lundi 29 septembre 2025

Le mariage entre cousins germains au Royaume-Uni : la santé publique cède-t-elle au calcul électoral ?

Alors que le député conservateur Richard Holden dénonce avec vigueur la « complaisance » du NHS envers les mariages consanguins, le gouvernement de Keir Starmer reste silencieux. Pourtant, les chiffres sont éloquents : à Bradford, ville du nord de l’Angleterre, où près de 50 % des unions au sein des communautés indo-pakistanaises sont endogames, 700 à 800 enfants naissent chaque année avec des maladies génétiques graves, liées à cette pratique. Malgré l’urgence sanitaire, le Parti travailliste, soucieux de préserver ses circonscriptions à forte population sud-asiatique (il a remporté les 4 circonscriptions électorales de Bradford en 2024), semble préférer l’immobilisme à l’action. 

Un débat notamment relancé par des directives controversées du NHS

En septembre 2025, le Programme d’éducation génomique du NHS a publié des directives soulignant, de manière pour le moins surprenante, les « avantages non médicaux » des mariages entre cousins germains.  Parmi ceux-ci figurent des arguments socio-économiques, comme la stabilité financière des familles ou le renforcement des liens communautaires. Étonnant pour un service de santé national qui sortait ainsi de ses prérogatives. Une approche qui, loin de rassurer, a suscité l’indignation. Comme l’a rappelé le député conservateur Richard Holden dans les colonnes du Mail on Sunday, « le rôle du NHS n’est pas de promouvoir des pratiques culturelles, mais de protéger la santé des citoyens ».

Des risques de maladies bien réels

Les risques sont bien réels : les enfants issus de ces unions ont deux fois plus de risques de développer des pathologies graves (drépanocytose, thalassémie, mucoviscidoses, malformations congénitales) que ceux nés de parents sans lien de parenté. Chez ces enfants, 4 à 6 % des naissances sont affectées par ces pathologies, contre 2 à 3 % dans la population générale.  Le risque de 2-3 % concerne les maladies récessives graves ou modérément sévères détectables à la naissance ou dans les premières années (ex. : mucoviscidose, drépanocytose, phénylcétonurie). Cela exclut les maladies plus rares ou à apparition tardive (p. ex. : certaines formes de cancer d'origine génétique). Ces maladies peuvent nécessiter des soins intensifs, des hospitalisations fréquentes ou des traitements coûteux (ex. : thérapies géniques émergentes comme Trikafta pour la mucoviscidose). Des chiffres qui semblent relégués au second plan au profit d’une approche relativiste, où la santé des enfants est subordonnée à des considérations identitaires ou électoralistes.

Selon une étude de 2010 de l’Université de Bradford, environ 25-30 % des mariages dans les communautés britanniques d’origine pakistanaise et bangladaise sont entre cousins germains. Les taux sont plus élevés dans certaines villes comme Bradford, Birmingham ou Manchester, où les communautés sud-asiatiques sont concentrées. À Bradford, jusqu’à 50 % des mariages dans ces communautés peuvent être consanguins. 

Un gouvernement travailliste en difficulté, pris entre deux feux

Keir Starmer, dont le parti est en chute libre dans les sondages, se trouve face à un dilemme. D’un côté, une partie de l’électorat britannique, toutes origines confondues, soutiendrait une interdiction de ces mariages, comme le suggère le député Richard Holden. De l’autre, des circonscriptions clés, où les communautés sud-asiatiques sont majoritaires, pourraient lui reprocher une mesure perçue comme stigmatisante.

Le Premier ministre paraît préférer temporiser, proposant des mesures d’accompagnement (conseil génétique, dépistage) sans remettre en cause la légalité de ces unions. Une position que ses détracteurs qualifient de « lâcheté », d’autant que des pays comme la France ont depuis longtemps choisi l’interdiction, avec des résultats tangibles en matière de réduction des risques génétiques.

L’héritage occidental : une leçon ignorée ?

Contrairement à une idée reçue, l’interdiction des mariages consanguins n’est pas une invention moderne. Dès le Moyen Âge, l’Église catholique avait instauré des règles strictes pour éviter les risques génétiques, façonnant ainsi une Europe où ces unions sont devenues marginales.

Les cartes présentées ici illustrent l’impact historique de l’influence de l’Église médiévale sur les pratiques matrimoniales et leurs conséquences sociales à travers le monde. 


Carte A : Exposition à l’influence de l’Église médiévale.

Cette carte mesure la durée d’exposition à l’autorité de l’Église catholique médiévale, en années, dans différentes régions. L’Europe occidentale (notamment la France, l’Italie, l’Allemagne) et une partie de l’Amérique du Nord (par l'apport d'Occidentaux) affichent une exposition prolongée, allant de 861 à 1000 ans, reflétant une domination ecclésiastique marquée depuis le Haut Moyen Âge. En revanche, des régions comme l’Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient, l’Inde et une grande partie de l’Asie du Sud-Est sont largement exemptes de cette influence prolongée, avec une exposition nulle ou très limitée (0 à 30 ans), en raison de l’absence d’implantation durable de l’Église catholique dans ces zones.

Contexte historique de l’interdiction des mariages consanguins

Cette exposition a coïncidé avec les politiques matrimoniales de l’Église catholique, qui a commencé à interdire les mariages consanguins dès le IVe siècle, une règle confirmée au Moyen Âge (notamment par le Concile de Latran IV en 1215). Ces interdictions limitaient les unions jusqu’au quatrième degré (voire le 7e degré) de parenté (incluant les cousins germains) sans dispenses papales, visant à promouvoir l’exogamie et à réduire les structures claniques. Les régions fortement influencées par l’Église ont donc été soumises à cette régulation, tandis que celles en étant exemptes ont conservé des pratiques d’endogamie plus marquées.

Carte B : Intensité de la parenté (indice de consanguinité)

En contraste, la carte B révèle une intensité de parenté élevée (indice de consanguinité) dans les régions non influencées par l’Église médiévale. L’Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient, l’Inde et certaines parties de l’Asie du Sud-Est affichent des taux élevés (zones rouges), indiquant une forte prévalence de mariages consanguins, notamment entre cousins. Ces zones, exemptes de l’influence normative de l’Église, ont maintenu des traditions d’endogamie, favorisant les unions au sein de cercles familiaux étroits pour des raisons sociales, économiques ou culturelles.

(cliquer pour agrandir)


Graphiques A, B et C : Corrélations sociales

Les graphiques (A, B, C) établissent des liens statistiques entre la fréquence des mariages consanguins et des traits sociaux :  
  • Graphique A : Une corrélation négative significative (-0,54, p < 0,001) entre le taux de mariages consanguins et l’individualisme, suggérant que les sociétés pratiquant l’endogamie tendent à valoriser la collectivité familiale au détriment de l’autonomie individuelle.  
  • Graphique B : Une corrélation positive significative (0,71, p < 0,001) entre les mariages consanguins et la conformité-obéissance, indiquant que ces sociétés privilégient l’adhésion aux normes familiales et sociales.  
  • Graphique C : Une corrélation négative significative (-0,78, p < 0,001) entre les mariages consanguins et la confiance généralisée, montrant que l’endogamie est associée à une moindre cohésion sociale ou confiance envers des cercles extérieurs à la famille.
Interprétation globale

Plus la fréquence des mariages entre cousins est élevée, plus les sociétés semblent orientées vers des structures collectivistes, avec une moindre attention portée à l’individu et une confiance sociale réduite au-delà des liens familiaux.   Cette tendance est particulièrement marquée dans les régions exemptes de l’influence de l’Église médiévale, où l’absence de restrictions sur la consanguinité s'accompagne de pratiques d’endogamie durablement ancrées.

Historique de la Légalité et Comparaison Internationale
  • Royaume-Uni : Le mariage entre cousins germains est légal depuis depuis la Réforme protestante du XVIe siècle.
  • Droit canon : interdit le mariage entre parents proches (jusqu'au 4e degré de consanguinité en ligne collatérale), ce qui inclut les cousins germains (3e degré),  cf. canon 1091, §3. Cependant, une dispense peut être accordée par l'évêque (ou un prêtre délégué) après une étude du cas, notamment pour des raisons pastorales ou culturelles. En pratique, cette dispense est souvent accordée si les futurs époux suivent un conseil génétique et qu'il n'y a pas de risque grave pour la descendance. Jusqu'au Concile de Latran de 1215, il était interdit de se marier avec un parent jusqu'au 7e degré, selon le droit canonique.À partir du Decretum de Gratien (aux alentours de 1140), les canonistes du Moyen Âge ont motivé les prohibitions matrimoniales pour consanguinité jusqu’au septième degré en invoquant le besoin d’étendre les unions conjugales, afin de diminuer les querelles féodales. Cette pratique exogame était interprétée comme une manifestation de la caritas chrétienne, reliant les populations dans le Corps mystique du Christ, en harmonie avec la conception théologique d’une Église catholique universelle.
  • Italie : L’interdiction catholique historique a été intégrée dans le droit civil jusqu’au XXe siècle. Aujourd’hui, bien que légal (Code civil italien, article 87), il est rare et souvent découragé pour des raisons génétiques, avec des conseils médicaux requis.
  • Belgique :Les mariages en ligne directe sont prohibés depuis le Code Napoléon (1804), conformément à l'article 161 du Code civil. Les unions consanguines collatérales (comme entre cousins germains) sont légales mais rares, avec des informations sanitaires sur les risques génétiques.
  • Canada : Légale dans la plupart des provinces (ex. : Common Law et Québec).
  • France : Les mariages en ligne directe (ascendants/descendants) et entre alliés dans la même ligne sont prohibés par l’article 161 du Code civil depuis 1804. Les mariages entre cousins germains (ligne collatérale) sont légaux, sans nécessité de dispense, et restent autorisés aujourd’hui. Bien que rares, ces unions ne font l’objet d’aucune restriction légale, mais des conseils génétiques peuvent être proposés pour des raisons de santé publique.
Endogamie et consanguinité : comprendre les risques génétiques

L’endogamie, pratique consistant à se marier au sein d’un même groupe social, ethnique ou culturel, diffère du mariage entre cousins, bien que les deux soient souvent confondus. Le mariage entre cousins, où les partenaires partagent environ 12,5 % de leur ADN, augmente le risque que leurs enfants héritent de maladies génétiques récessives, comme des troubles métaboliques ou des malformations congénitales, si les deux parents portent le même gène défectueux. L’endogamie, cependant, pose un problème plus large : en limitant les unions à un groupe restreint sur plusieurs générations, elle réduit la diversité génétique de la communauté. Cela concentre les gènes récessifs néfastes dans le pool génétique, rendant plus probable leur transmission, même entre partenaires non consanguins. À Bradford, par exemple, où 50-70 % des mariages dans la communauté pakistanaise britannique sont consanguins, l’endogamie prolongée amplifie les risques, avec des taux de malformations congénitales deux à trois fois supérieurs à la moyenne nationale, selon le Bradford Institute for Health Research.

Ce phénomène n’est pas unique aux Pakistanais britanniques : des communautés comme les Amish ou les Juifs ashkénazes, historiquement endogames, présentent des risques similaires, avec des maladies spécifiques comme le syndrome de Tay-Sachs ou la maladie de Gaucher. L’isolement génétique, souvent renforcé par des traditions culturelles ou religieuses, crée un "effet fondateur" où des mutations rares deviennent plus fréquentes. Contrairement à un mariage entre cousins isolé, l’endogamie répétée sur des générations aggrave ce problème en réduisant les apports génétiques extérieurs qui pourraient diluer ces mutations. Pour y remédier, des solutions comme le conseil génétique et les tests prénataux, déjà disponibles dans certaines cliniques britanniques, permettent d’identifier les risques et de prévenir les maladies sans imposer de changements culturels radicaux, notamment le (tant vanté) métissage hors de la communauté pakistanaise (il existe pourtant de nombreux musulmans non pakistanais au Royaume-Uni...)



dimanche 28 septembre 2025

Canada — aucune croissance par habitant hors inflation depuis 6 ans

Grâce aux nouvelles estimations démographiques publiées la semaine dernière, il est désormais possible de mettre à jour la série du PIB réel par habitant du Canada. Entre le premier et le deuxième trimestre de 2025, le PIB réel (c.-à-d. hors inflation) par habitant a reculé de 0,97 % en rythme annualisé. Plus préoccupant encore, au deuxième trimestre de 2025, il demeure inférieur à son niveau du deuxième trimestre de 2019. Autrement dit, en six ans, l’économie canadienne n’a enregistré aucune progression du revenu réel par habitant.


À titre de comparaison, aux États-Unis, le PIB réel par habitant s’est accru sur la même période, malgré la pandémie et les ralentissements conjoncturels. L’écart de performance économique entre les deux pays s’est donc creusé depuis 2019.


Le nombre de demandeurs d'asile au Canada a augmenté de près de 25 % depuis l'année dernière

Le nombre de demandeurs d'asile approche les 500 000, contre 160 000 il y a seulement trois ans

Malgré les affirmations d'Ottawa selon lesquelles il contrôle la croissance démographique, le nombre de personnes demandant le statut de réfugié au Canada s'élève à un peu moins d'un demi-million, soit une augmentation spectaculaire par rapport à il y a quelques années.



Un nouveau rapport de Statistique Canada publié mercredi montre que la population estimée du Canada a augmenté de plus de 47 000 personnes entre le 1er avril 2025 et le 1er juillet 2025, pour atteindre environ 41 651 653 habitants. Toutefois, le nombre estimé de résidents permanents légaux dans le pays a diminué de près de 15 000.

À l'inverse, on estimait à 38 239 864 le nombre de personnes vivant au Canada au début du mois de juillet 2021. La population canadienne a augmenté de près de 9 % (+8,92 %) au cours des quatre dernières années.

 Le nombre de demandeurs d'asile au Canada a augmenté de 18 000 au dernier trimestre. Ils sont désormais près de 500 000, soit 1,2 % de la population. 1 personne sur 83 dans le pays.

Les estimations relatives aux résidents non permanents ne prennent en compte que les personnes titulaires d'un permis de travail ou d'études, ou les demandeurs d'asile vivant actuellement au Canada ; elles ne prennent pas en compte les immigrants illégaux qui ont reçu l'ordre de quitter le Canada, mais qui ont échappé à l'expulsion. Le gouvernement a précédemment admis suivre les départs du Canada des personnes dont le visa a expiré, mais a refusé de divulguer les données.

La population canadienne n'a augmenté que de 0,1 % au cours du dernier trimestre, soit la croissance la plus faible au deuxième trimestre depuis les confinements liés à la COVID, et la plus faible en dehors de cette période depuis le début des enregistrements en 1946.

Le rapport indique qu'au cours des dernières années, l'explosion de la croissance démographique était principalement attribuable à la migration non permanente, mais que la croissance démographique au deuxième trimestre de 2025 était principalement alimentée par l'immigration permanente.

Selon le rapport de Statistique Canada, on estimait à 3 024 216 le nombre de résidents non permanents dans le pays au 1er juillet 2025, soit une baisse de 14 954 par rapport à la même période l'année précédente. Ce chiffre reste toutefois plus de deux fois supérieur aux 1 361 855 résidents non permanents estimés dans le pays au 1er juillet 2021.

Malgré la baisse estimée du nombre de résidents non permanents par rapport à l'année précédente, le Canada comptait 497 443 demandeurs d'asile au 1er juillet 2025, soit une augmentation par rapport aux 398 913 demandeurs d'asile recensés à la fin du même trimestre en 2024. 

En effet, le nombre de demandeurs d'asile, personnes protégées et groupes connexes (catégorie agrégée utilisée par Statistique Canada pour les estimations démographiques) a augmenté de +17 901 (+3,7 %) au 2eT 2025 (1er avril au 1er juillet 2025), passant de 479 542 à 497 443. 

La majeure partie de la hausse de ce dernier trimestre (2eT) a été observée en Ontario (+8 177) et au Québec (+4 523). 
Ce nombre a presque triplé (× 2,96) par rapport aux 168 206 demandeurs d'asile recensés au Canada à la même période en juillet 2021.

Plus de la moitié des demandeurs d'asile au Canada vivaient en Ontario au 1er juillet 2025. De même, plus de 47 % des résidents non permanents vivant au Canada résidaient en Ontario au 1er juillet 2025.

En avril 2025, le Canada comptait au total 2 526 773 titulaires de permis de travail ou d'études. Plus de 60 % d'entre eux ne détenaient que des permis de travail. Le nombre de personnes détenant uniquement des permis de travail a augmenté d'environ 5,1 % depuis la même période l'année dernière.

Le nombre de personnes détenant uniquement un permis d'études a connu une baisse de plus de 21 % entre juillet 2024 et 2025. Cette diminution fait suite à l'engagement pris par les libéraux de réduire le nombre de visas étudiants accordés aux étudiants étrangers.

Le détournement du droit d'asile : début de la fin de l’Empire romain ?

À la fin du IVe siècle, une peuplade gothique s’installe sur les rives du Danube, Rome lui ayant accordé l’asile sur son territoire. Par faiblesse, générosité ou calcul ? La décision fut funeste.

À l’été 376, l’empereur Valens qui règne sur la partie orientale de l’Empire romain depuis sa capitale d’Antioche (aujourd’hui en Turquie) reçoit une ambassade extraordinaire dépêchée depuis sa frontière près de l’embouchure du Danube, à plus de 1000 kilomètres de là. Au nom de leur chef, Fritigern, les envoyés demandent humblement pour les dizaines de milliers de Goths tervinges la permission d’entrer sur le territoire de l’Empire. Leurs congénères fuient un ennemi arrivé depuis les steppes de l’Orient, les Huns. Sur leurs petits chevaux, armés de leurs longs arcs recourbés, ils sèment la terreur parmi les peuples danubiens.

Valens donne droit à leur requête et leur offre l’asile. Deux ans plus tard, ces mêmes réfugiés vont tuer l’empereur et les deux tiers de ses soldats lors de la bataille d’Andrinople. Trois décennies plus tard, en août 410, un Goth met à sac Rome. Cent ans plus tout juste après que l’asile a été accordé aux Goths du Danube, le 4 septembre 476, le dernier empereur romain Romulus Augustule était déposé à Rome. L’Empire romain d’Occident disparaissait.

Dans son essai Rome et les Barbares, histoire nouvelle de la chute d’un empire (Les Belles Lettres), le Britannique Peter Heather, professeur au King’s College de Londres, tente, à son tour, après des générations d’historiens, d’expliquer comment « en l’espace d’une génération, l’ordre romain fut ébranlé au plus profond et les armées de l’empire, ainsi que le dit un contemporain, “se dissipèrent comme des ombres” », avec en conclusion la chute du « plus vaste État que l’Eurasie occidentale ait connu ». Les facteurs de la chute de l’Empire romain sont multiples, mais l’universitaire prend le temps de souligner comment le dévoiement du droit d’asile lors de la crise de 376 a conduit à « une complète redistribution de l’équilibre des forces dans l’ensemble de l’Europe » et in fine à la catastrophe.

​Une politique bienveillante envers les migrations de peuples

Depuis longtemps, Rome avait développé une politique bienveillante envers les migrations de peuples sur son sol, la receptio. Déjà, sous Auguste, le poète Virgile dans l’Énéide chantait l’arrivée sur les côtes du Latium du prince troyen Énée et des autres réfugiés rescapés de la chute de la cité de Priam. Il supplie le roi LaTinus de lui accorder « un lieu exigu pour ses dieux paternels, un rivage paisible, l’air et l’eau qui sont communs à tous ». Dès le Ier siècle après Jésus-Christ, sous le règne de Néron, 100 000 personnes sont autorisées à passer de la rive nord du Danube jusqu’en Thrace, dans le nord de la Grèce actuelle. Au début du IVe siècle après Jésus-Christ, les empereurs installent des dizaines de milliers de Daces Carpes venus de l’actuelle Moldavie à l’intérieur de l’Empire, mais en prenant soin de les disperser en petites communautés, depuis ce qui est la Hongrie actuelle jusqu’au littoral de la mer Noire.

Car, aux yeux des Romains, ces immigrants ont vocation à s’intégrer à la Pax romana : ils deviennent des soldats, soumis à la stricte discipline des légions ou des cultivateurs, redevables de l’impôt. Ainsi, l’asile n’est pas un droit mais une manifestation de la mansuétude du pouvoir impérial, qui se mérite et doit inspirer de la part des peuples bénéficiaires gratitude et loyauté. Rome conçoit l’octroi d’un refuge et donc une protection contre la marque d’une soumission. C’est la deditio : l’accueil de réfugiés nécessite au préalable un acte de sujétion.

Un officier romain critique la crédulité de l’empereur

« Il est cependant un autre dénominateur commun à tous les cas documentés d’immigration autorisée au sein de l’Empire , insiste Peter Heather. Les empereurs n’admettaient jamais des immigrants les yeux fermés. Ils s’assuraient toujours qu’ils maîtrisaient militairement les événements, soit qu’ils aient vaincu auparavant ces postulants à l’immigration, soit qu’ils disposent de forces suffisantes à portée de main pour venir à bout de quelque trouble que ce soit. »

Or, lors de l’épisode du passage du Danube par les Goths en 376, ces critères de prudence ne sont pas remplis. Tout avait pourtant semblé bien commencer. Dans leur ambassade à Valens, les émissaires goths insistent, comme la coutume le veut, sur leur utilité sociale future : ils promettent même de servir en tant qu’auxiliaires dans l’armée romaine et de verser un tribut en or. Un officier romain, Ammien Marcellin, a rapporté dans ses Res gestae comment l’offre fut accueillie à la cour d’Antioche dont il critique la crédulité : « L’affaire causa plus de joie que de peur et les courtisans lettrés louèrent sans retenue la bonne fortune du prince qui, depuis les extrémités de la terre, lui apportait à l’improviste de jeunes recrues en si grand nombre que, par l’union de ses propres forces et de ces forces étrangères, il aurait une armée invincible. »

Valens, qui a eu à combattre contre les Goths quelques années plus tôt, ne sous-estime pas leur valeur militaire. Et, menacé sur sa frontière orientale par les Perses sassanides, il a besoin de renforts. Par ailleurs, l’empereur a-t-il le choix ? Peut-il ouvrir un second front, au Nord, sur le Danube quand la menace perse l’oblige à guerroyer au Sud ?

Les Goths tervinges se voient donc accorder l’autorisation de passer le Danube, sans doute à hauteur de Durostorum (devenue la ville bulgare de Silistra, à la frontière avec la Roumanie) grâce à une noria de navires romains. Mais cette faveur est refusée à un autre peuple goth voisin qui requiert la même générosité, les Greuthunges. Pourquoi ? Sans doute parce que le nombre élevé des premiers (plus de 200 000 selon une source contemporaine, une cinquantaine de milliers estime Heather) inquiète déjà le pouvoir romain.

L’administration impériale est dépassée par l’afflux de réfugiés

De fait, ce dernier consent à un traitement exceptionnel pour cette nouvelle vague de migrants. Les Tervinges peuvent choisir le lieu de leur implantation dans l’empire – c’est la Thrace, alors qu’en temps normal c’est l’empereur qui décide où doivent se fixer les nouveaux arrivants. En outre, estime Peter Heather, il est possible qu’ils aient obtenu le droit – là encore contrairement à la règle – de s’établir en groupes assez nombreux et compacts pour conserver leur identité culturelle et politique. Face à cet afflux de réfugiés que les soldats romains escortent vers la Thrace, l’administration impériale va vite être débordée.

Voyant les positions romaines dégarnies sur le limes, la frontière de l’Empire, les Greuthunges défient l’interdiction de l’empereur et traversent à leur tour le Danube, par plusieurs dizaines de milliers. Ils suivent désormais à distance la pérégrination de leurs frères Tervinges, ce qui accroît la nervosité des soldats romains. D’autant qu’il faut nourrir ces populations qui ont tout quitté en n’emportant que leurs animaux de trait tout en les surveillant.

​L’empereur Valens bâcle une paix hâtive avec l’ennemi perse

La situation se dégrade à l’hiver. Le blé manque ou est accaparé par les officiers romains qui le revendent au marché noir. La tension monte. À Marcianople (devenue Devnya, en Bulgarie), les Goths doivent rester à l’extérieur de la ville fortifiée. Des affrontements éclatent. Les deux chefs goths sont arrêtés par les Romains à l’occasion d’un banquet, leurs gardes sont massacrés. Libérés car ils ont promis de calmer leur peuple, ils rompent leur promesse et prennent aussitôt la tête de la révolte. Sous les murs de Marcianople, la garnison romaine est écrasée. La guerre des Goths commence. Ralliés par des contingents d’autres peuplades gothiques qui servaient dans l’armée romaine, les migrants évitent les fortins mais dévastent la riche plaine de Thrace méridionale. À la fin de l’été 377, une armée de secours envoyée par l’empereur les repousse plus au nord. Le répit ne dure pas. Durant l’hiver, confortés par des renforts d’Alains et de Huns qui ont traversé à leur tour le Danube qui n’est plus surveillé, les Goths reprennent leurs pillages jusque sous les murs de Constantinople avant de repartir.

Face au péril, l’empereur Valens bâcle une paix hâtive avec l’ennemi perse et déploie à nouveau, à l’été 378, son armée qui passe le détroit de l’Hellespont (les Dardanelles), frontière entre l’Asie et l’Europe. En principe, il doit attendre le secours d’une armée venue d’Occident, mais ces troupes sont retardées par de nouvelles invasions sur le Danube à hauteur de l’actuelle Hongrie. Le 9 août, sans ce renfort, l’armée de Valens attaque au nord d’Andrinople (aujourd’hui Edirne, à la frontière turco-bulgare) les Goths conduits par Fritigern. La cavalerie gothique enfonce l’aile gauche romaine et fond sur le centre qui se débande.

C’est un massacre. L’empereur périt avec son armée ; on ne trouva pas son corps. Celui qui avait accordé l’asile aux Goths mourut de l’épée de ceux-là même à qui il avait offert refuge.

Source :  Valeurs actuelles

Rome et les Barbares
Histoire nouvelle de la chute d'un Empire
par Peter Heather,
paru aux éditions des Belles Lettres, 
à Paris,
le 6 septembre 2024
806 pp,
16 cartes, glossaire
EAN13 : 9782251456096

Voir aussi 

Chute de Rome: le christianisme était-il le coupable ?

 
 
 
 

samedi 27 septembre 2025

Pourquoi, malgré les prédictions, l'IA n'a pas remplacé les radiologues (pour l'instant ?)

 
La radiologie est un domaine qui semble optimisé pour être remplacé par des machines : tout y est numérique, basé sur la reconnaissance de motifs et mesurable par des critères clairs. En 2016, Geoffrey Hinton — informaticien et prix Turing — avait même déclaré : « il faut arrêter de former des radiologues ». Si les prévisions les plus extrêmes sur l’impact de l’IA sur l’emploi étaient exactes, la radiologie devrait être le « canari dans la mine » annonçant la révolution à venir.

Depuis 2017, des modèles comme CheXNet ou ceux de sociétés telles qu’Annalise.ai, Lunit, Aidoc et Qure.ai montrent des performances impressionnantes : détection de pneumonies, cancers, AVC, réorganisation des priorités, voire production de brouillons de rapports intégrés aux systèmes hospitaliers. Plus de 700 modèles sont approuvés par la FDA, soit plus des trois quarts des outils d’IA médicale homologués. Pourtant, près de dix ans plus tard, la profession non seulement perdure mais connaît une demande croissante, avec des salaires moyens dépassant les 350 000 $ US par an aux États-Unis et une forte pénurie de praticiens.

Alors pourquoi l’IA ne remplace-t-elle pas encore les radiologues ? Trois explications dominent. D’abord, l’écart entre laboratoire et hôpital. Les modèles brillent aux tests standardisés, mais leur performance chute en conditions réelles, lorsqu’ils sont évalués « hors échantillon », c’est-à-dire sur des données provenant d’un autre hôpital ou d’une autre population que celles utilisées pour l’entraînement. Par exemple, un modèle entraîné à détecter la pneumonie dans un seul centre médical peut échouer ailleurs, car les machines d’imagerie, la qualité des clichés ou les profils des patients diffèrent. Les modèles sont souvent testés sur des données « propres », non ambiguës et homogènes, mais rencontrent beaucoup plus de difficultés face aux images imparfaites, floues, mal orientées ou issues de populations diverses. Une étude japonaise récente a montré que l’IA générative atteint des performances comparables à celles de médecins non spécialistes, mais reste environ 16 % derrière les experts. Cela souligne que l’IA peut être utile comme outil d’assistance, mais qu’elle ne peut pas se substituer (pour l'instant) à l’œil humain le plus aguerri.

Deuxième obstacle : le cadre réglementaire et assurantiel. La FDA impose des règles beaucoup plus strictes aux modèles autonomes qu’aux modèles assistifs (qui exigent toujours la validation d’un médecin). Même lorsqu’un outil est validé, les compagnies d’assurance refusent souvent de couvrir les diagnostics générés sans supervision humaine : certaines polices portent même la mention « Absolute AI Exclusion ». En pratique, cela rend indispensable la présence du radiologue pour signer le rapport. Tant que la responsabilité médicale repose sur l’humain, la supervision d’un radiologue reste indispensable. Les questions de confidentialité et de confiance publique sont également cruciales, comme l’a montré la controverse au Royaume-Uni autour du projet Foresight du NHS, qui reposait sur l’analyse de 57 millions de dossiers patients. Même si les données étaient « désidentifiées », le risque de ré-identification inquiète.

Troisième frein : le travail du radiologue ne se limite pas à « lire » des images. En moyenne, seule une minorité (environ 1/3) de leur temps est consacrée au diagnostic. Le reste est pris par la supervision des examens, la communication avec les médecins traitants et parfois les patients, l’enseignement, et l’adaptation des protocoles. L’IA ne peut pas, pour l’instant, se substituer à cet ensemble de tâches.

L’expérience passée illustre bien ces limites : dans les années 2000, les premiers systèmes d’aide au dépistage du cancer du sein avaient été adoptés massivement (Medicare remboursait leur usage). Résultat : plus de biopsies, mais aucune amélioration des détections. Pire : des études ont montré que les médecins, lorsqu’ils voyaient les « prompts » de l’IA, avaient tendance à trop s’y fier et à rater davantage de cancers quand la machine se trompait.

Même si les modèles deviennent plus performants et plus rapides, un autre paradoxe se dessine : au lieu de réduire le travail, ils risquent de l’augmenter. Dans les années 2000 déjà, la numérisation des images a fait chuter le temps de lecture, mais aussi bondir le volume d’examens réalisés. Quand les scans deviennent plus accessibles et moins coûteux en temps, la demande croît — c’est l’« effet rebond » ou paradoxe de Jevons. Résultat : plus de scanners, plus d’IRM, et donc plus de travail global pour les radiologues.

En clair, l’IA en radiologie progresse vite mais bute encore sur trois réalités : la difficulté de reproduire en clinique ses scores de laboratoire, les lourdeurs réglementaires et assurantielles qui rendent un radiologue indispensable, et la multiplicité des tâches humaines non automatisables. Loin de disparaître, les radiologues sont plus demandés que jamais. Comme le montre ce « canari dans la mine », l’IA ne supprime pas d’emblée les métiers complexes : elle transforme surtout la nature du travail, et rend les spécialistes… encore plus occupés.

Ukraine — sa population est tombée à 29 millions (elle était de 37,6 au début 2022) [ m-à-j: 28,7 millions en 2025]

Selon la note explicative du projet de loi sur le budget de l'État pour 2026, d'après les données du Service national des migrations, au 1er septembre, le nombre de personnes en Ukraine y ayant déclaré/enregistré leur lieu de résidence s'élève à 28,7 millions. Il s'agit de la population résidente dans la zone contrôlée par Kiev. Ceci exclut les réfugiés ayant quitté cette zone et les habitants des zones annexées par la Russie.

Source : UNN.ua


Billet du 8 juin 2023

En février de cette année, nous nous étions interrogés sur le nombre d’Ukrainiens qui restaient en Ukraine en 2023. Voir notre billet originel ci-dessous.

Nous avons désormais des chiffres officiels provenant de Kiev : 29 millions. 
 
La population permanente de l’Ukraine est tombée à 29 millions de personnes.
 


Selon l’Institut ukrainien de l’avenir, si rien ne change à l’avenir, le pays pourrait avoir très peu de personnes pour générer le produit intérieur brut de l’Ukraine, car il y aurait deux fois plus de retraités que de membres de la population active.
 

8,6 millions d’Ukrainiens ne sont pas rentrés en Ukraine depuis le début de l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie.

En mai 2023, la population résidente de l’Ukraine, selon les estimations de l’IUA, est de 29 millions de personnes.

Seuls 9,1 à 9,5 millions d’Ukrainiens ont un emploi, et si l’on soustrait les employés de l’État, il reste environ 6 à 7 millions de personnes. Ils sont la locomotive qui soutient le reste — 22-23 millions de personnes, y compris les retraités, les enfants, les étudiants, les chômeurs, les personnes à charge, les travailleurs du secteur public, etc.

L'indice de fécondité a déjà chuté en dessous de 1 enfant/femme, alors qu’il devrait être supérieur à 2,1 pour qu’il y ait croissance de la population.
 
 

Notre billet du 12 février 2023

Sombre perspective démographique, combien reste-t-il d’Ukrainiens en Ukraine en 2023 ?

vendredi 26 septembre 2025

Québec — Le fossé se creuse entre les écoles publiques et privées

L’épreuve ministérielle d’écriture a été réussie à 66,7 % dans les écoles secondaires publiques du Québec contre 85,5 % dans les écoles dites privées en 2025.

Le taux de réussite des élèves de 5e secondaire à l’examen d’écriture du ministère a baisée de 0,2 % dans le réseau public, stagnant sous les 70 % encore une fois en 2025. Dans les écoles privées (en réalité soumise à de très nombreuses contraintes imposées par l'État), en revanche, il a grimpé à 85,5 %, si bien que l’écart entre les deux réseaux tutoie les 20 points de pourcentage.

Le contraste avec le réseau privé est flagrant. Dans ces établissements, pour le même examen, ce sont 85,5 % des élèves qui ont obtenu la note de passage. Résultat : le fossé se creuse encore davantage entre les réseaux dans cette matière, la différence se chiffrant à 18,8 points de pourcentage comparativement à 16,9 en 2024.

Le décalage entre les aptitudes d’écriture des élèves des deux réseaux n’a jamais été aussi prononcé. À titre comparatif, en 2019, il se chiffrait à 12 points de pourcentage. Mais depuis 2022, la tendance à la hausse est ininterrompue.


Le ministère de l’Éducation n’a pas fourni de précisions sur les conditions d’administration de ces épreuves – notamment sur le fait que les élèves qui fréquentent des établissements privés sont plus nombreux que ceux du réseau public à rédiger leurs textes sur des ordinateurs – en réponse à nos questions, jeudi.

Le taux de réussite à l’examen d’écriture du 5e secondaire avait enregistré une importante dégringolade dans le réseau public en 2024, à l’issue d’une année marquée par une grève, qui avait privé des élèves d’un mois d’école – même si les contenus avaient été allégés pour tenir compte des conséquences de l’arrêt de travail.

Dans les deux types d’établissements, les filles continuent de faire meilleure figure que les garçons, comme c’est invariablement le cas depuis 2015. Au public, leur taux de réussite est de 72,2 % (les garçons, 60,6 %), tandis qu’au privé, 89,5 % des filles décrochent la note de passage (81,3 % du côté des garçons). Les garçons réussissent mieux que les filles en Applications technologiques et scientifiques. 

Des chiffres moins bons en mathématiques

On note aussi une légère diminution du taux de réussite des élèves de 4e secondaire qui fréquentent les écoles publiques québécoises à l’examen de mathématiques. En 2025, le taux de réussite dans cette matière s’établit à 75 %, une diminution de 1,7 point de pourcentage par rapport à l’année précédente.

Dans le réseau privé, 91,3 % des élèves de secondaire quatre ont réussi cette même épreuve ministérielle, une légère hausse de 0,7 point de pourcentage. 

Science et histoire : hausses remarquables

Là où la tendance s’est inversée à la hausse, tant au public qu’au privé, c’est du côté des examens de science et technologie et d’histoire du Québec et du Canada. Le taux de réussite des élèves de quatrième secondaire a enregistré de nettes progressions dans ces deux matières.

Et pas qu’un peu.

L’épreuve ministérielle de science et technologie a été réussie à 83,2 % dans les écoles publiques, et à 96,6 % dans les établissements privés. Les bonds par rapport aux taux enregistrés en 2024 sont, respectivement, de 13 et de 5,8 points de pourcentage.

L’examen d’histoire administré aux élèves du même niveau a lui aussi été mieux réussi en 2025 qu’en 2024. Au public, 80,3 % ont obtenu la note de passage (comparativement à 74,9 % l’année d’avant), alors qu’au privé, l’épreuve a été réussie à 95,4 % (par rapport à 92 % l’année précédente).

« L’épreuve en science a été élaborée selon les mêmes processus de validation [qu’à l’habitude], a noté dans Esther Chouinard, au ministère de l’Éducation. Les fluctuations observées sur plusieurs années à cette épreuve montrent que les taux de réussite peuvent varier entre 65,4 % et 83,9 % (de 2015 à 2024). »

Il en va de même pour l’examen d’histoire, a-t-elle spécifié : « Au cours des trois dernières années, les fluctuations observées à cette épreuve montrent que les taux de réussite ont varié de quelques points de pourcentage : 80,4 (2023), 78,6 % (2024) et 83,5 % (2025) ».

Dans les deux matières, les taux de réussite avaient reculé de façon marquée en 2024.

Le ministère de l’Éducation a publié les données sur le tableau de bord sans en faire officiellement l’annonce, mercredi en milieu d’après-midi. Certaines statistiques étaient erronées, aussi le ministère de l’Éducation a-t-il corrigé le tir et effectué la mise à jour qui se trouvait sur le site tôt jeudi matin.« On doit poursuivre le travail » en français, dit la ministre LeBel

Invitée à réagir aux résultats des épreuves ministérielles de l’an dernier, la nouvelle ministre de l’Éducation, Sonia LeBel, a affirmé y voir « des outils précieux pour évaluer la situation actuelle », lesquels auront « très certainement un impact » sur ce qu’elle jugera « prioritaire dans [son] présent mandat ».

Au sujet des résultats en français, elle a eu ces mots : « Des actions concrètes ont déjà été entreprises pour augmenter le taux de réussite : le programme de français a été révisé et il est actuellement à l’essai dans plusieurs écoles. On y met l’accent sur la lecture et l’écriture de façon quotidienne. »

Et « on doit poursuivre le travail en ce sens », a conclu la ministre LeBel, en poste depuis le 10 septembre.

Le nouveau programme d’enseignement du français au primaire et au secondaire est actuellement à l’essai dans une cinquantaine d’écoles. Il sera implanté dans l’ensemble des établissements de la province dès l’an prochain. Cette mise en œuvre à large échelle a été critiquée par des syndicats de l’enseignement.


jeudi 25 septembre 2025

Apparition et diffusion des yeux bleus : une longue histoire européenne

On les dit mystérieux, séduisants, parfois glacials : les yeux bleus sont depuis longtemps chargés d’imaginaire. Mais d’où viennent-ils vraiment ? Une vaste étude génétique, portant sur plus de 4 000 génomes anciens et publiée récemment dans Molecular Biology and Evolution, révèle que cette couleur si caractéristique a une histoire bien plus ancienne et surprenante qu’on ne le croyait.

(cliquer sur l'image pour l'agrandir. IA = Âge du fer, BA = âge du bronze, N = néolithique, HG = chasseur-cueilleur)

Des chasseurs-cueilleurs aux Vikings

Le premier individu porteur du gène lié aux yeux bleus connu à ce jour aurait vécu il y a environ 35 000 ans en Crimée. Mais ce n’est qu’au Mésolithique, chez les chasseurs-cueilleurs d’Europe occidentale, que la proportion d’yeux bleus explose : près de 60 % dans le site d’Oberkassel (Allemagne), il y a environ 9 000 ans.

Ces populations, ancêtres directs des Européens modernes, ont laissé une trace durable. Toutefois, avec l’arrivée des agriculteurs venus d’Anatolie puis des pasteurs des steppes, majoritairement aux yeux foncés, cette proportion a fortement chuté.

Il faudra attendre l’âge du Bronze et surtout le Moyen Âge pour que le bleu regagne du terrain, probablement favorisé par des facteurs de sélection encore débattus : préférence sexuelle, adaptation à la lumière du Nord ou simple hasard génétique.

La France : du brun au bleu

Et la France dans tout ça ? Un des graphiques de l’étude permet de suivre l’évolution sur plusieurs millénaires.

Néolithique (vers 6 000 ans avant notre ère) : la France « néolithique » n’affichait qu’environ 7 % d’yeux bleus, conséquence directe de l’arrivée d’agriculteurs venus du Proche-Orient.

Âge du fer (Iron Age, IA) : la proportion monte à 12 %, signe d’un léger regain.

Moyen Âge : grand bond en avant, la France médiévale atteint environ 67 % d’individus aux yeux probablement bleus, soit le résultat le plus élevé de tout l’échantillon représenté. Cela place la population française du Moyen Âge nettement au-dessus même des Vikings (55 %) ou encore des Néerlandais médiévaux (59 %). Ces chiffres confirment l’image des sociétés du Nord et de l’Ouest de l’Europe largement aux yeux bleus à cette époque. Ceci dit, l'étude ne précise pas où cet ADN a été trouvé ni le rang des personnes à qui cet ADN appartenait (des nobles du Nord de la France ?)

Les Romains et les Méditerranéens : la part du brun

Les chercheurs se sont aussi penchés sur Rome antique. Résultat : seulement 4 % de probabilité d’yeux bleus à l’époque impériale. L’Empire, cosmopolite et méditerranéen, tirait sa diversité génétique vers le brun. Mais dès le Moyen Âge, après les invasions germaniques, on retrouve autour de 21 % de porteurs aux yeux clairs. Voir également la note encadrée ci-dessous.

Et les yeux verts, c'est secondaire ?

L’auteur a défini trois catégories basées sur une règle pour classer les couleurs des yeux (bleu, marron, vert) en fonction de marqueurs génétiques et d’un score global :
  • Bleu : Les personnes ayant deux copies du gène G/G au marqueur rs12913832 et un score élevé (supérieur ou égal à un seuil appelé TH_BLUE) sur au moins 9 des 13 sites génétiques analysés.
  • Marron : Les personnes ayant deux copies du gène A/A au marqueur rs12913832 et un score faible (inférieur à un seuil appelé TH_BROWN) sur au moins 9 des 13 sites génétiques.
  • Vert : Tout ce qui se trouve dans une zone intermédiaire, généralement avec un mélange A/G au marqueur rs12913832 et un score moyen sur le panel génétique.
En d’autres termes, la catégorie « vert » regroupe les cas où les signaux génétiques sont mitigés : le panel indique une tendance vers des yeux clairs, mais le marqueur rs12913832 n’est pas dans l’état G/G (typique des yeux bleus). Le modèle logistique utilisé vise à identifier les cas « probablement bleus » de manière prudente, tandis que les modèles beta/OLS suivent le score continu du panel, qui augmente dans les groupes où la catégorie « vert » est fréquente.
 
(cliquez pour grandir, parts probables des yeux marrons, verts et bleus. 
I
A = Âge du fer, BA = âge du bronze, N = néolithique, HG = chasseur-cueilleur)

Latitude et histoire : un duo déterminant

L’étude montre un facteur central : la latitude. Plus on monte vers le Nord, plus les yeux bleus deviennent fréquents. La dérive génétique et une préférence de partenaires aux yeux bleus dans de petites communautés ont sans doute amplifié le phénomène.

Ainsi, les populations scandinaves ou germaniques atteignent rapidement 40 % à 60 % d’yeux bleus, tandis que les Balkans, l’Italie antique ou la Grèce ancienne plafonnent autour de 0 à 10 %.

Un héritage culturel


Au-delà des chiffres, cette histoire éclaire l’imaginaire collectif : le Viking aux yeux bleus n’est pas un cliché, c’est une réalité génétique. À l’inverse, le Romain impérial aux yeux sombres incarne bien le carrefour méditerranéen. Ceci changera après la chute de l'empire, voir encadré ci-dessous.
Le cas de Rome

De récents résultats d’analyse d’ADN indiquent qu’il y a eu un énorme changement dans l’ascendance des personnes qui ont vécu à Rome à l’époque impériale et que l’apport génétique provenait principalement de la Méditerranée orientale et du Proche-Orient.

Les siècles suivants sont quelque peu agités. L’empire se divise en deux en 395, des maladies ravagent la population romaine et la ville est envahie à plusieurs reprises. Ces événements ont marqué les habitants de la ville, dont l’ascendance est devenue plus proche de l’Europe occidentale. Plus tard, l’avènement et le règne du Saint Empire romain germanique ont entraîné un afflux d’ancêtres d’Europe centrale et septentrionale. Mais « au cours de la période impériale, la tendance la plus marquée est un changement d’ascendance vers la Méditerranée orientale, avec très peu d’individus d’ascendance principalement ouest-européenne », notent les chercheurs. « Une des explications possibles de la prédominance du flux génétique de l’Orient vers Rome est que la densité de population était plus élevée dans l’est de la Méditerranée que dans l’ouest ». (Voir Ancient Rome : A genetic crossroads of Europe and the Mediterranean, dans Science 2019)

Comme on l’a dit plus haut ces résultats se fondent sur des échantillons restreints. C’est ainsi que l’ascendance nord-africaine en Italie n’est étayée que par l’ADN d’un seul individu précédemment signalé de la période romaine impériale (R132) (Antonio et coll., 2019). Une autre étude génétique de 2022 montre que malgré l’hétérogénéité génétique dans la Rome impériale, l’Europe a connu une stabilité des structures génétiques de ses populations depuis d’Âge du fer. Plusieurs hypothèses sont émises pour résoudre cette apparente contradiction : cette hétérogénéité n’aurait pu être qu’urbaine (les sites de fouille d’où provient l’ADN antique sont souvent dans les anciennes villes), les villes ont tendance à faire baisser la natalité (le logement y est cher, les enfants ne peuvent aider dans les travaux des champs), les maladies auraient surtout frappé ces villes densément peuplées et à l’hygiène douteuse, la population aurait été remplacée par une population locale rurale plus homogène et plus féconde, enfin le déclin économique de l’empire d’Occident aurait pu encourager le retour d’étrangers vers leur pays ou du moins l’Empire d’Orient resté plus prospère. Plus de détails dans Stable population structure in Europe since the Iron Age, despite high mobility.

Contexte génétique et méthode

Pourquoi les yeux bleus ?

La couleur des yeux, notamment les yeux bleus, dépend principalement de deux gènes voisins situés sur le chromosome 15 : OCA2 et HERC2. 

Voici comment ça marche en termes simples :

  • OCA2 : Ce gène contrôle la production de mélanine, le pigment qui donne leur couleur aux yeux, à la peau et aux cheveux. Plus de mélanine dans l'iris = yeux bruns. Moins de mélanine = yeux bleus ou verts. 
  • HERC2 : Ce gène agit comme un "interrupteur" qui régule OCA2. Il contient une zone spécifique (un SNP appelé rs12913832, situé dans une partie non codante de HERC2) qui décide si OCA2 produit beaucoup de mélanine ou pas. 

Pour avoir des yeux bruns, HERC2 doit bien activer OCA2 pour produire suffisamment de mélanine. Pour des yeux bleus, une mutation dans rs12913832 affaiblit cet interrupteur, ce qui réduit la production de mélanine par OCA2. 

Résultat : l'iris a moins de pigment, et les yeux paraissent bleus ou verts. Un schéma (non inclus ici) montrerait que ces deux gènes sont voisins sur le chromosome.

Méthode utilisée dans l'étude :

Au lieu de se baser uniquement sur le SNP rs12913832 pour deviner la couleur des yeux, l'auteur a adopté une approche plus précise : 

  1. Analyse d’un haplotype : L’auteur a examiné un ensemble de 13 SNPs (marqueurs génétiques) liés à OCA2 et HERC2, formant ce qu’on appelle le "haplotype des yeux bleus". Ces SNPs ont été pondérés (méthode DR2) pour évaluer leur influence. 
  2. Rôle clé de rs12913832 : Ce SNP est utilisé comme un "gardien". Pour qu’un individu soit considéré comme ayant probablement des yeux bleus, il doit avoir la version G/G de ce marqueur (une mutation spécifique). 
  3.  Score continu : L’auteur a créé un indice (de 0 à 1) pour classer les individus selon leur probabilité d’avoir des yeux bleus. Ensuite, il a attribué des étiquettes : probablement bleu, probablement brun, ou indéterminé (quand ce n’est pas clair). 
  4. Modélisation : L’auteur a étudié la fréquence des yeux bleus en fonction de trois facteurs :
    • Le temps : Comment cette caractéristique s’est répandue à travers l’histoire.
    • La latitude : Les yeux bleus sont plus fréquents dans certaines régions (ex. : Europe du Nord).
    • La couverture génomique : La quantité de données génétiques disponibles pour chaque individu analysé. 

Échantillon

L'étude se fonde sur une base de données : d'environ 4 133 génomes anciens (période 44 000 ans jusqu' à présent). 

Tableau : populations / cultures — proportion estimée d’individus « probablement aux yeux bleus » et taille d’échantillon
Population / culture Proportion estimée Taille de l’échantillon (n)
France — Moyen Âge ≈ 67 %  échantillon limité (non précisé dans la synthèse)
Oberkassel (chasseurs-cueilleurs ouest-européens) ≈ 58,9 %  n = 39
Pays-Bas — Moyen Âge ≈ 59 %  n modéré (valeur non précisée ici)
Vikings (Scandinavie) ≈ 55,3 %  n = 376
France — Âge du Fer ≈ 25–30 %  échantillon variable (non précisé)
Rome — Âge du Fer ≈ 22,2 %  n = 27
Rome — Moyen Âge ≈ 21,4 %  n = 28
Culture campaniforme  ≈ 13,1 %  n = 229
Yamnaya (steppe pontique-caspienne) ≈ 3,0 %  n = 169
Rome — Période impériale ≈ 4,2 %  n = 48
Remarque Les pourcentages sont des estimations issues de l'étude ; les intervalles de confiance varient beaucoup selon la taille d’échantillon (les petits n donnent des marges d’erreur larges). « Appel probablement bleu » = individu classé par l’algorithme comme « probablement-bleu » (voir définition génétique basée sur HERC2/OCA2).

mercredi 24 septembre 2025

L'indice de fécondité du Canada atteint un creux historique (1,25 enfant/femme)


Le taux de fécondité du Canada a atteint un creux historique de 1,25 enfant par femme en 2024, faisant du pays l’un des endroits où il se fait le moins d’enfants dans le monde.

Il s’agit de «son plus bas niveau à ce jour», explique Statistique Canada dans un rapport publié mercredi.

En 2023, le Canada a rejoint le club des pays avec une «fécondité ultrafaible», au même titre que le Japon, l'Italie, la Suisse ou la Finlande. La tendance s’est donc accentuée en 2024.
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Dans le jargon des démographes, la «fécondité ultrafaible» est utilisée pour parler des endroits où l’indice de fécondité est de moins de 1,30 enfant par femme.

Aucune province ni territoire, à l’exception du Nunavut (2,34), ne fait assez d’enfants pour atteindre le taux de remplacement naturel de 2,1. Le Québec avait un indice de fécondité de 1,33 enfant/femme en 2024.

Autre record : l’âge moyen de la maternité au Canada a continué de grimper et s’établit désormais à 31,8 ans. À titre de comparaison, il était de 26,7 ans en 1976.

Impact d'un indice de fécondité de 1,25 enfant/femme (Canada) ?
  • 4 grands-parents (2 couples) produisent = 2,5 parents (1,25 femmes).
  • Ces parents produisent = 1,5625 enfants.

La contraction est d’environ 37,5 % par génération (population multipliée par 0,625).

Quatre grands-parents auront donc 1,5625 petits-enfants. À long terme, la population diminue exponentiellement, divisée par ~1,6 par génération.

Que signifie en termes concrets 1,33 enfant/femme (Québec) ?

  • 4 grands-parents (2 couples) produisent 2,66 parents (1,33 femmes).
  • Ces parents produisent 1,77 enfants.

Quatre grands-parents auront donc 1,77 petits-enfants. La contraction est d’environ 33,5 % par génération (population multipliée par 0,665).

À long terme, la population diminue exponentiellement, divisée par ~1,5 par génération.


Chute libre depuis 1960

Le nouveau taux de fécondité «se situe dans le prolongement de la baisse générale amorcée en 2009», rapporte Statistique Canada.

Or, les données fédérales indiquent que le vrai changement de paradigme est survenu au début des années 1960, qui coïncide avec l’avènement de la pilule contraceptive.

Si le pic de fécondité est d’environ quatre enfants par femme au début des années 1960, il passe sous la barre du taux de remplacement à peine une décennie plus tard, en 1971.
Le cas québécois

En 2024, les provinces ont toutes affiché un creux historique, mis à part le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve et la Colombie-Britannique, qui affiche néanmoins le plus faible taux au Canada (1,02).

Le Québec (1,34 enfant par femme) est en milieu de peloton, et ne se qualifierait pas dans la catégorie de la fécondité ultra-faible. Il se fait légèrement moins d’enfants en Ontario, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard.

Le taux de fécondité est très légèrement plus élevé au Québec qu’en Ontario depuis 2005. 

En fait, les jeunes Québécoises sont plus en couple et ressentent moins le besoin d’attendre au mariage pour avoir leur premier enfant.

Plus faible croissance depuis... 1946


La baisse globale de la natalité s’ajoute à une baisse notable de l’immigration, un virage entamé à la fin de l’année dernière par Ottawa après une décennie de croissance majeure. Le nombre de décès dépasse d'ailleurs le nombre de naissances au Canada depuis 2022 et au Québec depuis l'an dernier.

Cela devrait être pire encore en 2025

Un second rapport publié mercredi rapportait qu’au deuxième trimestre de 2025, la croissance démographique était de 0,1 % entre le 1er avril et juillet, comparativement à 0,7 % pour la même période l’année dernière.

Si la tendance se maintient, l'indice synthétique de fécondité en 2025 devrait être de 1,24 enfant/femme au Québec et de 1,31 au Québec.

«Si l’on exclut l’année 2020 [première année de la pandémie], il s’agit du plus faible taux de croissance au cours d’un deuxième trimestre depuis que des données comparables existent [au deuxième trimestre de 1946]», rapporte l’agence fédérale.

Le changement de cap d’Ottawa sur la question des résidents temporaires est le facteur principal derrière ce ralentissement démographique. Depuis des années, la quasi-totalité de la croissance démographique du Canada était liée à l’immigration.

mardi 23 septembre 2025

La fin annoncée du « late-night » américain : quand l'« humour » se heurte à la désaffection du public

Télévision. Aux États-Unis, les émissions de divertissement de fin de soirée, autrefois un pilier de la culture télévisuelle, traversent une crise majeure. La suspension de l’émission Jimmy Kimmel Live! par ABC, après des propos jugés choquants sur l’assassinat de l’activiste conservateur Charlie Kirk, illustre une perte de repères qui dépasse la simple baisse d’audience.

Une suspension symbolique

La chaîne ABC, propriété de Disney, a annoncé la suspension de Jimmy Kimmel à la suite des pressions de deux groupes de médias puissants, Nexstar et Sinclair, qui possèdent un grand nombre de stations affiliées locales d’ABC (il s'agit de chaînes régionales qui rediffusent des programmes nationaux). Ces groupes ont décidé de retirer l’émission de leurs grilles. Le PDG de Disney, Bob Iger, aurait lui-même pesé dans la décision.

Jimmy Kimmel, présentateur d'un des ces émissions de fait de soirée, connu pour son ton corrosif, avait récemment censément plaisanté à propos de l’assassinat de Charlie Kirk, une figure conservatrice américaine. Il avait alors déclaré «  Nous avons atteint de nouveaux sommets ce week-end, avec le gang MAGA qui tente désespérément de présenter ce jeune qui a assassiné Charlie Kirk comme quelqu'un d'autre qu'un des leurs, et qui fait tout ce qu'il peut pour en tirer un avantage politique ». Alors que ce présumé assassin était alors un radical de gauche, pro-LGBT, avait un amant transsexuel et s'insurgeait contre la « haine » qu'aurait propagée Charlie Kirk. Voilà un humoriste déchaîné à l'imagination débordante. Ou un militant qui délire en se croyant comique. Le public semble avoir peu apprécié.

Des audiences en chute libre


Au-delà de la polémique, cette suspension survient dans un contexte de déclin accéléré du late-night. D’après le site spécialisé LateNighter, Jimmy Kimmel Live! a perdu près de 80 % de son public depuis 2015, année où l’émission a été déplacée à 23 h 35. Les données de Nielsen — l’équivalent américain de Médiamétrie — montrent que la part de marché de l’émission chez les 18-49 ans, la cible privilégiée des annonceurs, est passée de 0,68 en 2013-2014 à seulement 0,16 en 2024-2025. L'audience totale de ces émissions est 3 à 4 fois plus grande que celle des seuls 18-49 ans.

Pour comparaison, The Late Show de Stephen Colbert plafonne à 0,18 et The Tonight Show de Seth Meyers à 0,13. Autrement dit, moins d’un téléspectateur sur mille de la tranche d’âge reine regarde encore ces programmes. Que font les autres ? Beaucoup consomment de la diffusion en ligne (Netflix, YouTube, TikTok), ou se détournent tout simplement d’un humour jugé prévisible et trop politique.


Des pertes colossales


Selon le média américain Puck, des sources internes à CBS estiment que The Late Show with Stephen Colbert perdait déjà plus de 40 millions de dollars par an. Autrement dit, même l’émission la plus regardée de la tranche horaire s’est transformée en gouffre financier. Ces chiffres laissent penser que les difficultés ne sont pas isolées, mais généralisées à tout le secteur du late-night.