samedi 4 mai 2024

Wokisme, Gaza… les universités françaises sous influence américaine

 
Fer de lance des idées et concepts venus d’outre-Atlantique, Sciences Po a donné le « la », en France des manifestations parties des grandes universités aux États-Unis.

À l’image des mobilisations d’ampleur observées sur les campus de Columbia, de Harvard ou d’UCLA, les manifestations propalestiennes se multiplient dans les universités françaises. Une nouvelle illustration de l’américanisation de l’enseignement supérieur, avec Sciences Po à la pointe des idées woke venues des États-Unis.

Des campements de solidarité avec Gaza dans les quartiers chics. Comme à l’université de Columbia, à New York, d’où est partie il y a quinze jours la mobilisation propalestienne, des étudiants ont monté des tentes le 29 avril dans la cour d’honneur de la Sorbonne, et la semaine dernière dans la cour d’un bâtiment de Sciences Po, dans le 7e arrondissement parisien. Une nouvelle occupation a été annoncée jeudi soir, poussant la direction à fermer, vendredi, plusieurs bâtiments. Des mobilisations sous le parrainage d’une France insoumise en campagne électorale. Sur le réseau social X, l’ayatollah Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique iranienne, a apporté le 28 avril son soutien aux manifestations « contre Israël », aux États-Unis, « en Angleterre et en France », dans un billet accompagné d’une compilation de vidéos, parmi lesquelles des images de L’IEP Paris.

Symbole de l’américanisation de l’enseignement supérieur français, Sciences Po, à la pointe des idées woke venues des États-Unis, a répliqué les manifestations outre-Atlantique. Comme à Columbia, Harvard, Yale, Princeton ou UCLA, les étudiants mobilisés ces derniers jours à Paris et dans les IEP de région, de Rennes à Strasbourg, arborent des keffiehs et brandissent des drapeaux palestiniens. Les slogans sont souvent formulés en anglais. À Sciences Po, le Comité Palestine, organisation étudiante informelle à l’origine de la mobilisation, a obtenu, dans le cadre des négociations consenties par la direction après les blocages, la tenue d’un « town hall [meeting] » [assemblée populaire]. Un terme importé des campus américains, que beaucoup, à L’IEP et ailleurs, ont découvert à l’occasion. Ces « town hall meeting » qui, dans la tradition démocratique américaine, permettent aux citoyens en désaccord avec leurs élus locaux de le faire savoir en participant à des réunions publiques, étaient devenus, après l’élection de Trump en 2017, de hauts lieux de résistance. Le « town hall » organisé le 2 mai à Sciences Po dans l’historique amphi Boutmy est donc venu remplacer la traditionnelle « AG » syndicale. Le Comité Palestine avait demandé la tenue de ce débat en anglais, arguant de la forte présence d’étudiants étrangers à l’école.

Une chaire sur le genre

Lundi, lors de sa préparation, la table de négociation comptait des représentants de la direction de l’école, les syndicats étudiants (Nova, majoritaire et revendiqué « transpartisan », l’union étudiante, créée en 2022 dans le sillon de LFI, l’UNEF, Solidaires et l’UNI, marquée à droite), mais aussi le Comité Palestine et « Students for Justice in Palestine » (SJP). Très active à Sciences Po, l’organisation SJP vient des États-Unis. Créée à l’université de Berkeley (Californie) en 1992, après la première guerre du Golfe, elle revendique plus de 200 sections en Amérique du Nord. « Nous pensons que la lutte pour une Palestine libre est aussi la lutte pour la libération des Noirs, la liberté de genre et sexuelle, et une planète vivable et durable, explique-t-elle sur son site. Toutes les quêtes de liberté, de justice et d’égalité sont matériellement liées et nous obligent à lutter contre la violence d’état, le colonialisme, le capitalisme et l’impérialisme, sous toutes leurs formes. » Elle a été fondée par un certain Hatem Bazian, maître de conférences à Berkeley, où il dirige depuis 2009 un centre de recherches dédié à l’islamophobie.

« Je ne me suis pas senti dans mon école, rapporte Quentin Coton, à l’UNI. Les étudiants de Solidaires étaient venus masqués. Ceux du Comité Palestine en étaient à remettre en question la légitimité des conseils de Sciences Po, selon eux sous tutelle de l’État. La direction a commencé la réunion en leur demandant de faire un communiqué sur les mains rouges (cette référence au massacre de deux réservistes israéliens à Ramallah le 12 octobre 2000, dont le Comité Palestine se défend, NDLR). »

Comme sur les campus américains, les mobilisations étudiantes propalestiennes portent une revendication : la coupure des liens de leurs établissements avec les mécènes et entreprises liés à Israël. À Sciences Po, le Comité Palestine a ainsi exigé « la fin des collaborations » avec toutes « les institutions ou entités » jugées complices « de l’oppression systémique du peuple palestinien ». L’école a accepté d’aborder le sujet. « Mais pas question de revenir sur les partenariats avec des universités israéliennes », affirme-t-elle au Figaro.

Ces derniers jours, les yeux se sont tournés vers Menton (Alpes-maritimes), l’un des six campus de régions de Sciences Po Paris, fermé « jusqu’à nouvel ordre » depuis une mobilisation propalestinienne en début de semaine. Une partie des étudiants juifs y dénoncent leur ostracisme depuis le 7 octobre. Ce campus accueille des étudiants ayant choisi la mineure « Méditerranée-moyen-orient ». Étrangers à 60 %, ils sont largement issus de cette zone géographique. Au-delà de Menton, Sciences Po compte en moyenne 50 % d’étudiants étrangers. Le résultat de l’internationalisation lancée il y a vingt ans par feu Richard Descoings [mort dans des circonstances troublantes, la nuit de sa mort, il avait fait appel aux services de deux prostitués homosexuels qui sont rapidement mis hors de cause]. « Cette “anglosaxonalisation” assumée a mené à la formation de “produits” mondialisés. Les contenus de certains cours se font l’écho d’idéologies venues des États-Unis », résume un connaisseur de l’école.

« Je ne suis pas étonné de ce qu’il se passe aujourd’hui à Science Po. C’est la plus américaine des universités françaises », constate Souleymane Bachir Diagne, philosophe sénégalais diplômé de la Rue d’Ulm, qui enseigne à Columbia la philosophie française et africaine. « Sciences Po et Columbia proposent un double diplôme. Elles dirigent aussi des thèses en commun, rappelle-t-il. Dans les universités américaines, la “critical race theory” est très enracinée, dans les départements d’études africaines et afro-américaines, mais aussi dans ceux de philosophie. L’un de mes collègues l’enseigne à Columbia. La France est encore timide là-dessus. La seule spécialiste que je connaisse est Magali Bessone (professeur de philosophie politique à Paris 1 Panthéon Sorbonne) », explique-t-il. Développée à partir des années 1960 aux États-Unis, la « théorie critique de la race », cœur de la philosophie woke, étudie les relations entre la race, la loi et le pouvoir. Elle est à l’origine de la notion d’« intersectionnalité », qui désigne l’imbrication de multiples instances de domination, telle que la race, le genre et la classe sociale. « Je comprends cette idée de racialisation du monde, très liée à l’histoire de l’esclavage aux États-Unis, même si elle ne fait pas partie de ma tradition française universaliste », poursuit Souleymane Bachir Diagne, qui, face à « des études postcoloniales très méfiantes à l’égard de l’universalisme », enseigne « le concept d’universel vraiment universel », « différent de l’universalisme de surplomb ».

À la pointe des idées venues du monde anglo-saxon, Sciences Po est l’école qui a relayé en France la vague Metoo, à travers le hashtag #Sciencesporcs, en 2021. Elle est l’un des porte-drapeaux de l’écriture inclusive, qui s’est frayé un chemin dans les universités françaises. Elle a été la première à créer, en 2010, une chaire sur le genre. Son département de sociologie est perméable aux concepts venus d’Amérique du Nord, comme le sont les sciences sociales dans certaines universités françaises, où les « studies » postcoloniales et de genre sont apparues.

À Sciences Po, les incursions américaines dans les contenus sont à chercher parmi les « électifs », dans lesquels les étudiants peuvent piocher, et autres séminaires. On se souvient de la polémique en 2021 autour du concept de « blanchité alimentaire » comme outil de « l’identité raciale dominante », défendu par une chargée de recherche au CNRS, également maître de conférences à l’université du Connecticut, lors d’une semaine doctorale organisée par l’école de droit de Sciences Po. À Poitiers, sur le campus Europe-Amérique latine de l’école, les étudiants de deuxième année peuvent suivre un cours de « sociologie de la race ».

« Quel serait l’intérêt d’aller à Sciences Po si ses cours sont alignés sur les universités américaines [ou McGill et Concordia] ? interroge Olivier Béatrix, professeur d’économie depuis vingt ans à L’IEP. Certains étudiants viennent aujourd’hui à Sciences Po pour faire de l’activisme. Il nous faut un directeur qui incarne l’autorité républicaine », estime-t-il. Pilotée par un administrateur provisoire depuis la démission, mi-mars, de Mathias Vicherat, l’école s’apprête à entrer dans une douloureuse procédure de nomination d’un nouveau directeur.

« Antisémitisme moderne »

« Nous sommes dans l’“islamo-wokisme” ! », assène Xavier-Laurent Salvator, cofondateur de l’observatoire du décolonialisme, qui depuis 2020, dénonce les dérives dans le monde académique. « Nous avons choisi le mot “décolonialisme”, car il désigne l’antisémitisme moderne. Pour les décolonialistes, Israël est le dernier État colonial », poursuit-il. Agrégé de lettres modernes, il enseigne à Paris 13 Villetaneuse (Seine-Saint-Denis). « Ici, l’union des étudiants algériens de France (UEAF) est la principale association. Et ça ne bouge pas du tout autour de la cause palestinienne, comme dans toutes les composantes pauvres des universités. Cette cause est portée par une idéologie mondialisée et par de jeunes bobos qui passent leur brevet de mondialisation ! » lâche-t-il. S’il veut encore croire à « l’universalisme », il constate que les jeunes n’y adhèrent plus et « préfèrent les étiquettes ». « On les a habitués à penser le monde à travers le prisme des minorités. Ce n’est même plus de l’idéologie, c’est de la morale », conclut-il.

Franco-américaine installée aux États-Unis depuis vingt ans, Alice Sedar, ancienne journaliste, a enseigné longtemps à l’université de Northeastern, à Boston. « Pour les jeunes Américains, la Palestine est la dernière cause à défendre, comme ils défendent les racisés, les homosexuels, les LGBT, le climat », résume-t-elle. Elle décrit cette « Gen Z », née après 1995, comme « la première génération vraiment multiculturelle des États-Unis ». Elle représenterait 20 % de la population. Une génération « très investie dans la démocratie multiraciale, là où, par le passé, la communauté noire portait la lutte ». Une génération qui a aussi vécu le 6 janvier 2021, lorsque des émeutiers [manifestants] pro-Trump ont pris d’assaut le Capitole dans un contexte de contestation des résultats de l’élection présidentielle.

« Cette génération s’engage pour des causes, pas dans des partis. Elle se méfie des institutions, poursuit Alice Sedar. Elle considère que la démocratie est en danger et assiste au détricotage par la Cour suprême des avancées sociales depuis les années 1970. » En juin, la Cour suprême a mis fin, dans les universités américaines, à la discrimination positive qui permettait aux étudiants noirs, latinos et asiatiques de bénéficier d’une surpondération.

« Slogans moins cash [francs, directs] »

« En France, les militants propalestiniens ne sont pas au niveau des Américains ! Les slogans sont moins cash. Mais ils s’inspirent directement des États-Unis », constate Thomas Le Corre, étudiant à Sciences Po, qui revient de deux ans passés à « Berkeley la Rouge », dans le cadre d’un double diplôme. Il suit aujourd’hui un double master [maîtrise] à HEC, d’où il observe, consterné, le spectacle offert par son école. « J’attendais de Sciences Po qu’elle organise un débat éclairé », explique le jeune homme. « On y parle de racisme systémique, de racisés, alors que le concept de communauté ethnique est étranger à la France. Aux États-Unis, la race est omniprésente », conclut l’étudiant qui a découvert, à Berkeley, que les Blancs étaient minoritaires derrière les Latinos et les Asiatiques, et que des logements privés étudiants étaient réservés à certaines ethnies.

Mais ce « copié-collé » américain a malgré tout une résonance en France. « L’importation de la conflictualisation des rapports raciaux y trouve un écho avec la guerre d’Algérie. La cause palestinienne canalise tout ce qui n’a pas été résolu », explique un professeur de littérature anglaise à Paris 8 Saint-Denis (93) qui, dans son groupe de langues étrangères appliquées anglais-arabe, compte 100 % d’étudiants algériens. Dans son université, le collectif Palestine est présent de longue date. « Il n’y a pas eu de problème, ni d’occupation puisqu’ils sont présents en permanence. Jean-Luc Mélenchon n’est pas venu. Il n’y a pas de voix à prendre », observe-t-il. À Paris 8, les « journées d’études » et manifestations artistiques font la part belle aux questions coloniales et de genre, très prisées des étudiants. « Les cours restent classiques à 80 %, car définis par les maquettes nationales. Mais on sait que l’on ne peut pas étudier Les Versets sataniques ou, pour ma part, certains textes de Shakespeare contenant des allusions sexuelles. La moitié de mes étudiantes sont voilées, explique-t-il. En revanche, quand je leur fais étudier des textes bibliques, c’est succès garanti. Ce qui les passionne, c’est la religion. »


Source : Le Figaro

jeudi 2 mai 2024

Inculture d'une étudiante américaine qui étudie en Argentine et choc racial

Une Américaine d'origine mexicaine qui a grandi en Californie du Sud part étudier en Argentine. Elle est choquée par tous les Blancs qu'elle rencontre à Buenos Aires qui "ressemblent à des Européens" et non à des Blancs américains... Quand elle se rend au Mexique, chaque année, elle ne voit pas de blancs, du moins où elle va au Mexique. Le sujet de la race étant tabou elle susurre plusieurs fois le mot « blanc », elle ne craint pas de dire normalement « afro-mexicains » ou des « bruns ».

Les États-Unis financent l'"éducation" à l'étranger de personnes qui ne sont même pas capables de consulter une encyclopédie sur l'endroit où elles se rendent.
Version plus longue:

Diversité — « homogénéiser les cultures anglophone et francophone » du diffuseur public ?

Un plan visant à « rapprocher » les services français et anglais de Radio-Canada occupe actuellement la haute direction du diffuseur public. La programmation pourrait être touchée par cet effort de convergence, ce qui fait craindre pour l’autonomie des services français. Le service anglais (la CBC) a une réputation d’être nettement plus à gauche (plus woke, voir notamment ci-dessous la controverse sur l’usage du mot nègre) que Radio-Canada. La CBC est aussi nettement moins regardée que Radio-Canada (5,8 % des téléspectateurs anglophones par rapport à 24,8 % des francophones aux heures de grande écoute). Certains voient dans cette mesure une ruse pour empêcher le Parti conservateur du Canada d’arrêter le financement que de la CBC, comme son chef Pierre Poilièvre le propose. Le Parti conservateur mène dans les sondages de près de 20 points sur le Parti libéral de Justin Trudeau. Cette volonté d’homogénéité de la part d’un organisme qui chante sans cesse les vertus de la diversité (sexuelle, raciale, religieuse) est assez étonnante.


Ce « plan de transformation » sera présenté au conseil d’administration à l’automne. Il s’agirait entre autres de réunir les directions de CBC et de Radio-Canada afin de faire face à la « concurrence des géants numériques ». La programmation pourrait être touchée par cet effort de convergence, ce qui fait craindre pour l’autonomie des services français. Une source bien au fait du dossier qui a requis l’anonymat a confirmé l’existence de ce plan au journal la Presse.



« On veut qu’une seule personne dirige l’ensemble des services », redoute Alain Saulnier, ancien directeur général de l’information de Radio-Canada, qui a eu accès à certains détails des changements qui guettent la société d’État.

Ce que ça signifie, c’est qu’on veut homogénéiser les cultures anglophone et francophone

Marco Dubé, vice-président et chef de la transformation à Radio-Canada, a été mandaté par le conseil d’administration pour piloter le dossier. « Le diffuseur public veut demeurer pertinent à long terme et le C.A. a demandé une réflexion sur comment on pouvait se transformer pour poursuivre notre transition vers le numérique », explique-t-il dans une entrevue pendant laquelle il a confirmé la volonté de la haute direction de rassembler des ressources de CBC et Radio-Canada.

En juin dernier, Catherine Tait, présidente-directrice générale du diffuseur, a vu son mandat renouvelé pour une période réduite de 18 mois, soit jusqu’en janvier 2025, dans un contexte délicat, marqué notamment par des tensions entre CBC et Radio-Canada et le départ surprise, en octobre dernier, du vice-président principal des Services français, Michel Bissonnette.

Le conseil d’administration de la Société est présidé par Michael Goldbloom, tandis que Catherine Tait y siège. Marco Dubé, considéré par plusieurs comme le « dauphin » de la patronne sortante de CBC/Radio-Canada, a tour à tour été journaliste, directeur général des Services régionaux et chef de cabinet de la PDG.

Un rapprochement entre les programmations française et anglaise est-il dans les cartons ? « Pas nécessairement », répond-il. « CBC et Radio-Canada jouent des rôles très particuliers chacun dans leur marché respectif. Radio-Canada joue un rôle très spécifique auprès des francophones. On doit préserver ça à tout prix et on va prendre les moyens pour le faire. »

« Pas nécessairement », mais l’idée n’est pas écartée ? « C’est le prochain PDG qui va décider de ces grandes questions-là, mais il y a vraiment derrière [notre réflexion] une utilisation judicieuse des fonds publics, et les Canadiens s’attendent à ce qu’on utilise l’argent de manière efficace. Ils s’attendent à avoir une qualité de programmation en français et en anglais, mais ils s’attendent aussi à ce qu’on soit une organisation qui ne dédouble pas les ressources juste pour le plaisir de dédoubler les ressources. C’est un peu ça qu’on regarde présentement et qu’on regardait il y a déjà plusieurs années. »

Empêcher la fin du financement public de la seule CBC ?

En décembre 2023, la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, avait annoncé la création d’un comité d’experts pour assurer la « pérennité » du diffuseur public. Cette initiative n’est pas liée à la « réflexion » lancée par le conseil d’administration, selon nos informations.

Toutes deux s’inscrivent néanmoins dans le même contexte, soit d’importantes pertes de revenus au sein du diffuseur public et la menace d’un définancement de CBC dans l’éventualité de l’élection du Parti conservateur aux prochaines élections fédérales.

Lors de sa campagne à la direction, Pierre Poilievre a martelé son intention de couper les vivres aux services anglais de la société d’État. Le chef conservateur, qui brandit encore aujourd’hui le slogan « Defund the CBC », a toutefois précisé qu’il comptait épargner la minorité francophone desservie par Radio-Canada.

Laisser tomber une seule moitié du diffuseur public nécessiterait des modifications législatives : un rapprochement entre les deux entités rendrait le plan conservateur encore plus difficile à mettre en œuvre. « Certains prétendent qu’on essaie d’empêcher Poilievre de démanteler CBC » en la raccordant à Radio-Canada, explique M. Saulnier.

« Ce n’est pas ça du tout », assure le chef de la transformation, Marco Dubé. Pas plus qu’il ne s’agit d’un legs que souhaite laisser la présidente-directrice générale Catherine Tait avant son départ, précise-t-il.

Les services français et anglais du diffuseur public mettent déjà en commun bon nombre de ressources. « C’est impossible d’imaginer Radio-Canada sans la présence de CBC, parce qu’on partage nos infrastructures, nos édifices, la technologie, les équipements, et même pour tout ce qui est de l’administration, des finances. Tout ça, c’est partagé. On est une seule entreprise, sauf pour la programmation [et] les nouvelles », avait expliqué la PDG lors d’un comité parlementaire à la fin du mois de janvier dernier.

Selon Alain Saulnier, Catherine Tait épouse la vision « one company » (une seule entreprise) d’Hubert Lacroix, président-directeur général de CBC/Radio-Canada de 2008 à 2017.

En décembre 2023, la décision de la haute direction de réduire de façon égalitaire le nombre de postes dans les services français et anglais avait causé la polémique, alors que la performance de Radio-Canada est nettement supérieure à celle de CBC, eu égard à leur marché respectif.

La question de l’autonomie des services français avait déjà refait surface en 2022 : le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes avait ordonné au diffuseur public de s’excuser après qu’un chroniqueur radio avait prononcé quatre fois en ondes le titre d’un essai de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique. La manière de réagir et de répondre au blâme de l’organisme public — qui a été annulé par la Cour d’appel fédérale en juin 2023 — a engendré un bras de fer tendu entre les directions de Radio-Canada et de CBC.

Alain Saulnier, qui est également spécialiste des médias, s’inquiète grandement d’une possible fusion des directions responsables des contenus. « Depuis 1970, on défend jalousement l’autonomie des services français à Radio-Canada, explique-t-il. Raymond David [ancien vice-président des services français de Radio-Canada] a obtenu cette indépendance [en 1968] parce qu’il jugeait essentiel de développer une programmation qui soit sensible à la réalité québécoise et à la réalité des francophones du pays. »

C’est ce que M. Saulnier craint de voir s’effriter.

La CBC/Radio-Canada en chiffres
 
125 millionsDéficit prévu de CBC/Radio-Canada pour l’exercice 2024-2025 avant l’annonce d’un nouveau financement de l’État. Quelque 800 postes étaient en jeu, soit 10 % de l’effectif.
346 Réduction de l’effectif à CBC/Radio-Canada depuis le mois de décembre dernier. L’entreprise s’est départie de 141 employés et a éliminé 205 postes vacants. Davantage de mises à pied sont écartées pour l’année en cours.
1,42 milliard Financement de CBC/Radio-Canada en 2024-2025, contre 1,3 milliard l’année précédente, selon des documents du ministère du Patrimoine canadien.
42 millionsVersement d’aide supplémentaire à CBC/Radio-Canada pour l’année en cours, selon le budget fédéral déposé le 16 avril dernier.

Source : La Presse, SRC, CBC

Le Canada et la France installent très peu de robots industriels


Graphique publié le 4 avril dans le Financial Times de Londres:

Source : International Federation of Robotics

mercredi 1 mai 2024

Ces nouveaux mots du dictionnaire Larousse, reflets de notre époque et d'une sélection

Cela fait 120 ans que, chaque année, on découvre les nouveaux mots et sens du Petit Larousse illustré, le dictionnaire qui se retrouve dans la plupart des foyers français. Il est toujours fascinant d’observer à quel point il est le reflet de notre société et de notre époque. Un exemple frappant : l’édition qui avait le ou la Covid-19 avait vu naître 80 mots issus du lexique médical sur les 150 nouvelles entrées.

Expression des inquiétudes de la société

Quelle est la tonalité de ce Petit Larousse 2025 ? « Nous avons beaucoup de mots nouveaux qui reflètent cette année des inquiétudes, des évolutions ou des mouvements forts», répond Carine Giracmarinier, directrice du département dictionnaires et encyclopédies. Elle cite l’exemple du mot « masculinisme » (courant venu des États-unis, en opposition au féminisme, qui veut réaffirmer des valeurs masculines) ; ce terme fait son apparition de la même façon que le « platisme » (le fait de croire que la terre est plate). Elle ajoute qu’un mot intéressant est en train de s’imposer : « empouvoirement », calqué sur l’américain «empowerment». On le retrouve dans les courants de pensée féministes. Il correspond à un processus sociopolitique qui consiste à vouloir prendre le pouvoir (dans le dictionnaire, le terme prend un sens plus large). Tous ces mots sont le reflet d’évolutions marquantes dans les domaines social, économique, politique ou écologique.

Une nouvelle édition du dictionnaire peut presque répondre à la question : comment va notre société ? «Il y a encore des inquiétudes, et les mots se font l’écho de ces inquiétudes. L’entrée du mot “cyberterrorisme” illustre cette tendance, ainsi que dans le domaine écologique, “mégabassine”», répond Bernard Cerquiglini,

éminent linguiste, qui est le conseiller scientifique du Petit Larousse illustré. Dans le registre des risques et des enjeux environnementaux, on découvre, par exemple, « agrotoxique » (se dit d’une substance utilisée en agriculture et présentant un certain degré de toxicité). Quant aux nouveaux mots de la société, il faut noter l’arrivée de « visibiliser » que l’on entend de plus en

plus, « désanonymiser » (certains rêvent d’une loi), « fast-fashion », ce terme étant souvent péjoratif, il exprime un modèle économique qui consiste pour un segment de l’industrie du prêtà-porter, à proposer un renouvellement rapide de collections à petit prix et de qualité médiocre… « Permittent » suit un mouvement sociétal où se mêle permanent et intermittent. Quant à « déconjugaliser », il suit une mutation liée au droit fiscal, puisque c’est le fait d’effectuer le calcul d’une prestation sociale ou d’un impôt en se basant uniquement sur les ressources d’un allocataire ou d’un contribuable, sans plus tenir compte du couple.

« Il semble que face à toutes ces inquiétudes, notre société recherche de solutions, avec des mots tel que “écogeste” ou le nouveau sens donné à “verdir” (devenir plus respectueux de l’environnement) et les expressions “zéro déchet” et “polluant éternel”», note Carine Giracmarinier.

La gastronomie moins en forme que la santé

Habituée à apporter son lot de nouveautés, la gastronomie semble avoir donné presque tous ses fruits ! « C’est vrai, il y a de moins de moins de mots qui en sont issus : la langue française s’en est largement nourrie, si je puis dire », explique Bernard Cerquiglini. Il n’y a que quatre mots pour cette nouvelle édition, ce qui est peu. On note l’entrée de «kombucha»: cher aux boutiques bio, il vient du japonais, « thé d’algues kombu ». Le numérique, aussi, a fait le plein. Moins de mots, également, issus du régionalisme et de la francophonie, on notera l’intéressant « se repatrier », qui vient de l’afrique de l’ouest et signifie « retourner volontairement dans son pays, pour s’y installer et y travailler». En revanche, la santé, qui a toujours apporté son lot au dictionnaire, continue d’innover, avec cette année «mycobiote », et une extension de sens avec «ciseaux moléculaires» (technique de laboratoire qui utilise une enzyme servant de guide pour couper une molécule D’ADN à un endroit ciblé).

S’il faut chercher un peu de légèreté, c’est du côté du sport (année olympique oblige ?) et des loisirs qu’il faut aller voir. Entrent : « trottinettiste », « ultra-trail », « webtoon », « spéléonaute» et «skatepark» mais le Petit Larousse recommande « planchodrome ». Pas sûr que ce dernier s’impose…

IFaire entrer un nouveau mot dans le célèbre dictionnaire exige beaucoup de patience. Et de la ténacité ! La directrice du département dictionnaires et encyclopédies explique le processus : «On observe environ 5000 nouveaux mots et nouveaux sens chaque année. On commence à travailler à partir de deux critères. Le premier est quantitatif et correspond à la fréquence d’usage du mot : cela nous permet de retomber autour de 1500-2000 mots. Ensuite, on applique un critère qualitatif : on vérifie que le mot est partagé par tous, et notamment par toutes les générations et le grand public. » L’équipe éditoriale se réunit avec les conseillers internes et externes. C’est un travail qui s’effectue de janvier à décembre. Les lexicographes font des fiches sur lesquelles ils notent ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent. « On débat sur chaque mot. La sélection n’est jamais simple. » Pour passer de 5000 à 150 nouveaux termes et sens, il n’y a qu’un principe qui s’impose : «Le Petit Larousse suit l’évolution de la société française. Nous réalisons une veille néologique permanente et nous n’intégrons pas un mot sans “attestation”, c’est-àdire sans qu’il colle à notre époque et à un usage courant. Seuls les mots qui font désormais partie de notre quotidien et qui ont dépassé tout phénomène de mode rentrent dans nos colonnes», affirme Carine Girac-marinier.

Comment naît un mot? Et face au wokisme?

Comment un dictionnaire se positionne-t-il face au wokisme, où la définition d’un mot devient une bataille idéologique? «On y réfléchit toujours,

dit Carine Girac-marinier. Quand on fait entrer des nouveaux mots, parfois certaines définitions sont longues à élaborer et demandent à être revues de nombreuses fois. Un adverbe mal placé peut changer une définition. On travaille beaucoup pour éviter toute polémique, toute interprétation. Quand nous avons défini woke et wokisme l’année dernière, nous avons introduit une note encyclopédique pour expliquer les différents sens et usages de ces deux termes. Chaque année, un travail d’orfèvre est réalisé dans le dictionnaire pour passer en revue des mots dont les sens sont devenus plus compliqués. Cela a été le cas du mot “race”, par exemple. À l’inverse, on a fait entrer “afrodescendant”, cette année, dont l’usage est très attesté. Pour certains mots, marqués comme péjoratifs ou polémiques, nous précisons que leur usage n’est pas souhaitable. Nous indiquons aussi, à travers des marqueurs, que certains termes ont vieilli et qu’il existe même des mots qui ne peuvent plus être utilisés aujourd’hui comme jadis. »

Il arrive également qu’il y ait avec le temps des modifications de définition mais aussi la décision de ne pas faire entrer certains mots. « Oui, par exemple, “iel”: nous ne l’avons pas retenu parce qu’il n’apparaît que dans des discours militants. C’est un usage militant, et nous, nous travaillons sur la langue commune », explique Bernard Cerquiglini. Il est aussi à noter que ce terme possède à ce jour peu d’occurrences et ne répond donc pas aux critères quantitatifs du Petit Larousse, fait remarquer la directrice du département dictionnaires et encyclopédies.

mardi 30 avril 2024

Jonathan Haidt : les écoles devraient interdire les téléphones, donner aux enfants la possibilité de grandir et de jouer en groupe

Dans son article à succès paru au début mars dans The Atlantic, " Le coût terrible d'une enfance basée sur le téléphone ", le cofondateur de Let Grow (laisser grandir), Jonathan Haidt, affirme que notre culture a tout faux lorsqu'il s'agit des enfants : Nous les "sous-protégeons" dans le monde virtuel et les surprotégeons dans le monde réel.

C'est le pire des deux mondes si l'on veut élever des enfants sains et heureux.

Ce qui se passe lorsque nous sous-protégeons les enfants dans le monde virtuel

L'article insiste beaucoup sur la façon dont les téléphones intelligents, apparus il y a une quinzaine d'années, ont "recâblé" l'enfance. Ils y sont parvenus en partie en plongeant les enfants (et le reste d'entre nous) dans un maelström de "j'aime", de comparaisons et d'informations erronées. Mais les téléphones ont également altéré la vie des enfants en leur faisant perdre le temps qu'ils passeraient dans le monde réel à courir, jouer, flirter, explorer et même dormir. Ce sont des choses dont les enfants ont besoin, mais qu'ils ne font pas assez.

Résultat ? Une génération de jeunes de plus en plus déprimés, anxieux et qui se font du mal, explique Haidt. Ses graphiques susciteront la peur dans le cœur de tous les parents :

Graphique tiré de l'article de The Atlantic sur l'automutilation

Mais Haidt ne se contente pas de dénoncer. Il propose quatre solutions. Trois d'entre elles concernent les téléphones : Les retirer des écoles, de l'arrivée à la sortie. Ne pas laisser les enfants posséder un téléphone intelligent avant l'âge de 14 ans. Et empêcher tout le monde d'utiliser les médias sociaux jusqu'à l'âge de 16 ans.

Ne pas surprotéger les enfants dans le monde réel

Son quatrième et dernier plaidoyer ? Redonner aux enfants un peu d'indépendance et de liberté de jeu. Pour ce faire, les écoles et les parents devraient se tourner vers les organisations qui œuvrent en faveur d'une enfance plus ludique et plus autonome. Plus précisément :

L'une des organisations que j'ai cofondées, LetGrow.org, propose une variété de programmes simples [gratuits] pour les parents ou les écoles, tels que le cercle de jeu (les écoles gardent la cour de récréation ouverte au moins un jour par semaine avant ou après l'école, et les enfants s'inscrivent pour jouer sans téléphone, avec des âges différents et de manière non structurée, comme activité hebdomadaire régulière) et l'expérience Laissez Grandir (une série de devoirs pour lesquels les élèves - avec l'accord de leurs parents - choisissent quelque chose à faire par eux-mêmes qu'ils n'ont jamais fait auparavant, comme promener le chien, grimper à un arbre, marcher jusqu'à un magasin ou cuisiner un dîner).

Comme le dit Haidt :

Ce serait une erreur de négliger cette quatrième norme. Si les parents ne remplacent pas le temps passé devant un écran par des expériences réelles impliquant des amis et des activités indépendantes, l'interdiction des appareils sera ressentie comme une privation, et non comme l'ouverture d'un monde aux multiples possibilités.

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lundi 29 avril 2024

Colombie-Britannique renonce à décriminaliser la drogue en public suite à un tollé sur l'insécurité engendrée


Bien que le Premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby (Nouveau Parti démocratique, à gauche du spectre politique), ait déjà défendu le projet pilote de décriminalisation des drogues de la province, il a finalement décidé d’y mettre un terme.

La Colombie-Britannique est revenue sur son projet pilote de décriminalisation des drogues, et interdit désormais la consommation de drogues dans tous les espaces publics, y compris les hôpitaux, les transports en commun et les parcs.

Ce revirement ne criminalise pas la possession de drogues dans les résidences privées ou dans les sites de prévention des surdoses et les lieux de contrôle des stupéfiants.

La province a inversé sa politique à la suite des critiques formulées par les maires, les politiciens provinciaux et fédéraux, et d’un récent tollé de la part des professionnels de la santé qui se sont sentis menacés par des patients consommant des drogues dans les hôpitaux.

« Notre priorité absolue est d’assurer la sécurité des personnes. Bien que nous soyons attentifs et compatissants à l’égard des personnes qui luttent contre la toxicomanie, nous n’acceptons pas les désordres de la rue qui font que les communautés ne se sentent pas en sécurité », a déclaré M. Eby.

La semaine dernière, de hauts responsables de la police ont témoigné devant une commission parlementaire, indiquant que le projet pilote de décriminalisation de la Colombie-Britannique ne comportait pas suffisamment de garde-fous pour maintenir l’ordre public.

Ce changement intervient le jour même où la ministre de la Santé mentale de la Colombie-Britannique, Jennifer Whiteside, a rencontré son homologue fédérale, Ya'ara Saks, à Vancouver, pour demander au gouvernement libéral d’aider la province à résoudre son problème de consommation de drogues dans l’espace public.

Par ailleurs, le NPD doit faire face à des élections cette année et les partis d’opposition, notamment le Parti conservateur de la Colombie-Britannique et BC United, se sont engagés à revenir sur la décriminalisation.

M. Whiteside a demandé à M. Saks de l’aider à renforcer la surveillance des lieux de consommation de drogue.

La police aura désormais la possibilité de lutter contre la consommation de drogues dans tous les espaces publics, mais les arrestations pour possession de drogues illégales ne pourront avoir lieu que dans des « circonstances exceptionnelles ».

« Nous prenons des mesures pour nous assurer que la police dispose des outils dont elle a besoin pour garantir des communautés sûres et confortables pour tout le monde, alors que nous élargissons les options de traitement pour que les gens puissent rester en vie et se rétablir », a ajouté M. Eby.

La police est encouragée à demander aux toxicomanes de partir, à saisir les drogues et, en dernier recours, à les arrêter si nécessaire.

Le ministre de la Sécurité publique de la Colombie-Britannique, Mike Farnworth, a déclaré que la province continuerait à cibler les bandes et les organisations criminelles qui fabriquent et trafiquent des drogues toxiques, tout en prenant des mesures pour interdire la consommation de drogues dans les espaces publics.

« Nos communautés sont confrontées à de grands défis. Des gens meurent à cause des drogues létales de rue, et nous sommes conscients des problèmes liés à l’usage public et au désordre dans nos rues », a déclaré M. Farnworth.

Le personnel hospitalier a également signalé une augmentation de la consommation de substances illicites dans les chambres et les salles de bains des patients, y compris dans les services de maternité, ce qui, selon lui, met en péril la sécurité du personnel et des patients.

Outre l’interdiction de la consommation de drogues dans les hôpitaux, la province a déclaré qu’elle améliorerait la sécurité des patients, des visiteurs et du personnel soignant.

Les patients admis dans les hôpitaux seront interrogés pour savoir s’ils ont un problème de drogue. S’ils répondent par l’affirmative, ils bénéficieront d’un soutien et d’une surveillance médicale pour s’assurer qu’ils reçoivent des soins personnalisés afin de les aider à gérer leur dépendance et leurs problèmes médicaux.

Le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, Adrian Dix, s’est félicité de la manière dont la nouvelle politique rendra les hôpitaux plus sûrs.

« Le plan d’action lancé aujourd’hui améliorera la manière dont les patients souffrant d’une dépendance sont soutenus lorsqu’ils ont besoin de soins hospitaliers, tout en évitant que d’autres personnes soient exposées aux effets secondaires de la consommation de drogues illicites », a déclaré M. Dix.

Tout en interdisant les drogues, la province accroît la disponibilité et l’accessibilité des opioïdes pour les personnes qui en sont dépendantes.

La province a déclaré qu’elle intégrerait les services d’aide aux toxicomanes dans les soins de santé, le logement et d’autres services connexes. La Colombie-Britannique a également fait part de son intention de travailler avec des experts pour « développer des méthodes permettant de suivre les solutions de remplacement prescrites dans le but d’identifier et de prévenir les détournements ».

La consommation de drogues illégales a explosé sur les plages, dans les parcs et dans les hôpitaux de la Colombie-Britannique depuis que le projet de décriminalisation de la province a été mis en œuvre le 31 janvier 2023, ce qui a suscité de vives réactions de la part du public.

Les consommateurs de drogues étaient autorisés à posséder et à utiliser de petites quantités de diverses drogues toxiques, comme le fentanyl, en public, sans être arrêtés ni subir de conséquences juridiques.

Les maires de toute la Colombie-Britannique ont qualifié de « crise » la consommation généralisée de drogues en public.

La Colombie-Britannique a enregistré un record d’au moins 2 511 décès présumés dus à la consommation de drogues illégales en 2023, malgré le projet pilote de décriminalisation en cours.

Quand les Français étaient fiers et heureux de lire des livres

L’effondrement de la lecture chez les plus jeunes suscite l’inquiétude. Le livre imprimé était révéré depuis Gutenberg. Et cette histoire fait comprendre la rupture vertigineuse que nous vivons.

Pause lecture dans l’herbe, en 1933

La jeunesse française lit de moins en moins, selon une étude récente du Centre national du livre (nos éditions du 9 avril). Le livre imprimé perd son prestige pour la génération née à l’ère d’internet, qui vit saturée d’écrans. Et seul le recul de l’histoire permet de mesurer ce qui se déroule sous nos yeux incrédules.

Le mot «livre» vient du latin liber, qui désigne à l’origine la partie de l’écorce de l’arbre utilisée pour porter un texte écrit. Imaginons un Romain cultivé qui, au Ier siècle après J.-C., lisait Virgile. Le lecteur tenait de la main droite le rouleau-livre (volumen) en papyrus d’Égypte et le déroulait de la main gauche à mesure qu’il progressait dans sa lecture. Dès le début du IIe siècle, ce rouleau est supplanté par des pages de parchemin cousues ensemble, moins chères, aptes à contenir davantage de caractères et plus maniables. D’ordinaire, on ne lisait pas en silence, mais à haute voix. Les adeptes de la lecture silencieuse, peu nombreux, étaient parfois regardés comme des originaux. Dans ses Confessions, saint Augustin rapporte avec surprise que l’évêque de Milan, saint Ambroise, lisait ainsi. Ces habitudes de lecture changent au Moyen Âge dans l’occident latin. Dans les monastères, la lecture à haute voix devient collective et cousine du chant liturgique. La lecture à voix basse (ruminatio)a pour but de mémoriser les textes sacrés pour mieux les retranscrire, et s’en nourrir l’âme. Mais il arrive aussi que des scribes monastiques lisent en silence. Aux XIIe et XIIIe siècles, cette dernière façon de lire est adoptée par les universitaires, eux-mêmes des clercs, puis, aux XIVe et XVe siècles, par aristocrates et humanistes. En 1454-1455, le premier ouvrage que Gutenberg choisit de fabriquer avec une presse à imprimer est le livre par excellence dans l’europe de l’époque : la Bible. Grâce à l’imprimerie, une production standardisée, rapide, à grande échelle et à un coût moindre devient possible, et rencontre le désir des humanistes de revenir au texte biblique en écartant les œuvres qui le commentaient. L’humanisme, au XVIe siècle, invite aussi, par la lecture, à redécouvrir les chefs-d’œuvre de l’antiquité et à étancher une soif de savoir nouvelle.

Montaigne n’éprouve aucun scrupule à annoter les ouvrages de sa bibliothèque pour pallier sa mauvaise mémoire. Au type de lecteurs distingués qu’il représente s’ajoutent des amateurs de romans (de chevalerie, et, surtout au XVIIe siècle, d’amour ou d’aventure). Le nombre de pages ne fait pas peur : Clélie, histoire romaine, de Mme de Scudéry, fait 10 volumes, parus entre 1654 et 1660. D’autres auteurs sont plus «grand public» et il est courant que des paysans ne sachant pas lire s’assemblent, à la veillée, autour d’une figure locale qui leur fait la lecture. Cervantès le dépeint dans Don Quichotte. Au XVIIIe siècle, le nombre de livres en circulation bondit. Une gravure d’après Greuze, La Bonne Éducation (1766), représente une jeune paysanne qui a appris à lire et fait la lecture à ses parents émus. La lecture personnelle devient l’objet d’un investissement affectif nouveau à mesure qu’apparaissent les prémices de l’individualisme. La Nouvelle Héloïse (1761) de Rousseau est un des livres les plus lus de son temps. Les passionnés apprennent par cœur leurs passages préférés du roman, ce qui ne semble pas avoir été le cas à ce degré dans les siècles antérieurs. Des âmes sensibles écrivent à l’auteur, s’épanchent et sollicitent parfois l’honneur d’un entretien. Le grand écrivain devient le directeur de conscience du lecteur, concurrençant le clerc.

Stendhal, dans Le Rouge et le Noir (1830) dépeint Julien Sorel dévorant le Mémorial de Saint-Hélène jusqu’à en oublier la scierie paternelle qu’il est chargé de surveiller. Le vieux paysan vitupère son fils, qu’il appelle « chien de lisard ». L’étude, donc la lecture, représente plus que jamais, au XIXe siècle, l’accès au savoir et l’espoir d’une ascension sociale. Mais aussi la soif de connaissance par ambition purement intellectuelle. Lycéen, Champollion apprend, outre le latin et le grec, l’hébreu, le syriaque et le chaldéen. Ce goût de l’absolu dans l’ordre de l’esprit, très présent au XIXe siècle, fertile en œuvres à l’ambition prométhéenne, Balzac le décrit dans Louis Lambert (1832). « Dès lors, la lecture était devenue chez lui une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir », écrit l’auteur au sujet de son personnage, pensionnaire chez les Oratoriens de Vendôme. La création d’une école primaire dans chaque commune de plus de 600 habitants, gratuite pour les enfants de familles pauvres, et la constitution d’un corps d’instituteurs (loi Guizot de 1833); les lycées de jeunes filles (loi Duruy de 1867) ; l’école primaire obligatoire, gratuite et laïque (lois Ferry de 1881-1882) font entrer la lecture dans l’ère des masses. Sous la IIIe République naissante, en 1877, un manuel scolaire pour l’apprentissage de la lecture, Le Tour de France par deux enfants, devient le bréviaire de générations d’écoliers. La révérence pour le livre sérieux et le sa(1953), voir se manifestent aussi par les cours du soir pour adolescents (il était courant de travailler dès 13 ans) et adultes dispensés par les « hussards noirs de la République» et des sociétés philanthropiques. En 1900, l’alphabétisation des Français est quasi générale. Toute la nation est entrée dans la culture écrite. Journaux et hebdomadaires fleurissent, proposés à prix modique. Les classiques des belles lettres coexistent avec la littérature populaire et de jeunesse où triomphent des genres anciens, comme le roman d’aventures, ou nouveaux, tel le roman policier (en particulier avec Arsène Lupin de Maurice Leblanc), souvent publié d’abord en feuilleton. La France s’enorgueillit alors de la réputation flatteuse d’être une nation littéraire, en raison d’un lien séculaire entre l’état, la politique et les lettres.

Des professeurs s’inquiètent pourtant. Avant même la Grande Guerre, «la langue courante s’est altérée, surtout à Paris, sous l’action des articles de journaux écrits à la hâte et par l’adoption de termes de la langue administrative et des expressions barbares ou étrangères employées dans la publicité commerciale », estime en 1933, au soir de sa vie, une figure de la Sorbonne, Charles Seignobos. Le radical poursuit cependant : «Mais l’instruction donnée dans les écoles et l’exemple des écrivains soucieux de la correction du style ont maintenu l’usage de la langue, et même de la prononciation, à peu près conforme à la tradition» (Histoire sincère de la nation française, rééditée chez Bartillat). À la même époque, Georges Duhamel, revenu horrifié d’un voyage aux États-unis, sonne le tocsin dans Scènes de la vie future (1930). À l’en croire, la civilisation de son pays, et donc au premier chef la lecture, sont menacés par les moeurs d’outre-atlantique. « L’Amérique semble prendre à cœur de précéder le reste de l’humanité dans la voie des pires expériences », écrit Duhamel. Tout le heurte aux États-unis : les gratte-ciel, le culte de la voiture, la mécanisation, le matérialisme qu’il croit voir partout. Mais le pire fléau pour Duhamel, c’est le bruit qui tue le silence indispensable à la lecture. L’écrivain soutient aussi que la radio habitue au règne de l’oralité, à l’à-peu-près, au délayage. Le secrétaire perpétuel de l’académie française précise plus tard sa critique : « Les auditeurs lettrés, dès qu’ils écoutent la radio, sont indisposés non seulement par l’extrême confusion des éléments de connaissance répandus au gré des ondes, mais encore par la faible quantité de substance intellectuelle vraiment nutritive qui se trouve diluée dans ce torrent de bruit » (séance publique annuelle des cinq académies, 25 octobre 1938).

Ces craintes, longtemps, ont paru démenties par les faits. Tout paraît concourir à la bonne santé de la lecture dans la France des Trente Glorieuses : besoin d’évasion de la jeunesse, lancement du livre de poche qualité du lycée et considération pour la littérature. Il en va tout autrement aujourd’hui. La fermeture de la célèbre librairie des PUF, qui trônait place de la Sorbonne à Paris, et son remplacement par un magasin de vêtements en 2006, ont pris valeur de symbole. Au règne des écrans s’ajoutent un déferlement d’anglicismes sans nécessité et un relâchement quasi général de la langue. L’appauvrissement du vocabulaire est manifeste dans les livres pour enfants et le passé simple, proscrit. Dans la traduction de 1955 du Club des cinq et le passage secret, encore vendue dans les années 1970, on lit : «Puis, ce fut le matin du départ. Dans une atmosphère de bruyante allégresse, les élèves de Clairbois achevèrent de boucler et d’étiqueter leurs valises. On attendit ensuite l’arrivée des autocars qui devaient transporter les pensionnaires et leurs bagages à la gare. Les minutes semblaient interminables. Enfin, les lourds véhicules franchirent les grilles du parc et vinrent s’arrêter devant le perron de la pension. Ils furent pris d’assaut en quelques instants par les jeunes voyageuses impatientes.» Or ce passage, dans l’édition de 2006, devient : « Arrive le matin du départ. Dans un brouhaha incessant, les élèves de Clairbois achèvent de boucler leurs valises avant de se précipiter dans les cars qui les emmèneront à la gare.» Plus loin, en 1955 : « Bientôt, les enfants virent déboucher la locomotive, coiffée d’un panache de fumée. » La phrase devient, en 2006 : « Bientôt, les enfants voient déboucher le train. »

Une partie de la nouvelle génération, née à l’heure d’internet, récuse comme scandaleuse l’idée d’une hiérarchie des livres et des écrivains où trôneraient, à son sommet, les chefs-d’oeuvre de la littérature légués par les siècles. Affirmer la supériorité de Chateaubriand ou de Victor Hugo sur une personnalité « vue à la télé » ou un livre de « dark romance » fabriqué de façon industrielle est souvent ressenti comme une offense à la démocratie. L’égale valeur de tout livre imprimé prend pour de nombreux jeunes gens un caractère d’évidence. Dans ce relativisme général, le libre choix du consommateur doit prévaloir, ce qui autorise toutes les démagogies. Jean-Michel Delacomptée, à qui on emprunte l’exemple du «Club des cinq», l’a souligné dans un magnifique essai, Notre langue française (Fayard, 2018). Il s’inquiète de voir louées, jusque par l’éducation nationale, « des œuvres de fiction publiées depuis peu et qui, outre une valeur incertaine, coincent dans leur époque les juvéniles lecteurs. Ouvrir ces romans, c’est allumer la télévision. Pas seulement celle des séries américaines, mais des “news”, avec une prédilection pour le sanglant, les faits divers sordides, ainsi que pour les drames politiques et les questions sociales toujours abordés sous l’angle du conformisme esthétique et moral. »

Il demeurera toujours, peut-on espérer, des lieux pour étudier les géants de la littérature, de tous les collèges et lycées qui ont la chance de bénéficier de professeurs de français exigeants jusqu’aux hypokhâgnes et khâgnes. Et il y aura toujours, assurément, des lecteurs pour les chefs-d’œuvre. Reste à savoir combien.



samedi 27 avril 2024

« Les enfants du Québec ne vont pas très bien »

Jérôme Blanchet-Gravel reçoit Joël Monzée aux grandes entrevues. Docteur en neurosciences, conférencier et auteur de plusieurs livres, notre invité constate que « les gens vont de moins en moins bien au Québec ».

vendredi 26 avril 2024

Die Welt : « Le document secret qui aurait pu mettre fin à la guerre en Ukraine »

Peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des négociateurs délégués par les deux belligérants avaient rédigé un traité de paix. 

Le document de 17 pages a été présenté en exclusivité au journal dominical allemand WELT AM SONNTAG (tirage de 350 000 exemplaires en 2017). Les espoirs d’un accord étaient grands. Mais l’étape décisive n’a jamais été franchie.

Quelques semaines après l’invasion russe de l’Ukraine, une solution pacifique aurait pu être trouvée. C’est ce qui ressort d’un projet d’accord que les deux belligérants avaient négocié jusqu’au 15 avril 2022. Le WELT AM SONNTAG a obtenu l’original du document. Selon ce document, Kiev et Moscou se sont largement mis d’accord sur les conditions d’une fin de la guerre. Seuls quelques points restaient en suspens. Ceux-ci devaient être négociés personnellement par Vladimir Poutine et Volodymyr Selensky lors d’une rencontre au sommet — qui n’a toutefois jamais eu lieu.

Immédiatement après le début de la guerre, les négociateurs russes et ukrainiens ont commencé à négocier ensemble la fin des hostilités. Alors que le monde et les Ukrainiens étaient sous le choc de l’invasion russe, Moscou a tenté d’obtenir la reddition de Kiev à la table des négociations.

Après le succès croissant de l’Ukraine sur le champ de bataille, la Russie s’est même éloignée de ses positions maximalistes. Les discussions ont finalement abouti aux premières négociations directes à Istanbul sous la médiation du président turc Recep Tayyip Erdogan fin mars [2022]. Les images de la rencontre sur les rives du Bosphore ont suscité globalement l’espoir d’une fin rapide de la guerre. En effet, les deux parties ont ensuite commencé à rédiger un projet d’accord.

Les grandes lignes de la paix ont fait l’objet d’un accord. Ainsi, selon l’article 1 du projet de traité, l’Ukraine s’engageait à une « neutralité permanente ». Kiev renonçait ainsi à toute appartenance à une alliance militaire. Une adhésion du pays à l’OTAN aurait ainsi été écartée. Les 13 sous-points du premier article montrent l’étendue de la définition de la neutralité.

Le pays s’est ainsi déclaré prêt à ne jamais « recevoir, produire ou acquérir » des armes nucléaires, à ne pas autoriser la présence d’armes et de troupes étrangères sur son territoire et à ne pas mettre son infrastructure militaire, y compris ses aérodromes et ses ports maritimes, à la disposition d’un autre pays. En outre, Kiev renonçait à organiser des exercices militaires avec la participation de pays étrangers et à prendre part à tout conflit militaire. Selon l’article 3 du document, rien ne s’opposait à l’adhésion de Kiev à l’Union européenne.

En contrepartie, la Russie garantissait qu’elle n’attaquerait pas à nouveau l’Ukraine. Pour que Kiev puisse en être sûr, Moscou acceptait que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie elle-même, puissent donner à l’Ukraine des garanties de sécurité complètes. Dans l’article 5 du projet de traité, Kiev et Moscou ont convenu d’un mécanisme qui rappelle la clause d’assistance de l’OTAN.

Droit à l’autodéfense

En cas d’« attaque armée contre l’Ukraine », les États garants s’engageraient à aider Kiev à exercer son droit à la légitime défense, garanti par la Charte des Nations unies, dans un délai maximal de trois jours. Cette assistance pourrait prendre la forme d’une « action commune » de toutes les puissances garantes ou de certaines d’entre elles. Selon l’article 15, ce traité aurait dû être ratifié dans chaque État signataire afin de garantir son caractère contraignant en droit international.

Les deux parties avaient ainsi élaboré un mécanisme qui se distingue nettement du mémorandum de Budapest de 1994. À l’époque, la Russie avait déjà assuré l’Ukraine de son intégrité territoriale. Les pays occidentaux avaient promis leur aide à Kiev en cas d’attaque, mais ne l’avaient pas garantie.

Toutefois, les garanties de sécurité qui étaient sur la table au printemps 2022 auraient encore dû être approuvées dans un deuxième temps par les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne et la France. La Russie souhaitait en outre inclure la Biélorussie, Kiev souhaitait la participation de la Turquie. Le premier objectif des négociateurs à Istanbul était toutefois de créer une entente entre Kiev et Moscou afin d’utiliser le texte comme base pour des négociations multilatérales.

Cette démarche a manifestement été entreprise à la demande de l’Ukraine, afin de montrer que la Russie accepterait un mécanisme de protection sur le modèle de l’OTAN. En effet, l’Ukraine a réussi à imposer ses vues à Moscou. La formulation du projet d’accord ressemble en grande partie à celle du communiqué d’Istanbul. Il s’agissait d’un document de deux pages dont WELT AM SONNTAG a [également] obtenu une copie.

Dans ce document, l’Ukraine exposait ses exigences avant la réunion des négociateurs du 29 mars 2022 à Istanbul, sous la médiation du président turc Erdogan.
À la suite de ces discussions, les délégations des deux pays ont rédigé le projet d’accord du 15 avril lors de négociations menées en ligne.

Il en ressort de l’article 8 que la Crimée et le port de Sébastopol sont exclus des garanties de sécurité. Kiev a ainsi accordé de facto à la Russie le contrôle de la péninsule. La demande initiale de l’Ukraine, à laquelle un passage du communiqué d’Istanbul a été consacré, selon laquelle le statut de la Crimée doit être clarifié dans le cadre de négociations dans les dix à quinze prochaines années, ne se retrouvait pas dans le projet d’accord.

Le document ne précise pas quelle partie de l’Ukraine orientale devrait être exclue de la promesse de protection des États garants. Les passages concernés ont été marqués en rouge. Il ressort du communiqué d’Istanbul que Kiev aurait accepté d’exclure certaines parties des oblasts de Donetsk et de Louhansk, que la Russie contrôlait déjà avant le début de la guerre. La délégation russe a en revanche insisté pour que la définition des frontières soit effectuée par Poutine et Zelensky en personne et reportée sur une carte.

La délégation ukrainienne a rejeté cette idée. Kiev a exigé que l’on détermine où se situe la frontière selon la vision ukrainienne. Autre problème : la Russie a exigé qu’en cas d’attaque, tous les États garants soient d’accord pour activer le mécanisme d’assistance. Cela aurait donné à Moscou un droit de veto lui permettant de neutraliser le mécanisme de protection. En outre, Moscou a rejeté la demande ukrainienne selon laquelle les États garants pouvaient établir une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine en cas d’attaque.

La Russie a certes signalé lors des négociations qu’elle était prête à se retirer d’Ukraine, mais pas de la Crimée ni de la partie du Donbass qui devait être exclue des garanties de sécurité. Les chefs d’État devaient discuter directement des détails de ce retrait. Deux négociateurs ukrainiens l’ont confirmé indépendamment l’un de l’autre au journal WELT AM SONNTAG.

La question de la dimension future de l’armée ukrainienne n’a pas non plus été résolue. Kiev a partiellement répondu à la demande russe de démilitarisation. Selon l’« Annexe 1 », Moscou a exigé que Kiev réduise son armée à 85 000 soldats — environ un million servent actuellement. L’Ukraine a proposé un effectif de 250 000 soldats.

Les deux parties ont également divergé sur la question du nombre d’équipements militaires. Ainsi, la Russie demandait de réduire le nombre de chars [ukrainiens] à 342, Kiev voulait en garder jusqu’à 800. L’Ukraine ne voulait réduire le nombre de véhicules blindés qu’à 2400, la Russie demandait à ce que seuls 1029 soient conservés.

En ce qui concerne les pièces d’artillerie, la différence était également importante. Moscou en prévoyait 519, Kiev 1900. Kiev voulait conserver 600 lance-roquettes multiples d’une portée allant jusqu’à 280 kilomètres, alors que la Russie en aurait voulu 96 d’une portée maximale de 40 kilomètres. Les mortiers devaient être réduits à 147 unités selon les vœux de la Russie et les missiles antichars à 333, contre respectivement 1080 et 2000 selon Kiev.

En outre, l’armée de l’air ukrainienne devait être fortement réduite. Moscou exigeait le maintien de 102 avions de combat et 35 hélicoptères, Kiev insistait sur 160 avions à réaction et 144 hélicoptères. Les navires de guerre devaient être au nombre de deux selon les Russes, de huit selon les Ukrainiens.

Même si des points essentiels restaient en suspens, le projet d’accord montre à quel point on était proche d’un possible accord de paix en avril 2022. Poutine et Zelensky auraient dû régler les points litigieux restants lors d’un face-à-face. Mais après le sommet prometteur d’Istanbul, Moscou a posé des exigences ultérieures que Kiev n’a pas acceptées.

Elles sont notées en italique dans le document. Selon ce document, la Russie a demandé que le russe devienne la deuxième langue officielle en Ukraine, que les sanctions réciproques soient levées et que les plaintes déposées devant les tribunaux internationaux soient abandonnées. Kiev devait également faire interdire par la loi « le fascisme, le nazisme et le nationalisme agressif ».

Comme l’a appris le journal WELT AM SONNTAG auprès de plusieurs diplomates impliqués dans les négociations, l’intérêt pour une solution au printemps 2022 était grand. La Russie s’était retirée du nord de l’Ukraine après l’échec de son avancée sur Kiev et avait annoncé vouloir se concentrer sur des conquêtes territoriales à l’est. L’Ukraine a pu défendre sa capitale en déployant les plus grands efforts, les livraisons d’armes lourdes occidentales n’étaient pas encore en vue.

« Le meilleur accord que nous aurions pu avoir »

Même après plus de deux ans de guerre, l’accord paraît toujours avantageux rétrospectivement.

« C’était le meilleur accord que nous aurions pu avoir », a déclaré un membre de la délégation de négociation ukrainienne de l’époque au WELT AM SONNTAG. Depuis des mois, l’Ukraine est sur la défensive et subit de lourdes pertes. À l’époque, l’Ukraine était dans une meilleure position de négociation que maintenant. Si l’on avait pu mettre fin à cette guerre coûteuse après environ deux mois, cela aurait sauvé d’innombrables vies et épargné beaucoup de souffrances.

Il ressort de l’article 18 du projet de traité que les négociateurs pensaient à l’époque que les deux chefs d’État signeraient le document en avril 2022. Le négociateur ukrainien David Arakhamia a donné au moins un indice sur la raison pour laquelle Poutine et Zelensky ne se sont jamais rencontrés pour le sommet de paix final espéré, lors d’une interview télévisée en novembre 2023.
Selon ce rapport, le Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, s’est rendu à Kiev le 9 avril et a déclaré que Londres ne signerait « rien » avec Poutine — et que l’Ukraine devait poursuivre les combats. Johnson a certes démenti cette assertion par la suite. On peut toutefois soupçonner que la proposition de donner des garanties de sécurité à l’Ukraine de concert avec la Russie avait déjà échoué à ce moment-là. L’Ukraine aurait pourtant eu besoin de ces garanties pour se prémunir à l’avenir contre la Russie.

Source : Die Welt