mardi 8 juin 2021

Histoire : le KKK et les lois scolaires contre les Canadiens français du Maine

Au Maine, l’importante diaspora canadienne-française fut la principale cible de l’organisation raciste et ultranationaliste du Ku Klux Klan durant les années 1920. C’est ce que rappelle une enquête conduite ces derniers jours par la chaîne de télévision News Center Maine (NCM) du réseau NBC à Portland.

Cette carte postale montre des membres du Ku Klux Klan paradant au grand jour en août 1923 dans la ville de Milo, au Maine, comme ils l’ont fait dans d’autres villes de cet État, à l’époque où la diaspora canadienne-française constituait la principale cible de cette organisation suprémaciste.


En 1919, des règlements interdisent l’usage du français au Maine. À peine un siècle auparavant, la population était pourtant à majorité française, du moins dans le nord de cet État limitrophe du Québec et du Nouveau-Brunswick.

Des témoins interrogés dans le cadre de ce reportage de la chaîne américaine expliquent comment parler français leur était interdit. Afin d’éviter que leurs enfants subissent l’oppression, ils se refusaient souvent à le parler à leur descendance.

Pour soutenir l’interdiction du français, les militants du KKK s’en prennent volontiers à des Franco-Canadiens, rappelle la journaliste Hannah Yechivi de NCM.

L’historien Martin Pâquet, de l’Université Laval, spécialiste de la diaspora canadienne-française, confirme les faits au Devoir : « Au moment de la deuxième résurgence du KKK dans les années 1920, le KKK a essaimé au Maine en s’en prenant aux juifs et aux catholiques, surtout aux Canadiens français. »

Selon le reportage de la journaliste, les membres du KKK craignaient que les Canadiens français ne bouleversent le statut politique de l’État s’ils se révoltaient et s’ils demandaient à faire partie d’un syndicat afin d’obtenir de meilleurs salaires ou de meilleures conditions de travail.

Le KKK contribue à l’élection, le 8 septembre 1924, du gouverneur républicain Owen Brewster, connu plus tard pour être un proche confident du sénateur Joseph McCarthy. Pour se féliciter de l’élection du gouverneur Brewster, le KKK du Maine fait brûler des croix pendant une partie de la nuit.

En 1925, le Klan du Maine compte 150 141 membres. Cela représente alors 23 % de la population de l’État, explique l’historienne Raney Bench, directrice de la Mount Desert Historical Society.

 


Toutes proportions gardées, il y avait plus de membres du KKK au Maine par habitant qu’en Alabama ou qu’au Mississippi. En dehors des États du sud, c’est au Maine que le KKK comptait sa plus importante section, note Mme Bench. Sa cible principale était la population franco-américaine catholique francophone, rappelle pour sa part le Maine Memory Network.

Au Maine, le KKK mène campagne pour faire disparaître l’enseignement du catholicisme. À cette fin, il tente d’écraser toute influence possible de cette minorité. Cela se manifeste lors du référendum de Portland, en 1923, où le KKK promeut l’abolition de mesures de représentations qui font une place aux catholiques et aux juifs. À l’époque, précise l’historien Martin Pâquet au Devoir, les membres du KKK intimidaient les Franco-Américains, dans leurs campagnes de haine, se voyant comme les seuls dépositaires autorisés de l’Amérique.

L’historien observe chemin faisant un paradoxe qu’il résume ainsi : alors qu’au nord des États-Unis, comme au Maine, on s’en prend à des Franco catholiques sous le couvert du KKK, au Sud, comme en Louisiane, des Franco catholiques sont membres du KKK ! Autrement dit, les positions de chacun ne sont pas à jamais fixées en société.

Le silence forcé

« Le Klan du Maine a grandi rapidement parce qu’un leader charismatique a pu rallier les protestants de la classe moyenne autour de leur opposition aux immigrés et aux catholiques », explique Raney Bench. Ce leader du KKK s’appelait Eugene Farnsworth. En 1924, dans une de ses assemblées publiques, Farnsworth explique que l’Amérique doit au fond faire face à trois problèmes : « les catholiques, les juifs et les nègres ». Farnsworth avait grandi au Canada, dans un petit village du Nouveau-Brunswick.

Le soutien direct à l’organisation du KKK s’essouffle à la fin des années 1920, ce qui ne signifie pas pour autant que ses anciens adeptes aient révisé du tout au tout leurs vues sociales et politiques.

« Ce sont des lois qui régissaient le système scolaire, comme on en voyait un peu partout en Amérique à l’époque », qui ont finalement jugulé le français au Maine, résume l’historien Martin Pâquet.

Au nombre des commentaires suscités par le reportage de la journaliste américaine diffusé par NCM Portland, on trouve celui de Janice Williams : « J’avais un grand-oncle qui était membre du KKK du Maine. Ironiquement, son épouse était une Canadienne française. Elle n’était pas bienvenue apparemment aux rassemblements familiaux. J’avais 12 ans en 1962 quand j’ai entendu ma grand-mère canadienne-française parler français [pour la première fois] à quelqu’un. » Les règlements anti-français ont finalement été abolis en 1960.

Migration et oppression

Au XIXe siècle, avant la révolution industrielle, une large partie du Maine parlait français, surtout au Nord. Des Acadiens et des Québécois, à majorité catholique, s’y étaient installés avant que ce territoire, jusque-là attaché au Nouveau-Brunswick, ne devienne en 1820 un État américain, dont les frontières ont d’ailleurs mis un certain temps à être fixées. Cela fait, la majorité protestante du nouvel ensemble s’est vite fait entendre.

Carte illustrant la frontière établie en vertu du Traité de Washington signé le 9 août 1842, d'une par les colonies de sa Majesté du Nouveau-Brunswick et du Canada et d'autre part, les États-Unis d'Amérique. En rose le territoire contesté. Le Maine aura la part du lion. Plus de détails ici.

En 1850, une église catholique est brûlée. Un jésuite, Johannes Bapst, est déclaré persona non grata. À Ellsworth, siège du comté de Hancock au Maine, ce religieux est attaqué. On lui reprochait de vouloir défendre l’enseignement des franco-catholiques. Il sera violemment pris à partie, enduit de goudron chaud et recouvert de plumes de volaille. Cette pratique, caricaturée dans les bandes dessinées de la série Lucky Luke, tient plutôt dans les faits de la torture.

Cependant, le développement d’usines en Nouvelle-Angleterre, entre 1850 et 1930, encourage un fort mouvement migratoire. Environ 900 000 Canadiens français traversent la frontière pour s’établir en Nouvelle-Angleterre, où ils constituent une main-d’œuvre corvéable et bon marché.

Cette immigration fait que des villes du Maine connaissent d’importants changements démographiques rapides, explique l’historienne Raney Bench. Un monde canadien-français apparaît. Il fait contraste avec des régions plus petites et plus rurales, à majorité protestante et anglaise.

Entre 1919 et 1960, dans la volonté d’homogénéiser la population pour mieux l’intégrer au marché du travail et aux valeurs américaines, on ne finance plus l’enseignement dans une autre langue que l’anglais. « L’argument racial est moins invoqué, contrairement en Louisiane, observe l’historien Martin Pâquet. Toutefois, les effets sont les mêmes : les enfants francophones n’ont plus accès à l’enseignement dans leur langue. »

Interdiction de parler français à l'école

Changer de nom

Plusieurs descendants de Canadiens français changent de nom pour éviter d’être molestés, selon le reportage diffusé par la télévision de NCM. Au nombre des réactions du public, Margaret LeVeque Fischer rappelle à quel point ses arrière-grands-parents ont souffert d’une mise à l’écart de leur langue et de leur religion. « Mon grand-père a finalement changé son nom pour Bishop », tout en anglicisant aussi son prénom. « Mais quand il est mort à Lewiston, nous avons indiqué son vrai nom sur la pierre. »

Quand l’interdiction du français a été levée en 1960, l’usage de cette langue dans la vie publique s’est perdu. La culture s’est déracinée passablement, même de la vallée du fleuve Saint-Jean, à la lisière de la frontière avec le Québec et le Nouveau-Brunswick. Entre-temps, la communauté acadienne et québécoise qui vit dans les parages a souvent pris le parti de maquiller ses noms de famille pour ne pas être couverte d’insultes.

Source : Le Devoir

Voir aussi

22 janvier 1890 : le français aboli comme langue officielle et d'enseignement au Manitoba 

Histoire — Qui était John A. MacDonald ? (et le Règlement XVII en Ontario qui interdit les écoles francophones en Ontario)

 

lundi 7 juin 2021

L’individu démocratique est plus que jamais libre, émancipé et plus que jamais seul et angoissé

La réédition de l’ouvrage d’Erich Fromm «La Peur de la liberté» est l'occasion pour Éric Zemmour de livrer sa critique du livre, une réflexion profonde, entre psychanalyse et histoire, sur la liberté et la tentation de la servitude volontaire. 

Erich Fromm (1900-1980), psychanalyste et sociologue, est l’un des premiers représentants de l’École de Francfort. Émigré aux États-Unis où il a vécu à partir de 1934, il a enseigné au Bennington College, à la Columbia University, puis à celle du Michigan et à Yale, ainsi qu’à l’Université nationale du Mexique. Il a aussi travaillé à l’École de Palo Alto et à Cuernavaca (Mexique) avec Paul Watzlawick. Au sein d’une œuvre considérable, on remarque L’art d’aimer, Avoir ou être, Espoir et révolution. Fromm a été le premier philosophe à plaider pour un revenu minimum universel.


Nous sortons à grand-peine de plus d’une année de confinement où nous avons eu tout loisir de réfléchir à la question de la liberté. Comme si nous revenions en classe terminale pour l’épreuve de philosophie, nous avons pu nous interroger sur les rapports subtils et complexes entre la liberté et la santé, la liberté et le risque de la mort, la liberté individuelle et la nécessaire solidarité nationale. Etc. C’est la première fois dans l’Histoire que nous vivons ce genre d’enfermement sanitaire dans le monde entier, mais ce n’est pas la première fois que l’Histoire nous contraint à nous interroger sur le sens de la Liberté.

Au XXe siècle, c’est l’émergence des régimes totalitaires qui trouble les meilleurs esprits. Erich Fromm est directement concerné. Il est de cette cohorte de juifs allemands qui ont fui la vindicte hitlérienne pour la plus grande gloire de l’université américaine. Il est psychanalyste et sociologue. Dans les années 1960, il sera l’un des plus brillants représentants de ce qu’on a appelé l’école de Francfort. Il se sert de l’héritage freudien, mais est plus proche d’Aristote: l’homme est un «animal social». Il s’interroge: pourquoi le nazisme? Pourquoi le peuple allemand s’est-il donné à Hitler et à sa tyrannie? Il connaît les explications économiques (la crise et le chômage) et historiques (le «diktat» du traité de Versailles), mais elles ne le satisfont pas entièrement. Il insiste sur les explications psychologisantes, la volonté masochiste des Allemands de se soumettre à un maître féroce: «L’amour pour la puissance et la haine pour l’impuissance, si typiques du caractère sadomasochiste, expliquent une grande partie des actions politiques de Hitler et de ses partisans.»

L’originalité de Fromm est qu’il s’efforce de marier ces deux types de causalité pour tisser une théorie de la liberté et de ses limites. Pour lui, l’homme est un produit de l’histoire, mais l’histoire interagit sur la psychologie de l’homme. La liberté est ce qui différencie l’homme de l’animal, soumis entièrement à l’instinct. «L’existence humaine et la liberté sont, depuis le commencement, inséparables.» Mais Fromm met un coup de projecteur particulier sur l’Europe et l’Amérique qui, à partir de la fin du Moyen Âge, vont faire émerger la figure de «l’individu». Comme beaucoup de penseurs progressistes ou réactionnaires, Fromm souligne le rôle majeur joué par le protestantisme. Luther, puis Calvin, ont émancipé l’individu du contrôle de l’Église ; mais Fromm ne s’arrête pas là. Il décrit l’angoisse des Allemands de cette époque, qui subissent à la fois un bouleversement économique avec l’avènement d’un capitalisme marchand venu d’Italie, et la remise en cause de leurs repères religieux avec la contestation intellectuelle du magistère de l’Église. Cette solitude anxieuse les pousse à chercher et à trouver un maître qui les rassure: «La relation à Dieu de Luther est celle d’une soumission sur la base de l’impuissance de l’homme (même s’il dit qu’elle est volontaire) (..). En même temps que Luther libérait les gens de l’autorité de l’Église, il les amenait à se soumettre à une autorité bien plus tyrannique, celle d’un Dieu qui exigeait une soumission complète de l’homme et l’annihilation de l’individu comme la condition essentielle de son salut.»

Calvin va encore plus loin: il distingue entre ceux qui ont la grâce divine et ceux qui ne l’ont pas. Fromm n’y va pas par quatre chemins: «La théorie de prédestination de Calvin a trouvé son plus puissant renouveau dans l’idéologie nazie: le principe de l’inégalité de base des hommes. Les calvinistes pensaient qu’ils étaient les élus et que tous les autres étaient ceux que Dieu avait condamnés à la damnation. Le protestantisme était la réponse aux besoins humains de l’individu effrayé, déraciné et isolé, qui devait s’orienter dans un monde nouveau et se relier à lui.»

On notera d’abord qu’à l’époque, aucun de ses contemporains ne traîna Fromm en justice pour «incitation à la haine des protestants». La bataille intellectuelle gardait encore ses lettres de noblesse. Plus profondément, Fromm montre l’ambivalence extraordinaire d’une religion qui libère et asservit à la fois ses fidèles. Sa thèse va bien sûr au-delà du protestantisme. C’est désormais le destin de l’individu moderne qu’il embrasse: «Plus l’homme gagne en liberté et plus il devient un individu qui n’a d’autre choix que de s’unir au monde ou alors de chercher une sécurité au travers de liens avec le monde qui détruisent sa liberté.»

Son livre a trouvé son cap et n’en variera plus: «La liberté revêt un double sens pour l’homme moderne: il a été libéré des autorités traditionnelles et est devenu un individu, mais en même temps, il est devenu isolé, impuissant, et s’est transformé en un instrument servant des buts extérieurs à lui-même, il s’est aliéné de lui-même et des autres.» Mais depuis la mort de Fromm, en 1980, les choses ont poursuivi leur cours. L’individu démocratique est plus que jamais libre, plus que jamais émancipé. Et plus que jamais seul, angoissé par sa toute-puissance. Les explications psychologisantes, qui étaient novatrices à l’époque de Fromm, sont devenues monnaie courante. Elles sont devenues banale culture de l’excuse, obsession du «ressenti». Fromm, lui, tentait de les marier avec des analyses historiques ou économiques. Mais il avait ouvert la boîte de Pandore en expliquant que «tout groupe est constitué d’individus et exclusivement d’individus, ainsi les mécanismes psychologiques que nous voyons opérer au sein d’un groupe ne peuvent donc qu’être les mécanismes qui opèrent au sein de l’individu». Il avait ainsi tourné le dos à la spécificité de la psychologie des foules, des masses, des peuples, qu’avait pourtant brillamment mise en évidence Gustave Le Bon. Désormais, la thèse de Fromm fait florès, bien au-delà des volontés de notre sociologue: un djihadiste tuant un policier ou une vieille dame au nom d’Allah est forcément un fou schizophrène et non plus un militant fanatisé d’une cause politico-religieuse.

Fromm avait compris notre avenir individualiste: «La démocratie est un système qui crée les conditions économiques, politiques et culturelles permettant le développement complet de l’individu.» L’individu roi d’aujourd’hui est donc un être royalement angoissé, isolé, anxieux, qui cherche à se vouer à un maître absolu, tyrannique, qu’il s’appelle le Marché, la Communauté ou Dieu.

 

 

La Peur de la liberté
par Erich Fromm,
publié le 19 mars 2021,
aux Belles Lettres,
à Paris,
263 pages,
ISBN-10 : 2251451714
ISBN-13 : 978-2251451718

Québec — Près de 70 % des francophones veulent que la loi 101 s'applique aux cégeps

Les Québécois (de toutes langues confondues) se disent en accord, à hauteur de 58 %, avec l’application de la Charte de la langue française aux cégeps.

Les Québécois souhaitent aller plus loin que la réforme de la Charte de la langue française proposée par le gouvernement Legault, notamment en imposant la loi 101 aux cégeps, révèle un nouveau sondage.

Le Journal de Québec révélait récemment que le gouvernement Legault avait en poche, au moment de présenter sa réforme de la loi 101, un sondage démontrant un appui massif des Québécois aux mesures qu’il comptait annoncer.

Aujourd’hui, le PQ réplique avec son propre coup de sonde, réalisé par la firme Léger.

Prêts à aller plus loin

Les résultats confirment l’inquiétude des Québécois pour l’avenir de la langue française : 64 % de la population estime qu’il y a « actuellement un déclin de la langue française au Québec ». Cette proportion grimpe à 78 % chez les francophones, mais seulement 16 % des anglophones partagent la même préoccupation. 


 

Mais surtout, 46 % des personnes sondées (49 % des francophones) estiment que le projet de loi 96, présenté par le gouvernement caquiste pour réformer la Charte de la langue française, n’est pas « suffisant pour renverser la tendance du déclin du français au Québec ».


Il faut toutefois noter que 31 % des répondants ont refusé de répondre ou étaient incapables de se prononcer. À l’inverse, seulement 24 % ont confiance que le gouvernement Legault pourra renverser le déclin avec sa réforme.

« Mesures pas suffisantes »

Pour Paul St-Pierre Plamondon, ces résultats démontrent que les propositions de sa formation répondent mieux aux préoccupations des citoyens.

« Il n’y a que le Parti québécois qui représente ces 46 % qui pensent – à juste titre, à notre avis –, que les mesures ne sont pas suffisantes », dit le chef péquiste.

Le PQ souhaite notamment imposer aux immigrants une connaissance préalable du français, en plus d’interdire aux francophones et aux allophones de fréquenter un cégep de langue anglaise au Québec.

Loi 101 au cégep

Sur ce dernier point, le nouveau coup de sonde porte à 58 % le nombre de personnes qui se disent « d’accord avec l’application de la Charte de la langue française (loi 101) aux cégeps ».

L’automne dernier, une question plus directe de la Fondation Lionel-Groulx (« Réserver la fréquentation des cégeps anglophones aux étudiants ayant fait leur secondaire en anglais ») avait récolté seulement 47 % d’appuis. Mais Paul St-Pierre Plamondon estime que, entre les deux sondages, la question a fait l’objet d’un débat dans les médias. « Et, clairement, à force d’en débattre, de réfléchir, ça a un impact sur l’opinion publique », dit-il.

LES RÉSULTATS DU SONDAGE 

 

 

Question posée : À votre avis, le projet de loi 96 déposé récemment par le gouvernent du Québec pour protéger la langue française sera-t-il, dans son état actuel, suffisant pour renverser la tendance du déclin du français au Québec ?

Oui: 24 %
Non: 46 %
Ne sait pas / Refus: 31 %

Question posée : Êtes-vous d’accord avec l’application de la Charte de la langue française (loi 101) aux cégeps ?

Oui: 58 %  (69 % chez les francophones, 51 % chez les jeunes toutes langues)
Non: 30 %
Ne sait pas / Refus 13 %

Méthodologie : Sondage web réalisé par la firme Léger auprès de 1004 Québécois(es) pouvant s’exprimer en français ou en anglais, du 28 au 30 mai 2021.

En Inde, l’avortement sélectif des petites filles menace de plus en plus l’équilibre du pays

Plusieurs dizaines de millions de filles n’ont pas vu le jour en Inde. Et d’après une récente étude publiée dans The Lancet Global Health[1], le problème ne fait que s’aggraver. Selon cette étude, au cours des dix dernières années le nombre de « filles manquantes » en Inde a augmenté de 60 % par rapport aux décennies précédentes.

La préférence pour les garçons est fortement ancrée dans la culture indienne. Elle s’est longtemps traduite par l’infanticide néonatal féminin. Si celui-ci disparaît doucement, il tend malheureusement à être remplacé par une banalisation de l’avortement des filles. En 1994, pourtant, la loi sur les techniques de diagnostic préconceptionnel et prénatal (PNDT Act) a formellement interdit la sélection du sexe. Mais force est de constater que cette loi n’a eu que peu d’impact. La médicalisation croissante de la grossesse, et le recours systématique aux échographies ont immédiatement été détournés pour faciliter la sélection garçon-fille trop ancrée dans les mœurs indiennes.

Des naissances manquantes de filles par millions

L’étude publiée dans The Lancet se penche sur la proportion homme-femme en Inde, qui ne cesse d’augmenter depuis 1987. Le ratio naturel se situe aux alentours de 950 filles pour 1000 garçons. En trois décennies (entre 1987 et 2016), les chercheurs ont constaté qu’il manquait 13,5 millions de naissances de filles : 3,5 millions entre 1987 et 1996, 4,5 millions entre 1997 et 2006 et 5,5 millions entre 2007 et 2016, une augmentation de 60 %.

Plusieurs facteurs influencent ces fœticides féminins, analysent les chercheurs. Tout d’abord, plus les familles sont riches et instruites, plus elles ont accès à des tests prénataux de plus en plus précis, et recours à l’avortement sélectif. Ensuite, certaines régions, comme le Pendjab, l’Haryana, le Gujarat et le Rajasthan affichent des proportions des sexes particulièrement déséquilibrés, la pression sur les familles y étant plus forte. Enfin, et c’est sans doute le facteur le plus déterminant, la place dans la fratrie et le sexe des premiers enfants joue un rôle capital : en 2016, parmi les enfants nés en deuxième position après une fille, la proportion des sexes n’était que de 885 pour 1000 (930 en 1981), et parmi ceux nés en troisième position après deux filles, il était de 788 pour 1000 (968 en 1981).

Les filles et les garçons ont la même valeur

Que faire, si les lois, peu appliquées, ne suffisent pas à endiguer le problème ? En 2019 l’Assemblée Générales des Nations Unies a condamné la sélection prénatale en fonction du sexe comme « néfaste », la jugeant directement liée à l’augmentation du trafic humain et de la violence envers les femmes. « En Inde et dans le monde entier, d’innombrables filles continuent d’être victimes de violences et de discriminations fatales avant même d’avoir la chance de naître, explique Giorgio Mazzoli, juriste de l’ONU pour ADF International (Alliance Defending Freedom). Quiconque croit que les femmes et les filles ont la même valeur et le même intérêt que les hommes et les garçons ne peut fermer les yeux sur ce qui se passe aujourd’hui ». Cette organisation a lancé une grande campagne de sensibilisation en Inde, intitulée « Vanishing girls ». L’objectif est de former des avocats locaux, de plaider pour la mise en œuvre de protections juridiques, d’influencer les perceptions culturelles, et enfin d’offrir un soutien aux femmes qui résistent à la pression d’avorter d’une fille. ADF a également appelé les Nations Unies à reconnaître officiellement la sélection prénatale parmi les actes de féminicides.

De la planification à l’eugénisme ?

L’avortement sélectif des filles choque le monde occidental, la planification familiale, elle, n’est nullement remise en cause. Mais est-ce que le contrôle des naissances ne glisserait-il pas immanquablement vers l’eugénisme ? La planification à tout prix de la naissance d’un enfant désiré passe progressivement à la recherche calculée d’un enfant parfaitement conforme au désir de ses parents. Cela provoque une intrusion croissante de la médecine dans la réalisation du « projet parental ». Et c’est le diagnostic prénatal, qui ne sert pas à soigner mais à identifier les fœtus non conformes au projet parental, qui vient définir quelle vie future vaut la peine d’être vécue. Pas de maladies génétiques pour certains, pas de filles pour d’autres… La dérive eugénique semble bien là.

[1] The Lancet, 8 avril 2021 : Trends in missing females at birth in India from 1981 to 2016: analyses of 2·1 million birth histories in nationally representative surveys

Source: Aleteia


dimanche 6 juin 2021

Entretien avec Éric Zemmour, des mots à l'action ?

Éric Zemmour n’a pas accordé d’entretien depuis des années ! Éric Zemmour se dévoile ci-dessous dans un portrait inédit de près de 1 h 30 : enfance, traditions familiales, foi, chaque question est l’occasion d’une évocation de la grande Histoire, celle qui surplombe ses souvenirs et lui permet de poser des diagnostics précis. L’essayiste est-il à un moment de transition : toujours habile dans les mots, bientôt au cœur de l’action ?

« Peut-être qu’il faut passer à l’action », déclare notamment le journaliste Éric Zemmour. « Je fais de plus en plus de propositions, je pense de plus en plus à comment mettre en application ce que je dis […] Je réfléchis à la suite, aux mesures éventuelles qu’on pourrait prendre à partir de mon diagnostic », explique-t-il en référence à ses chroniques régulières sur la chaîne CNews. La sécurité est un problème parce que nous vivons un changement de peuple et une guerre de civilisation sur notre sol « J’ai depuis vingt ans annoncé, prophétisé, en vain pour l’instant, en disant, voilà ce qu’il va arriver. J’ai longtemps pensé que cela suffisait. […] Là, en voyant les états d’âme de Jacques Bainville… Peut-être qu’il faut passer à l’action, car la prévision, la prédiction, même la prophétie ne suffit pas », de déclarer Éric Zemmour. Le journaliste monarchiste et nationaliste de l’Action française, Jacques Bainville (1879-1936) disait à la fin de sa vie « avoir toujours eu le tort de ne pas viser assez haut ».

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vendredi 4 juin 2021

Suède — Immigration et guerre des gangs

Une vague de réfugiés a contribué à faire de la Suède un pays où 20 % de la population, aujourd’hui, est née à l’étranger. En 2020, on y a compté 366 fusillades, en moyenne une par jour, soit une croissance annuelle de 10 %.

En 2015, 163 000 réfugiés demandèrent l’asile au royaume nordique, soit pour une population de 10 millions d’habitants la plus forte proportion en Europe.

Jeune garçon suédois accueille des réfugiés en gare de Stockholm en 2015
 
Le moment a été historique, mais cinq ans plus tard, le souvenir de cette Suède si généreuse n’est guère célébré ni commenté. « C’est vrai qu’on ne voit pas grand-chose dans les médias, remarque Joakim Palme, président de la Délégation aux études sur la migration. Peut-être parce que nous sommes accaparés par la question migratoire, et l’approbation ou non d’une nouvelle loi. » Car le retour aux réalités, en Suède, s’est fait dans la douleur. Dès novembre 2015, la vice-première ministre, Asa Romson, annonçait les larmes aux yeux un durcissement sans précédent de la politique d’asile, avec la fin des clauses humanitaires, la généralisation des permis de résidences temporaires, des réunifications familiales plus difficiles, des allocations réduites. « Nous avons été débordés par la vague, et surtout l’arrivée de 33 000 mineurs non accompagnés, sur les 80 000 qui sont entrés en Europe cette année-là, justifie Joakim Palme. La pression sur le système social, et surtout l’école, a été énorme. Ce resserrement des conditions mis en place en 2016 nous a fait revenir au standard européen. »

Cette vague de réfugiés a en tout cas contribué à faire de la Suède un pays où 20 % de la population, aujourd’hui, est née à l’étranger. Les réfugiés sont visibles, jusque dans les coins les plus reculés du pays, où ils conduisent les bus, servent à la cantine, s’occupent des personnes âgées. D’après les études faites sur une longue période, cependant, la moitié de ces nouveaux venus n’a pas encore d’emploi après huit ans passés en Suède. Leurs revenus, aussi, sont presque deux fois inférieurs à la moyenne. « Cette différence s’explique principalement par le temps d’apprentissage de la langue suédoise, et le niveau scolaire, explique Karin Lundström, qui étudie les questions d’intégration pour Statistic Sweden. Ces réfugiés sans éducation ont souvent du mal à s’adapter à un marché du travail où les qualifications demandées sont très élevées. »

Aujourd’hui, le nombre de réfugiés qui arrivent chaque année en Suède oscille entre 22 000 et 25 000, mais cela n’empêche pas cette question d’être omniprésente dans le débat politique. Elle explique le surgissement des Démocrates de Suède, parti de droite, qui a réuni 17,5 % des électeurs aux dernières législatives, en accusant notamment les étrangers de détourner l’État-providence et d’attiser les violences. Elle pourrait aussi faire vaciller le gouvernement, qui n’a pas réussi à trouver un consensus sur une nouvelle loi migratoire.

Le 3 mars, la ville de Vetlanda, dans le sud de la Suède, a été le théâtre d’une attaque au couteau faisant 7 victimes.

Bilal, un Irakien à la retraite, contemple la tache de sang qui sèche sur le stationnement, devant son immeuble : « J’ai entendu trois coups de feu, hier, un peu avant minuit, puis j’ai vu ce jeune Érythréen au sol. Le soir je ne sors plus, c’est trop dangereux, c’est la mafia ! » Le vieil homme, qui en a vu d’autres dans son pays natal, est le seul à vouloir parler. Malgré l’arrivée très rapide de la police dans ce faubourg de Hjustla, tout au bout d’une ligne de métro, et en dépit d’une vaste opération de recherche avec un hélicoptère et des chiens, aucun suspect n’a été arrêté. Mais les enquêteurs soupçonnent déjà des liens avec un autre assassinat qui a eu lieu quelques heures plus tôt. Cette fois les balles ont sifflé en plein après-midi, au milieu des passants qui s’affairaient dans le centre de Husby, à seulement trois kilomètres de là.

Depuis quelques semaines, Snabba Cash, une série de Netflix, offre un portrait glaçant du trafic de drogue et de la guerre des gangs à Stockholm, avec ses règlements de compte à l’arme automatique dans les centres commerciaux. Mais est-ce si loin de la réalité que vivent les habitants de Hjustla, ou Husby, deux banlieues du nord-ouest de Stockholm ? Dans son dernier rapport, commandé par le gouvernement du social-démocrate Stefan Löfven, le Conseil suédois pour la prévention du crime vient en effet de comparer la Suède à vingt-deux autres pays européens. Depuis 2000, alors que la violence par armes à feu serait dans l’ensemble en baisse sur tout le continent, la Suède est le seul pays où elle augmente. Et la tendance n’est pas près de s’inverser.

 

« Le Chicago de l’Europe »

En 2020, on y a compté 366 fusillades, en moyenne une par jour, soit une croissance annuelle de 10 %. Le bilan s’élève à 47 morts, et 117 blessés, avec une surreprésentation des 20-29 ans parmi les victimes. « L’augmentation en Suède est tout à fait claire, assène Klara Hradilova-Selin, auteur de l’étude. Elle ne peut être observée nulle part ailleurs. »

Le trafic de drogue et les conflits entre groupes criminels sont présentés comme les causes principales de cette évolution. Parmi les fusillades mortelles, 8 sur 10 ont lieu au sein des gangs. Stockholm, comme dans Snabba Cash, a aussi tendance à supplanter Malmö dans ce palmarès de la violence. À Stockholm, la violence a explosé, avec une augmentation de 79 % pour la seule année 2020. Et la capitale suédoise n’est pas la seule à être touchée : la veille des drames qui ont frappé Hjustla et Husby, c’est l’une des banlieues de Göteborg, la grande ville de la côte ouest, qui s’enflammait, avec un week-end d’émeutes et un autre mort par balles.

Avec presque cinq fusillades mortelles par million d’habitants, un taux 2,5 fois plus élevé que la moyenne européenne, le royaume nordique détient un triste record qui inquiète les Suédois, stupéfaits de dépasser des pays comme la France ou l’Italie. Alors que l’insécurité a longtemps été absente de leurs préoccupations, elle apparaît aujourd’hui en troisième position dans les sondages. Comme l’écrit le quotidien Dagens Nyheter, il est aujourd’hui « plus pertinent de comparer la Suède à certaines régions des États-Unis ou d’Amérique du Sud qu’avec, notamment, un pays comme l’Allemagne ». Centre-droite et droite, qui ont déjà scellé un accord sur la politique d’immigration, pourraient d’ailleurs profiter du fiasco. Pour le leader des Démocrates de Suède, Jimmie Akesson, qui a en ligne de mire les élections de 2022, la Suède est devenue « le Chicago de l’Europe ». « Le gouvernement a capitulé et a totalement perdu son emprise, poursuit-il. Toutes les mesures et les prétendus investissements qui sont présentés sont inutiles. »

La solution n’est pas que policière

À Hjustla, l’inspecteur Frank Carlsson, présent sur la scène de crime, n’est pas loin d’exprimer la même chose. « On a trop de fusillades et à chaque fois c’est une tragédie, commence ce spécialiste de la prévention et du travail communautaire, on ne peut pas s’habituer. La plupart des habitants voudraient plus de policiers, mais ce n’est qu’un seul des très nombreux problèmes économiques et sociaux de ces quartiers qu’il faudrait régler. Vous avez des chanteurs de rap qui trempent dans ces trafics — un procès est en cours à Stockholm — et des séries comme Snabba Cash qui vous feraient presque croire que c’est cool d’être un trafiquant. » Et avec plus d’uniformes dans les rues, encore faut-il que la justice suive : en Suède, seulement 23 % des affaires criminelles au sein des gangs sont résolues.

Si la Suède reste un pays où le taux d’homicides toutes causes confondues reste bas, cette violence spectaculaire électrise le débat, et plombe le bilan des sociaux-démocrates, progressistes de gauche. Devant ces très mauvais chiffres, le ministre de l’Intérieur n’a pu que promettre « un revirement possible » cette année, grâce notamment au renforcement des effectifs de police, qui sera de 38 000 en 2024, soit 10 000 de plus qu’en 2016.

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jeudi 3 juin 2021

« Tous les programmes qui continussent », dixit Robert Haché, recteur de la Laurentian University

Le recteur de la Laurentian University comme l’appelle l’Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Robert Haché, a essuyé un barrage de questions de la part de députés qui siègent au comité des langues officielles, lui reprochant sa gestion du dossier linguistique qui découle du processus de restructuration de l’établissement d’enseignement.

Ce qui nous a interpellés, et que les médias comme Radio-Canada n’ont pas souligné, c’est la difficulté qu’avait ce haut personnage au patronyme francophone, recteur d’une université qui enseigne en français, de s’exprimer en français. Il est pour nous un symbole vivant de la faillite des universités bilingues au Canada où c’est toujours le français qui pâtit.

Écoutez-le. Il répond à une question du vice-président du comité, le député fédéral conservateur Steven Blaney que l’on voit d’abord.

À 33 secondes : « On continuer [sic], on continue à avoir [il regarde vers le bas] 100 % d'efforts à servir nos étudiants. Nos programmes sont importants, ils forment la base de la [sic] future de l'Université Laurentienne. » Notez aussi, quelques secondes plus tard, la prononciation d'Ontario : « du Nord de l'Ontério ».

À 1 min 6 s, M. Robert Haché déclare : « Tous les programmes qui continussent [sic] vont être offerts à l’automne… à l’automne et pour le futur prévoyable [sic, foreseeable]. »

À 2 min 5 s, il poursuit : « La situation financière de l’université c’est quelque chose qui s’est évolu [sic, evolved] pendant plusieurs années ».

« Troisième vague » : pas de surmortalité pendant les quatre premiers mois de 2021

Depuis 2010, la hausse annuelle moyenne du nombre de décès au Québec oscille autour de 2 % (2,066 % par an de 2010 à 2019 pour être précis). Cela s’explique par le vieillissement et l’accroissement constants de la population.

Le nombre des décès des quatre premiers mois de 2021 a été publié par Statistiques Québec. 

On n’y décèle pas d’augmentation de la mortalité par rapport à la tendance depuis 2010. En fait, on assiste plutôt à une sous-mortalité par rapport à cette tendance (la ligne orange) puisque 23 850 personnes seraient décédées (en bleu ci-dessous) pendant le premier quadrimestre de 2021 par rapport aux 25 079 qui devraient être mortes selon les prévisions basées sur cette augmentation annuelle des décès depuis 2010.

Les données de Statistiques Québec (décès enregistrés pour le premier quadrimestre)

Année    Nombre de décès
201 020 027
201 121 428
201221 136
201322 257
201421 846
201524 083
201622 393
201723 690
201825 186
201923 800
202026 750
202123 850

Québec — « Le français dégringole à une vitesse jamais vue »

Depuis 15 ans, l’usage de la langue française décline à la vitesse grand V au Québec et particulièrement à Montréal, selon l’analyse d’un statisticien de renom, dans un livre-choc qui sort aujourd’hui.

« Le français dégringole à une vitesse jamais vue, alors que l’anglais tire son épingle du jeu et réussit à augmenter légèrement du point de vue de la langue la plus parlée à la maison », soutient le professeur de mathématiques retraité de l’Université d’Ottawa et chercheur statisticien Charles Castonguay, auteur du livre Le français en chute libre : la nouvelle dynamique des langues au Québec.

Depuis maintenant 50 ans, M. Castonguay analyse les résultats des recensements réalisés par Statistique Canada.

« En fait, ce qu’on peut voir depuis les 15 ou 20 dernières années, c’est comme une anglicisation du Québec. Le français recule, alors que l’anglais tient sa position et l’améliore même », estime le chercheur.

Il juge cette situation « inquiétante », car la disparition du français ferait perdre au Québec « son caractère ».

Depuis le premier recensement en 1871 jusqu’à tout récemment, « le poids du français [comme langue maternelle] a toujours été de 80 % [au Québec] ». [Alors que son poids au Canada ne fait que décliner depuis des siècles.] Mais depuis 2001, il observe un recul accéléré de cette langue au Québec.

En 2001, par exemple, 81,4 % des Québécois avaient pour langue maternelle le français. Quinze ans plus tard, en 2016, ils étaient 78 %.

Si la différence ne semble pas impressionnante à première vue, M. Castonguay affirme qu’en démographie on ne voit normalement pas autant de changement.

« Un 0,5 % sur cinq ans, c’est considéré comme un écart significatif, alors ici, c’est extrêmement rapide comme évolution », commente-t-il.

Langue d’usage

Mais l’utilisation du français au Québec dans l’usage courant est aussi en chute, explique le mathématicien.

« Le français a baissé de 2,5 points, passant de 83,1 % à 80,6 %, soit une chute à une vitesse record jusqu’à un minimum record » dans l’ensemble de la Belle Province, soutient-il.

Et c’est particulièrement à Montréal que la dégringolade est importante, note-t-il.

Entre 2001 et 2016, l’usage du français à la maison est passé de 56,4 % à 53,1 %, alors que de son côté, l’usage de l’anglais augmentait légèrement, indiquent les données de Statistique Canada.

Chez les jeunes

Selon les statistiques que le chercheur a recueillies, 80 % des jeunes adultes francophones sur l’île de Montréal disent qu’ils sont capables de soutenir une conversation en anglais, alors que leurs collègues anglophones sont 76 % à dire qu’ils sont capables de parler français.

Cela montre que l’écart se creuse et que la majorité devient de plus en plus bilingue comparativement à la minorité, croit-il.

« Certains jeunes adultes francophones disent même parler l’anglais plus souvent que le français à la maison, c’est fort ! », lance M. Castonguay.

Chez les jeunes francophones de 15 à 24 ans, l’anglicisation a même augmenté au fil des années. Pour Charles Castonguay, ce phénomène ne fera d’ailleurs qu’accélérer la présence de l’anglais dans la société dans les prochaines années.

Que faire pour sauver le français ?

Pour sauver le caractère français du Québec, il faut que les dirigeants politiques alertent la population sur le problème, mais aussi proposent de vraies solutions.

« Ni Ottawa ni Québec n’ont donné de leadership sur ce plan-là depuis une vingtaine d’années. On nous promet des choses pour le printemps, mais ça reste encore à voir », soutient M. Castonguay.

Pour le président du Mouvement Québec français, Maxime Laporte, l’analyse poussée de Charles Castonguay montre que la Charte de la langue française n’a pas eu un effet assez structurant pour garantir l’avenir du français.


« Il faut une politique linguistique renforcée maximalement, il faut une nouvelle Charte de la langue française qui soit véritablement structurante, qui fasse véritablement du français la langue des institutions et des espaces publics, de la vie en société », réclame M. Laporte. 
 

Le français en chute libre
La nouvelle dynamique des langues au Québec
par Charles Castonguay
paru en mars 2021
ISBN : 9782981924209 (2981924206)

Mythes éducatifs et faiblesses des facultés d'enseignement

Lettre ouverte de Christian Boyer et Steve [...] Bissonnette, spécialistes en pédagogie.

Au cours des dernières années, de futurs enseignants se sont fait dire 

  • qu’ils devaient enseigner aux enfants en respectant le style d’apprentissage de chacun et son type d’intelligence (la théorie des intelligences multiples) ;
  • Qu’il n’était pas nécessaire d’enseigner systématiquement le décodage des lettres aux enfants pour leur apprendre à lire (la théorie du Whole Language et ses dérivés) ;
  • Que les meilleures pédagogies devaient amener les enfants à découvrir par eux-mêmes ce qu’ils doivent apprendre ;
  • Que l’usage des technologies en classe avait un fort effet positif sur les apprentissages ;
  • Que les compétences du XXIe siècle existaient et qu’elles pouvaient être enseignées et se généraliser ;
  • Qu’il n’était pas recommandé de passer des tests pédagogiques et encore moins de le faire fréquemment ;
  • Et qu’au préscolaire, le simple apprentissage des lettres et encore plus l’apprentissage de la lecture sont non seulement dangereux, mais constituent même d’impardonnables sacrilèges...

 

L'école de la Grande Noirceur (les élèves apprennent par cœur ce qu'ânonne une religieuse) contre l'école moderne québécoise (des petits génies qui apprennent par expérience sous l’œil bienveillant d'une jeune animatrice blonde et svelte)
Page 56 — cahier-manuel d'éthique et de culture religieuse Entretiens II pour la 1re  secondaire des éditions La Pensée

 

Les recherches dévalorisées

Tout ce qui précède est soit invalidé par la recherche scientifique (données probantes), soit non appuyé par celle-ci. Alors, pourquoi ces approches pédagogiques sont-elles enseignées au futur personnel enseignant ? Pourquoi sont-elles présentées comme si elles étaient des connaissances appuyées par la recherche scientifique ?

La réponse à ces questions est simple. Dans les facultés d’éducation, un fort contingent de professeurs dévalorise les données probantes et la recherche scientifique, et ce, depuis presque toujours. Ils le font en adoptant des doctrines comme le constructivisme et le postmodernisme, ce qui les conduit à adhérer aux idées énoncées plus haut.


 

Qu’est-ce que ça mange en hiver le constructivisme et le postmodernisme ?

Essentiellement, ces approches considèrent que le savoir est quelque chose de relatif, variable selon les cultures, et qu’il y a plusieurs façons d’accéder à la connaissance, toutes aussi valides sinon plus que la méthode scientifique expérimentale. Parmi elles, le point de vue culturel, le ressenti personnel, l’observation, les savoirs traditionnels, les dogmes religieux, etc.

Au cours des 50 dernières années, les facultés d’éducation ont eu amplement le temps de se renouveler pour adopter une posture plus rationnelle, plus rigoureuse et en laissant une place plus grande aux données probantes et à l’effort nécessaire pour appuyer scientifiquement ce que l’on affirme. Mais elles ne l’ont hélas ! pas fait.

On l’a constaté dans les très rares critiques des professeurs universitaires à propos du Renouveau scolaire en l’an 2000, lequel n’était pas basé sur des données probantes.

On l’a aussi noté dans le rejet par 257 professeurs universitaires de l’idée avancée en 2016-2017 de créer un Institut national de l’excellence en éducation (INEE). On l’a encore vu dans les récentes levées de boucliers par de nombreux professeurs universitaires contre la modeste réforme au préscolaire qui sera appliquée à l’automne 2021, laquelle est pour une fois basée sur des données probantes et intègre donc l’apprentissage des lettres de l’alphabet, tout en conservant les objectifs de développement intégral ainsi que la prédominance des activités ludiques dans le programme.

Un institut national de formation

Le professeur Jérôme Saint-Amand, professeur agrégé en sciences de l’éducation à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), a publié un texte dans ces pages proposant la création d’Instituts nationaux de formation du personnel enseignant qui seraient moins allergiques aux données probantes. Cet homme est courageux parce qu’il ose remettre en question publiquement les facultés d’éducation. Il sera sans doute attaqué de toute part, mais le professeur Saint-Amand a raison ; il faut créer ce que les facultés ont été incapables de faire, et ce, au bénéfice des enfants, du personnel enseignant et de la société québécoise dans son ensemble.

Christian Boyer
Consultant en pédagogie et en orthopédagogie (SESSIONS)

Steve Bissonnette
Professeur titulaire au département d’éducation de la TÉLUQ

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