mercredi 19 mai 2010

Réactions à la suite des propos de Mgr Ouellet sur l'avortement

Le cardinal Marc Ouellet, archevêque catholique de Québec et primat du Canada, a fait quelques déclarations récemment où il rappelait la doctrine catholique sur l'avortement. (Voir son billet paru dans le Soleil.) Rien de bien neuf.


Campagne Québec Vie — Allocution du Cardinal Ouellet — dimanche 16 mai 2010


Rien de neuf donc... Et pourtant. Les réactions à la suite de ce rappel furent très vives, souvent dogmatiques et peu tolérantes, ce qui est paradoxal de la part de gens qui accusent Mgr Ouellet de dogmatisme, de sectarisme et autres gentillesses.

Désir de mort et allusion mesquine


La palme de la déclaration outrancière revient sans doute au chroniqueur Patrick Lagacé de La Presse de Montréal : « Le cardinal Ouellet va mourir, un jour. J'espère qu'il mourra d'une longue et pénible maladie. [...] Oui, le paragraphe que je viens d'écrire est vicieux. Mais Marc Ouellet est un extrémiste. Et dans le débat, tous les coups sont permis avec les extrémistes religieux. La prochaine fois, j'évoque le silence de l'extrémiste de Québec face à son frère pédophile. » Jolie prétérition qui laisse planer le doute sur l'affaire exacte. Paul Ouellet n'est pas prêtre et l'affaire impliquait deux jeunes filles. Petit mot allemand pour M. Lagacé : Sippenschuld.

L'avortement — un geste de « santé reproductive »


Pour Mme Françoise David (communiqué de Québec solidaire, le 17 mai), toujours mesurée, « les fondamentalistes chrétiens dans notre pays représentent un danger immédiat et grandissant pour les femmes québécoises, canadiennes et dans d'autres pays. » Rien que cela. « Les femmes québécoises ont obtenu de décider elles-mêmes de leur comportement en matière de santé reproductive… » Voilà qu'avorter est un geste de « santé » « reproductive ».

Parler au nom de toutes les femmes et bien des hommes...


Viennent ensuite toutes les associations, subventionnées, les politiciens et politiciennes libérales et péquistes (il n'y a pas de différences véritables sur les sujets de société) qui prétendent parler au nom de toutes les femmes en incluant de manière variable les hommes. Étrange discours sexiste, alors que, d'une part, de nombreuses femmes réprouvent l'avortement, et que, d'autre part, de nombreux hommes progressistes sont tout autant pro-avortement que les femmes progressistes.

Mme Parent (!) de la Fédération du Québec pour le planning des naissances a déclaré « Le respect de la vie passe aussi par le respect de la vie des femmes et de leurs droits reproductifs » Leur quoi ? Et les « droits reproductifs » des pères alors ? Et le droit de vivre des enfants à naître ?

L'avortement un respect de la vie... Il fallait oser. On comprend bien l'idée : il existe une infime partie aujourd'hui des grossesses qui peuvent mettre en danger la mère, tous les avortements sont « donc » permis pour respecter la vie des mères. C'est toujours le même truc : prendre un cas limite et en déduire un nouveau « droit » pour toutes les situations, plutôt qu'une exception, une dispense.

La présidente de la CSN, Claudette Charbonneau, s'est également dite inquiète ainsi que le chef du PQ, Mme Pauline Marois, enfin, elle est « outraged » dans la Gazette qui la cite.

La ministre de la Condition féminine du Québec, Christine Saint-Pierre, a déclaré que « Jamais on n'acceptera, nous les femmes, puis bien des hommes au Québec, de revenir aux broches à tricoter, jamais. » Toutes les femmes, bien des hommes. Broches à tricoter, comme si devant l'absence de loi sur l'avortement au Canada, il n'y avait que cette alternative : les aiguilles à tricoter ou l'avortement à tout moment, sous n'importe quel prétexte et remboursé par le contribuable.

Les démocrates pour qui « le débat est clos »


La ministre de la Condition féminine, Christine St-Pierre, déclarait lundi par ailleurs : « L’Église devrait plutôt chercher à panser les plaies des victimes des prêtres pédophiles, plutôt que d’essayer d’ouvrir un débat qui est réglé ».

Très élégant. Comme si une faute en excusait une autre, comme si l'Église catholique préconisait la pédophilie des prêtres, comme s'il n'y avait pas de très nombreuses victimes de la pédophilie des enseignants et de moniteurs sportifs par exemple. Pourquoi ne jamais en parler ? Voir pour la France et les États-Unis : « les atteintes et sévices sexuels perpétrés sur les élèves dans les écoles sont probablement 100 fois plus fréquents que ceux commis par des prêtres. »

Et puis, en quoi le débat est-il clos ? Comment cela se peut-il en démocratie ?

Dans un communiqué publié à la suite de la tempête lancée par les médias progressistes, le cardinal Ouellet rappelait également que lorsqu'il invite « à rouvrir la question de l’avortement, c’est pour offrir une protection à l’enfant dans le sein maternel. Le Canada est le seul pays au monde à maintenir un vide juridique complet à ce sujet. Quel modèle le Canada devrait choisir ? [Le cardinal Ouellet] laisse le soin aux politiciens d’étudier une solution équilibrée parmi la pléiade d’options qui existent ailleurs. Cependant, la priorité à l’heure actuelle n’est pas la criminalisation, c’est un éveil moral et une éducation des consciences face au drame de l’avortement. »

C'est mon affaire, pas de loi, mais l'État doit payer


Il y a aussi toutes ces lauréates méritantes du prix de la contradiction, toutes ces politiciennes et journalistes qui clament haut et fort que l'être qui est dans leur ventre est leur affaire, c'est leur corps (ce qui est bien sûr très discutable, c'est un être à part) et qu'elles ne veulent pas qu'on ouvre le débat, que l'État légifère, mais qui mystérieusement sont tout à fait d'accord quand il s'agit que l'État paie pour leurs avortements...

Discours religieux...de la part des pro-avortements dans les médias


Ce qui est également frappant dans l'hystérie qui a envahi tant de politiciennes et de journalistes, c'est le ton religieux qu'ils adaptent dans leur déclaration sans concession. Les détracteurs du cardinal qu’on a pu entendre dans les médias québécois avaient un discours… religieux. On était soit d’accord sur toute la ligne avec eux ou bien on était un vil infidèle impie.

Ne pas avorter « met la vie de l'enfant à naître en danger »


Au niveau des loufoques, il semble que les Raëliens (des membres de « nouveaux mouvements religieux » comme les appelle pudiquement le programme ECR) remportent le pompon. En effet : « La réponse vient tout droit du Prophète Raël. Forcer une mère, dit-il, qui ne veut pas accoucher à porter son bébé jusqu'à terme, met la santé de l'enfant en danger. » (voir commentaire de Gabriel ici et billet là). Une affaire de stress de ne pas être désiré qui affecterait l'enfant à naître, apparemment, selon le prophète...

Le sociologue des religions partial invité à répétition


Il y a enfin l'universitaire progressiste, « sociologue des religions », qui ne peut cacher son parti-pris et que Radio-Canada invite à répétition. C'est ainsi qu'hier Radio-Canada réinvitait (à nouveau) Louis Rousseau, professeur au Département de sciences des religions de l'UQAM au sujet du débat sur l'avortement qu'a relancé le cardinal Marc Ouellet. M. Rousseau est un chaud partisan du cours d'éthique et de culture religieuse.

Le professeur Rousseau ne s'est pas embarrassé d'un vernis d'objectivité dans son intervention. Il a ainsi critiqué la conception des catholiques qu'il dit conservateurs pour qui la hiérarchie guide le peuple chrétien. Il s'oppose à cette vision, car il existerait une autre Église qu'il dit « réelle » et qui réclamerait le droit de réfléchir.

Pour le professeur Rousseau, un esprit « sectaire » animerait le cardinal Ouellet et le Vatican parce qu'ils s'en tiennent à une doctrine claire et qu'ils seraient peu ouverts au dialogue, etc. Ceci alors que la représentante féministe qui le précédait au micro, Alexa Conradi, la présidente de la Fédération des femmes du Québec, s'en tenait à la ligne simpliste que l'avortement ne concerne « que les femmes », alors qu'en toute logique il y a un autre être distinct en jeu... Là, pas de commentaires de la part de M. Rousseau, alors qu'on peut très bien concevoir la « ligne » de Mme Conradi comme dogmatique...

Écoutez l'émission, le passage du professeur Rousseau commence à la 18e minute).

Le professeur Rousseau, sociologue des religions, affirme ensuite (24:50) que
« l'avortement ne fait pas partie de ce qu'aux cours des premiers siècles on estime les causes d'excommunication, ce n'est pas un péché mortel. »
M. Rousseau dévoile déjà ici son jeu qui consistera à faire croire — à l'aide d'omissions savantes — que la condamnation de l'avortement est le fait de quelques intégristes tardifs isolés de l'« Église réelle ».

Or, il est certain que l'avortement a toujours été considéré — à de très rares exceptions près — comme un péché chez les chrétiens.

Tertullien (en 220) condamne ainsi très explicitement l'avortement :
« Le fœtus est donc un homme dans le sein maternel aussitôt qu'il est complètement formé. La loi de Moïse, en effet, punit par le talion, quiconque est coupable d'avortement, puisque le principe qui fait l'homme existe, puisqu'il peut déjà vivre et mourir, puisqu'il est déjà soumis aux vicissitudes humaines, quoique vivant encore dans sa mère, il participe à tout ce qu'éprouve sa mère. » (De anima, XXXVII)
De nombreux apologistes chrétiens des premiers siècles moins connus que Tertullien, comme Athénagoras, défendent la même position : les chrétiens ne tuent pas, « pas même les fœtus dans le ventre des mères ».

Saint-Jérôme dans sa lettre à Eustochium en 384 disait déjà :
« Plusieurs, quand elles s’aperçoivent qu’elles ont conçu dans le crime, songent aux poisons qui font avorter. Souvent elles en meurent aussi du même coup. Alors, coupables d’un triple crime, elles sont traînées aux enfers : suicidées, adultères du Christ, parricides[1] d’un enfant non encore né.

Ce sont celles-là qui ont coutume de dire : « tout est pur pour les purs ! » (Tite 1, 15) ma conscience me suffit.
 »
S'appuyant notamment sur Tertullien, dès le concile d'Elvire en 305 ou 306, l'Église catholique sanctionne l’avortement par l'excommunication, quel que soit le stade de développement du fœtus (canon 63) : « Si une femme a conçu dans l'état d'adultère et qu'elle avorte ensuite, elle ne peut plus communier, même au seuil de la mort, car elle a pêché deux fois. »

Le concile d'Ancyre en 314 (canon 21) fait de même. La liste ensuite est longue.

Le professeur Rousseau n'hésite pas ensuite à dire que
« Or l'avortement a toujours été pratiqué autant dans les sociétés du premier siècle du christianisme qu'aujourd'hui »...
Comme si cela prouvait que l'Église ne le condamnait pas, même à l'époque ! Mais on comprend que M. Rousseau veut faire croire que les chrétiens se désintéressaient et ne condamnaient pas l'avortement à l'époque. C'est faux comme on l'a vu.

Le présentateur demande ensuite « Même Thomas d'Aquin pouvait se poser les questions que l'on se pose aujourd'hui ? »

Le sociologue des religions répond alors doctement :
« Pour Thomas d'Aquin, il n'est pas question d'imaginer que, dans les premières semaines, il s'agit là d'un être humain autonome. L'Église aujourd'hui rejoint une espèce de vision biologique à la limite non humaine, que dès les quatre premières cellules on a affaire à une personne dotée de capacités d'autonomie, non. On a un vivant qui va devenir un humain, mais qui pendant longtemps ne l'est pas encore. »
Il s'agit ici d'un plaidoyer personnel, loin d'un exposé objectif. Il faudrait d'abord définir ce qu'autonomie veut dire ici, car il y a ambiguïté pour l'homme contemporain.

On peut aussi dire que le nouveau-né n'est pas autonome dans le sens de « qui ne dépend de personne », car il est totalement démuni à sa naissance. Peut-on le tuer parce que non autonome ? Mais, si on parle d'autonomie dans le sens de « distinction », le fœtus est bien un être autonome (différent, distinct) de sa mère dès sa conception.

Le professeur Rousseau veut donner l'impression que le point de vue de Thomas d'Aquin est fondamentalement différent de celui des catholiques aujourd'hui.

S'il y a bien une différence, c'est au niveau de ce qu'on nomme l'animation de l'embryon au Moyen Âge. Le moment quand l'embryon ou le fœtus devient humain, a une âme. Pendant tout le Moyen Âge, l'Église a suivi les théories des anciens Grecs qui pensaient qu’il y avait une animation tardive de l’embryon. Aristote que suit saint Thomas d'Aquin pensait qu’il fallait 40 jours pour que le fœtus masculin soit animé (80 pour le féminin !) Il est vrai que l'Église distinguait en conséquence deux fautes de gravité inégale : « l’avortement homicide » et « l’avortement contraception » en cas d’élimination de l’embryon avant son « animation » (avant qu’il ne soit humain).

Cependant, il faut dire qu’aucun scolastique n’a jamais conclu qu’avant ce nombre de jours on pouvait avorter. Bien au contraire, ils ont toujours considéré l’acte comme un péché (une faute morale) particulièrement grave.

Car l'avortement n'est pas condamné en tant que meurtre sur un être humain complètement animé, mais à cause du respect dû à l'embryon dès sa conception, que sa nature entièrement humaine soit réalisée ou non, de par son potentiel à devenir pleinement humain. Le débat sur l'animation auquel le professeur Rousseau fait allusion en parlant de Thomas d'Aquin n'a donc pas de réelle portée.

La bulle effraenantum de Sixte V en 1588 fait de tout avortement un crime méritant excommunication. Plusieurs documents par la suite rappelleront que quel que soit le moment de l'animation de l'embryon (40 jours ou dès le début), l'avortement est péché. Après de nombreuses tergiversations, l’Église en est venue à soutenir la théorie de l’animation immédiate. Pour les théologiens catholiques, c’est cette théorie qu’il faut soutenir comme étant la plus probable, en raison de la révolution scientifique opérée par les progrès de la génétique qui nous montrent que tous les caractéristiques de l’être humain sont présents dès la fécondation de l’ovule. L'Église catholique n’a donc pas changé son enseignement au sujet de la défense de la vie humaine, mais elle l’a affiné en fonction de progrès de la science.

Aline Lizotte, docteur en philosophie et théologie de l'université Laval, qui avait déjà abordé la question il y a quelques années rappelle qu'il n'y a pas de solution de continuité entre la doctrine de Saint Thomas d'Aquin et la doctrine actuelle de l'Église romaine :
[Pour Thomas d'Aquin] « Celui qui frappe une femme enceinte commet un acte illicite et s'il s'ensuit la mort de la femme ou de l'enfant, il ne peut échapper à l'accusation du crime d'homicide » (IIa-IIæ, q. 65, a. 1, ad. 2).

On dira qu'ici saint Thomas ne vise que l'« animation » du fœtus en tant que doué d'une âme rationnelle. Sur cette question, il faut préciser trois choses :
  1. Saint Thomas distingue dans l'embryon l'apparition de degrés spécifiques de vie. Pour lui, la vie de l'intelligence ne peut apparaître avant que le fœtus soit doué d'un cerveau. Qui dirait le contraire ? Mais dès qu'il y a embryon, ce dernier est un être autonome et distinct de la mère. L'Aquinate insiste bien : c'est par son propre principe vital qu'il se développe non par celui de sa mère (De Potentia, q.3, a.9).

  2. Cet être qui est dans le sein maternel, de quelle espèce est-il ? Saint Thomas ne connaît rien à l'ADN ni à la transmission génétique de l'espèce. Mais pour lui la génération d'un individu d'une espèce est le fait d'une cause univoque. Un homme engendre un homme ; un chien, un chien. Quel que soit état de développement, initial ou terminal, l'être engendré est de même espèce que ses générateurs. Cet embryon engendré d'un homme et d'une femme est donc un « être » et un « être humain ».

  3. Tout être humain, quel que soit son état de faiblesse, est « sujet de droit », car le droit ne se définit pas en vertu de la « qualité » ou de quelque autre considération relativiste, mais en vertu de « ce qui est dû ». La vie est un droit dès le moment où l'on est en présence de l'être humain… et cela est le fait de l'embryon dès son apparition.
Le témoignage engagé de Louis Rousseau, qui semble regretter que l'Église catholique affine son raisonnement à la lumière des progrès de la science, ne fut pas suivi à l'antenne de la société de radiodiffusion d'État d'aucune intervention d'un autre philosophe ou théologien spécialiste du dossier qui aurait pu corriger son exposé partiel et partial.





[1]  « parricide » (de ses parents) ou tout « meurtrier », voir le Grand Gaffiot qui cite Cicéron (assassin, meurtrier Si quis eum occiderit, parricida ne sit), Dictionary of Greek and Roman antiquities (« anyone who kills another dolo malo ») et plusieurs traductions anglaises.

Voir aussi :

Débat sur l'avortement : l'aînée est pro-avortement et défend l'ordre établi, la cadette pro-vie veut dialoguer (2 vidéos)






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Colloque de l'ACFAS sur ECR — résumé des interventions

On trouvera ci-dessous les résumés des différentes communications lors du dernier colloque de l'ACFAS consacré au programme d'éthique et de culture religieuse qui se tenait la semaine passée à Montréal. (On trouve sur la page du colloque de brefs résumés officiels des interventions.) L'ACFAS devrait éventuellement publier les Actes du colloque.

Rapport sur le colloque de l’ACFAS, le 12 mai 2010 sur « Le nouveau programme d’éthique et culture religieuse, au regard de la laïcisation et de la pluralisation de la société québécoise ».

Résumé par Jean Morse-Chevrier

Mirieille Estivalèzes


Mirieille Estivalèzes, professeur adjointe à la faculté de théologie et des sciences des religions de l’Université de Montréal, a ouvert le colloque en rappelant les défis qu’a présenté l’implantation du programme d’éthique et culture religieuse, à tous les niveaux en même temps, avec de nouveaux contenus portant sur six religions et des « religions séculières », avec une nouvelle pédagogie basée sur des situations d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ) et une approche par dialogue impliquant la nécessité d’une impartialité de la part des enseignants, avec tout ce que cela impliquait pour la formation des enseignants.

Elle a nommé les reproches faits au programme dans divers milieux. D’abord que le programme pourrait perturber l’identité religieuse des enfants et interférer avec la transmission de la foi par les parents et introduire les enfants au relativisme. Ce reproche amène les parents à demander l’exemption. Ensuite que le programme favorise le multiculturalisme, avec référence à Joëlle Quérin. Finalement que le programme fait l’apologie des religions, ce qui mène certains à en demander sa suppression.

En conclusion à ces reproches, elle a dit que « l’on prête à ce programme plus de nuisance que ce qui est probable, vu le peu de nombre d’heures qui lui sont consacrées. » [Note du carnet  : faut-il comprendre que ce programme a peu d’effets en général et qu’il est donc même peut-être une perte de temps ?]

Mme Estivalèzes a dit que le colloque se centre sur la partie culture religieuse du programme parce que « c’est la partie la plus contestée. »

Commentaire (hors colloque) de Jean Morse-Chevrier : Il est à noter qu’à aucun moment dans le cadre de ce colloque on a répondu de façon adéquate à ces reproches. Aussi, le collège Loyola s’oppose particulièrement à la dimension éthique du programme. L’Association des parents catholiques du Québec reproche autant le volet éthique que de culture religieuse au programme tel que démontré dans son mémoire à la commission Bouchard-Taylor. Le volet éthique introduit les enfants dès le primaire à une remise en question de leurs valeurs familiales et religieuses.

Micheline Milot


Micheline Milot, professeure au département de sociologie de l’UQAM a ensuite pris la parole pour parler de « La religion et l’enseignement au Québec : un révélateur des évolutions sociales ».

L’enseignement scolaire de la religion est porteur d’autre chose que de lui-même depuis la fin du XVIIIe siècle, d’autres dimensions du devenir social.

Dans quelle dimension constitutive de l’école, l’enseignement de la religion a-t-elle pris place ? Il a pris diverses formes : d’abord l’instruction religieuse, ensuite l’enseignement religieux, puis l’enseignement moral et religieux, puis l’éthique et culture religieuse.

Un premier fait : l’idée des écoles laïques remonte à 1787, au moment où le gouverneur de l’époque [Note du carnet : Lord Dorchester], a formé un comité avec le clergé anglican et catholique qui a recommandé de fonder des écoles laïques qui atteindraient des finalités diverses, favoriseraient une identité collective et permettraient un rapport à la diversité. [Note du carnet : identité collective ou diversité ?]

Il recommandait un système neutre avec fréquentation obligatoire où aucune église n’imposerait sa doctrine. Devant la double altérité proposée d’autres croyances et vérités, l’Église catholique s’oppose et fait primer la religion catholique comme priorité scolaire. Les groupes protestants avec les Français libéraux font primer l’instruction générale sur l’instruction religieuse. Les libéraux voient dans l’école séculière une chance d’établir l’égalité avec les Anglais et les protestants une chance d’assimiler les Français. L’Église catholique pour sa part maintient que l’école doit garantir l’identité catholique, en tant que droit inaliénable. Elle est prête à refuser les fonds de l’État plutôt que d’accepter que l’État ait droit de regard sur les écoles.

En 1801, on connut « les écoles de l’Institution royale », vue comme assimilatrice, dont un tiers fut en français et avec le catéchisme. Les Français libéraux demeuraient insatisfaits des écoles religieuses où, selon Mme Milot, l’on promouvait plus le catéchisme que l’instruction générale.

[Note du carnet : Mme Milot omet de dire que l’Angleterre avait déjà institué des écoles similaires en Irlande dans sa tentative – réussie – d’anglicisation du pays. Ces écoles servaient aussi à dissuader les familles anglophones d’envoyer leurs enfants aux États-Unis et d’y flirter avec des idées républicaines, selon les auteurs de la Vie littéraire au Québec 1764-1805]

En 1841, lors de l’union des deux Canada, il y avait 40 groupes différents, majoritairement chrétiens. Les écoles protestantes étaient mixtes au niveau de la religion et de la langue. Elles proposaient des principes religieux et moraux, sans prosélytisme. On craignait à cette époque la division scolaire confessionnelle qui pourrait engendrer une fragmentation sociale. La Loi sur l’Instruction publique de 1841 reconnaissait des écoles communes et non confessionnelles, mais qui avaient des examinateurs différents pour les catholiques et les protestants. Ce fut la première division confessionnelle scolaire. À cette époque, donc, les protestants avaient des écoles neutres, soutenues par l’État, « ouvertes à la diversité » avec de l’enseignement de principes moraux. Les catholiques avaient des écoles confessionnelles, exclusives aux catholiques, qui faisaient primer, selon Mme Milot, l’enseignement religieux catholique sur l’instruction générale. Ce sont deux matrices qui se retrouvent à travers l’histoire sous différentes formes.

En 1875, il y a eu, sous le gouvernement conservateur au pouvoir au Québec, une cristallisation des systèmes protestants et catholiques. Le premier ministre est d’avis que le politicien n’a pas la compétence de s’occuper d’éducation. En 1867, l’article 93 de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique avait reconnu un état de fait, la présence de systèmes catholique et protestant et donné le pouvoir sur l’éducation aux provinces. Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, les libéraux canadiens-français, qui sont contre le fait d’accorder des fonds aux écoles confessionnelles abdiquent.

Au début des années 1960, l’Assemblée nationale a formé une commission d’enquête sur l’Éducation dont un des enjeux était le rôle de l’État et de l’Église. Suite au rapport de la commission, le ministère de l’Éducation a été créé après des compromis avec l’Église. Les écoles catholiques refusent les non-catholiques qui sont alors scolarisés dans les écoles protestantes anglophones. [Note du carnet : Les écoles catholiques accueillaient des immigrants, ce qui est bien une ouverture à une « diversité », voir Robert Gagnon, « Pour en finir avec un mythe : le refus des écoles catholiques d’accepter les immigrants », Bulletin d’histoire politique, 5,1 (hiver 1997) : 120-141]

Le Mouvement laïc québécois fait pression par la suite pour que l’école catholique accepte « la diversité ». L’enseignement religieux est abordé dans le rapport sous l’angle de la confessionnalité par rapport à la non-confessionnalité. On y trouve aussi une interrogation face au pluralisme et l’éducation à la tolérance. Le rapport recommande le « respect des opinions d’autrui » et recommande l’enseignement non confessionnel quand le nombre le permet, ce qui ne sera pas mis en pratique.

Dans les années 1970, arrive la Charte québécoise avec des clauses dérogatoires pour la discrimination. Le Comité catholique publie « Voies et Impasses » où elle demande « La religion a-t-elle une place à l’école ? » Dans les années 1970, les protestants accueillent les enfants non catholiques et contribuent à la socialisation des immigrants. Leur enseignement moral et religieux inclut une partie sur la bible, une partie sur les diverses religions et une partie sur la formation personnelle et sociale. On se questionne dans les milieux d’éducation sur la quête de sens de l’enfant et la possibilité d’enseigner diverses philosophies, tout en reconnaissant que le patrimoine du Québec relève du catholicisme.

En 1997 le gouvernement forme le groupe sur La place de la religion à l’école. Cette commission d’enquête reçoit plus de 280 mémoires. Pour la première fois, les groupes de la société civile vont avoir du poids. L’État n’est plus face à l’Église. La commission recommande la laïcisation du système scolaire et l’introduction d’un cours de culture religieuse. À la fin des années 1990 il y a une tendance à la déconfessionnalisation des enseignements et vers la diversité religieuse. Les notions d’apprentissage religieux interculturel et de l’éducation à la citoyenneté font leur chemin.

Un Comité sur les affaires religieuses est formé et il recommande l’introduction d’un cours d’éthique et culture religieuse (ÉCR). L’Assemblée des évêques catholiques du Québec reconnaît que l’enseignement religieux revient à l’Église. D’autres acteurs sociaux tiennent d’autres discours. Certains sont favorables à l’ÉCR au nom de la compréhension de l’autre, du dialogue et de l’intégration des immigrants. D’autres dénoncent ÉCR au nom de l’enfant et de l’identité nationale.

Le cours d’ÉCR est un pur produit québécois. En 2005, alors qu’on annonce l’introduction du programme en 2008, les acteurs principaux sont les professionnels du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport et les responsables du programme d’une part. De l’autre part, il y a l’Association des parents catholiques du Québec (APCQ), les laïcistes et les nationalistes identitaires pour qui l’identité nationale inclut la religion catholique. Les parents soulignent le risque de relativisation de la foi des enfants et démontrent une appréhension face au contact de leurs enfants avec des personnes d’autres religions et avec des vérités concurrentes (la double altérité crainte dès le début). Pour les laïcistes, l’État fait la promotion des religions versus la raison critique.

En conclusion, dans le discours éducatif, la religion égale un enjeu social. On remarque une « persistance qui fait craindre l’ouverture à la religion de l’autre de quelque façon que ce soit. » L’Association des parents catholiques du Québec est contre les accommodements raisonnables. Pour les laïcistes, la laïcité est un rempart contre les accommodements religieux. Sur le programme d’éthique et culture religieuse s’accrochent d’autres dimensions sociales telles que les accommodements raisonnables dans la société.

Commentaire (hors colloque) de Jean Morse-Chevrier : Il est inexact de dire que l’APCQ et les parents en général qui se sont opposés à ce programme aient voulu soustraire leurs enfants au contact avec des personnes d’autres religions et de dire que l’APCQ est contre les accommodements raisonnables dans la société comme en fait preuve notre mémoire à la commission Bouchard-Taylor.

Solange Lefebvre (présenté par Louis Charles Gagnon-Tessier)


Louis Charles Gagnon-Tessier, doctorant à l’Université de Montréal fait une présentation dont la première partie comprend les propos de Solange Lefebvre, absente du colloque. Mme Lefebvre est titulaire de la Chaire Religion, culture et société de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal. Le titre de la présentation est : Catholicisme, laïcité, sécularisation et « autres religions » dans les commissions Proulx et Bouchard-Taylor.

La commission Proulx consulte plusieurs organismes, et donne lieu à un rapport et une commission parlementaire. La commission Bouchard-Taylor est une commission de consultation d’acteurs divers. Ni l’un, ni l’autre n’est parfaitement représentatif de la population.

Première partie (écrite par Solange Lefebvre et présentée par M. Gagnon-Tessier).

L’école : séculière ou laïque? Plusieurs termes tournent autour des racines de ces deux mots. Ceux apparentés à séculier viennent de racines anglaises (secular) et protestantes. Ceux apparentés à laïc viennent de racines catholiques.

Le mot anglais « secular » a été traduit par séculier ou par laïque par exemple pour les écoles de l’Ontario ou en parlant de la loi. Le Rapport Proulx utilise les deux termes « laïque » ou « séculier » en opposition à « confessionnel », mais opte finalement pour « laïque » en prenant position pour une « laïcité ouverte ».

En traitant de l’enseignement des religions, Pauline Marois utilise le terme « pensée séculière » pour référer aux courants tels que l’humanisme et le marxisme. Certains courants classés par elle comme séculiers ne seront pas inclus dans le programme d’éthique et culture religieuse alors que d’autres qui peuvent être ainsi classés s’y trouveront. On ne retient pas le terme « séculier » dans le programme ÉCR.

En Europe, la Grande-Bretagne utilise davantage le terme séculier en référant à la dimension humaine de la religion. En France on se sert de laïque pour parler de la religion dans la culture (œuvres d’art, etc.). Le Québec est plus semblable à la Grande-Bretagne dans le cours ÉCR qui inclut la dimension humaine de la religion.

Gagnon Tessier


Deuxième partie (Gagnon Tessier).

L’auteur fait une recherche dans les rapports Proulx et Bouchard-Taylor sur la présence du mot « catholicisme ». Il en trouve 8000 occurrences. Dans Proulx, les mentions ont une connotation négative dans 3,8 % des cas, positive dans 22 % des cas et neutre dans 74 % des cas. Dans Bouchard-Taylor, les proportions sont respectivement de 18 %, 21 % et 60 %.

Commentaire (hors colloque) par Jean Morse-Chevrier. Lors de la période de questions, on a remis en question l’opinion que le cours ÉCR s’approchait plus du modèle anglais. M. Gagnon-Tessier a répondu que cette opinion se basait sur le fait que le programme québécois incluait aussi des éléments expérientiels de la religion.

Mireille Estivalèzes


Mireille Estivalèzes, Les programmes de culture religieuse à l’école au Québec des années 1970 à aujourd’hui. Mise en perspective historique et culturelle.

De 1969 à 1972 des données sur les sciences religieuses se trouvaient dans les contenus du développement personnel et la formation du futur citoyen, selon un modèle phénoménologique.

De 1977 à 1982, il y a eu au Québec un programme optionnel d’éthique et culture religieuse suivi par plus de 5000 élèves. Il couvrait les principales traditions, les religions dans les sociétés archaïques, les grandes religions, la religion au Québec et la quête de sens. Ce cours termine en 1982. Le Comité catholique valorise l’enseignement moral et religieux catholique ou protestant et l’enseignement moral.

En 1996 il y a les États généraux de l’Éducation suivis en 1997 par le Groupe de travail sur la Place de la religion à l’école. Pauline Marois confie un Comité sur le phénomène religieux à Fernand Ouellet [Note du carnet : Qui est Fernand Ouellet ?], comme coordonnateur, afin d’étudier la faisabilité d’un programme d’ÉCR selon une approche phénoménologique. Ce comité recommande qu’ÉCR soit donné à tous les élèves, dans une perspective de sciences humaines et sociales. ÉCR devra répondre à des finalités intellectuelles (comprendre la place occupée par la religion et les visions séculières), civique (favoriser le vécu dans une société pluraliste) et existentielle (se situer de façon critique dans leur recherche de sens). ÉCR devra aborder différentes religions, y compris des anciennes.

En 2000, la Loi 118 rend obligatoire le cours d’ÉCR au 2e cycle du secondaire. Il tourne autour de la quête de sens et du vivre-ensemble. On a peu de données sur cette expérience, car la Commission des programmes d’études ne donne pas son approbation, ne définit pas ÉCR, ne définit pas les contenus et ne définit pas les exigences de formation.

En 2004, le Comité sur les affaires religieuses (CAR) publie Éduquer à la religion à l’école : enjeux actuels et pistes d’avenir. Il est à noter qu’en 2002 Régis Debray, en France, propose un enseignement transversal sur les religions, d’inclure la formation personnelle et sociale et le sens civique et propose quatre apprentissages : le positionnement dans l’univers des convictions, la connaissance et la reconnaissance de l’autre, la réflexivité sur ses propres convictions et le sens civique dans l’affirmation sociale de l’identité.

En 2005 le MELS annonce la « Mise en place d’un programme d’ÉCR : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec », avec des apprentissages continus et progressifs, enracinée dans la réalité chrétienne et de diversité, avec le respect de la liberté de conscience et de religion des élèves et familles grâce à une posture d’impartialité de l’enseignant et qui favorisera le vivre-ensemble.

Le programme ÉCR comprend trois axes en culture religieuse. Le premier traite de l’héritage religieux québécois et inclut les religions juives, chrétiennes et les spiritualités amérindiennes. Le deuxième traite de l’ouverture à la diversité. Le troisième vise à ce que l’élève se situe de façon à avoir une distance réflexive sur les différentes religions.

Parmi ses finalités on retrouve : l’enjeu patrimonial et culturel, l’objectif civique aux dimensions plurielles, la formation personnelle des jeunes, la compréhension des éléments constitutifs des religions en incluant les rites qui indiquent leur aspect vivant, les phénomènes religieux dans leurs différentes dimensions, la reconnaissance de l’autre et le bien commun, la richesse des diverses expressions du religieux, les éléments sociaux et culturels, ce qui est visible dans les religions.

En conclusion, l’approche du religieux dans ce cours est de type phénoménologique ; c’est une approche horizontale qui favorise les convergences entre les religions au détriment des contextes historiques. Il y a une volonté de contribuer au développement personnel des jeunes entre leur quête de sens et les visions du monde. N.B. Le rapport Proulx demandait que ce cours ne vise pas un développement spirituel, mais ouvre à une quête de sens comme finalité civique on retrouve la tolérance active. Ça répond à un objectif patrimonial et la démarche est compréhensive.

Des questions ont suivi cette présentation. Les réponses sont de Mme Estivalèzes.

Question résumée : Pourquoi dire que ce programme est phénoménologique ? Réponse résumée : Parce qu’il s’intéresse à ce qui est visible et porte plus sur les rites et pratiques que sur les croyances. Le découpage est thématique et transversal, par ex. sur les personnages, lieux et rites. Donc c’est fait dans une perspective de comparaison entre les religions qui favorise la convergence, mais ne doit pas gommer les divergences entre les religions sinon ça mènera à un syncrétisme sans valeur. Afin d’éviter l’écueil de la redondance et la lassitude des enseignants, il faut pouvoir donner de la cohérence aux éléments des différentes religions. Il y a un progrès restrictif dans le choix des contenus et trois réalités bien différentes : le programme qui est, selon Mme Estivalèzes, très précis dans les contenus normatifs, les manuels et le vécu en classe.

Un commentaire résumé (de Georges Leroux) : Je ne crois pas que l’approche est phénoménologique, parce que la religion y est un objet culturel. En 2001 le projet du CAR était phénoménologique, mais en 2005 le programme CR refuse l’approche phénoménologique et développe plutôt les aspects sociologiques comme objet de culture. ÉCR est plus laïque dans le sens français qui rejoint l’objectivité sociale, l’effectivité dans la culture, que séculier dans le sens de la Grande-Bretagne qui traite du fait religieux avec de l’empathie par exemple en traitant des fêtes dans un contexte religieux. En France la religion dépend de la littérature et de l’histoire, etc. pour son enseignement. Réponse : ÉCR n’est pas l’histoire, la psychologie, la sociologie des religions. Dans l’optique de la phénoménologie des religions, les éléments communs ne doivent pas devenir un mélange et produire du syncrétisme.

Commentaire résumé (Micheline Milot) : Vous avez référé au clergé. C’est un récit d’un combat pour le pouvoir, dont on a encore des soubresauts. Si la Bataille des Patriotes avait eu un autre résultat, les choses seraient différentes. L’État a récompensé l’Église (ultramontaine) pour son rôle. Le MELS a coupé court au développement personnel et la quête de sens chez les jeunes.

Georges Leroux


Pour l'intervention de Georges Leroux, voir le billet ici (L’État doit viser à destabiliser les systèmes absolutistes de croyance).

Pierre Bosset


Allocation de Pierre Bosset, professeur et chercheur au Département des sciences juridiques de la Faculté de science politique et de droit de l'UQAM professeur. L’enseignement de la culture religieuse à l’école, les chartes des droits et les parents. Éléments pour une analyse du discours juridique entourant un droit « fondamental ».

Discours juridique des parents. Depuis le rapport Parent, les acteurs sont les politiciens, les organismes consultatifs et la société civile. Lors du Rapport Parent qui a traité du droit fondamental des parents sur l’éducation, il n’y a pas eu de référence aux Droits de l’Homme (international), les parents ont fait appel au droit naturel.

Dans les années 1970 lorsqu’il a été question de la charte et de son article 41 en Commission parlementaire la seule intervention de nature juridique est venue de l’Association des parents catholiques du Québec qui a référé à la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 26) pour réclamer l’école confessionnelle chrétienne et des structures administratives chrétiennes (les commissions scolaires). Mais, comme l’aurait souligné Jérôme Choquette, la Déclaration des droits de l’Homme n’est pas contraignante sur la loi au Canada, elle aide à interpréter la loi.

Suite à la Charte, il a fallu justifier ce que M. Bosset appelle le régime discriminatoire.

Puis avec le comité Proulx, la position du Conseil supérieur de l’éducation, etc. est venu un contre-discours. Suite à cela l’article 41 a été modifié avec l’ajout « dans le respect de l’intérêt de l’enfant ».

En 2007, devant la Commission Bouchard-Taylor, l’Association des parents catholiques du Québec a réclamé le retour de l’article 41, dans sa forme originale.

Chez les parents, le discours juridique a remplacé le discours du droit naturel.

Normes internationales. Au Canada, le droit international donne une perspective d’interprétation du droit interne. La Déclaration des droits de l’Homme (1948, puis 1966) reconnaît aux parents la liberté d’assurer ou de faire assurer l’éducation morale des enfants.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies reconnaît à l’école le droit d’enseigner des sujets tels que l’histoire générale des religions ou des idées dans les établissements publics à condition que l’enseignement soit dispensé de façon neutre et objective. Cette précision à l’article 18 (4) est apportée par le comité des droits de l’Homme des Nations unies le 20 juillet 1993. [Note : Comité qui n’a, selon plusieurs juristes, aucune autorité réelle et n’engage pas les États.]

En Europe, la Cour européenne s’est prononcée sur une situation en Norvège où le programme d’enseignement culturel des religions donne une prépondérance au christianisme qui occupe la moitié du programme. Elle a jugé que c’est légitime d’accorder une prépondérance dans les limites acceptables. La différence était aussi qualitative à cause de l’approfondissement des connaissances chrétiennes et de la présence d’activités et prières. Ce n’était pas un enseignement neutre et objectif, sinon on n’aurait pas besoin d’exempter. En l’absence de neutralité et d’objectivité, il faut permettre de dispenser sans mettre le fardeau sur les parents. Cela suppose que les parents soient au courant.

[Il s’agit probablement de l’arrêt Folgerø et autres c. Norvège du 29 juin 2007]

Contestations. La Cour supérieure (Drummondville) a rejeté la demande des parents de soustraire leurs enfants à l’obligation en école publique d’assister au cours d’éthique et culture religieuse, sur la base de la liberté de religion et de conscience. La demande a aussi été rejetée en appel.

L’école privée catholique (Loyola) demande la dispense pour des raisons humanitaires et de préjudices.

En droit, il faut que l’atteinte à la liberté soit plus que négligeable ou insignifiante. Il y a un seuil minimal.

La sincérité de la personne est requise et à Drummondville les parents étaient sincères, mais la sincérité ne suffit pas. Il faut une preuve suffisante d’atteinte à la religion et la conscience. On tient compte des finalités du programme et il ne faut pas qu’il y ait endoctrinement. Le juge a tenu compte du [Note du carnet : seul] témoignage du théologien Gilles Routhier qui a dit que l’Église catholique préfère que l’école enseigne la religion catholique, mais accepte le bien-fondé d’une présentation objective des autres religions [Note du carnet : sans parler du cas particulier du programme ECR]. La Cour d’appel a confirmé qu’il n’y avait pas d’atteinte à la liberté de conscience. [Note du carnet : pas vraiment, que l’affaire était devenue théorique — ce qui semble faux puisque l'enfant doit suivre le cours ECR à son école privée ! — et que l’interprétation de l’article 222 de la LIP qui régit l'exemption que faisaient les parents ne pouvait être acceptée, sans plus.]

Les parents ont déposé une requête pour être entendus par la Cour Suprême du Canada. La Cour Suprême doit accorder sa permission et elle le fait pour des questions de droit importantes. L’état unanime du droit international fait que la question de droit n’est pas ambiguë. Par contre il y a un point de conflit : quel poids accorder à la doctrine de l’Église et la sincérité de l’individu?

Il y a des intérêts sociaux en présence sur lesquels la Cour supérieure n’a pas eu à se prononcer. La mission de l’école (Loi sur l’instruction publique, LIP) est de faciliter le cheminement spirituel de l’élève par le service d’animation spirituel et d’engagement communautaire. La mission de l’éducation dans le droit international demande le respect des droits de l’homme, des parents, de l’égalité entre les personnes et entre les groupes ethniques. Il existe également l’article 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

Question par une enseignante qui s’est identifiée comme étant l’enseignante de secondaire 4 de l’école secondaire J.H.-Leclerc de Granby. Elle dit avoir eu dans sa classe 3 élèves qui ont été retirés du cours d’éthique et culture religieuse. Elle rapporte une question par les parents des élèves. Est-ce que la direction d’école a le droit de suspendre les enfants qui ont le droit d’aller à l’école selon la LIP et qui ont le droit à leur liberté de religion en fonction de la charte ?

Réponse par M. Bosset : Il y a une tension entre deux droits. Il y a un principe selon l’individualité des droits. On évite de dire que tel droit prime sur un autre. Il n’y a pas de solution blanc-noir. Il aurait été préférable de ne pas les suspendre à cause de leur droit à l’éducation. C’est une conséquence disproportionnée. [Note du carnet : stricto sensu, il n’y a pas à trancher entre les deux principes, les deux étaient à l’avantage des enfants : devoir d’offrir un enseignement de la part de l’État, droit à la liberté de religion et de conscience.]

Question posée en privé après la présentation, par Jean Morse-Chevrier Je trouve que ce n’était pas à la Cour supérieure à se prononcer sur la position de l’Église catholique et ce, sur la base d’un seul témoignage expert, qu’en pensez-vous  ?

Réponse de M. Bosset : Je suis d’accord avec vous. Je suis content que les parents portent la cause en Cour Suprême pour clarifier la question.

Louis-Charles Lavoie


Pour le résumé de la communication de Louis-Charles Lavoie, voir Formateur de formateurs en ECR : beaucoup de résistances, faible réceptivité, obstacles au début de l'implantation.