samedi 18 janvier 2020

L'imposition de l’écriture jawi (arabe) enflamme la Malaisie

Le ministre de l’Éducation de la Malaisie, Maszlee Malik, a démissionné le 2 janvier. Les ennuis ont commencé lorsque le gouvernement a annoncé qu’il obligerait tous les enfants de dix ans à apprendre l’écriture jawi. Il s’agit d’une écriture analogue à l’arabe. Les textes en malais, langue de la majorité de la population de Malaisie, utilisaient cette écriture avant que les réformateurs du XXe siècle n’imposent l’alphabet latin comme norme administrative et scolaire.

Le jawi n’est plus guère utilisé de nos jours, bien qu’on trouve des traces sur les timbres, les billets de banque et quelques autres endroits. Sa préservation est importante pour les Malais de souche qui craignent que leur héritage et leur culture ne soient menacés par le multiculturalisme de la Malaisie moderne, héritage du colonialisme britannique.

Les Malais ne sont pas les uniques citoyens de la fédération malaise. Environ 25 % de Malaisiens est d’origine chinoise et 10 % d’origine indienne, établis depuis plusieurs générations. Il y a, en outre, les « Orang Asli » (populations autochtones). L’origine ethnique des citoyens (malaise, chinoise, tamoule ou autre) est mentionnée sur la carte d’identité et le passeport. On trouve des minorités eurasiennes à Kuala Lumpur, Melaka et Penang.

Même texte en malais (« No1, réputé et digne de confiance ») écrit dans l’écriture traditionnelle jawi (en haut) et en lettres latines (en bas). Les deux lignes se prononcent de la même façon. Panneau affiché à Kutuan la capitale de l’État malais du Pahang.

L’an dernier, les autorités de Pahang, le plus grand État de la péninsule malaisienne, ont décrété que les panneaux de circulation et les enseignes commerciales devaient tous être écrits à la fois en écritures jawi et latine.

L’introduction des cours d’écriture jawi a alarmé les écoles dont la clientèle est principalement issue des minorités ethniques chinoises et indiennes de Malaisie. Minorités qui représentent ensemble environ un tiers de la population du pays. Ces écoles jouissent d’une certaine liberté pour établir leurs propres programmes. Leurs directions ont déclaré que l’imposition du jawi était incompatible avec cette liberté pédagogique. Certaines écoles craignent que, en cédant sur l’imposition du jawi, elles n’établissent un précédent et enhardissent les autorités malaisiennes qui voudraient imposer aux écoles minoritaires d’autres matières scolaires chères à la majorité ethnique malaise, notamment davantage de contenu islamique. Certains groupes marginaux en Malaisie s’opposent catégoriquement à l’enseignement en chinois et en tamoul. En octobre, plusieurs mouvements promalais, réunis lors d’une conférence baptisée « Congrès de la dignité malaise », ont fait valoir qu’il fallait mettre un terme aux écoles chinoises et tamoules.

Le gouvernement a quelque peu reculé. Il a réduit les heures consacrées au jawi dans son nouveau programme d’études et a déclaré que les écoles n’auront à l’enseigner que si la majorité des parents d’élèves sont d’accord.

Ces mesures n’ont pas réussi à apaiser les écoles des minorités ethniques et leur résistance continue a, à son tour, rendu furieux certains nationalistes promalais. Fin décembre, la police a interdit à Dong Jiao Zong, une association éducative qui défend les intérêts des étudiants chinois, d’organiser des réunions pour discuter de la controverse. Certains groupes promalais avaient prévu de manifester lors de ces réunions. Les autorités semblaient craindre que ces réunions n’occasionnent des violences.

La démission de M. Maszlee pourrait ramener le calme. M. Maszlee avait accumulé les maladresses, il n’avait pas notamment réussi à convaincre les sceptiques qu’il n’y avait pas d’ordre du jour caché derrière l’imposition du jawi, qu’il n’y avait « pas de crevette sous roche », pour utiliser une expression malaise.

Il est le premier membre du cabinet à démissionner depuis que le Pakatan Harapan (PH), la coalition multiethnique au pouvoir, a remporté les élections générales en 2018. L’accession au pouvoir du PH avait suscité l’espoir de rapports apaisés entre les communautés ethniques de la Malaisie qui trancheraient avec ceux entretenus lors des mandats de son prédécesseur, le Barisan Nasional (Front national). Le BN était au pouvoir depuis l’indépendance du pays, en 1957, jusqu’aux élections de mai 2018. Le BN est une alliance de mouvements conservateurs, d’adeptes du suprématisme malais et de libéraux économiques. Ces espoirs ont été déçus et le PH semble plutôt avoir ravivé la contestation identitaire.


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