après des études à Montréal et à l’Université d’Oxford, en Angleterre, il fut admis au Barreau du Québec en 1943. Déjà, à l’époque, il exprima sa ferme volonté de lutter en faveur de « la démocratisation » de l’enseignement.

Peu après son élection comme député et sa nomination comme ministre de la Jeunesse, il créa la commission Parent. Le but était d’établir un ministère de l’Éducation aux pouvoirs très élargis et de centraliser le plus rapidement possible toutes les responsabilités en matière d’enseignement auprès de celui-ci.

S’enclencha alors une petite révolution : il abolit les collèges classiques, qui, selon la légende (lire Gary Caldwell sur le sujet et extrait ci-dessous), n’étaient accessibles qu’à une élite, et instaura un système d’éducation gouvernemental. On vit alors surgir un peu partout au Québec des polyvalentes et, plus tard, des cégeps.


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Sur les collèges classiques et l’éducation avant Paul-Gérin Lajoie et la « démocratisation » de l’enseignement par le « père de l’Éducation » du Québec :
[A]u milieu des années 60, le taux de scolarisation au primaire (6 ou 7 années) était très élevé : plus de 90 % du groupe d’âge en question (6 à 13 ans) fréquentait l’école. [...] [O]n disposait d’un bon réseau d’écoles techniques et professionnelles, dispensant une formation toute particulière (école de métiers, instituts, écoles normales, etc.) et d’un réseau « d’écoles privées d’intérêt public » où l’on dispensait surtout le « cours classique » de huit ans. De plus, contrairement à l’opinion propagée par les réformateurs des années 60, ces collèges semi-publics parce que largement financés par les autorités publiques étaient, hors de Montréal et de Québec, relativement accessibles aux classes sociales inférieures ; et par le fait même, ils ont contribué à une circulation des élites relativement efficace. En effet, dans une ville de province, au moins la moitié de la clientèle des collèges classiques était d’origine ouvrière ou agricole ! Par la suite, l’université presque gratuite devenait, à cette période, accessible à ces diplômés.
Gary Galwell, dans l’étatisation de l’école québécoise (1965-2005) [Ire partie]

Critique de la réforme Parent (1963-1968)

Gary Caldwell sur l'étatisation de l'école québécoise (1965-2005) [Ire partie]

Gary Caldwell est professeur de sociologie à la retraite. Membre de l’Institut québécois de recherche sur la culture, il a enseigné à tous les niveaux éducatifs québécois. Avec Pierre Anctil, il a notamment fait des études sur l’histoire des Juifs au Canada. Il a été membre de la Commission des États généraux sur l’éducation. Dans le n° 14 de la revue Égards (2006-2007), il revenait sur l’étatisation et la concentration de l’éducation au Québec (1965 — 2005). Extraits, les intertitres et les textes entre crochets sont de nous.

[Lors d’une visite auprès d’une école en Estrie en 2005, Gary Caldwell se voit confronté « six fois en vingt minutes » par des questions d’élèves similaires et qui tranchent avec l’opinion des adultes de la région. En l’occurrence, les élèves demandaient au professeur d’expliquer « Pourquoi êtes-vous contre le mariage [dit] gai ? » Chaque élève voulant bien faire ou bien paraître en l’interrogeant de la sorte.]

J’ai par conséquent rencontré des élèves qui, trop jeunes pour être parvenus par eux-mêmes à une position réfléchie sur cet enjeu social et maintenant politique, se trouvent déjà endoctrinés au nom d’un nouveau dogme que leurs parents n’ont pas encore accepté. C’est une expérience qui m’a, il n’y a pas d’autres mots, affligé.

Comment se fait-il que l’école véhicule auprès de ces jeunes un dogme encore étranger à leur propre milieu (le vote de leurs parents en est la preuve) ? Comment se fait-il que l’école ne reproduise pas la culture du milieu où elle se trouve ? Au contraire, les élèves ont voté massivement, lors de leur élection simulée, contre le Parti conservateur. [...] Qui est responsable de cette déculturation ?  [...]

[L]es élèves sont pris en charge par des enseignants. De quelle institution sociale ces professeurs se conçoivent-ils les agents ? Autrement dit, quelle est leur allégeance sociale ?

Leur allégeance, pour des raisons purement bureaucratiques, n’est pas envers la société civile dans laquelle se situe l’école elle-même : en effet, ils ne viennent pas de la [petite ville locale]. [Techniquement, ils dépendent] de la commission scolaire [locale, abrégée en C.S.], qui, elle, dépend entièrement de l’État sur le plan constitutionnel.

Les commissions scolaires sous tutelle, les contribuables locaux sans pouvoir

Depuis 1998, année où l’on a abrogé l’article 93 de la Constitution de 1867, les C.S. n’ont plus aucun statut constitutionnel en dehors de la législature du Québec. Autrement dit, rien ne fait obstacle à l’administration des écoles par l’État, et la province pourrait même, à son gré, supprimer les C.S., ce que le Nouveau-Brunswick a déjà fait. De plus, sur le plan financier, les C.S. dépendent à 85 % de l’État [plutôt que des contribuables locaux]. À la suite de l’instauration d’une négociation collective centralisée à la fin des années 70, elles n’ont d’ailleurs plus qu’un pouvoir très limité sur la gestion de leur personnel enseignant, si ce n’est celui d’administrer mécaniquement des conditions de travail et des salaires établis par l’État. [...]

En conséquence, il n’est pas étonnant que les enseignants se décrivent eux-mêmes comme des employés de l’État. Ainsi, les élèves [de la ville] sont scolarisés par un appareil proprement étatique, qui échappe presque totalement à l’emprise locale des parents et des contribuables [de cette région]. [Rappelons que dans la vision traditionnelle, les enseignants sont au service des parents qui détiennent l’autorité parentale et éducative. Les parents choisissent l’école et ses enseignants pour leur compétence et leur adéquation avec leurs valeurs pour ensuite leur déléguer l’autorité parentale le temps de la classe.] [...]

L’éducation au Québec, avant sa « modernisation »

[A]u milieu des années 60, le taux de scolarisation au primaire (6 ou 7 années) était très élevé : plus de 90 % du groupe d’âge en question (6 à 13 ans) fréquentait l’école. [...] [O] n disposait d’un bon réseau d’écoles techniques et professionnelles, dispensant une formation toute particulière (école de métiers, instituts, écoles normales, etc.) et d’un réseau « d’écoles privées d’intérêt public » où l’on dispensait surtout le « cours classique » de huit ans. De plus, contrairement à l’opinion propagée par les réformateurs des années 60, ces collèges semi-publics parce que largement financés par les autorités publiques étaient, hors de Montréal et de Québec, relativement accessibles aux classes sociales inférieures ; et par le fait même, ils ont contribué à une circulation des élites relativement efficace. En effet, dans une ville de province, au moins la moitié de la clientèle des collèges classiques était d’origine ouvrière ou agricole ! Par la suite, l’université presque gratuite devenait, à cette période, accessible à ces diplômés.

[Si les écoles étaient inspectées par des inspecteurs de l’État et les collèges classiques par les autorités ecclésiastiques et les universités qui décernaient les baccalauréats,] l’administration et le choix des enseignants incombaient à la société civile : commissions scolaires, sociétés religieuses ou corporation publiques. Il n’y avait pas de ministère de l’Éducation. [...]

De l’importance de laisser participer la société civile à l’éducation

[L]es membres de la société civile [locale donc] assumaient eux-mêmes la responsabilité de l’éducation de leurs enfants, soit au niveau des C.S., des corporations publiques ou des sociétés religieuses (où toute famille avait de la parenté). Les sentiments de fierté et de dignité que procurent la prise en charge et l’acquittement d’une telle responsabilité sont une facette de la « responsabilisation citoyenne » sans laquelle il n’y a pas de liberté au sens où on l’entend en Occident. [...]

Le rapport Parent et sa « révolution scolaire »

Sans hésiter, les membres de cette élite culturelle et politique [du début des années 60] ont décidé que les établissements d’éducation, dont ils étaient eux-mêmes issus, étaient inadéquats, chose étonnante lorsque l’on connaît la qualité exceptionnelle de leur formation. [Caldwell, lui-même né en Ontario, raconte comme il fut impressionné lors de rencontres au début des années 60 par l’envergure culturelle, la conscience historique et sociale, la compétence intellectuelle et le savoir-vivre de ces membres de l’élite québécoise qui « dépassaient de loin ceux des Anglo-canadiens du même groupe ».]

[Survient le rapport Parent dont Caldwell résume les conclusions ainsi] :
  1. on assiste à une expansion majeure du système [éducatif] qui a doublé depuis 5 ans, une expansion similaire est à prévoir dans les 5 prochaines années ;
  2. l’éducation au Québec n’est pas assez « démocratique », c.-à-d.. trop loin de l’égalité des chances ;
  3. la formation « scientifique » et « technologique » manque pour répondre aux besoins d’une société « moderne »
  4. il faut un « système d’éducation » orchestré par l’État ;
  5. il faut un ministère de l’Éducation pour rationaliser, coordonner, planifier et financer ce système.
[Caldwell poursuit]

On ne s’est même pas posé la question de savoir comment le régime existant avait pu s’adapter à l’augmentation des effectifs scolaires, qui avaient doublé de 1947 à 1961, et ce, sans ministère de l’Éducation !

Quant au danger que le nouveau ministère ne devienne un instrument d’endoctrinement comme, disait le rapport, on venait de le voir en Allemagne et en Russie, on prévoyait le contrer en maintenant l’ancien Conseil supérieur de l’éducation, lequel conserverait ses fonctions de surveillance, devant aussi celui qui veille à ce que l’État n’abuse pas de son pouvoir. Cette recommandation du rapport entrait en contradiction avec le peu d’estime dont il faisait preuve à l’égard du Conseil existant, un corps dormant qui ne servait qu’à convoquer et à chapeauter le Comité catholique et le Comité protestant [les deux réseaux scolaires de l’époque]. Mais si l’État était seul capable de prendre l’éducation en main, de quoi serait faire l’indépendance d’un Conseil dont les membres sont nommés en majorité par l’État lui-même ?

[Les rapporteurs ont la conviction d’avoir le mandat de faire une « révolution » en éducation, combinée à une volonté d’éliminer l’influence de l’Église au profit du seul État.]

Cela a fait de ses auteurs les jacobins d’un nouvel étatisme. Des jacobins doivent confirmer leur légitimité en infirmant celle de leur propre histoire, ce qui s’est produit dans la subséquente rhétorique de « la Révolution tranquille » à propos de « la grande noirceur », processus idéologique qui a été documenté et mis en lumière deux décennies plus tard. [...]

De surcroît, il est absolument remarquable de constater à quel point, dans le rapport Parent, l’on renie sa propre éducation : l’institution du « collège classique » ne figure simplement pas, concrètement, dans le rapport. Le vocable même ne s’y retrouve pas. On s’y réfère dans l’abstrait, comme exemple d’un problème, à savoir l’insuffisance de l’enseignement québécois face au monde moderne : une éducation trop orientée vers un monde qui n’existe plus, une éducation « libérale » réservée à une élite ; une éducation où la science et la technologie ne sont pas suffisamment à l’honneur. Et tout cela sans jamais prononcer (je n’en ai trouvé trace), dans cinq volumes, l’expression « collège classique » [le nom habituel de ces établissements dont était issue l’élite...] Ce constat est assez révélateur : silence absolu sur ces collèges, apparus vers le début du XIXe siècle, qui étaient au moins une centaine en 1960, à travers le Canada français (sauf, curieusement, dans Charlevoix), et par où étaient passés tous les détenteurs d’une formation universitaire. Cela ressemble à un refoulement collectif, au sens freudien.

(à suivre)

Voir aussi

Ministre Proulx : le ministère de l’Éducation créé pour s'assurer que tous aient accès à l’école (Vraiment ?)

La Passion d'Augustine et la « reprise en main du système éducatif par le gouvernement » (rediff)


L’avis du critique de cinéma Laurent Dandrieu sur La Passion d’Augustine :

La Passion d’Augustine de Léa Pool

Dispersé. Québec, années 1960. Mère Augustine (Céline Bonnier) dirige un pensionnat de jeunes filles centré sur l’éducation musicale. Tout en s’efforçant de préparer sa nièce à un prestigieux concours de piano, elle doit se battre pour sauver son couvent, menacé par la reprise en main du système éducatif par le gouvernement. Réalisé un peu platement, mais remarquablement interprété, ce récit très riche évoque la soudaine laïcisation du Québec, les tentatives de compromission de l’Église avec le monde, l’initiation musicale d’une jeune fille, la passion de la transmission... : mais pour avoir embrassé trop de pistes à la fois, le film laisse un sentiment d’inachevé.


La qualité du français, le faible accent « canadien » ont frappé ce critique méridional. Lysandre Ménard souligne que c’était à dessein pour mieux calquer l’exigence du français châtié transmise par les religieuses, cette exigence aurait largement disparu aujourd’hui

L’avis de la critique de cinéma Marie-Noëlle Tranchant du Figaro :

Les scènes musicales, vives et intenses, sont le meilleur du film. Sous les doigts de Lysandre Ménard, jeune pianiste pour la première fois actrice, Bach, Chopin, Beethoven débordent de jeunesse enthousiasmante. L’émotion musicale coule à flots, le reste est étrangement figé.

La Passion d’Augustine est un mélo sociologique qui prétend faire revivre le Québec des années 1960 passant de la tradition à la modernité, de la culture chrétienne à la sécularisation. La transition serait intéressante à suivre si elle ne se résumait à des clichés. La réalisatrice cisèle des images pieuses pour vanter la liberté laïque. Tout est joli et factice. Aucune vérité dans ces personnages dessinés d’un même trait, qui parlent toujours le langage de la réalisatrice, jamais le leur : on la voit inscrire dans leurs attitudes « autorité », « impertinence », « passion », « révolte », « liberté ». Seule scène surprenante : le changement d’habits des religieuses, où l’on sent une émotion juste. Moralité : un message progressiste ne suffit pas à éviter la fadeur académique.

Nous trouvons ces jugements un peu sévères, c’est un bon film, même s’il est vrai que l’on sent que Léa Pool se félicite en quelque sorte de l’issue. Le film n’est pas exempt de caricatures, notamment pour ce qui est du portrait de la générale ou de l’usage des saisons quand le film commence par un long hiver rigoureux (comme la religion d’alors doit-on comprendre) pour finir avec l’arrivée du printemps, symbole trop évident du passage d’une société ténébreuse à une époque progressiste.

Saluons cependant ce film qui ne juge pas pesamment, mais laisse parler des différents protagonistes. Il est de belle facture tant au niveau visuel que musical. Il trace des portraits touchants de religieuses aux personnalités diverses. Léa Pool n’appuie pas trop, elle laisse parler. On est donc libre de penser que c’est la professeur de français, la plus stricte, qui a sans doute le mieux vu ce que ce radieux avenir signifierait pour ces religieuses : « Vous ne voyez pas qu'on planifie notre disparition ? On va se retrouver à quatre-vingts ans, sans voile, sans costume, sans couvent. On va être toutes seules. Puis on va être les dernières. »



Bande-annonce

L'avis du Quotidien du médecin (français) :

Au Québec, la laïcisation de l'enseignement, dominé par l'Église catholique, a été tardive. Et, parfois, d'autant plus brutale. [Note du carnet: Visiblement, ce chroniqueur ne connaît pas son histoire de France, la laïcisation forcée en France fut très brutale... Le Québec accueillit d'ailleurs de nombreuses congrégations chassées de France par les « tolérants » républicains. Voir ici et .] C'est ce qu'évoque « la Passion d'Augustine » à travers l'histoire d'un petit couvent et de sa directrice (Céline Bonnier), qui en a fait un établissement d'excellence pour la musique.

« Ce n'est pas du tout un film sur la religiosité, mais sur la spiritualité qui s'exprime par la musique » , explique Léa Pool . C'est aussi un film sur l'émancipation féminine. La cinéaste, qui a signé une vingtaine de films, fictions et documentaires depuis 1979, souligne au passage que « faire du cinéma quand tu es une femme est déjà un acte d'émancipation. En tout cas c'était le cas il y a trente ans... ».

Mais revenons à mère Augustine et à son école de jeunes filles. Le personnage, dont on découvre les forces et les failles, est attachant, et son combat contre les forces contraires (le conservatisme de l'Église d'un côté, le progressisme et l'air de liberté de l'autre) qui conspirent à l'abattre ne manque pas de panache. Mêlant l'humour, l'émotion, et le pouvoir de la musique, Léa Pool nous le fait admirer.

Les jeunes interprètes, qui sont elles-mêmes musiciennes, sont bien choisies, comme les décors de neige, faisant contraste avec l'uniforme noir des religieuses. Malgré quelques lourdeurs vers la fin, on aura compris que la passion d'Augustine mérite d'être partagée.


Rencontre avec plusieurs artisanes du film La Passion d’Augustine et commentaire de sœur Évangéline Plamondon sur le film.


Couvert de prix au Québec et par celui du public au Festival d'Angoulême, le succès populaire de ce film a surpris, à une époque où la religion n'agit plus dans la société, où la multitude d'églises, couvents et monastères sont devenus de vastes appartements, des bibliothèques, des centres associatifs, voire des spas. La Passion d'Augustine a rejoint son public. Comme le rapporte La Croix, à chaque projection, les spectateurs sortaient émus, remués de retrouver aussi fidèlement leur passé de pensionnaires, remerciant la réalisatrice. Cette reconnaissance intervient aussi au moment où nombre d'historiens au Québec réexaminent le bilan de l'Église, établissant qu'il ne saurait être totalement confondu avec la prétendue raideur dogmatique de l'éducation qu'elle dispensait. Léa Pool apporte une pierre à cet édifice de réhabilitation.


Vu par Itélé (groupe Canal+ classé à gauche/bobo) : insiste sur l’aspect progressiste des sœurs



Madame Renée Gagnon, musicienne professionnelle, et Sr Carmen Gravel, enseignante émérite qui a travaillé à la formation de Mme Gagnon, nous partagent leurs souvenirs et ce qu’elles retiennent de leur expérience commune.


Voir aussi « La passion d’Augustine » : quand le cinéma tire vers le haut

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