La Turquie interdit avec effet immédiat toute nouvelle inscription dans les classes primaires et maternelles des écoles françaises du pays, a annoncé samedi le ministère de l'Éducation. Aux termes d'un accord intérimaire intervenu après « de longues négociations », indique le ministère dans un communiqué, « aucun nouvel étudiant turc ne sera inscrit dans les écoles mentionnées jusqu'à ce qu'un accord international prévoyant un statut juridique soit conclu ».
«Dans ce contexte, aucun nouvel élève turc ne sera inscrit dans les classes de maternelle et de première année des écoles primaires Charles De Gaulle à Ankara et Pierre Loti à Istanbul », poursuit le ministère. Le ministère turc précise également que la mesure prend un effet rétroactif « à partir du 1er janvier 2024, pour couvrir l'année scolaire 2024-2025 et au-delà. De même, aucun nouvel élève ne sera admis dans les classes intermédiaires ».
À moins d'un mois de la rentrée scolaire le 3 septembre, cette décision du gouvernement turc n'a pas encore été communiquée aux parents d'élèves turcs qui représentent l'écrasante majorité des inscrits dans ces deux établissements.
Surveillance et inspection
Le ministère prévient également que « la liste des élèves turcs scolarisés et les informations sur les écoles labellisées par l'Agence française pour l'enseignement à l'étranger (Aefe) seront remises à notre Ministère avant la rentrée prochaine». «Jusqu'à ce que ces écoles obtiennent » un statut légal, les cours de langue turque, culture turque, littérature turque, histoire et géographie turques « ne pourront être dispensés que par des enseignants citoyens de la République de Turquie nommés par notre Ministère », précise le communiqué. Il prévient en outre que les programmes et contenus de ces écoles « seront surveillés et inspectés par les fonctionnaires » du ministère et de l'État.
Par ailleurs, le ministère indique qu'un « accord global de coopération éducative, incluant l'enseignement du turc pour les étudiants turcs résidant en France« est en cours de négociations, et appelle à »poursuivre les négociations pour le finaliser dans les plus brefs délais ».
Après des « mois de négociations », selon l'ambassade de France à Ankara, le ton était subitement monté mi-juillet avec le ministre de l’Éducation Yusuf Tekin qui avait dénoncé « l'arrogance » de la France qui « ne daigne pas nous prendre comme interlocuteur ». « Nous ne sommes pas comme les pays que vous avez colonisés. Nous sommes un État souverain. Vous devez donc agir selon nos conditions si vous voulez enseigner ici », avait-il mis en garde.
Billet originel du 18 juillet
Lycée Pierre Loti d'Istamboul |
Maarif, qui a été créée avant la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 par le biais d'une loi adoptée par le parlement turc, a cherché à fermer les établissements d'enseignement créés par les adeptes du mouvement religieux Gülen depuis le putsch avorté, dans le cadre de la politique étrangère du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir en Turquie, qui qualifie le mouvement d'organisation terroriste et l'accuse d'avoir orchestré le coup d'État raté.
Le mouvement Gülen, une initiative civique mondiale inspirée par les idées du religieux musulman Fethullah Gülen, nie fermement toute implication dans le putsch manqué et toute activité terroriste.
À ce jour, la fondation Maarif a repris des centaines d'écoles dans le monde entier qui avaient été créées par des adeptes du mouvement Gülen dans le cadre des mesures de répression prises par le gouvernement à l'encontre de ce groupe.
Elle est désormais la seule organisation habilitée à ouvrir des écoles dans un pays étranger au nom de la République de Turquie. Elle gère des écoles pour tous les groupes d'âge, de la maternelle à l'université.
Le journaliste Nuray Babacan a écrit sur le site d'information Gazete Pencere que les inspections du ministère turc de l'éducation dans les écoles françaises d'Ankara et d'Istanbul ont atteint un niveau tel qu'elles perturbent l'éducation des élèves. Ces actions sont considérées comme des représailles après l'échec de la tentative de la Fondation Maarif d'établir des écoles en France.
Babacan indique dans son article que le gouvernement turc, sous l'administration de l'AKP, a pris pour cible des établissements français, notamment l'école Charles de Gaulle à Ankara et le lycée Pierre Loti à Istanbul. Les écoles ont dû s'acquitter d'amendes et d'ingérences dans leurs programmes sous couvert d'inspections.
"Cela va au-delà des inspections régulières ; le gouvernement s'immisce maintenant dans les programmes scolaires", écrit M. Babacan. "Ce problème a commencé lorsque les tentatives de la Turquie d'ouvrir des écoles en France ont été bloquées. Aujourd'hui, des pressions sont exercées sur les écoles françaises, exigeant qu'elles incluent des cours de religion et d'éthique, qu'elles suivent le programme turc et qu'elles emploient des enseignants turcs.
Ce développement s'inscrit dans une tendance plus large de détérioration des relations entre la Turquie et la France, qui ont connu des relations diplomatiques fluctuantes. Cette situation a suscité l'inquiétude des élèves et de leurs parents. Des parents français et turcs ont demandé au ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, d'intervenir et de chercher une solution diplomatique.
Fidan devrait aborder cette question lors de sa prochaine visite en France, où les discussions devraient se concentrer sur la résolution du problème avant le début de la nouvelle année universitaire en septembre.
Ces dernières années, la Fondation Maarif a reçu un soutien financier substantiel de la part du gouvernement turc. Depuis sa création, la fondation a pris le contrôle de 216 écoles dans 44 pays et prévoit d'en reprendre d'autres.
Malgré l'importance des fonds alloués à Maarif, ses détracteurs estiment que ces ressources devraient être affectées à la résolution des problèmes éducatifs nationaux, tels que les classes surchargées et le nombre insuffisant de nominations d'enseignants.
La résistance du gouvernement français à l'expansion de la Fondation Maarif est en partie due aux inquiétudes concernant l'imposition de l'éducation religieuse, qui contredit le strict système d'éducation laïque de la France. En réponse, la pression accrue exercée par la Turquie sur les écoles françaises à l'intérieur de ses frontières a suscité des critiques pour avoir potentiellement politisé l'éducation et affecté le bien-être des élèves et de leurs familles.Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
Déjà en 2020
Déjà en 2020, le quotidien Yeni Safak, proche du pouvoir islamo-conservateur, avait consacré des articles remettant en cause le statut des lycées Charles-de-Gaulle, à Ankara, et Pierre-Loti, à Istanbul, qui accueillent au total 2 300 élèves. « On se demande bien comment cette école illégale [Charles-de-Gaulle], qui n’a rien à voir avec la législation turque et n’a pas le statut d’école privée, a pu inscrire des étudiants turcs », avait écrit le journal, le 8 septembre 2020.
Renommés pour la qualité de leur enseignement, les deux lycées qui préparent au baccalauréat français comptent de nombreux élèves turcs francophones – près de 70 %, pour Pierre-Loti. Dépendants de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), Charles-de-Gaulle et Pierre-Loti ne sont pas enregistrés en tant qu’établissements internationaux. Au regard de la loi turque, ils n’ont pas d’existence légale. Paris estime, pour sa part, que ses écoles « à but non lucratif » sont soumises à la législation française. Conscient de la fragilité de ce statut – qui touche de nombreux établissements français ailleurs dans le monde – la France a créé, il y a sept ans, un groupe de travail avec la Turquie, regroupant des diplomates et des spécialistes des ministères de l’éducation, pour trouver un compromis.
Lycée Charles-de-Gaulle d'Ankara |
« Prétendu génocide arménien »
Ankara ne voit pas d'un bon œil le fait que ces établissements échappent à sa supervision. « Aucun officiel ne peut contrôler ces écoles illégales », déplorait Yeni Safak dans son édition du 3 septembre 2020, jugeant sulfureux le contenu des manuels scolaires. « On dit que le prétendu génocide arménien est enseigné aux étudiants turcs qui suivent ces cours. » Empêcher les familles turques d'y envoyer leurs enfants sera difficile à réaliser, pour ne pas dire impossible. D'autant que certains des éditorialistes parmi les plus acharnés à critiquer la France et ses écoles ont, eux-mêmes, leurs enfants sur les bancs de Pierre-Loti.
Le ton de la presse s'est déjà fait menaçant. Des mesures de rétorsion sont évoquées, qui vont de la fermeture des établissements concernés à des représailles à caractère financier. « Évasion fiscale ! Les écoles françaises n'ont pas payé un sou d'impôt », affirmait Yeni Safak dans son article du 8 septembre 2020, en soulignant l'existence de droits d'inscription élevés. Au contraire, Paris souligne que les établissements ne jouissent pas d'un statut fiscal privilégié. Le 7 septembre 2020, en une seule journée, deux tentatives de « visite » avait eu lieu dans ces établissements, de la part de d'officiers de la voirie d'Istanbul, prétendant enquêter sur des travaux, et de jeunes hommes se prétendant agents de l'ONU.
Les établissements catholiques francophones de Turquie
Depuis plus de 150 ans, les établissements catholiques francophones de Turquie forment une partie de la jeunesse de ce pays. Ils ont été fondés par des congrégations françaises au dix-neuvième siècle pour répondre à des besoins de scolarisation des familles étrangères installées au Levant. Il en reste six aujourd’hui, cinq à Istanbul et un à Izmir. Ils portent le nom de Saints, d’ailleurs, on les appelle : « Les Saints ». Saint Joseph (à Istanbul et à Izmir), Saint-Benoît, Saint-Michel, Sainte-Pulchérie et Notre-Dame de Sion.
Leur particularité est d’enseigner le programme turc [ce n'est pas le cas d'autres Lycée comme celui Pierre Loti d'Istanbul ou de Charles-de-Gaulle d'Ankara qui enseignent le programme français], en langue française pour une grande partie des disciplines, hormis, par exemple, la langue turque, l’anglais et l’histoire. Dans ces établissements, qui sont des lycées, les enseignants sont turcs, ne parlant pas français, pour un tiers, turcs francophones pour un tiers et français, venant de l’enseignement public ou de l’enseignement catholique pour le dernier tiers. Cette cohabitation de cultures différentes est extrêmement riche sur un plan professionnel, surtout dans des établissements où le travail en équipe est la règle.
Pour un professeur français qui arrive dans cet univers, où c’est lui l’étranger, il faut s’accoutumer à d’autres habitudes relationnelles, au risque de commettre des indélicatesses. Beaucoup de choses sont différentes dans la relation aux élèves, aux familles, aux collègues, à la direction. Il faut également s’accoutumer à d’autres pratiques professionnelles qui peuvent surprendre au départ. Par exemple, les enseignants de ces établissements doivent assurer des heures de présence sur la cour de récréation pour renforcer la proximité avec les élèves dans un autre cadre que celui de la classe. Ils ont également une heure fixée dans leur emploi du temps hebdomadaire pour recevoir les familles.
Contrairement à l’origine, aujourd’hui, tous les élèves sont turcs. Leurs familles les inscrivent dans ces établissements, après la réussite à un concours, à cause de leur excellent niveau de réussite aux examens. Afin de pouvoir suivre les quatre années de lycée en français, les élèves doivent suivre une année préparatoire de renforcement linguistique avec vingt-cinq heures par semaine d’apprentissage de cette langue. L’ouverture linguistique et culturelle de ces établissements donnent la possibilité aux élèves qui le souhaitent de poursuivre leurs études dans des universités étrangères.
Outre leur excellence académique, les « Saint » sont aussi des promoteurs de la culture française, en lien avec la diplomatie française. De très nombreuses activités culturelles sont proposées : expositions, conférences, pièces de théâtre, concerts... De plus, de grands évènements thématiques sont organisés dans les établissements : Printemps du numérique, Modèle des Nations-Unies, Prix littéraires...
Lycée Notre-Dame de Sion, Mustafa Kemal Atatürk y inscrivit ses filles adoptives. |
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