lundi 26 septembre 2022

L' « extrême droite » a-t-elle gagné en Italie comme le prétendent Radio-Canada et l'AFP ?

Radio-Canada reprend la dépêche de l'AFP et titre sans hésitation : 


 

Ce n'est pas du tout l'avis d'Alexandre del Valle, docteur en histoire contemporaine, géopolitologue, chercheur-associé au CPFA et au Centre Français de Recherche sur le Renseignement, auteur de « La Mondialisation Dangereuse » aux éditions de L’Artilleur.

 

Sur CNews, on parle de la presse de gauche prise d'effroi et de la diabolisation de la Meloni.

 L'avis de Frédéric Le Moal, docteur en histoire et professeur au lycée militaire de Saint-Cyr, auteur de nombreux ouvrages remarqués. Frédéric Le Moal a notamment publié «Victor-emmanuel III. Un roi face à Mussolini » (Perrin, 2014), traduit en italien, « Histoire du fascisme » (Perrin, 2018), prix Ernest-lemonon de l’académie des sciences morales et politiques, et « Pie XII. Un pape pour la France. Enquête sur le conclave de 1939 » (Éditions du Cerf, 2019). Son nouveau livre, « Les Hommes de Mussolini » (Perrin, 364 p., 24 €), paraît le 29 septembre. Il est interrogé par le Figaro.

LE FIGARO. — L’adjectif « post-fasciste » est employé par de nombreux médias pour qualifier Giorgia Meloni. Que vous inspire cette appellation ?.

Frédéric LE MOAL. - Un certain scepticisme, je dois l’avouer, car elle est de nature à jeter de la confusion dans le débat politique, voire à imprimer une marque infamante à Giorgia Meloni. En effet, cette expression permet de l’enchaîner au fascisme malgré l’évidence politique qui saute aux yeux. Certes, le parcours politique de Giorgia Meloni la rattache au fantôme du fascisme. D’abord par ses déclarations de jeunesse en faveur de Mussolini, dont ses adversaires, dans le monde politique et médiatique, font un usage immodéré. Les mêmes, notons-le, que l’on trouve beaucoup moins vigilants quand il s’agit du passé trotskiste ou maoïste de certaines personnalités. Ensuite par l’évolution politique de son parti, issu d’une scission d’Alliance nationale, elle-même héritière du MSI, qui, lui, se revendiquait sans ambiguïté du fascisme de la République de Salo, un fascisme radical, républicain, socialiste et jacobin. Or cette mutation incessante à force de dédiabolisation et d’épuration des éléments radicaux interdit de rattacher le «melonisme» au fascisme. Elle n’est pas post-fasciste mais conservatrice, souverainiste et patriote..

— Au-delà de la filiation partisane (Fratelli d’italia étant l’héritier d’Alliance nationale, elle-même héritière du MSI, mouvement social italien, parti néofasciste), peut-on établir une filiation idéologique entre le programme de Giorgia Meloni et celui du fascisme mussolinien ?.

Giorgia Meloni est libérale en économie – et, à ce titre, hostile à l’emprise de l’État –, catholique assumée, avec une vision conservatrice de la société, et elle mène un combat identitaire avant tout défensif. Il n’y a rien de commun, dans son programme, avec le fascisme, idéologie étatiste unissant socialisme et nationalisme, totalitaire car porteuse d’un projet de révolution anthropologique dont l’objectif était d’accoucher d’un Italien nouveau, exaltant la violence et la guerre, acte fondateur d’un nouveau peuple italien dur et cruel car débarrassé des valeurs jugées amollissantes du christianisme. Il était une réponse révolutionnaire, anticommuniste et antilibérale à la crise dans laquelle se débattait l’Italie depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et ce par la violence physique et extraparlementaire. La victoire de Fratelli d’italia constitue, elle, une réponse conservatrice, dans un cadre démocratique, à la crise d’une mondialisation destructrice des identités nationales et aux défis d’une immigration incontrôlée..

— On cite souvent ces propos de Giorgia Meloni en 1996 : « Je crois que Mussolini c’était un bon politicien. Tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’italie. » Quelle est la perception de Mussolini dans l’opinion italienne aujourd’hui ?.

—   Les avis divergent en Italie à son sujet, car le pays ne connut jamais l’entreprise mémorielle d’expiation que l’Allemagne a mise en place après 1945. Si une partie importante des Italiens sont révulsés par Mussolini, sa personne ne suscite pas une aversion universelle à l’image de celle de Hitler. 

Son corps repose dans la terre italienne de son village de Predappio (Émilie-Romagne), où se rendent des foules de curieux mais aussi des pèlerins, ne cachant pas l’admiration qu’ils éprouvent pour le Duce dont la seule erreur aurait été, selon eux, de s’allier avec le IIIe Reich. Les raisons de cette situation à bien des égards singulière? L’absence d’un Nuremberg italien, la volonté de l’élite italienne d’après-guerre de tourner la page, les fragiles mais incontestables réussites sociales et économiques du régime, la solide popularité du dictateur qui fut l’objet d’une adoration quasi religieuse de la part de plusieurs couches de la société italienne devenue au fil des années vraiment mussolinienne, à défaut d’être fasciste. Il aura fallu les lois raciales de 1938 et surtout les défaites de la guerre pour rompre le lien. 

N’oublions pas non plus que le régime, aussi violent fut-il, n’atteignit jamais le degré d’horreur du communisme et du nazisme. Cette différence d’échelle dans la cruauté permet à une partie significative des Italiens de défendre une image selon eux « nuancée » du dictateur. En fin de compte, dans une Italie affaiblie, gouvernée par un parlementarisme instable, le régime fasciste incarne, pour ces Italiens-ci, la stabilité et la puissance perdues..

— Dans votre livre Histoire du fascisme, vous faites du fascisme un mouvement révolutionnaire. Diriez-vous que le fascisme est tout autant de gauche que de droite ?

— Je vois dans le fascisme un mouvement réconciliant le socialisme dont sont issus la plupart de ses chefs et le nationalisme. L’inflexion vers la droite du mouvement des chemises noires à partir de 1921 est irréfutable mais ne doit pas faire illusion. Nationaliste, anticommuniste, darwinien, brutal, colonisateur, expansionniste : le fascisme a été tout cela, mais ces éléments ne permettent pas de le classer à droite. Le Duce lui-même l’a affirmé sans aucune ambiguïté : « Je me refuse de qualifier de droite la culture dont ma révolution a donné l’origine. La culture fasciste, qui reprend les valeurs de tout le XXe siècle italien, n’est pas de droite» (Taccuini mussoliniani, éditions Il Mulino, 1990). 

La nation et la révolution : c’est de ce mariage que naquit le fascisme. En vérité, le fascisme a opéré la réconciliation de l’idée nationale avec le projet révolutionnaire de création d’un État et d’un homme nouveaux. On retrouve donc cette tentation démiurgique de transformation de l’être humain, ce qui nous empêche de le classer à droite. La véritable frontière sépare ceux qui croient en la nature inaliénable de l’individu et ceux qui n’y croient pas et veulent donc la changer pour l’améliorer. Le fascisme se classe sans ambiguïté dans la seconde catégorie..

— Comment expliquer que le retour du fascisme obsède notre époque, qui applique ce substantif à tout mouvement de droite radicale ?

— Pour plusieurs raisons, selon moi : le maintien de l’analyse marxiste, qui voit dans tout mouvement qui lui est hostile un fascisme, la force du gauchisme culturel à l’école, à l’université et dans les médias, la puissance mobilisatrice du combat contre une idéologie effrayante, la nécessité toujours présente à gauche de disposer d’un ennemi contre lequel lutter, un ennemi d’autant plus commode qu’il a en réalité disparu et qu’il ne risque pas de mettre à sac les sièges des partis politiques et des journaux comme le faisaient les brutes en chemises noires.

En fait, la force de l’antifascisme de gauche a été d’effacer toute trace des liens de la gauche d’alors avec Mussolini, un ancien dirigeant du Parti socialiste italien, et de placer le fascisme à la droite la plus extrême, la plus conservatrice et la plus réactionnaire. Ce qu’il n’a jamais été. On fait face ici à un mélange d’inculture et de militantisme..

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mercredi 21 septembre 2022

Ignorance des étudiants du collège anglophone Dawson (Montréal)

L’humoriste Guy Nantel ne pouvait s’empêcher de réaliser un nouveau micro-trottoir sur le sujet de la langue française et de la protection de la culture québécoise en en cette période électorale. Il a interrogé des étudiants au collège Dawson à Montréal. Il a posé des questions sur la Loi 96 et l'apprentissage de la culture francophone dans les cégeps anglophones ainsi que quelques questions de culture générale (vraiment de base). Le collège Dawson passe pour un établissement de qualité...

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mardi 20 septembre 2022

France — Des propositions de loi pour restaurer la liberté d'instruire à la maison vont être déposées

L’Instruction En Famille (IEF ou « école à la maison ») est aujourd’hui sévèrement limitée (pardon « encadrée ») par la loi française et il est devenu très difficile d’obtenir l’autorisation de l’académie [la commission scolaire locale] pour la pratiquer.

Dans cette vidéo, le Centre européen pour la loi et la justice donne 6 bonnes raisons pour abroger la nouvelle loi interdisant l’école à la maison, qui est complètement injuste et inutile, et revenir au système de liberté qui existait avant.

La pétition du Centre européen pour la loi et la justice pour la liberté scolaire


Québec — Plus de 40 % des profs seront à la retraite d’ici 2030

Jusqu’à 32 000 enseignants québécois pourraient quitter leur profession d’ici huit ans. Cela représente déjà tout un casse-tête dans le réseau scolaire, risque fort d’empirer au cours des prochaines années, puisque plus de 40 % des profs permanents pourraient partir à la retraite d’ici 2030.

La pénurie d’enseignants, qui représente déjà tout un casse-tête dans le réseau scolaire, risque fort d’empirer au cours des prochaines années, puisque plus de 40 % des profs permanents pourraient partir à la retraite d’ici 2030, a appris Le Journal.

Cette estimation a été réalisée au cours des derniers mois par Maurice Tardif, directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), en collaboration avec Geneviève Sirois, qui en fait partie aussi.

Ils ont analysé les seules données disponibles au ministère de l’Éducation concernant les groupes d’âge des enseignants, qui remontent à 2015. L’âge moyen de la retraite étant d’environ 63 ans au Québec, les chercheurs en arrivent à la conclusion qu’entre 27 000 et 32 000 enseignants quitteront leur emploi d’ici 2030, ce qui représente plus de 40 % des profs permanents du réseau scolaire québécois.

« C’est immense », laisse tomber Mme Sirois.

Ce nombre ne tient même pas compte des 14 000 enseignants des écoles privées ni de l’impact de la pandémie, qui a poussé des enseignants d’expérience à quitter leur classe plus tôt que prévu.

Encore plus d’élèves (immigrés)

Alors que les nouveaux retraités de l’enseignement se compteront par milliers d’ici 2030, le nombre d’élèves continuera d’augmenter au cours de cette période. Le ministère prévoit une hausse d’environ 1 %, un chiffre qui ne tient toutefois pas compte de la création des nouvelles classes de maternelle 4 ans.

Mme Sirois souligne par ailleurs que les prévisions démographiques du ministère de l’Éducation sont « toujours » en deçà de l’augmentation réelle, puisque le nombre de nouveaux élèves issus de l’immigration est sous-estimé.

La tempête s’annonce donc parfaite et dans plusieurs centres de services, elle a déjà commencé. Selon les plus récents chiffres disponibles, 140 enseignants à temps plein manquent toujours dans les écoles québécoises, sans compter tous les autres postes à temps partiel à combler. Le nombre d’enseignants non légalement qualifiés a quant à lui plus que triplé en cinq ans.

Les récentes initiatives mises en place par le gouvernement Legault pour répondre à la pénurie semblent quant à elles donner des résultats mitigés. La Presse rapportait la semaine dernière que sur les 6000 candidatures reçues dans le cadre de la campagne de recrutement « Répondez présent », seulement 600 personnes avaient été embauchées en date du 2 septembre.

Avec la hausse du nombre d’adolescents qui franchiront les portes des écoles au cours des prochaines années, « l’urgence nationale » se fera surtout sentir au secondaire, précise de son côté Mme Sirois.

Départ à la retraite des profs d’ici 2030

Au primaire

Entre 15 000 et 18 000

Au secondaire

Entre 12 000 et 14 000

Total

Entre 27 000 et 32 000*

Nombre total d’enseignants dans le réseau scolaire

67 263* (2020-2021)

* Enseignants permanents du réseau public — de niveaux préscolaire, primaire et secondaire — ainsi que de la formation professionnelle et de la formation générale aux adultes.

Source : Maurice Tardif, données mises à jour en collaboration avec Geneviève Sirois, du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE).

Quelles solutions ?

Le Journal de Québec s’est entretenu avec des experts et des acteurs du réseau de l’éducation, à la recherche de solutions à la pénurie d’enseignants.

Faciliter la présence en classe des futurs profs

Plusieurs intervenants s’entendent pour dire qu’il faut adapter la formation universitaire pour permettre aux futurs profs d’enseigner pendant leur formation. La Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement réclame même qu’un étudiant puisse enseigner à temps plein dans le réseau scolaire après avoir terminé deux années de son baccalauréat, sur un total de quatre. Le futur prof devrait toutefois être encadré de la même façon que pendant ses stages, afin que les heures travaillées comptent dans sa formation. Les cours théoriques à compléter pourraient être suivis les soirs, la fin de semaine ou pendant une session d’été.

En Abitibi-Témiscamingue et sur la Côte-Nord, des mesures ont déjà été mises en place pour permettre aux étudiants de compléter leur formation à temps partiel, tout en travaillant dans les écoles auprès des élèves.

Encore plus de mentorat

Au cours des dernières années, un programme de mentorat a été mis en place pour les nouveaux profs, afin qu’ils soient moins nombreux à quitter les classes lors de leurs premières années d’enseignement.

Or, les cinq millions $ qui y sont consacrés annuellement ne représentent que du « saupoudrage », déplore la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Les enseignants d’expérience qui encadrent les novices ou ceux qui ne sont pas qualifiés devraient être beaucoup plus nombreux, selon les syndicats d’enseignants.

D’ailleurs, les centres de services scolaires devraient faire preuve de plus de souplesse envers eux, affirme Mélanie Hubert, présidente de la FAE. Plusieurs profs d’expérience ont pris leur retraite après s’être fait refuser de travailler à temps partiel, déplore-t-elle.

Laissez les profs enseigner

Plusieurs enseignants aimeraient être dégagés de tâches bureaucratiques ou connexes pour avoir plus de temps pour enseigner, selon la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).

Des initiatives locales auraient avantage à être mises en place afin que les enseignants passent moins de temps à faire de la surveillance ou à s’occuper de différents comités, affirme sa présidente, Josée Scalabrini.

Au secondaire notamment, des périodes d’enseignement pourraient ainsi être dégagées. Reste toutefois à trouver le personnel pour combler les autres tâches.

Limiter l’immigration ?

Personne d’interrogé par le Journal de Québec ne semble suggérer la limitation de l’immigration alors que c’est une partie de l’équation (l’augmentation du nombre d’élèves).


dimanche 18 septembre 2022

Nombre de naissances par pays en 2021

   Rang  
Pays
Nombre de
naissances (2021)
1 Inde      23 113 533
2 Chine      10 881 567
3 Nigeria       7 923 294
4 Pakistan       6 374 741
5 Indonésie       4 496 383
6 République Démocratique du Congo          4 034 953
7 Éthiopie       3 895 734
8 États-Unis       3 722 822
9 Bengladesh       3 019 672
10 Brésil       2 760 958
11 Philippines       2 485 008
12 Égypte       2 465 005
13 Tanzanie       2 303 114
14 Mexique       1 882 362
15 Ouganda       1 686 795
16 Soudan       1 534 332
17 Kenya       1 468 358
18 Viêt Nam       1 462 623
19 Afghanistan       1 440 941
20 Russie       1 397 456
21 Angola       1 338 792
22 Turquie       1 244 782
23 Iran       1 204 105
24 Irak       1 192 345
25 Afrique du Sud       1 176 955
26 Mozambique       1 174 346
27 Niger       1 144 371
28 Yémen       1 008 936
29 Algérie         950 888
30 Cameroun         950 546
31 Côte d'Ivoire         932 943
32 Birmanie         920 395
33 Mali         912 901
34 Ghana         904 679
35 Madagascar         895 045
36 Japon         818 509
37 Ouzbékistan         802 875
38 Burkina Faso         785 817
39 Allemagne         763 168 [peu de souche]
40 Tchad         744 834
41 Somalie         743 932
42 Colombie         730 203
43 France         677 303
44 Royaume-Uni         677 219
45 Zambie         672 000
46 Malawi         653 703
47 Maroc         650 892
48 Thaïlande         644 325
49 Argentine         629 391
50 Arabie séoudite         629 339
51 Népal         609 790
52 Pérou         593 523
53 Sénégal         549 984
54 Malaisie         511 313
55 Zimbabwe         488 807
56 Bénin         475 832
57 Guinée         465 954
58 Venezuela         451 855
59 Burundi         437 599
60 Syrie         426 856
61 Kazakhstan         413 483
62 Italie         410 487
63 Rwanda         403 681
64 Canada         373 728
... ... ...
77 Haïti         269 377
... ... ...
103 Belgique         116 448
... ... ...
113 Suisse           87 086
114 Québec           84 900

En gras, quelques pays francophones.

Source : Nations Unies et Statistiques Québec 

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La population mondiale pourrait (peut-être) diminuer de moitié d'ici à 2100  

La population amish a augmenté de 110 % depuis 2000 

Démographie — Le trilemme de Morland : égoïsme, économie ou ethnie

 

 

 

Le piège de Thucydide

Dans « Vers la guerre », paru en français en 2019, un universitaire américain établit les risques de conflit entre la Chine et les États-Unis en fonction des situations comparables dans le passé. Passionnant. Une recension d’Éric Zemmour parue à l’époque dans le Figaro.

C’est sans doute à ce genre de choses, et de livre que l’on voit que la France n’est plus qu’une province excentrée de l’empire américain. 

Alors que la vie intellectuelle et politique parisienne s’agite autour des « années 30 » — et encore, une vision fallacieuse de cette période ! —, le cœur universitaire américain bat au rythme de Thucydide et de son célébrissime récit de la « guerre du Péloponnèse » entre Athènes et Sparte au Ve siècle avant J.-C. 

Pendant que notre président de la République, suivi d’une escouade hétéroclite d’universitaires et de saltimbanques, décerne des médailles en chocolat de résistance antifasciste et dresse des poteaux d’exécution pour une nouvelle épuration des soi-disant collabos, à Harvard, un émérite professeur fait travailler ses étudiants sur ce qu’il appelle le « piège de Thucydide » et ses nombreuses occurrences dans les cinq cents dernières années. Oui, vous avez bien lu : les cinq cents dernières années ! Comme disait Churchill : « Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur. » 

Ce « piège de Thucydide » désigne donc « l’inévitable bouleversement qui se produit quand une puissance ascendante menace de supplanter une puissance établie ». À l’époque, c’était Athènes qui menaçait de supplanter Sparte ; aujourd’hui, c’est bien sûr la Chine qui menace de supplanter les États-Unis. Notre universitaire, en bon pédagogue, fait l’aller-retour entre le Ve siècle avant J.-C. et le XXIe siècle, et ne peut que constater, au-delà des évidentes différences, les nombreuses similitudes entre les deux situations. « Quand Thucydide dit que la guerre était “inévitable”, il veut dire qu’à mesure qu’Athènes devenait plus puissante et Sparte plus inquiète les deux États ont pris des décisions qui rendaient difficile d’éviter la guerre. »

Alliance des puissances asiatiques avec la Chine au centre ? Le 22e sommet de l'Organisation de coopération de Shanghaï s'est tenu le 15 et 16 septembre 2022 à Samarcande (Ouzbékistan).
 
Nous, Français, connaissons fort bien ce « piège de Thucydide » qui nous a rarement réussi. Quand nous sommes la puissance dominante, au siècle de Louis XIV, les Anglais parviennent à nous supplanter ; quand nous tentons de prendre notre revanche avec Napoléon, c’est encore notre ennemi britannique qui l’emporte. Et même quand nous avons retrouvé une prééminence limitée au continent européen avec Napoléon III, c’est Bismarck qui fait l’unité allemande à notre détriment. En fait, nous nous sommes sortis deux fois à notre avantage de ce fameux piège : au XVIIe siècle, lorsque Richelieu puis Mazarin profitent de la guerre de Trente Ans pour prendre l’ascendant sur l’Empire des Habsbourg ; et lorsque, à l’issue de la terrible guerre de 1914-1918, nous parvenons à vaincre miraculeusement la puissance germanique.

Mais — francophobie persistante des élites américaines ? — notre universitaire n’évoque pas la geste victorieuse de Richelieu et de Mazarin, et occulte le sacrifice des poilus français de 1914 dans le cadre plus vaste de l’affrontement entre l’Angleterre et l’Allemagne. Il est vrai que cette lutte à mort entre Anglais et Allemands ressemble comme une sœur jumelle à celle qui a déjà débuté entre Américains et Chinois.

Les présidents Modi (Inde), Poutine (Russie) et Xi Jinping (Chine) au sommet de Samarcande de cette semaine (16 septembre 2022) à la tête d'environ 3 milliards d'habitants.

L’Angleterre, puissance impériale maritime qui fait régner sa Navy sur tous les océans, et machine industrielle sans égale pendant tout le XIXe siècle, correspond aux États-Unis du XXe siècle ; l’Allemagne, puissance continentale devenue hégémonique en Europe, est la force industrielle montante de la fin du XIXe siècle ; le « made in Germany » taille des croupières au « made in England » ; les élites anglaises se résoudront à la guerre lorsque l’empereur Guillaume II décidera d’édifier une marine capable de menacer sa rivale britannique et les côtes anglaises. Près d’un siècle plus tard, tout semble recommencer à l’identique : « L’économie chinoise représentait 10 % de l’économie américaine en 2007, 100 % en 2014, si cette tendance se confirme, elle pèsera 50 % plus lourd que celle des États-Unis en 2023 et pourrait être presque trois fois plus importante en 2040. »

Et, suivant eux aussi l’enseignement de l’inventeur de la géopolitique, Mahan, qui expliquait que la « mer » gagnait toujours sur la « terre », les Chinois édifient à marche forcée une marine capable de chasser l’US Navy de la mer de Chine et des eaux asiatiques. Le nouveau patron du Parti communiste chinois, Xi Jinping, dont un sinologue décrit « l’assurance napoléonienne », a pour objectif avoué de « retrouver la grandeur passée », ce qui signifie la première place mondiale, et non pas « en tant que membre honoraire de l’Occident ».

En 1913, le diplomate Norman Angell expliquait, dans un livre à succès, que les liens économiques entre l’Angleterre et l’Allemagne retiendraient les deux pays au bord du précipice ; de même, aujourd’hui, nos doctes libéraux nous assurent que les chaînes de valeur sont trop imbriquées entre les deux géants pour qu’il y ait un risque d’affrontement. En vérité, tout cela serait balayé s’il n’y avait une seule différence majeure entre les deux époques : l’arme nucléaire. C’est elle qui a déjà retenu Kennedy et Khrouchtchev lors de la fameuse crise des missiles de Cuba en 1962 ; et c’est toujours cette apocalypse nucléaire (« Je ne sais pas quand aura lieu la prochaine guerre mondiale, mais je sais que celle d’après se fera avec des arcs et des flèches », disait, sarcastique, Einstein) qui arrêtera même des nationalistes aussi farouches que Trump et Xi Jinping. Avec deux nuances de taille : d’abord, la sophistication des nouvelles armes, cyberattaques ou missiles antimissiles, peut entraîner une escalade inenvisageable pendant la guerre froide. Et surtout, les hiérarques chinois n’ont pas oublié que Mao leur a toujours dit que la Chine, elle, survivrait à la disparition de 300 millions de Chinois sous le feu nucléaire.

Toujours au sommet de Samarcande, de droite (au fond assis) à gauche: Erdogan (Turquie), Aliyev (Azerbaïdjan), Chehbaz Charif (Pakistan), Poutine (Russie), Loukachenko (Biélorussie) et Raïssi (Iran).

L’optimisme forcé de notre universitaire américain ne trompe personne, et surtout pas l’auteur lui-même. Il faudrait que la Chine accepte de rentrer dans le rang de la Pax americana ou que les Américains renoncent à leur suprématie dans le Pacifique, alors même que la force de frappe industrielle des États-Unis est concentrée en Californie (les fameux GAFAM) et que le cœur de la croissance mondiale — le centre de l’économie-monde, aurait dit Braudel — est désormais en Asie. Le « piège de Thucydide » nous tend ses bras mortels. Et pour une fois, nous, Français, ne sommes pas au cœur de la bataille. L’avantage d’être devenus provinciaux. On se console comme on peut.

 

Macron en février 2022 rencontre Poutine. « Pour une fois, nous, Français, ne sommes pas au cœur de la bataille. L’avantage d’être devenus provinciaux. » Zemmour est optimiste, les provinciaux paieront la facture...

 

Vers la guerre,
par Graham Allison,
paru chez Odile Jacob,
le 20 février 2019, à Paris,
337 pp.
ISBN-10 : 273814702X
ISBN-13 : 978-2738147028


samedi 17 septembre 2022

« Le mouvement woke ne fait pas mystère de sa volonté d’endoctriner les enfants »

Phénomène de société, le mouvement woke est critiqué par de nombreux livres qui s’attachent à réfuter cette idéologie née dans les campus américains avant de traverser l’Atlantique. S’appuyant sur une documentation abondante et précise, le nouvel essai du philosophe Jean-François Braunstein se distingue cependant par sa densité et sa rigueur. Le professeur émérite de philosophie à la Sorbonne voit dans le wokisme bien plus qu’une simple vague de « folie passagère » ou un snobisme intellectuel. C’est, pour lui, un authentique fanatisme : ses adeptes, profondément intolérants, déguisent des opinions en science et se croient tenus d’endoctriner.

Extraits

« Les hommes sont enceints », « les femmes ont des pénis », « les trans femmes sont des femmes », « tous les Blancs sont racistes », « tous les Noirs sont des victimes », « la biologie est viriliste », « les mathématiques sont racistes », « Churchill est raciste », « Schœlcher est esclavagiste », etc.

 De telles proclamations surprennent par leur côté absurde. Elles constituent pourtant les énoncés de base de la pensée woke, cette pensée « éveillée » qui tend à s’imposer dans l’ensemble des sociétés occidentales. Elle se fonde sur des théories comme la « théorie du genre », la « théorie critique de la race » ou la « théorie intersectionnelle » qui sont devenues paroles d’évangile dans nos universités. Les wokes expliquent que le genre est au choix et que seule compte la conscience que l’on a d’être homme ou femme ou n’importe quoi d’autre. La race redevient un déterminant essentiel de nos existences en société : les Blancs seraient par définition racistes et les « racisés » ne pourraient l’être en aucun cas. Quant à l’intersectionnalité, elle est un « outil » pour potentialiser toutes les identités victimaires et appeler à la lutte contre le responsable de ces discriminations. Il est tout trouvé, c’est l’homme blanc occidental hétérosexuel, par définition sexiste, raciste et colonialiste, qui est le « bouc émissaire parfait ». Ceux qui n’acceptent pas ces théories wokes sont dénoncés sur les réseaux sociaux et, chaque fois que cela est possible, chassés de leur poste, à l’université ou ailleurs. Les médias et bon nombre de politiques embrassent ces théories avec enthousiasme et ce qui n’était naguère qu’une curiosité américaine est devenu, à une vitesse extraordinaire, le discours officiel de nos élites. On pourrait être tenté de se rassurer en se disant que cela ne touche que les facultés de lettres et de sciences humaines, qui en ont vu d’autres. Mais c’est aujourd’hui dans les facultés de sciences et de médecine que se poursuit l’offensive woke : les sciences dures elles-mêmes sont mises en accusation comme « racistes » et « virilistes ».


Jean-François Braunstein débat avec Mathieu Bock-Coté et Arthur de Watrigant sur le wokisme

Mais le wokisme ne se limite pas au monde de l’éducation. Comme l’a très justement noté le journaliste américain Andrew Sullivan, « nous vivons tous sur les campus maintenant ». Les élites occidentales, devenues militantes pendant leurs études, diffusent maintenant ces idées sur les réseaux sociaux, dans les médias, l’édition et les industries culturelles. Dans les grandes entreprises se développe un capitalisme woke qui met en place des politiques « diversité, équité, inclusion », c’est-à-dire des politiques de discrimination positive qui vont contre tous les principes méritocratiques. Les GAFAM, comme Netflix et les réseaux sociaux, font une promotion massive d’une pensée politiquement correcte […]. 

Avec le wokisme, nous avons ainsi proprement affaire à une nouvelle religion. Certains auteurs américains sont persuadés qu’il s’agit là de la « prochaine religion américaine » qui veut « effacer toute la mémoire historique de la civilisation », comme le christianisme devenu religion d’État au IVE siècle avait voulu effacer l’ensemble du monde gréco-romain. Le caractère très intolérant de la religion woke et son refus de s’adresser à ceux qui ne partagent pas son point de vue, son absence de transcendance, font qu’elle ressemble plus exactement, pour l’instant, à une secte à dimension politique et sociale.

Entretien de J-F. Braunstein à l'émission Idées du Figaro

Le « privilège Blanc » équivalent du péché originel

Le spécialiste de Tocqueville qu’est Joshua Mitchell a fait le rapprochement entre les wokes et le post-protestantisme. Il évoque un Great Awokening, un Grand Réveil woke, qui ferait écho aux Grands Réveils (Great Awakenings) protestants des siècles passés. Mais Mitchell insiste sur deux différences essentielles : avec la religion woke, « nous vivons au milieu d’un Réveil américain (…), mais sans Dieu et sans pardon ». Le « privilège blanc » semble alors être l’équivalent d’une sorte de péché originel. Le Blanc est coupable du fait que ses ancêtres ont opprimé, et qu’il continue d’opprimer, les Noirs et toutes les personnes de couleur. Il est responsable de quasiment tout le mal qui existe sur la terre. Mais ce privilège est en un sens plus grave que le péché originel. En effet, à la différence du péché, qui est en général le résultat d’un choix libre, le nôtre ou celui d’Adam, le privilège blanc est un fait biologique, dont il est absolument impossible de se défaire. […]

La « masculinité toxique », qui affecte tout homme en tant qu’il est du sexe masculin, doit elle aussi être condamnée. Cette « masculinité toxique » serait responsable d’une bonne part de la violence dans le monde, soit à l’égard des femmes, soit pour les hommes eux-mêmes, qui souffrent des tensions que cette masculinité entraîne à l’intérieur d’eux. La très officielle Association américaine des psychologues, L’APA, explique qu’« il a été démontré que la socialisation pour se conformer à l’idéologie de la masculinité traditionnelle limite le développement psychologique des hommes, contraint leur comportement, entache leur rôle de genre, entraîne un conflit entre les rôles de genre et influence négativement la santé mentale et physique ». Il y aurait alors peut-être une solution à essayer, si l’homme consent à « se déconstruire ». Selon un auteur français bien-pensant, tout prêt à « se démasculiniser », « il faut être capable de se défaire de l’éducation qu’on a reçue, des réflexes qu’on a acquis, de l’idéologie de genre qu’on s’est forgée, de l’atmosphère de tolérance [envers l’“idéologie de la masculinité traditionnelle”] qui nous entoure, jusqu’à renoncer à être ce que l’on a toujours été ». Mais ce n’est qu’un modeste palliatif pour tenter momentanément de pallier le « virilisme », cela ne nous en libérera pas définitivement. On pourrait pourtant aujourd’hui envisager une autre solution plus radicale, qui a un certain succès. Si on ne veut plus être un homme, pourquoi ne pas tout simplement devenir une femme ? On peut bien changer de genre et devenir transgenre, ou si l’on veut aller jusqu’au bout de la transformation, devenir transsexuel. Ce type de changement est non seulement assez largement accepté, mais il est même encouragé.

Les trans contre les Femmes

De plus en plus, comme le note Helen Joyce (journaliste britannique, NDLR), « des hommes qui ont violé et torturé des femmes obtiennent d’être transférés dans des prisons de femmes » avec des conséquences dramatiques pour la sécurité. Le problème est que l’on préfère mettre en danger la majorité au profit d’une infime minorité de militants convaincus, qui se présentent comme des victimes éternelles. Leurs droits comme trans passent avant la sécurité des femmes emprisonnées.

De même, les compétitions sportives féminines sont de plus en plus ouvertes aux hommes trans qui se déclarent femmes, indépendamment de toute considération physiologique. Ainsi, Lia Thomas, nageuse transgenre, a remporté très facilement en mars 2022 le 500 yards nage libre des championnats universitaires féminins américains : quatre ans auparavant, Lia Thomas concourait encore dans les compétitions masculines. Comme l’a très bien montré Linda Blade, ancienne championne et entraîneuse d’athlétisme, ces revendications signifient à terme la fin des compétitions féminines. Soumises à l’activisme trans, les fédérations sportives, les unes après les autres, ouvrent les compétitions féminin es aux athlètes hommes qui s’autoidentifient comme femmes, sans aucun critère physiologique. Blade se bat contre cette tendance profondément misogyne : « Soyons également réalistes : le sport est une chasse gardée basée sur la biologie. La recommandation d’ouvrir le sport féminin à des mâles est sans doute, quelle que soit l’intention, la décision la plus misogyne jamais prise dans l’histoire du sport. » En effet, statistiquement, les athlètes masculins sont 40 % plus lourds, 15 % plus rapides, 30 % plus puissants, et 25 à 50 % plus forts que leurs homologues féminins, indépendamment de quelque intervention hormonale. L’idée que les trans hommes devenus femmes sont des femmes signe la fin du sport féminin et la revendication trans est devenue un moyen d’évincer définitivement les femmes du sport.


« Le mouvement woke est une secte »

Un antiracisme destructeur pour les noirs

Dans son dernier livre, Le Racisme woke. Comment une nouvelle religion a trahi l’Amérique noire, John Mcwhorter, professeur de linguistique à Columbia, démontre que les conséquences de ce soi-disant nouvel antiracisme sont particulièrement destructrices pour les Noirs. Mcwhorter s’en prend en particulier à un manuel de mathématiques qui souhaite « démanteler le racisme dans les cours de mathématiques » et qui fait partie du programme de « mathématiques équitables » de la fondation Gates. Ce livre se place sous la bannière d’Ibram X. Kendi et Robin Diangelo [essayistes et universitaire américains], pour expliquer que « la culture de la suprématie blanche se manifeste dans les classes de mathématiques lorsque l’accent est mis sur l’obtention de la “bonne” réponse plutôt que sur la compréhension des concepts et du raisonnement ». Le but serait de « démanteler le racisme dans l’enseignement des mathématiques » et d’engager plus généralement « le tournant sociopolitique dans tous les aspects de l’éducation, y compris les mathématiques ». Pour ce faire, plus de cours, mais « l’orchestration de discussions productives de mathématiques » où les idées viendront spontanément des élèves. On ne devrait pas attendre des enfants noirs qu’ils maîtrisent la précision des mathématiques, mais on devrait les féliciter d’en parler autour d’eux […]. 

Que périssent les mathématiques au nom de la « lutte antiraciste » ! Il ne serait pas essentiel de « faire réellement des calculs », il faudrait plutôt « savoir de quoi il s’agit avec les mathématiques ». Mcwhorter constate que « tout le document est axé sur l’idée qu’il est immoral de faire en sorte que les enfants noirs soient précis ». Exiger des étudiants qu’ils montrent leur travail ou qu’ils lèvent la main avant de parler serait raciste. Mcwhorter conclut deux choses de ce manuel. D’abord, qu’il s’agit en fait de « racisme présenté comme de l’antiracisme ». Ensuite, Mcwhorter conclut que les promoteurs de cet enseignement antiraciste n’enseignent plus une science, mais une religion. « Les humains peuvent sacrifier un enfant de 9 ans, une vierge, ou une veuve sur le bûcher en l’honneur d’un dieu, les humains peuvent sacrifier les enfants noirs en les privant de la maîtrise des mathématiques, afin de montrer qu’ils sont suffisamment éclairés pour comprendre que leur vie peut être affectée par le racisme et que, par conséquent, elle devrait être protégée de tout ce qui est un véritable défi. » Cela, « ce n’est pas de la pédagogie ; c’est prêcher ». Et, comme le dit Mcwhorter, les propositions religieuses n’ont rien à faire sur la place publique et en particulier dans les écoles.

Formater les jeunes consciences

La religion woke ne se limite pas au seul monde universitaire, elle vise maintenant l’enseignement primaire et secondaire. Dans la mesure où les wokes sont des croyants convaincus, ils sont aussi des prosélytes. Ils veulent faire triompher leurs idées et former les nouvelles générations, plus malléables. Puisqu’il n’est pas toujours facile de convaincre des adultes que l’identité sexuelle n’a rien à voir avec le corps ou que le racisme est inhérent au fait d’être blanc, les wokes vont s’efforcer d’en persuader les enfants, dès leur plus jeune âge.

Le départ à la retraite des enseignants « boomers » leur laissera bientôt le champ libre. Dans l’ensemble du monde occidental, l’enseignement primaire et secondaire accorde désormais de plus en plus de place à l’enseignement du genre et à la promotion des identités transgenres. Il s’agit de dénoncer, dès la maternelle, les « stéréotypes sexuels » et d’encourager les enfants à « explorer » ou à « déconstruire le genre ». Les enfants doivent apprendre qu’il leur revient de choisir leur genre, qui ne dépend pas nécessairement de leur corps. En France, beaucoup de projets d’établissement scolaires visent à « détricoter les stéréotypes de genre », notamment à l’occasion des « Journées du matrimoine ». Ainsi se développe le « phénomène transgenre », qui voit des adolescents et des adolescentes demander à changer de genre ou de sexe. 

En France, une circulaire du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a repris sans précaution le langage de l’« affirmation de genre » propre aux militants trans, y compris pour les jeunes enfants : « Le seul indicateur fiable de l’identité de genre d’une personne, quel que soit son âge, est son autodétermination. » Cette circulaire préconise que toute la communauté éducative accompagne la transition sociale du jeune, en utilisant son « prénom d’usage », en ne discutant pas ses choix d’habillement et en le laissant utiliser les « espaces d’intimité » du genre qu’il se choisit. Comme l’ont noté récemment Caroline Eliacheff et Céline Masson [qui publient La Fabrique de l’enfant-transgenre aux Éditions de L’observatoire], « la transition dite sociale met l’enfant sur des rails qui le dirigent tout droit vers la transition médicale ». Cette volonté d’agir sur les très jeunes enfants se manifeste également autour de la question de la race. L’« éducation antiraciste » doit commencer le plus tôt possible puisque les enfants sont censés être racistes dès l’âge de six mois. Ibram X. Kendi a réalisé un bref livre d’images, Antiracist Baby, pour commencer cette éducation antiraciste dès le plus jeune âge. Les mêmes pratiques commencent à arriver dans les lycées et collèges français, où elles exacerbent les conflits communautaires. […]

C’est là que le mouvement woke prend ses aspects les plus inquiétants : il ne fait pas mystère de sa volonté d’endoctriner les enfants. Pour les wokes les plus militants, comme les juristes Richard Delgado et Jean Stefancic [universitaires américains considérés comme les pères de la théorie critique de la race], cette présence dans les écoles est le vrai signe de leur réussite :

« Voir la théorie critique de la race prendre son essor dans l’éducation a été une source de grande satisfaction pour nous deux. » Les années d’école, de collège et de lycée sont désormais des années d’endoctrinement continu par des enseignants qui ont eux-mêmes été convertis au wokisme à l’université. Il y a là une vraie dimension totalitaire et on ne peut que penser à la manière dont communistes et fascistes se sont efforcés d’enrégimenter les jeunes.

La religion woke
de Jean-François Braunstein
publié le 14 septembre 2022
chez Grasset
à Paris,
288 pp,
ISBN-10 : 2 246 830 311
ISBN-13 : 978-2246830313

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mercredi 14 septembre 2022

« La politique d'immigration irresponsable en Suède a contribué au succès inédit des droites »

Bouleversement politique ce mercredi en Suède. La Première ministre suédoise Magdalena Andersson a reconnu la défaite de la gauche et la victoire du bloc droite et de l’extrême droite aux élections législatives, après un comptage quasi complet des voix. En conséquence, la dirigeante sociale-démocrate a annoncé, au cours d’une conférence de presse, sa démission, qui sera officiellement présentée jeudi.

176 pour le bloc de droite, contre 173 pour le bloc de gauche

Billet du 13 septembre

Selon les premières estimations, la droite populiste, alliée avec la droite conservatrice, devrait l’emporter d’un souffle à l’issue des élections législatives en Suède. On ne connaîtra les chiffres définitifs que mercredi. Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, analyse ce résultat. Dominique Reynié est professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

LE FIGARO. — En Suède, une coalition de droite réunissant toutes les droites est sur le point remporter de peu les élections législatives.  Comment lire ce résultat dans un pays de tradition sociale-démocrate ?

Dominique REYNIÉ. — C’est indubitablement le prolongement des conséquences d’une politique irresponsable en matière d’immigration. Si la Suède est connue pour être la patrie de la social-démocratie, d’un État-providence très généreux, elle se caractérise surtout par son histoire migratoire.

De la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1990, ce pays accueillait, de façon modérée, une population immigrée venue de pays européens. Par la suite, la Suède a reçu sur son sol un nombre croissant d’immigrés, notamment issus de pays non européens, jusqu’à déstabiliser sa culture nationale. Et les gouvernements successifs, ainsi qu’une certaine classe médiatique, n’ont pas voulu considérer la réalité de ce problème.

M = droite traditionnelle, SD = droite populiste, S = sociaux-démocrates (gauche)
 
— Pourtant, la classe politique suédoise a opéré un virage à 180° sur la question migratoire ces dernières années. Cela n’a pas suffi ?

— Non, car ce problème a été ignoré pendant trop longtemps. Cette nouvelle population présente sur le territoire qui n’est pas intégrée, ou très mal intégrée fait désormais partie intégrante de la vie du pays. Ces difficultés d’intégration ne sont pas liées à un processus de ségrégation, de stigmatisation, mais elle est liée au faible niveau de diplômes de nombre d’une partie significative de personnes immigrées, principalement originaires de pays pauvres.

En 2005, au moment des émeutes dans diverses banlieues, la Suède ne comprenait pas ce qu’il se passait chez nous. Aujourd’hui, elle doit faire face à des trafics de drogue importants, une délinquance endémique et des guerres entre gangs rivaux. Plus marquants encore, les règlements de compte à coups de grenades sont devenus très courants. Ce pays a, en quelque sorte, a perdu aussi le contrôle de l’ordre public.

Conséquence : de nombreux Suédois adoptent un discours, sincère, de tolérance et louent le multiculturalisme, mais dans les faits, ils ne se mêlent pas aux immigrés extra-européens. Ils ne vivent pas ensemble, ne se marient pas entre eux. Ils vivent côte à côte et non ensemble.

 — La question migratoire est-elle la seule grille de lecture qui vaille pour comprendre le résultat de ce scrutin ?

— Non, la question migratoire et l’insécurité ne sont pas les seules explications à ce vote. La guerre en Ukraine, et la crise énergétique qui en découle, sont des éléments à prendre en compte. Toutefois, la progression des Démocrates de Suède [la droite populiste] dans les urnes est intimement liée à l’immigration. Il y a 20 ans, ce parti pesait 1,4 % des voix. Dimanche, près de 21 % des électeurs ont voté pour ce mouvement.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, à l’instar d’autres pays européens, la droite modérée suédoise est dépassée par une droite plus radicale. Et bien qu’il faille rester prudents, une alliance entre les Démocrates de Suède et la droite modérée n’est pas à exclure.

L’évolution des Démocrates de Suède est intéressante. Ce parti, historiquement constitué de forces d’extrême droite, est entré dans un processus de normalisation depuis quelques années. Désormais, il ne souhaite plus quitter l’Union européenne, il est favorable à l’État-providence, etc. À l’image du Rassemblement national en France.



 — À l’inverse, la gauche a obtenu un résultat historique à Stockholm, alors que la droite traditionnelle y recule nettement. Dans ce pays, y a-t-il une fracture entre les centres-villes, davantage acquis aux sociaux-démocrates, et le reste de la population ?

— Effectivement. Il est tout à fait étonnant de constater que cette géographie, cette sociologie électorale se retrouve dans de nombreux pays occidentaux. On l’a vu avec le Brexit, les électeurs de Trump, les populistes autrichiens, l’Italie, les Pays-Bas dans une certaine mesure. D’ailleurs, même la Turquie n’y échappe pas. On le constate en regardant la sociologie du vote Erdoğan. Ce phénomène ne semble pas près de s’arrêter. Il est en pleine expansion.


Reportage sur la guerre des bandes en Suède (Arte, très politiquement correct)

 

Source : Le Figaro

Voir aussi 

La montée de l’ethno-nationalisme dans la politique suédoise

Émeutes en Suède : l'intégration des immigrés est un échec, selon la Première ministre

Pourquoi le Danemark s’oppose désormais à l’immigration 

 
 
 
 

dimanche 11 septembre 2022

samedi 10 septembre 2022

Derrière le paravent de l’égalité et de l’«inclusivité», les antiracistes propagent la haine de l’Occident, selon l'essayiste Douglas Murray

Dans son nouveau livre, « Abattre l’Occident », l’essayiste conservateur anglais tente de déconstruire l’idéologie des nouveaux antiracistes. Selon lui, derrière le paravent de l’égalité et de l’« inclusivité », ces derniers propagent la haine de l’Occident. Pour Douglas Murray, le meilleur moyen de combattre cette offensive est d’en finir avec la culture de la culpabilité et de lui opposer une culture de la gratitude.

— Votre livre s’intitule « Abattre l’Occident. Comment l’antiracisme est devenu une arme de destruction massive ». Est-ce à dire que vous êtes désormais contre l’antiracisme ? Ne faut-il pas distinguer l’antiracisme positif de l’antiracisme malavisé ? 

— Bien sûr, c’est ce que nous devons faire. Presque tout le monde dans nos sociétés est opposé au racisme. Le racisme est l’une des attitudes humaines les plus laides. Mais ce que les Américains appellent aujourd’hui « antiracisme », tel qu’il est décrit par des théoriciens modernes de la race comme Ibram X. Kendi, n’est en fait qu’une nouvelle forme de racisme. Il dit des choses sur des groupes de personnes en généralisant et diabolisant chaque groupe. Ces nouveaux antiracistes sont racistes à l’égard des Blancs et ceci est désormais considéré comme autorisé et même encouragé. Je pense que tout ceci est pernicieux et risque d’être hautement contre-productif. Après tout, si vous dites à un groupe minoritaire qu’il est mauvais, qu’il n’y a rien de bon à dire sur lui et qu’il ne peut rien faire pour expier sa culpabilité innée sauf disparaître, il est peu probable que cette minorité se laisse convaincre. Mais lorsqu’il s’agit de la nouvelle guerre contre les Blancs, c’est une guerre menée contre les populations majoritaires de l’Occident. La probabilité qu’une majorité continue à accepter qu’on lui parle de cette manière me paraît faible. C’est une des raisons pour lesquelles ce nouvel antiracisme doit être stoppé net. Permettez-moi également d’ajouter que, selon moi, nous parlons en réalité d’anti-occidentalisme. Il en existe de nombreuses formes : l’anti-occidentalisme arabe, l’anti-occidentalisme chinois. Mais celui qui m’intéresse le plus (et que je cherche à démonter pièce par pièce) est celui que j’appelle anti-occidentalisme occidental. La haine de l’Occident depuis l’intérieur de l’Occident.

—  Ce que vous décrivez dans le livre est une guerre contre l’Occident menée par les Occidentaux eux-mêmes. Pourquoi celle-ci commence-t-elle selon vous par « la corruption du vocabulaire » ?

— Comme nous venons de le voir avec les mots « racisme » et « antiracisme », tout le langage est corrompu. L’antiracisme aujourd’hui est en fait un racisme. Les idées qui sont censées renforcer l’égalité, l’« inclusivité » provoquent en fait la division. Le terme de « discrimination positive » et bien d’autres expressions se sont d’ailleurs infiltrés dans notre vocabulaire, principalement depuis les universités américaines.

—  Le concept de « race » que combattaient autrefois la plupart des progressistes est ainsi devenu central pour les nouveaux antiracistes… 

—  Oui. Les anciens racistes croyaient que la race était immuable, non transférable et qu’elle impliquait une impossibilité de communiquer au-delà des frontières raciales. Les nouveaux antiracistes croient la même chose. Ils pensent, par exemple, que les frontières culturelles doivent être respectées (mais dans un seul sens). Ainsi, alors que certains racistes de la vieille école voulaient garder leur propre culture pure, les nouveaux racistes pensent que l’appropriation culturelle (ou l’apprentissage mutuel, comme nous l’appelions autrefois) est profondément déplorable. Ils considèrent que la culture occidentale est un vol et que toutes les « cultures indigènes » doivent être conservées dans une sorte de bulle et ne jamais être touchées. Dans le chapitre de mon livre où je traite de la culture, j’examine les conséquences dévastatrices de cette attitude. Les Américains qui défendent des idées comme l’« appropriation culturelle » ne s’intéressent pas à la véritable nature de l’art occidental. Parce qu’ils ne le peuvent pas. Après tout, comme je le dis dans le livre, Olivier Messiaen a-t-il volé lorsqu’il s’est inspiré du rythme indien dans ses compositions musicales ? Bien sûr que non. Il lui rendait plutôt hommage et apprenait de lui. Il en va de même pour Benjamin Britten avec la musique balinaise. Ou la plupart des grands peintres et poètes français. L’idée que notre culture est une culture du vol est une idée profondément régressive présentée sous l’apparence du progrès.

« Woke » est un terme que je n’aime pas, car il fait croire que ces attaques sont frivoles, légères, ce qui n’est vraiment pas le cas. C’est en fait une offensive fondamentale contre tout ce qui concerne notre culture et notre passé ».
—  C’est aussi une réécriture de l’Histoire…

—  La principale réécriture concerne le passé occidental qui se trouve ainsi tout entier entaché des péchés de l’esclavage, du colonialisme et du racisme. Personne ne nie que ce sont des aspects de notre passé. Mais ils ne constituent pas la somme totale de notre passé, et encore moins le seul prisme à travers lequel regarder tout le reste. Nous ne le ferions pour aucune autre culture, mais grâce aux théoriciens américains de l’antiracisme, ces erreurs sont devenues la seule façon d’appréhender ce qu’ils appellent « l’histoire blanche ». Ils parlent par exemple du « péché fondamental » de l’Amérique, l’esclavage. Mais attention, tout le monde peut jouer à ce jeu. Pourquoi seuls les pays occidentaux auraient-ils des péchés fondateurs ? Quel est le péché fondamental du Nigeria ou du Gabon, par exemple ? Ces pays en ont évidemment un. Après tout, si nous en avons un, pourquoi pas tous les autres pays, toutes les autres civilisations ? pourquoi faut-il que seul l’Occident soit placé sur le banc des accusés et que tous les autres soient considérés comme des innocents édéniques ? C’est une forme de racisme en soi. La plupart des gens font remonter cette attitude à rousseau, mais comme je le montre, elle est bien antérieure. L’Occident a toujours cherché à présenter les autres cultures comme meilleures afin d’éclairer d’un jour critique certains aspects de sa propre culture. Et cela a une certaine vertu, même si elle n’est pas infinie. Voltaire a fait remarquer que la seule chose pire que ce que les Européens blancs faisaient en vendant les Africains noirs était ce que les Africains noirs faisaient en vendant leurs frères et sœurs ou en les spoliant, comme nous le savons aujourd’hui grâce aux Mémoires de personnes comme Olaudah Equiano. Est-ce que nous blâmons les Africains d’aujourd’hui pour cela ? Je ne vois pas pourquoi. Dans ce cas, pourquoi devons-nous blâmer les Occidentaux pour des crimes commis il y a des siècles ?

— Vous rappelez dans votre livre que les détracteurs du racisme ou du sexisme ciblent systématiquement les Occidentaux alors que des pays, comme la Chine, où sont commises les pires atrocités contemporaines, sont au contraire épargnés par les critiques. Comment expliquez-vous ce « deux poids, deux mesures » ?

— Je crois que notre sens inné de l’autocritique est utilisé contre nous. Et je crois que nos concurrents et rivaux sur la scène mondiale l’utilisent tout particulièrement. regardez la façon dont le parti communiste chinois joue sur l’autocritique occidentale. L’un des organes de propagande du pCC a récemment publié une caricature (en anglais) de l’Oncle Sam dans le bureau ovale, entouré de cadavres. Le texte d’accompagnement parlait de George Floyd et de la séparation des familles à la frontière mexicaine, affirmant que l’Amérique a toujours été raciste. il n’est pas nécessaire d’être un génie pour savoir ce qui se passe. Mais il faut être fou pour croire que le pCC se soucie le moins du monde du racisme ou de la séparation des familles. Demandez aux habitants de la province du Xinjiang ce qu’ils en pensent, ce million de personnes dans les camps de concentration en Chine. Et bien d’autres…

—  N’est-ce pas aussi l’une des forces spécifiques de l’Occident que de douter de lui-même et d’être capable de se remettre en question ?

—  En effet, c’est un aspect très important. Mais nous devons être attentifs aux moments où l’autocritique est utilisée contre nous. Nous devons également être conscients du moment où l’autocritique se transforme en abus de soi, en dégoût de soi et en autodestruction. Depuis la sortie de mon livre, un certain nombre de personnes m’ont demandé comment faire la différence entre un bon usage de l’autoexamen et une dérive nocive. Je réponds que nous pouvons tous le faire — et que nous le faisons — dans notre vie personnelle. Par exemple, nous acceptons les conseils qui pourraient nous aider à nous améliorer de la part de personnes dont nous savons qu’elles nous veulent du bien. si un ami, un membre de ma famille ou une personne que j’admire me donne des conseils, je les écoute. Mais si quelqu’un me disait qu’il déteste tout ce que j’écris, qu’il déteste ma voix, mes vêtements, mon visage, et bien d’autres choses encore, il est probable que je supposerais que cette personne ne me veut pas du bien. Et je ne suivrais certainement pas ses conseils. Les anti-Occidentaux d’aujourd’hui détestent tout ce qui concerne l’Occident. ils ne souhaitent pas l’améliorer, ils souhaitent le détruire, l’abattre. Je suggère fortement que nous réalisions cela, que nous identifiions ce qu’ils font et que nous les repoussions.

—  De même, ne surestime-t-on pas l’influence réelle du phénomène woke ? Vous proposez de le combattre, mais le meilleur moyen de le combattre n’est-il pas de l’ignorer ou de le mépriser ?

—  « Woke » est un terme que je n’aime pas car il fait croire que ces attaques sont frivoles, légères, ce qui n’est vraiment pas le cas. Ce qu’on appelle woke est en fait une offensive fondamentale contre tout ce qui concerne notre culture et notre passé. Et nous ne pouvons pas l’ignorer. Ce que je pense, c’est que nous devrions le comprendre, puis essayer de nous en détacher et de le démonter à notre tour. En termes intellectuels, ce qui s’est passé, c’est que la « théorie » déconstructiviste française est arrivée en Amérique il y a quelques décennies, que les académies américaines lui ont donné une tournure raciale américaine et qu’elle nous a ensuite été renvoyée à toute vitesse. Les pays anglophones sont particulièrement vulnérables à ce phénomène, c’est pourquoi le mouvement woke est si fort dans certaines régions du Canada, ainsi qu’au royaumeUni et en Australie. Mais les Français auraient raison de nous engager à nous éloigner de tout cela. J’avais l’habitude de penser que l’Amérique était un importateur net de mauvaises idées. Ces dernières années, elle est devenue un exportateur net de mauvaises idées. Nous devrions essayer de rejeter ces importations particulières. Nous avons nos propres problèmes, mais nous devons nous assurer que nous ne faisons pas nôtres ceux de l’Amérique.

— Le wokisme est implanté à l’université, mais aussi à l’école. Le principal risque n’est-il pas de fabriquer une génération d’ignorants ?

— Pas seulement d’ignorants, mais d’ignorants malveillants et endoctrinés contre leurs propres sociétés. Je cite souvent Nietzsche dans mon livre. Avec précaution, comme il faut toujours le faire avec lui. Mais il y a plusieurs aspects particuliers de la Généalogie de la morale qui m’ont paru pertinents pour notre époque. Le premier est que nous sommes confrontés à une génération de gens qui parlent de justice mais qui veulent se venger. Le second aspect est que nous avons aussi devant nous une génération de personnes qui encouragent à rouvrir des plaies qui sont depuis longtemps guéries pour pouvoir pleurer ensuite sur leur douleur. C’est une synthèse rapide mais malheureusement très juste de certains côtés de notre condition actuelle.

—  Pour quelles raisons pensez-vous que les wokistes et les nouveaux antiracistes veulent à tout prix détruire l’Occident ? Est-ce lié à l’absence de sens de nos sociétés ? 

—  ll y a des vides, certes, et l’une des grandes tâches de cette génération doit être de les combler ou du moins de viser à les combler. Mais comme je le dis vers la fin de mon livre, la réponse doit venir d’un niveau très profond. Nos sociétés sont poussées à se transformer en sociétés du ressentiment. Je pense qu’il n’y a qu’une seule réponse à cela, c’est d’inverser la tendance. La seule réponse au ressentiment, celle qui s’adresse aux mêmes profondeurs, c’est la culture de la gratitude. C’est ce qui manque le plus. Où est cette fichue gratitude pour tout ce que nous avons ? Après tout, naître en France ou en Amérique au XXie siècle, c’est encore gagner à la loterie de la vie. pensez à d’autres endroits où vous pourriez naître. Et faire partie d’une culture telle que la nôtre, c’est loin d’être négligeable. pourtant, qui ose aujourd’hui aborder ce sujet ? Lorsque j’ai écrit L’Étrange Suicide de l’Europe, j’ai dit que l’un de nos problèmes en Occident était que nous ne savions pas quoi faire de notre chance. Mais j’ai changé d’avis à ce sujet. Un sportif américain, branch rickey, a dit un jour une très belle chose sur la chance. il a dit : « La chance est un fruit de l’existence. » Le fait qu’une si grande partie du monde veuille venir en Occident (et non l’inverse) suggère que quelque chose doit être bon chez nous. Et je suggère que s’il y a quelque chose de bon aujourd’hui, c’est parce que nous et ceux qui nous ont précédés avons fait des choses qui étaient bonnes dans le passé. Nous avons fait de bons choix. Ou du moins de meilleurs choix que d’autres. J’aimerais que nous réfléchissions à ces bonnes choses, et que nous les chérissions davantage.

Source : Le Figaro Magazine

Voir aussi

En finir avec le masochisme occidental