samedi 13 février 2021

La philosophie devenue folle : les bons sentiments conduisent aux pires aberrations (rediff)

Le genre, l’animal, l’euthanasie. Une plongée au cœur nucléaire du politiquement correct, par Jean-François Braunstein. Une déconstruction savante et joyeuse qui étrille nos bien-pensants.


Ils assènent. Ils invectivent. Ils menacent. Ils sont les rois des plateaux télé et les maîtres des cursus universitaires. Armés de leurs bons sentiments, ils clouent au pilori les rares qui osent les contredire avec les mots qui tuent : « réactionnaire », « essentialiste ». Ils n’ont que le « droit » à la bouche : droit des femmes, droit des homosexuels, droit des animaux, droit à la mort dans la dignité. Ils font tinter avec emphase leurs grelots universitaires ramenés d’Amérique : gender studies, animal studies, bioéthique. On les écoute. On les subit. On leur obéit. Mais personne ne les lit.

C’est ce travail méthodique de lecture qu’a mené Jean-François Braunstein. Notre auteur est professeur de philosophie à la Sorbonne. On imagine qu’il doit se sentir bien seul parfois. Mais ce sentiment de solitude est sans doute ce qui lui a donné le courage de plonger dans cet océan de littérature obscure, charabia prétentieux pseudo-scientifique, jargon de précieuses ridicules, délire de prophète millénariste. Le peu qu’il a ramené à la surface pour son ouvrage nous épuise très vite. C’est sans doute là son principal défaut. Mais le travail de déconstruction de ce politiquement correct en folie était à ce prix.

Le point commun de tous ces « théoriciens » est justement qu’ils se confinent dans la théorie. Le réel n’existe pas pour eux, seuls les mots comptent.

Le point commun de tous ces « théoriciens » est justement qu’ils se confinent dans la théorie. Le réel n’existe pas pour eux, seuls les mots comptent. Les mots dont ils se gargarisent sans jamais les confronter à la réalité des hommes, des femmes, ou des animaux. Ils sont des idéologues, au pire sens du terme. Mais quand ils touchent au réel, ils font des ravages. Jean-François Braunstein revient sur la terrible histoire de David Reimer — drame que Michel Onfray avait déjà exhumé il y a quelques années sous les insultes des bien-pensants : cet enfant, privé accidentellement de son pénis, qu’on pousse, à coups d’hormones et d’opérations chirurgicales, avec la complicité des parents, à devenir une fille. Adolescent, David, devenu Joan, voudra redevenir David. Et finira par se suicider.

Le grand maître de cette expérience s’appelait John Money. Inconnu en France du grand public, il est considéré comme l’inventeur de la fameuse théorie du genre. Avec ce David devenu Joan, notre théoricien tenait la preuve que le genre, acquis culturel, était beaucoup plus décisif que le sexe, acquis biologique. Il fit des émules qui le dépassèrent. Money s’accrochait encore à un substrat biologique du corps. Judith Butler viendra ensuite pour asséner que le genre se suffit à lui-même. Qu’en appelant « fille » leur enfant, les parents en font une fille qui aurait pu, sinon, devenir un garçon ! Aussi délirantes que ces théories paraissent, elles font des émules et s’imposent dans le débat public. Braunstein montre bien que cette folie collective est relayée par la médecine qui donne une réalité pathologique à des états d’âme de jeunes gens mal dans leur peau, en offrant des solutions médicales, entre hormones qui bloquent la puberté et opérations chirurgicales.

Il ne peut y avoir de théorie du genre « modérée »

Ainsi se développe la possibilité transsexuelle, se multiplient les transgenres, qui seraient demeurés en nombre infinitésimal sans la conjonction agissante des théoriciens du genre, des lobbys LGBT, d’Internet et des médecins. Comme le dit avec humour notre auteur, on peut étendre cette logique à tous : « le pauvre qui veut devenir riche est un transéconomique et le vieux qui veut redevenir jeune est un transchronologique ». Mais la plaisanterie ne sera pas du goût de nos censeurs qui hurleront à l’homophobie ou, pire encore, à la transphobie. Nos idéologues sont habités par l’esprit de sérieux. Et pour cause : leur objectif est ambitieux ; il s’agit, ni plus ni moins, de « dénaturaliser » la différence des sexes. Pour la nier. L’effacer. Braunstein nous montre qu’il est impossible de s’arrêter en chemin. Il ne peut y avoir de théorie du genre « modérée ». Il ne peut y avoir de centriste, de Bayrou du genre. L’argument de la « pente glissante » s’applique avec rigueur. Car la théorie du genre se croit une science, mais est en vérité une croyance. Une prophétie. La théorie du genre est une gnose, cette hérésie chrétienne qui niait le corps.

C’est en cela qu’elle se rapproche des deux autres sujets traités par notre auteur avec non moins de verve et de finesse. Les philosophes « animalitaires » ne veulent pas non plus connaître la réalité des corps. À leurs yeux énamourés, les animaux sont des hommes comme les autres. Ce n’est plus la raison ni le langage qui définit l’humain, mais la « sensibilité », sa « capacité à souffrir ». On imagine aisément la suite : il peut donc y avoir des relations sexuelles entre « animaux humains » et « animaux non humains ». Et pire encore : aux yeux de certains, un cochon vaut mieux qu’un enfant, une souris mieux qu’un handicapé. Comment concilier « l’aspiration à la plénitude » du tigre et celle de la gazelle ? Comment ne pas entendre « le cri de la carotte » coupée par la cuisinière ? On rit avec Braunstein avant d’être obligé de pleurer lorsqu’il aborde son troisième thème, ce que les théoriciens de la bioéthique appellent « la mort dans la dignité », comme s’il y avait des morts dans l’indignité. Là aussi, là surtout, l’argument de la « pente glissante » s’avère implacable. À sélectionner ceux qui méritent de vivre et ceux qui sont « en mort cérébrale », on en vient vite à une forme d’eugénisme, activée par les besoins de transplantations d’organes.

On a compris où nous emmène notre auteur : les bons sentiments conduisent aux pires aberrations.

On a compris où nous emmène notre auteur : les bons sentiments conduisent aux pires aberrations ; la volonté d’effacer toutes les frontières à la barbarie, à la guerre de tous contre tous. S’il n’y a plus de limites, nous ne sommes plus dans l’humanité, nous sommes dans la nature.

Plus profondément encore, l’incroyable succès de ces thèses loufoques, leur impact dans l’univers médiatique, politique et universitaire, alors qu’elles auraient dû susciter au mieux un grand éclat de rire, prouve s’il en était besoin l’abêtissement de la pensée dans nos contrées autrefois phare de l’univers. Une preuve éclatante de la décadence d’un Occident fatigué et suicidaire. Comme le note d’ailleurs avec pertinence notre auteur : « Ces débats sur l’identité sexuelle retrouvent quasiment mot pour mot les débats tout aussi irréels sur le sexe des anges qui agitaient [ce n'est pas sûr, auraient agité] les érudits byzantins alors que l’islam se préparait à en finir avec cette civilisation millénaire. »

Source : Le Figaro

La philosophie devenue folle,
par Jean-François Braunstein,
aux Éditions Grasset,
paru en septembre 2018,
à Paris
388 pages,
ISBN-13: 978-2246811930
20,90 €.

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