mardi 26 septembre 2017

France — le ministre de l'Éducation Blanquer bouscule la « gauche pédago »

L’homme du « prédicat », ce concept grammatical arrivé à l’école primaire et au collège en 2016, a démissionné. Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), l’instance qui a réécrit les programmes de la maternelle à la 3e [secondaire], s’en prend vivement au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer (ci-contre), qu’il n’hésite pas à qualifier de « réactionnaire » et dont il dénonce les annonces « souvent unilatérales et idéologiques ». Au-delà, c’est bien deux visions de l’école qui s’affrontent. Tandis que Michel Lussault est devenu le symbole du « pédagogisme », Jean-Michel Blanquer met l’accent sur les « fondamentaux » et la méthode de lecture syllabique. « Je suis dans un travail d’organisation de l’Éducation nationale pour que tous les enfants sachent lire, écrire, compter et respecter autrui à la sortie de l’école primaire. Si ça gêne M. Lussault, ce n’est vraiment pas grave qu’il s’en aille », a-t-il réagi, cinglant.

Le géographe Michel Lussault, homme revendiqué de gauche et nommé par la controversée ancienne ministre de l’Éducation Nadjat Blekacem, s’en prend vivement au ministre de l’Éducation actuel, Jean-Michel Blanquer, qui, explique-t-il, par des « annonces souvent unilatérales et idéologiques », « prend grand soin » de se présenter comme « l’anti Najat Vallaud-Belkacem ». Un ministre que Michel Lussault n’hésite pas à qualifier de « réactionnaire » ou tout au moins « trop complaisant par rapport à des gens qui inventent une école de la République qui n’a jamais existé ». « J’aimerais que le modèle de l’école de la République ne soit pas celui de l’école jésuite », lâche-t-il encore, ciblant un camp de l’élitisme et de la sélection, à qui il oppose celui des partisans de « la connaissance pour tous », dans les rangs desquels il se range. « La bataille entre les tenants et les adversaires d’une démocratisation scolaire […], qui se joue depuis les années 1960, n’est pas tranchée », clame Michel Lussault. Au risque de tomber dans les clivages caricaturaux que, précisément, il dénonce…

Face à ces propos, le ministre, lui, a la riposte cinglante. « Je suis dans un travail d’organisation de l’Éducation nationale pour que tous les enfants sachent lire, écrire, compter et respecter autrui à la sortie de l’école primaire. Si cela gêne M. Lussault, ce n’est vraiment pas grave qu’il s’en aille », a rétorqué sur RTL Jean-Michel Blanquer, dénonçant au passage les « termes outranciers » de son pourfendeur. Ce dernier a en effet estimé que la présence du ministre « à la une de médias comme Causeur ou Valeurs actuelles » était destinée à satisfaire « quelques bas instincts d’une clientèle politique ».


Deux visions de l’école qui s’affrontent. Et un jeu de symboles. Géographe, auteur d’un récent ouvrage intitulé Hyper-lieux. Les nouvelles géographies politiques de la mondialisation, Michel Lussault, nommé en 2014 à la tête du Conseil supérieur des programmes par l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem, a fait de cette instance un nid à polémiques. À tort ou à raison, il reste associé à la première version des programmes — bien vite revue au regard du flot de critiques — qui faisait la part belle au jargon pédagogiste et reléguait, en histoire, les Lumières au rang des thèmes facultatifs. La version finale de ces nouveaux programmes, entrés en vigueur en 2016, a conservé le fameux prédicat, auquel son nom reste associé. Face au fougueux Lussault, l’austère Blanquer. Agrégé de droit, ancien recteur, ex-numéro deux de la Rue de Grenelle (le ministère de l’Éducation nationale) sous l’ère Nicolas Sarkozy, il se refuse à élaborer, depuis son arrivée à la tête du ministère sous la présidence de Macron, une énième loi sur l’éducation, tout en montrant clairement le changement de cap. Accent sur les « fondamentaux », mise en place d’évaluations nationales en CP [1ere année du primaire] et en 6e, davantage de chronologie en histoire et en littérature, maîtrise des quatre opérations mathématiques dès le CP et le CE1… Des annonces qui promettent d’entacher l’œuvre du professeur Lussault. Pour asseoir la méthode de lecture syllabique, le ministre se réfère aux neurosciences, quand l’ex-patron du Conseil des programmes explique qu’il ne faudrait pas oublier « la psychologie, la sociologie, l’histoire de l’Éducation ».

Adieu, prédicat, EPI [projet « transversal » mêlant plusieurs disciplines] et déplacements en milieu aquatique profond… Le président du Conseil des programmes, Michel Lussault, dernier héritage de l’ère Vallaud-Belkacem, symbole du pédagogisme, professeur doué d’une évidente disposition pour les périphrases jargonnantes dont il avait truffé les programmes, a démissionné. Ceci pour « envoyer un message au ministre », qui aurait « franchi quelques limites ». On ne peut qu’applaudir. Au geste d’abord : le départ de l’homme qui n’aimait pas la grammaire, voulait supprimer les classes bilangues, le latin et le grec, ou troquer l’enseignement obligatoire de l’histoire de la chrétienté médiévale contre celui des origines de l’islam, ne fera pas de tort à la communauté éducative. Au constat ensuite : Jean-Michel Blanquer a en effet franchi — de manière assez inhabituelle dans l’Éducation nationale — une ligne rouge : il est résolument passé du côté du bon sens. Depuis son arrivée Rue de Grenelle, le ministre décline un programme solide qu’il a construit au fil de sa carrière et abondamment défendu dans ses ouvrages, de sorte qu’il ne prend personne de court : culture de l’évaluation, enseignement des « fondamentaux », approche chronologique en histoire et en littérature, maîtrise des quatre opérations mathématiques en CP et CE1, suppression de la méthode globale, du prédicat et des rythmes scolaires… Une entreprise inespérée après tant d’années de règne du pédagogisme qui lui vaut le qualificatif de « brutal »… Jean-Michel Blanquer satisfait-il de cette façon les « bas instincts » des « réactionnaires », comme le proclame Michel Lussault ?

Priorité aux banlieues ?

Notons que d’aucuns pensent que les mesures du nouveau ministre Blanquer visent principalement les banlieues (les « zones d’enseignement prioritaire », ZEP). Extraits de cette tribune à contre-courant.
Puis, de 2007 à 2009, [le nouveau ministre Blnaquer] devient recteur de l’Académie de Créteil et c’est lui l’initiateur des 20 000 places d’internats d’excellence réservées aux élèves issus de l’immigration, politique mise en cause à la fois par l’Inspection générale et par la Cour des comptes, d’une part en raison de l’atteinte au principe d’égalité, d’autre part en raison du coût prohibitif du projet, les dépenses induites dépassant tous les délires — JM.BLANQUER proposait même de rémunérer les élèves !

Toujours à ce poste, il est à l’origine des « conventions d’éducation prioritaire » qui dispensent les élèves relevant de la politique de la ville et des ZEP du concours de recrutement pour intégrer Sciences Po, l’admission se faisant — pour eux seulement — sur dossier.

A la suite de controverses sur cette politique, il abandonne ce poste en 2009 et devient directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de Luc Chatel jusqu’en 2012.

Dans cette fonction, Jean-Michel BLANQUER supprime 80 000 postes d’enseignants et met en œuvre la réforme du lycée qui constitue une véritable révolution culturelle puisqu’elle repose entre autres, sur :

  • Un appauvrissement des contenus matérialisé par une réduction importante des horaires de cours remplacés par des pédagogies de projet …. 
  • Une autonomie des établissements scolaires non plus dans le cadre d’une déconcentration, mais d’une décentralisation où il n’y a pas d’obligation de résultat, mais seulement de moyens, à savoir des activités en remplacement des cours, 
  • Une désagrégation de la transmission de la culture française avec une survalorisation de la LVE (langue étrangère, en réalité c’est l’anglais) au détriment du français.

[...]

De 2013 à 2016, il devient directeur général de l’ESSEC, École en pointe pour la politique d’« éducation prioritaire » et à l’origine d’une multitude de dispositifs en faveur des élèves des ZEP. 500 000 d’entre eux ont déjà bénéficié de ces différents dispositifs.

Outre ce cursus, il faut signaler que JM.BLANQUER est très proche de l’Institut Montaigne, Institut proche des milieux libéraux optimistes face à la mondialisation.

D’ailleurs, il appartient au comité directeur d’« Agir pour l’école », organisation satellite de l’Institut Montaigne dédié à l’école élémentaire qu’il a aidée pour lancer un projet « lecture » dans les écoles des quartiers populaires « voulant sauver les gamins des banlieues en contournant — ce qu’il considère comme — les “archaïsmes de l’école publique” !

Pour cette année, les classes de CP (cours préparatoire) sont dédoublées, mais pour les REP+ seulement, sachant que les REP+ sont les “réseaux d’éducation prioritaire renforcés” dans lesquels sont scolarisés ceux que nos gouvernants appellent les “migrants” et ce que le système éducatif appelle les “élèves allophones nouvellement arrivés”. 2500 classes et 2500 postes sont redéployés, à raison de 12 élèves par classe, ce qui fait un total de 60 000 élèves, sachant qu’à la rentrée 2018, seront également dédoublées les classes de CP (cours préparatoire) et de CE1 des REP et des REP+ (1100 en tout sur le territoire national) : 12 000 classes seront concernées, à raison de 12 élèves par classe, ce qui donne un total de 144 000 élèves.

Dans ces classes seulement, ce dédoublement est accompagné du maintien du dispositif “plus de maîtres que de classes” et de “la qualité de la pédagogie déployée dans ces classes… enjeu majeur” a bien précisé JM. BLANQUER, son objectif étant de “garantir pour chaque élève, à la sortie du CP, l’acquisition des savoirs fondamentaux”.

Rappelons que, pour nos enfants, cet objectif doit être atteint seulement fin de 3ème !

[...]

JM.BLANQUER rétablirait un véritable enseignement du latin et du grec ? En réalité, Il n’a pas dit qu’il revenait sur l’incorporation, par NV BELKACEM, du latin et du grec dans les “enseignements pratiques interdisciplinaires”, il a simplement déclaré : “les établissements qui le souhaitent peuvent faire évoluer l’organisation par la mise en place d’un véritable enseignement du latin et du grec”, c’est-à-dire qu’en réalité, ceux qui veulent continuer à faire cours peuvent le faire, il s’agit d’un simple assouplissement : il n’organise pas le rétablissement du latin et du grec, il ne prend aucune décision à cet égard et notamment, il n’envisage pas le rétablissement du CAPES de lettres classiques supprimé en 2013.

Au cours de son entretien à “Valeurs actuelles” du 31 août 2017, nous apprenons que “des cérémonies de remise des prix existent dans certains cas,” dit JM.BLANQUER “pudiquement” au journaliste qui l’interroge… il oublie seulement de préciser que c’est uniquement dans les REP puisque c’est uniquement dans ce cadre, que l’excellence est recherchée.


Voir aussi

France — Le “prédicat” ou la grammaire réinventée, où l’on reparle du Québec [où ce concept peu utile en grammaire est enseigné depuis plusieurs années. Notons qu’en France l’introduction du “prédicat” retardait désormais l’apprentissage du COD/COI essentiel aux accords des participés passés.]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Au sujet de Michel Lussault ....

Avez-vous un dictionnaire Michel Lussault/français ?

Challenges s’est plongé dans "Hyper Lieux", dernier ouvrage de Michel Lussault paru en février 2017, qui vient de claquer la porte du Conseil supérieur des programmes.

Unknown-10(…) Bref toute une cohorte hétérogène de professionnels (officiels ou, pour beaucoup, informels) qui rendent possible l'" hypertouristicité " de Venise, qui vivent de cette rente de plus en plus disputée. (…) En tous cas, dans ce séjour à Venise, l'importance de cette nouvelle forme à diffusion virale, de mise en scène spatiale de soi m'avait frappé. (…)

(…) Venise est sans doute l'un des endroits ou l'on saisit le mieux le caractère ambivalent de ce genre de tourisme, qui assure la survie d'un espace et d'une société tout en les aliénant par la construction d'un artefact spatio-temporel très particulier : le site touristique mondialisé. (…)

(…) En tous cas, c'est ici dans ce type d'endroit, sans circonscrire une telle expérience à des sites touristiques, que j'éprouve que le Monde contemporain, bien loin d'aliéner purement et simplement le rapport des individus à leurs espaces de vie, enrichit et complexifie sans cesse ces derniers et multiplie le nombre de ceux qui nous sont accessibles. (…)

(…) En réalité, on observe le caractère stratégique, pour tout acteur social et quelle que soit l'action considérée, de la localisation, c'est-à-dire de la détermination du bon emplacement permettant d'espérer la réalisation des fins poursuivies. (…)

(…) Du coup, le local redevient à la fois central dans les pratiques quotidiennes de tout un chacun et la référence d'un nombre croissant d'imaginations géographiques et politiques. (…)

(…) On se souvient qu'il y a quelques années, d'aucuns déploraient la reproduction ad libitum des " non lieux " : je serais plutôt tenté de voir des lieux partout. (…)

(…) Pour le (dé)montrer, je commencerai par l'analyse des hyper-lieux connectés et ubiquitaires les plus " iconiques " : les shopping mails, les aéroports, les gares qui participent pleinement de ce que la mondialisation et l'économie globalisée promeuvent comme modalités d'organisation des sociétés et comme valeurs mais qui, déjà, s'avèrent plus variés, subtils et complexes qu'il n'y parait. (…)

(…) Puis dans la continuité de cette première approche et du cadre conceptuel qu'elle m'aura permis de poser, j'examinerai d'autres lieux du Monde – toujours avec le souci d'objectiver en quoi ils appartiennent à un genre commun, que l'hyper-lieu emblématise, et en quoi leurs (nombreuses et importantes) différences spécifiques font sens. (…)

Et en conclusion :

(…) On trouve dans ce texte assertorique l'ensemble des grandes thématiques du néolocalisme et bien des alteractivistes des alter-lieux adhéreraient à nombre des pétitions de principe qu'il contient – ce qui conforte mon hypothèse d'un air du temps/air de l'espace localiste critique, qui fait pendant à celui de l'hyper-lieu mais en partage toutefois certaines des modalités (au premier chef l'hyperspatialité, mais aussi les logiques affinitaires et expérientielles). (…)