lundi 15 janvier 2024

Pologne — Le tournant autoritaire du « libéral » Donald Tusk

L’arrestation de deux ex-ministres marque la reprise en main des médias publics par le nouveau Premier ministre.

Dans la nuit glaciale du mois de janvier, au milieu des lumières scintillantes de l’enfilade de l’avenue du faubourg de Cracovie et de Nowy Swiat, sorte de Champs-Élysées locaux, des manifestations se sont formées devant le palais Koniecpolski, siège officiel de la présidence de la République polonaise.

Devant ce lieu où fut signé le pacte de Varsovie et où se sont tenues les réunions de préparation des premières élections libres à la fin de l’ère communiste, les partisans du PIS (Parti droit et justice) s’étaient rassemblés pour se dresser contre l’arrestation, mardi 9 janvier, de Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik, respectivement ancien ministre et vice-ministre de l’Intérieur.

L’affaire remonte à 2015, quand un tribunal de première instance les condamne à trois ans de prison pour une ténébreuse affaire de déstabilisation d’un parti membre de la coalition au pouvoir huit ans plus tôt.

Sans attendre la fin de la procédure judiciaire, une grâce est prononcée par le chef de l’État. Jugée illégale par la Cour suprême, une deuxième condamnation à deux ans de prison ferme a été prononcée cette fois au mois de décembre dernier, moyennant quoi un mandat d’amener a été délivré à leur encontre, et leur élection en tant que députés annulée.

Mardi après-midi, juste avant leur arrestation, effectuée à la faveur de l’absence du président de la République, Andrzej Duda, qui devait se rendre à une réception, les intéressés avaient fait une déclaration à la presse, filmée dans la cour du palais présidentiel. Se sachant cernés par les forces de l’ordre, ils ont été les premiers à prononcer les mots de prisonnier politique et de dictature qui, qui, par la suite, allaient faire tache d’huile.

Mariusz Kamiński a entamé une grève de la faim, considérant son incarcération comme « un acte de vengeance politique ». Interrogé, Donald Tusk a préféré botter en touche en se réfugiant derrière l’indépendance de la justice et accusant ses rivaux d’avoir créé un « chaos juridique sans précédent ».

Selon David Engels, historien belge et professeur de recherche à Instytut Zachodni de Poznań, « il y a très clairement un risque autoritaire : nous sommes confrontés à une série de réformes destinées à faire taire toute velléité d’opposition et de mettre au pas la Pologne. On a muselé la télévision, effacé les documentaires négatifs sur Donald Tusk et éliminé la possibilité pour l’opposition conservatrice de faire entendre sa voix. Le but, en arrêtant un ancien ministre de l’Intérieur, est de décapiter le système sécuritaire du PIS et de l’afficher clairement pour reprendre le contrôle ».

Jeudi, le PIS a d’ailleurs contre-attaque en déployant des milliers de ses soutiens dans la rue pour s’opposer à la politique de la coalition nouvellement arrivée au pouvoir.

Cette chasse aux sorcières intervient dans un pays fracturé

Ce contexte politique explosif intervient dans le cadre du résultat des dernières élections législatives qui ont porté le dirigeant libéral pro-européen au pouvoir, mais ne lui ont pas accordé de majorité absolue.

D’un côté, le PIS, avec 35,38 % des voix et 194 députés sur 460 à la Diète, a perdu sa capacité de gouverner, n’ayant pas d’alliés assez puissants pour constituer une majorité. De l’autre, le parti de Donald Tusk, la Plateforme civique, n’a récolté que 30,70 % des voix ainsi que 157 députés et a dû constituer une coalition hétéroclite avec la gauche et les chrétiens démocrates de Troisième voie, érigés en véritables faiseurs de rois.

L’étude des cartes des résultats électoraux est à ce titre saisissante : l’Est et la Petite-Pologne, où sont concentrées les classes populaires, ont apporté leurs suffrages aux conservateurs, quand l’Ouest et Varsovie, c’est-à-dire les régions les plus riches, se sont tournés vers les libéraux.

Depuis son investiture le 13 décembre, Donald Tusk, accueilli comme un héros par Bruxelles et la classe médiatique, n’a eu de cesse d’accentuer sa mainmise sur le pouvoir en déclenchant une gigantesque purge des médias publics.

Il y a à peine plus d’un mois, le chef du gouvernement avait brutalement licencié l’ensemble des dirigeants de la radio, de la télévision et de l’agence de presse publique polonaise. Quelques semaines plus tard, ces organisations ont d’ailleurs été mises en liquidation, le tout dans le silence assourdissant de la Commission européenne.

Pour David Engels, « Tusk, en tant qu’ancien président du Parti populaire européen, est sous l’influence idéologique des gouvernements de l’Allemagne et de la France. La Pologne est d’ailleurs devenue l’hinterland économique de l’Allemagne, ce qui va de pair avec les pressions d’une Union européenne dominée par elle, La Pologne a signé le compromis migratoire voulu par Bruxelles, des demandes s’exprimant maintenant pour ouvrir les frontières avec la Biélorussie où transitent les migrants. On commence aussi à supprimer les croix et à enlever les crèches dans les lieux publics. »

 Source : Le Journal du dimanche

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