samedi 17 septembre 2022

« Le mouvement woke ne fait pas mystère de sa volonté d’endoctriner les enfants »

Phénomène de société, le mouvement woke est critiqué par de nombreux livres qui s’attachent à réfuter cette idéologie née dans les campus américains avant de traverser l’Atlantique. S’appuyant sur une documentation abondante et précise, le nouvel essai du philosophe Jean-François Braunstein se distingue cependant par sa densité et sa rigueur. Le professeur émérite de philosophie à la Sorbonne voit dans le wokisme bien plus qu’une simple vague de « folie passagère » ou un snobisme intellectuel. C’est, pour lui, un authentique fanatisme : ses adeptes, profondément intolérants, déguisent des opinions en science et se croient tenus d’endoctriner.

Extraits

« Les hommes sont enceints », « les femmes ont des pénis », « les trans femmes sont des femmes », « tous les Blancs sont racistes », « tous les Noirs sont des victimes », « la biologie est viriliste », « les mathématiques sont racistes », « Churchill est raciste », « Schœlcher est esclavagiste », etc.

 De telles proclamations surprennent par leur côté absurde. Elles constituent pourtant les énoncés de base de la pensée woke, cette pensée « éveillée » qui tend à s’imposer dans l’ensemble des sociétés occidentales. Elle se fonde sur des théories comme la « théorie du genre », la « théorie critique de la race » ou la « théorie intersectionnelle » qui sont devenues paroles d’évangile dans nos universités. Les wokes expliquent que le genre est au choix et que seule compte la conscience que l’on a d’être homme ou femme ou n’importe quoi d’autre. La race redevient un déterminant essentiel de nos existences en société : les Blancs seraient par définition racistes et les « racisés » ne pourraient l’être en aucun cas. Quant à l’intersectionnalité, elle est un « outil » pour potentialiser toutes les identités victimaires et appeler à la lutte contre le responsable de ces discriminations. Il est tout trouvé, c’est l’homme blanc occidental hétérosexuel, par définition sexiste, raciste et colonialiste, qui est le « bouc émissaire parfait ». Ceux qui n’acceptent pas ces théories wokes sont dénoncés sur les réseaux sociaux et, chaque fois que cela est possible, chassés de leur poste, à l’université ou ailleurs. Les médias et bon nombre de politiques embrassent ces théories avec enthousiasme et ce qui n’était naguère qu’une curiosité américaine est devenu, à une vitesse extraordinaire, le discours officiel de nos élites. On pourrait être tenté de se rassurer en se disant que cela ne touche que les facultés de lettres et de sciences humaines, qui en ont vu d’autres. Mais c’est aujourd’hui dans les facultés de sciences et de médecine que se poursuit l’offensive woke : les sciences dures elles-mêmes sont mises en accusation comme « racistes » et « virilistes ».


Jean-François Braunstein débat avec Mathieu Bock-Coté et Arthur de Watrigant sur le wokisme

Mais le wokisme ne se limite pas au monde de l’éducation. Comme l’a très justement noté le journaliste américain Andrew Sullivan, « nous vivons tous sur les campus maintenant ». Les élites occidentales, devenues militantes pendant leurs études, diffusent maintenant ces idées sur les réseaux sociaux, dans les médias, l’édition et les industries culturelles. Dans les grandes entreprises se développe un capitalisme woke qui met en place des politiques « diversité, équité, inclusion », c’est-à-dire des politiques de discrimination positive qui vont contre tous les principes méritocratiques. Les GAFAM, comme Netflix et les réseaux sociaux, font une promotion massive d’une pensée politiquement correcte […]. 

Avec le wokisme, nous avons ainsi proprement affaire à une nouvelle religion. Certains auteurs américains sont persuadés qu’il s’agit là de la « prochaine religion américaine » qui veut « effacer toute la mémoire historique de la civilisation », comme le christianisme devenu religion d’État au IVE siècle avait voulu effacer l’ensemble du monde gréco-romain. Le caractère très intolérant de la religion woke et son refus de s’adresser à ceux qui ne partagent pas son point de vue, son absence de transcendance, font qu’elle ressemble plus exactement, pour l’instant, à une secte à dimension politique et sociale.

Entretien de J-F. Braunstein à l'émission Idées du Figaro

Le « privilège Blanc » équivalent du péché originel

Le spécialiste de Tocqueville qu’est Joshua Mitchell a fait le rapprochement entre les wokes et le post-protestantisme. Il évoque un Great Awokening, un Grand Réveil woke, qui ferait écho aux Grands Réveils (Great Awakenings) protestants des siècles passés. Mais Mitchell insiste sur deux différences essentielles : avec la religion woke, « nous vivons au milieu d’un Réveil américain (…), mais sans Dieu et sans pardon ». Le « privilège blanc » semble alors être l’équivalent d’une sorte de péché originel. Le Blanc est coupable du fait que ses ancêtres ont opprimé, et qu’il continue d’opprimer, les Noirs et toutes les personnes de couleur. Il est responsable de quasiment tout le mal qui existe sur la terre. Mais ce privilège est en un sens plus grave que le péché originel. En effet, à la différence du péché, qui est en général le résultat d’un choix libre, le nôtre ou celui d’Adam, le privilège blanc est un fait biologique, dont il est absolument impossible de se défaire. […]

La « masculinité toxique », qui affecte tout homme en tant qu’il est du sexe masculin, doit elle aussi être condamnée. Cette « masculinité toxique » serait responsable d’une bonne part de la violence dans le monde, soit à l’égard des femmes, soit pour les hommes eux-mêmes, qui souffrent des tensions que cette masculinité entraîne à l’intérieur d’eux. La très officielle Association américaine des psychologues, L’APA, explique qu’« il a été démontré que la socialisation pour se conformer à l’idéologie de la masculinité traditionnelle limite le développement psychologique des hommes, contraint leur comportement, entache leur rôle de genre, entraîne un conflit entre les rôles de genre et influence négativement la santé mentale et physique ». Il y aurait alors peut-être une solution à essayer, si l’homme consent à « se déconstruire ». Selon un auteur français bien-pensant, tout prêt à « se démasculiniser », « il faut être capable de se défaire de l’éducation qu’on a reçue, des réflexes qu’on a acquis, de l’idéologie de genre qu’on s’est forgée, de l’atmosphère de tolérance [envers l’“idéologie de la masculinité traditionnelle”] qui nous entoure, jusqu’à renoncer à être ce que l’on a toujours été ». Mais ce n’est qu’un modeste palliatif pour tenter momentanément de pallier le « virilisme », cela ne nous en libérera pas définitivement. On pourrait pourtant aujourd’hui envisager une autre solution plus radicale, qui a un certain succès. Si on ne veut plus être un homme, pourquoi ne pas tout simplement devenir une femme ? On peut bien changer de genre et devenir transgenre, ou si l’on veut aller jusqu’au bout de la transformation, devenir transsexuel. Ce type de changement est non seulement assez largement accepté, mais il est même encouragé.

Les trans contre les Femmes

De plus en plus, comme le note Helen Joyce (journaliste britannique, NDLR), « des hommes qui ont violé et torturé des femmes obtiennent d’être transférés dans des prisons de femmes » avec des conséquences dramatiques pour la sécurité. Le problème est que l’on préfère mettre en danger la majorité au profit d’une infime minorité de militants convaincus, qui se présentent comme des victimes éternelles. Leurs droits comme trans passent avant la sécurité des femmes emprisonnées.

De même, les compétitions sportives féminines sont de plus en plus ouvertes aux hommes trans qui se déclarent femmes, indépendamment de toute considération physiologique. Ainsi, Lia Thomas, nageuse transgenre, a remporté très facilement en mars 2022 le 500 yards nage libre des championnats universitaires féminins américains : quatre ans auparavant, Lia Thomas concourait encore dans les compétitions masculines. Comme l’a très bien montré Linda Blade, ancienne championne et entraîneuse d’athlétisme, ces revendications signifient à terme la fin des compétitions féminines. Soumises à l’activisme trans, les fédérations sportives, les unes après les autres, ouvrent les compétitions féminin es aux athlètes hommes qui s’autoidentifient comme femmes, sans aucun critère physiologique. Blade se bat contre cette tendance profondément misogyne : « Soyons également réalistes : le sport est une chasse gardée basée sur la biologie. La recommandation d’ouvrir le sport féminin à des mâles est sans doute, quelle que soit l’intention, la décision la plus misogyne jamais prise dans l’histoire du sport. » En effet, statistiquement, les athlètes masculins sont 40 % plus lourds, 15 % plus rapides, 30 % plus puissants, et 25 à 50 % plus forts que leurs homologues féminins, indépendamment de quelque intervention hormonale. L’idée que les trans hommes devenus femmes sont des femmes signe la fin du sport féminin et la revendication trans est devenue un moyen d’évincer définitivement les femmes du sport.


« Le mouvement woke est une secte »

Un antiracisme destructeur pour les noirs

Dans son dernier livre, Le Racisme woke. Comment une nouvelle religion a trahi l’Amérique noire, John Mcwhorter, professeur de linguistique à Columbia, démontre que les conséquences de ce soi-disant nouvel antiracisme sont particulièrement destructrices pour les Noirs. Mcwhorter s’en prend en particulier à un manuel de mathématiques qui souhaite « démanteler le racisme dans les cours de mathématiques » et qui fait partie du programme de « mathématiques équitables » de la fondation Gates. Ce livre se place sous la bannière d’Ibram X. Kendi et Robin Diangelo [essayistes et universitaire américains], pour expliquer que « la culture de la suprématie blanche se manifeste dans les classes de mathématiques lorsque l’accent est mis sur l’obtention de la “bonne” réponse plutôt que sur la compréhension des concepts et du raisonnement ». Le but serait de « démanteler le racisme dans l’enseignement des mathématiques » et d’engager plus généralement « le tournant sociopolitique dans tous les aspects de l’éducation, y compris les mathématiques ». Pour ce faire, plus de cours, mais « l’orchestration de discussions productives de mathématiques » où les idées viendront spontanément des élèves. On ne devrait pas attendre des enfants noirs qu’ils maîtrisent la précision des mathématiques, mais on devrait les féliciter d’en parler autour d’eux […]. 

Que périssent les mathématiques au nom de la « lutte antiraciste » ! Il ne serait pas essentiel de « faire réellement des calculs », il faudrait plutôt « savoir de quoi il s’agit avec les mathématiques ». Mcwhorter constate que « tout le document est axé sur l’idée qu’il est immoral de faire en sorte que les enfants noirs soient précis ». Exiger des étudiants qu’ils montrent leur travail ou qu’ils lèvent la main avant de parler serait raciste. Mcwhorter conclut deux choses de ce manuel. D’abord, qu’il s’agit en fait de « racisme présenté comme de l’antiracisme ». Ensuite, Mcwhorter conclut que les promoteurs de cet enseignement antiraciste n’enseignent plus une science, mais une religion. « Les humains peuvent sacrifier un enfant de 9 ans, une vierge, ou une veuve sur le bûcher en l’honneur d’un dieu, les humains peuvent sacrifier les enfants noirs en les privant de la maîtrise des mathématiques, afin de montrer qu’ils sont suffisamment éclairés pour comprendre que leur vie peut être affectée par le racisme et que, par conséquent, elle devrait être protégée de tout ce qui est un véritable défi. » Cela, « ce n’est pas de la pédagogie ; c’est prêcher ». Et, comme le dit Mcwhorter, les propositions religieuses n’ont rien à faire sur la place publique et en particulier dans les écoles.

Formater les jeunes consciences

La religion woke ne se limite pas au seul monde universitaire, elle vise maintenant l’enseignement primaire et secondaire. Dans la mesure où les wokes sont des croyants convaincus, ils sont aussi des prosélytes. Ils veulent faire triompher leurs idées et former les nouvelles générations, plus malléables. Puisqu’il n’est pas toujours facile de convaincre des adultes que l’identité sexuelle n’a rien à voir avec le corps ou que le racisme est inhérent au fait d’être blanc, les wokes vont s’efforcer d’en persuader les enfants, dès leur plus jeune âge.

Le départ à la retraite des enseignants « boomers » leur laissera bientôt le champ libre. Dans l’ensemble du monde occidental, l’enseignement primaire et secondaire accorde désormais de plus en plus de place à l’enseignement du genre et à la promotion des identités transgenres. Il s’agit de dénoncer, dès la maternelle, les « stéréotypes sexuels » et d’encourager les enfants à « explorer » ou à « déconstruire le genre ». Les enfants doivent apprendre qu’il leur revient de choisir leur genre, qui ne dépend pas nécessairement de leur corps. En France, beaucoup de projets d’établissement scolaires visent à « détricoter les stéréotypes de genre », notamment à l’occasion des « Journées du matrimoine ». Ainsi se développe le « phénomène transgenre », qui voit des adolescents et des adolescentes demander à changer de genre ou de sexe. 

En France, une circulaire du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a repris sans précaution le langage de l’« affirmation de genre » propre aux militants trans, y compris pour les jeunes enfants : « Le seul indicateur fiable de l’identité de genre d’une personne, quel que soit son âge, est son autodétermination. » Cette circulaire préconise que toute la communauté éducative accompagne la transition sociale du jeune, en utilisant son « prénom d’usage », en ne discutant pas ses choix d’habillement et en le laissant utiliser les « espaces d’intimité » du genre qu’il se choisit. Comme l’ont noté récemment Caroline Eliacheff et Céline Masson [qui publient La Fabrique de l’enfant-transgenre aux Éditions de L’observatoire], « la transition dite sociale met l’enfant sur des rails qui le dirigent tout droit vers la transition médicale ». Cette volonté d’agir sur les très jeunes enfants se manifeste également autour de la question de la race. L’« éducation antiraciste » doit commencer le plus tôt possible puisque les enfants sont censés être racistes dès l’âge de six mois. Ibram X. Kendi a réalisé un bref livre d’images, Antiracist Baby, pour commencer cette éducation antiraciste dès le plus jeune âge. Les mêmes pratiques commencent à arriver dans les lycées et collèges français, où elles exacerbent les conflits communautaires. […]

C’est là que le mouvement woke prend ses aspects les plus inquiétants : il ne fait pas mystère de sa volonté d’endoctriner les enfants. Pour les wokes les plus militants, comme les juristes Richard Delgado et Jean Stefancic [universitaires américains considérés comme les pères de la théorie critique de la race], cette présence dans les écoles est le vrai signe de leur réussite :

« Voir la théorie critique de la race prendre son essor dans l’éducation a été une source de grande satisfaction pour nous deux. » Les années d’école, de collège et de lycée sont désormais des années d’endoctrinement continu par des enseignants qui ont eux-mêmes été convertis au wokisme à l’université. Il y a là une vraie dimension totalitaire et on ne peut que penser à la manière dont communistes et fascistes se sont efforcés d’enrégimenter les jeunes.

La religion woke
de Jean-François Braunstein
publié le 14 septembre 2022
chez Grasset
à Paris,
288 pp,
ISBN-10 : 2 246 830 311
ISBN-13 : 978-2246830313

Voir aussi 

Le wokisme : des protestants puritains athées 

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