vendredi 5 septembre 2014

Suisse – Un site Internet pour dénoncer les « profs gauchistes »

Polémique en Suisse après la mise en ligne ce dimanche par les jeunes de l'Union démocratique du Centre (UDC) d'un site Internet visant à dénoncer les professeurs classés trop à gauche. L'UDC, parti classé le plus à droite sur l'échiquier politique suisse, modèle affiché pour le Front National, souvent qualifié de populiste par certains observateurs, est le premier parti du pays. Le projet intitulé « Freie Schulen » (écoles libres) dénonce « l'influence politique unilatérale » prodiguée dans les écoles suisses, et prétend lutter contre « l'endoctrinement gauchiste en classe ». Plus précisément, les enseignants déviants sont accusés de « dénigrer des partis ou des hommes politiques » ainsi que de déformer les contextes politiques, historiques et économiques, nuisant ainsi au patriotisme suisse. Sur le site Freie-Schulen.ch – qui se veut une plateforme de débat interactive s'adressant aux élèves du secondaire et aux étudiants – on trouve un formulaire de réclamation où l'on peut rapporter un incident. Les témoignages sélectionnés sont ensuite publiés, l'anonymat des professeurs étant en principe préservé. À l'origine du projet, Anian Liebrand, le président des jeunes de l'UDC, se défend d'avoir créé une plateforme de délation. « Nous publions uniquement les messages dont on connaît l'expéditeur, qui sont pertinents et que nous avons soigneusement vérifié à l'avance », affirme-t-il dans la charte d'utilisation du site.

Des rubriques de « savoirs alternatifs » contre les « contenus pédagogiques de gauche »
 
 
Toujours pour lutter contre l'endoctrinement, le site propose également un volet « connaissances alternatives » visant à réinformer les étudiants subissant les « contenus pédagogiques de gauche ». On y trouve pêle-mêle différentes rubriques aux contenus hétéroclites : entre autres, un résumé patriotique de l'histoire suisse, une dénonciation de la mainmise de Bruxelles et de l'ONU sur le pays et une remise en cause du réchauffement climatique (sobrement intitulée Éco-fascisme et mensonge climatique). Un mélange composite, entre théorie du complot et ré-information, qui n'est pas sans rappeler le site Égalité et réconciliation d'Alain Soral. vL'initiative des jeunes agrariens a immédiatement provoqué un cortège d'indignation dans le pays. « Les profs sont terriblement choqués  » a affirmé un responsable syndical. Raphaël Pomey, journaliste au Matin.ch, s'interroge sur la légitimité de la méthode employée. « Que l'on veille à ne pas laisser les classes se transformer en salles de meetings politiques, pourquoi pas. Mais est-ce vraiment le rôle d'un parti de se substituer aux parents et aux associations de parents d'élèves pour contrôler cela ? Pas sûr. » Il relève un paradoxe, et non des moindres : « encourager des ados à “balancer” anonymement des adultes déjà constamment sous pression est un procédé assez étonnant de la part d'une formation politique qui se veut garante des valeurs traditionnelles. »





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mardi 2 septembre 2014

Victoire partielle et tardive pour une famille allemande qui instruit ses enfants à la maison

La famille Wunderlich en 2014
Allemagne – Voilà un an, quasiment jour pour jour, que la famille Wunderlich de Wembach lès Darmstadt dans la Hesse (centre-ouest du pays) a reçu la visite musclée de la police allemande. Vingt agents de police et de l’office de la jeunesse de Darmstadt se présentèrent le 29 août 2013 devant la porte du domicile des Wunderlich. Ils voulaient rentrer. Ils s’étaient munis d’un bélier. Ils auraient probablement cassé la porte si M. Wunderlich ne l’avait pas ouverte.

Quand Petra et Dirk Wunderlich refermèrent la porte après cette visite, leurs enfants n’étaient plus là. Les agents de l’Office de la jeunesse, aidés de la police, avaient enlevé leurs trois jeunes filles et leur garçon âgés alors de 7 à 14 ans.

Petra et Dirk Wunderlich refusaient que leurs enfants aillent à l’école. Ce couple est d’avis que l’école bride la créativité des enfants. En outre, l’éducation comprend l’inculcation de valeurs qui, selon eux, ne doivent pas être transmises par l’école.

Les enfants restèrent trois semaines dans un foyer gouvernemental. Les parents purent leur rendre à l’occasion du huitième anniversaire de la cadette. Après avoir accepté le 19 septembre 2013, lors d’une audience au tribunal local de Darmstadt, d’envoyer leurs enfants à l’école, ceux-ci ont été libérés et rendus aux parents.

L’Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur) de Francfort sur le Main (centre-ouest du pays) a décidé cette semaine que les parents devaient recouvrer leur autorité parentale sans restriction. Ainsi, la Cour a annulé la décision de la Cour de district de Darmstadt de 2012 qui retirait aux parents leurs droits de garde, leur choix de l’école et de résidence des enfants.

Le tribunal régional supérieur reconnaît que les parents doivent toujours envoyer les enfants à l’école. Le tribunal continue de considérer que de ne pas envoyer les enfants à l’école menace le bien des enfants. Car, outre la « simple transmission de connaissances », la fréquentation de l’école permettrait aux enfants « de s’intégrer dans la société ». Les parents s'exposent toujours à des poursuites : conformément à la Loi sur l’Éducation de la Hesse ils pourraient faire face à des amendes ou à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois.

Toutefois, le tribunal supérieur a déclaré que retirer le droit de garde aux parents était une mesure disproportionnée. Enfin, une enquête des acquis scolaires a démontré que les enfants avaient un niveau d’instruction élevé et que leurs compétences sociales étaient satisfaisantes. En outre, les parents s’occupent bien de leurs enfants.

Le couple Wunderlich regrette que le tribunal continue de penser que l’enseignement à domicile mette en péril le bien-être des enfants. « Tant que ce mode d’instruction restera interdit, de déclarer Petra et Dirk Wunderlich, ces violences extrêmes » qu’ils ont dû subir se reproduiront encore et encore. « Et ce n’est tout simplement pas acceptable ! »

« Bien que nous ne craignions plus que nos enfants soient enlevés tant que nous vivons dans la Hesse, ce genre de chose peut encore arriver à d’autres personnes en Allemagne », a ajouté M. Wunderlich. « Nous craignons d’écrasantes amendes allant jusqu’à 75.000 $ et la prison. Cela ne devrait pas être toléré dans un pays civilisé. »

Le directeur du « rayonnement mondial » de la HSLDA, Michael Donnelly — qui était en Allemagne pour se rendre à un forum international sur la famille à Moscou où l’instruction à domicile devient de plus en plus populaire et est protégée par la loi — s’est entretenu de l’affaire avec la famille Wunderlich.

Il s’est félicité de la décision, mais s’est dit préoccupé par certains passages troublants de la décision. « Nous nous félicitons de ce jugement qui renverse un décision scandaleuse de la part d’un tribunal », a-t-il dit. « Mais cette décision ne va pas assez loin. Le tribunal a rendu à contrecœur la garde aux parents et a, en outre, signalé aux autorités locales qu’ils devraient poursuivre les Wunderlichs en justice ou leur imposer une amende. »

« Un tel comportement dans un pays démocratique pose problème », a déclaré Donnelly.

Sources : Die Welt et la HSLDA

Voir aussi

Allemagne — juge refuse la garde des enfants pour empêcher l'émigration des parents

Éducation, démographie : la surprenante Russie (Emmanuel Todd)





À qui appartient Ashya King : à ses parents ou à la médecine britannique ?

Marie Delarue s'interroge sur le cas d'Ashya King.
Ashya King, 5 ans, moribond, a été « enlevé » par ses parents. Soucieux de le soustraire aux traitements qui lui sont administrés par la médecine britannique afin de les remplacer par d’autres, indisponibles en Grande-Bretagne, ils ont traversé l’Europe du nord au sud avec leur enfant. Et avec un mandat d’Interpol aux fesses.

Il faut dire que les parents sont Témoins de Jéhovah. Une circonstance très aggravante. Le procureur de Cherbourg, où ils avaient débarqué par ferry, l’a assuré : « Même si on n’a pas le pouvoir de soigner les enfants contre le gré des parents, c’est une difficulté qu’on a avec les Témoins de Jéhovah notamment, on veut au moins entrer en contact avec eux et essayer de voir ce qui se passe. »

Vœu exaucé. Le contact a été établi et les parents interpellés dans un hôtel près de Malaga. Comme – ou mieux, on l’espère ? – des criminels endurcis, ils ont été transférés à Madrid pour y comparaître devant un juge. Le petit Ashya est dans un hôpital de Malaga, les autres enfants du couple à la garde de leurs aînés, majeurs.

Qui sont Brett King (51 ans) et Naghemeh King (45 ans), arrêtés par la police espagnole ? Que font-ils dans la vie ? Sont-ils de bons ou de mauvais parents ? Attentifs ou non au bien-être de leur enfant ? Peut-on, enfin, les réduire de façon caricaturale à leurs convictions religieuses – lesquelles, il faut le souligner, ne sont pas interdites ?

Le point crucial étant, assurent les médecins, la sonde gastrique par laquelle l’enfant est nourri, le père a publié une vidéo pour prouver que le petit Ashya ne manquait pas de soins. Et qu’il était de nouveau heureux, pour autant que sa tumeur au cerveau lui permette encore de l’être, au milieu des siens. « Il sourit beaucoup plus, il interagit avec nous, mais je voulais dire pourquoi nous l’avons retiré de l’hôpital », ajoute-t-il, expliquant que son épouse et lui avaient cherché à l’étranger « un traitement de radiothérapie utilisant des protons que le service public de santé britannique NHS n’offre pas pour l’instant ».

Cet enfant est mourant. Ses parents, désespérés, tentent une dernière chance, courent après une ultime thérapie. Est-ce criminel ? Et derrière cette question s’en profile évidemment une autre : à qui « appartient » cet enfant de 5 ans ? Est-il la propriété de ses parents ou celle de la médecine ? Et jusqu’où cette dernière est-elle autorisée à s’acharner sur un enfant manifestement condamné, dont l’ultime désir est sans doute de finir dans les bras de ses père et mère…




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lundi 1 septembre 2014

France — l'Éducation Nationale est-elle au bord du naufrage ?


La ministre
 Najat Belkacem
Pour la directrice générale de la Fondation pour l'École Anne Coffinier, l'école publique, abandonnée par l'État, agonise lentement mais sûrement. Une situation que la nomination de Najat Vallaud-Belkacem risque d'aggraver.

« Voici que Najat Vallaud-Belkacem est placée à la tête de l'Éducation nationale, elle qui est l'emblème même de l'idéologisation à outrance de l'école. La réalité dépasse la fiction. Alors que tous appelaient à un apaisement après les tensions suscitées par l'ABCD de l'égalité et sa paradoxale suppression-généralisation, une telle nomination interpelle fortement.

Le président cherche-t-il à faire mieux passer le tournant libéral qu'il a été contraint d'opérer en économie en donnant à sa base militante une compensation sociétale (notre pauvre école étant désormais ravalée au rôle de laboratoire sociétal, cessant d'être une institution consacrée à l'instruction des citoyens) ?

Il est fascinant de constater que c'est l'État lui-même, au plus haut niveau, qui aura tué l'école républicaine, en la détournant si ostensiblement de sa mission légitime qui est d'instruire.

Cette nomination porte en tout cas le coup de grâce à l'Éducation nationale. Ce n'est pas que la personne du ministre soit décisive: on sait depuis longtemps que c'est une marionnette à laquelle on ne consent de pouvoir que pour autant qu'il s'exerce dans le sens souverainement déterminé par les syndicats enseignants. Mais cette décision constitue tout de même un symbole qui démoralisera à coup sûr les derniers résistants de l'intérieur qui, envers et contre toute la bêtise technocratique qui les opprimait, instruisaient jour après jour leurs élèves avec un dévouement admirable, malgré les programmes aussi mal fichus que changeants et un cadre administratif infantilisant et oppressant.

Il est fascinant de constater que c'est l'État lui-même, au plus haut niveau, qui aura tué l'école républicaine, en la détournant si ostensiblement de sa mission légitime qui est d'instruire. Il n'y aura pas eu besoin d'un grand complot « ultralibéral » pour venir à bout de l'école publique. Cette thèse apparaît aujourd'hui pour ce qu'elle a toujours été : un fantasme sans fondement. Non, il suffit pour assassiner l'école républicaine d'avoir des responsables politiques et administratifs ne croyant plus au devoir sacré de transmettre, comme l'a montré en 2008 Philippe Nemo dans Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ?

Rien n'est plus urgent que de sanctuariser l'école, de la préserver des querelles politiques, pour lui laisser faire son travail : transmettre la culture d'une génération à l'autre par un travail lent et humble, selon des programmes scolaires progressifs, structurés et cohérents. Les professeurs ne doivent plus être évalués sur leur docilité à l'égard de circulaires politisées mais sur le niveau scolaire de leurs élèves. Mais c'est bien le signal contraire qui est passé par la nomination de Najat Vallaud-Belkacem, ou par le projet de supprimer les notes ou encore par l'improbable taux de réussite record enregistré cette année au baccalauréat. Pendant ce temps, l'école publique française agonise. Socialement, elle est la plus inégalitaire de tous les pays de l'OCDE. Elle est aussi la plus inapte à assurer la formation des élèves les plus en difficulté, qui décrochent plus que dans les autres pays. L'OCDE tire la sonnette d'alarme, mais le gouvernement refuse d'en tirer des conséquences. Il n'y aura pas de « choc Pisa » en France [note du carnet : contrairement à l'Allemagne] malgré nos piètres performances à ce test de référence.

Aucune réforme d'envergure ne se profile, bien au contraire. Force est de constater qu'il n'y a plus rien à attendre de l'Éducation nationale.

Aucune réforme d'envergure ne se profile, bien au contraire. Force est de constater qu'il n'y a plus rien à attendre de l'Éducation nationale. Il n'y a donc pas de raison d'immoler plus longtemps nos enfants sur cet autel au nom d'une fidélité à l'école publique, et à l'idéal qu'elle a pu incarner.

Dans un tel état de nécessité, il faut sortir des sentiers battus. Si le navire de l'Éducation nationale s'obstine à foncer dans les icebergs, il n'est point d'autre solution que de mettre à l'eau de multiples nefs. Les enfants d'abord ! C'est ce que font tous ces parents qui ont retiré cette rentrée leurs enfants de l'école publique pour le privé. Aucune lâcheté à cela, mais bien plutôt la réaction mûre et déterminée de parents qui se savent être les premiers éducateurs et responsables de leurs enfants, quoi qu'en dise le gouvernement.

Mais les places sont rares dans le privé, puisque l'État organise sciemment la pénurie de places en refusant de financer le développement des écoles sous contrat. Les parents sont ainsi conduits à ouvrir de nouvelles écoles libres. Soixante et une, c'est le nombre des nouvelles écoles indépendantes qui ouvriront leurs portes à la rentrée, contre trente-sept l'an dernier. L'essor des créations d'école est un signe d'espérance. Ce mouvement de la société civile n'est-il pas de bon augure sur la capacité du peuple français à se prendre lui-même en main et à innover dans le contexte de la défaillance croissante de l'État ? »

Source




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C'est la rentrée !






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dimanche 31 août 2014

Éducation, démographie : la surprenante Russie (Emmanuel Todd)

L'historien Emmanuel Todd a entrevu en 1976 la fin de l'URSS avec un essai au titre provoquant : La chute finale. Aujourd'hui, dans un entretien inédit avec Herodote.net, il prend à nouveau l'opinion à rebrousse-poil en annonçant la renaissance de la Russie et l'effondrement de l'Ukraine. Avec des chiffres que nos dirigeants auraient intérêt à méditer.

Herodote.net — Vous tentez de comprendre les sociétés humaines et entrevoir leur futur à travers leurs indicateurs démographiques. Depuis quarante ans, la Russie est l'un de vos terrains de chasse favoris. Cela tombe bien. Au moment où elle fait à nouveau trembler l'Europe, dites-nous comment vous la percevez.

Emmanuel Todd  En 1976, j'avais découvert que la mortalité infantile était en train de remonter en URSS et ce phénomène avait troublé les autorités soviétiques au point qu'elles avaient renoncé à publier les statistiques les plus récentes. C'est que la remontée de la mortalité infantile (décès avant l'âge d'un an) témoignait d'une dégradation générale du système social et j'en avais conclu à l'imminence de l'effondrement du régime soviétique.

Aujourd'hui, disons depuis quelques mois, j'observe à l'inverse que la mortalité infantile dans la Russie de Poutine est en train de diminuer de façon spectaculaire. Parallèlement, les autres indicateurs démographiques affichent une amélioration significative, qu'il s'agisse de l'espérance de vie masculine, des taux de suicide et d'homicide ou encore de l'indice de fécondité, plus important que tout. Depuis 2009, la population de la Russie est repartie à la hausse à la surprise de tous les commentateurs et experts.

 

C'est le signe que la société russe est en pleine renaissance, après les secousses causées par l'effondrement du système soviétique et l'ère eltsinienne, dans les années 1990. Elle se compare avantageusement, sur de nombreux points, à bien des pays occidentaux, sans parler des pays d'Europe centrale ou de l'Ukraine, laquelle a sombré dans une crise existentielle profonde.

La mortalité infantile

La mortalité infantile (décès avant l'âge d'un an pour mille naissances) est sans doute l'indicateur le plus significatif de l'état réel de la société. Il dépend en effet tout à la fois du système de soins et des infrastructures, de la nourriture et du logement dont disposent les mères et leurs enfants, du niveau d'instruction des mères et des femmes en général...

Le graphique ci-dessous témoigne des progrès spectaculaires accomplis par les trois pays issus de l'ancienne URSS depuis la fin du XXe siècle. La Russie, partie de très haut (plus de 20 décès pour mille naissances) a rattrapé l'Ukraine et se situe à peine au-dessus des États-Unis.

Plus déroutants encore sont les progrès de la Biélorussie, qui se situe désormais au niveau de la France (3 pour mille). Qui l'eut cru de ce « trou noir » au milieu de l'Europe, dirigé par un obscur autocrate ? On verra qu'en tous points la Biélorussie colle à la Russie. Les deux pays ont des structures familiales similaires et la Biélorussie, au contraire de l'Ukraine, se satisfait d'une indépendance restreinte.

Mortalité infantile comparée en Russie, en Ukraine, en France... (Herodote.net, 2014)

Herodote.net  Mais quelle fiabilité pouvons-nous accorder à ces statistiques ?

Emmanuel Todd  La plus grande qui soit. Les données démographiques ne peuvent pas être trafiquées car elles ont leur cohérence intrinsèque. Les individus dont on a enregistré un jour l'acte de naissance doivent se retrouver dans les statistiques à tous les grands moments de leur existence et jusqu'à leur certificat de décès. C'est pour cela que le gouvernement soviétique a cessé de publier les taux de mortalité infantile quand ils lui ont été défavorables.

Ça n'a rien de comparable avec les données économiques ou comptables que l'on peut allègrement trafiquer comme l'ont fait le gouvernement soviétique pendant plusieurs décennies ou les experts de Goldman Sachs quand ils ont dû certifier les comptes publics de la Grèce pour lui permettre d'entrer dans la zone euro...

Les cigognes retrouvent le chemin de la Russie

L'indice de fécondité (nombre moyen d'enfants par femme) témoigne du renouveau démographique de la Russie même s'il est encore inférieur au seuil de remplacement des générations (comme dans tous les pays développés). Relevons dans les comparaisons ci-dessous l'effondrement de la Pologne catholique qui, visiblement, n'a pas profité de son entrée dans l'Union européenne.
 
Russie
Biélorussie
Ukraine
Pologne
France
Allemagne
[Québec
États-Unis
1993
1,7
1,8
1,8
2,0
1,8
1,4
1,6
2,0
1999
1,2
1,3
1,3
1,5
1,7
1,3
1,5
2,0
2005
1,4
1,2
1,2
1,2
1,9
1,3
1,5
2,0
2013
1,7
1,6
1,5
1,3
2,0
1,4
1,6]
1,9
Sources : World Population Data Sheet / INED, Population et Sociétés[/Institut de la statistique du Québec].


Herodote.net  Ce regain de vitalité de la Russie est donc une surprise pour vous ?

Emmanuel Todd  Oui, tout à fait. Dans Après l'Empire, un essai consacré aux États-Unis et publié en 2003, j'ai envisagé cette éventualité dans un chapitre intitulé « Le retour de la Russie » mais je n'avais aucune donnée statistique me permettant de l'étayer. Je faisais seulement confiance à ma perception de la société russe, de ses structures familiales et étatiques.

C'est peu dire qu'elle n'est pas partagée par mes concitoyens. Dans les dernières années, j'ai été exaspéré par le matraquage anti-russe de la presse occidentale et en particulier française, avec Le Monde au coeur du délire !

Herodote.net  Vous exagérez !

Emmanuel Todd  Pas du tout. Ces médias ont réussi à aveugler l'opinion sur le redressement spectaculaire de la première puissance militaire du continent européen ! Ce faisant, je ne crains pas de le dire, ils nous ont mis en situation de risque.

La CIA s'est elle-même laissée abuser par ses préjugés. En se focalisant sur le désastre démographique des dernières décennies du XXe siècle, elle a cru à la disparition prochaine de la Russie. De même que l'Union européenne, elle a mal évalué les nouveaux rapports de force entre la Russie et ses voisins et c'est comme ça que, de maladresse en maladresse, on a abouti à l'annexion de la Crimée et à la guerre civile en Ukraine.

Herodote.net  Vous oubliez Poutine, sa brutalité, son homophobie...

Emmanuel Todd  Sur l'homophobie, je ne suis pas compétent, même si je suis à titre personnel favorable au mariage pour tous. Le magazine Marianne m'a confié il y a quelques semaines l'analyse d'un sondage sur la sexualité politique des Français et j'avoue que ça m'a beaucoup amusé...

Plus sérieusement, c'est vrai que le président russe n'a rien d'un social-démocrate ou d'un libéral. Interrogé par Le Point en 1990, j'avais dit qu'il ne fallait pas imaginer que la Russie devienne un jour une démocratie à l'anglo-saxonne. Ses structures familiales et étatiques s'y opposent tout autant que la violence inscrite dans son Histoire.

Mais la « poutinophobie » ambiante nous a masqué l'essentiel, ce que révèlent de façon claire les indicateurs démographiques : la chute de l'URSS a accouché d'une grande société moderne et dynamique, avec notamment un haut niveau d'éducation hérité de l'ère soviétique, des filles plus nombreuses que les garçons à l'Université et un bilan migratoire positif qui atteste de la séduction qu'exerce encore la société russe et sa culture sur les populations qui l'environnent.

Cela débouche sur ce que je qualifie faute de mieux de « démocratie autoritaire » ; un régime fort et même brutal, qui a néanmoins le soutien implicite de la grande majorité de la population.

Les filles à l'assaut de l'Université

Le pourcentage de filles par rapport aux garçons dans l'enseignement supérieur est un indicateur intéressant du degré de modernité d'une société et de la place qu'y tiennent les femmes ou qu'elles sont appelées à y tenir (source : OCDE, 2013).

 Suède
Russie
France 
États-Unis
Allemagne
140 filles pour 100 garçons
130
115
110
83

[Note du carnet, dans le domaine de l'emploi des femmes, la Russie est également assez étonnante et loin des stéréotypes de pays rétrograde parfois entretenus dans nos médias :

C'est ainsi que la Russie a le double de femmes occupant des postes de haute direction par rapport aux États-Unis ou à l'Europe occidentale. La Russie a la plus forte proportion de femmes dans les postes de direction (43 pour cent), un chiffre relativement stable depuis 2004, selon le rapport de Grant Thornton International Business pour 2014.

]


Herodote.net  Permettez-moi d'insister mais un président issu du KGB, la police politique soviétique, ça n'a rien de très moderne.

Emmanuel Todd Et alors ? Le KGB et son avatar actuel, le FSB, sont des viviers pour les élites russes. Hélène Carrère d'Encausse a dit, en ironisant, qu'ils sont l'équivalent de l'ENA pour la France. Disons qu'ils participent de la nature violente du pays !

Le spectre d'Ivan le Terrible s'éloigne

Sur le chapitre des mœurs, on note de lentes améliorations en Russie, qu'il s'agisse des taux de suicide et d'homicide ou de l'espérance de vie masculine, longtemps plombée par l'alcoolisme et la violence.
 
taux de suicide (décès pour 100.000 habitants)
taux d'homicide (décès pour 100.000 habitants)
espérance de vie masculine
1998
35,5
22,9
61 ans
2010
30
10
64 ans
Pour rappel, le taux de suicide est de 16 pour 100.000 habitants en France (2008) ; le taux d'homicide est de 4,2 pour 100.000 habitants aux États-Unis et de 1 pour 100.000 habitants en France (2013).

Les graphiques ci-dessous représentent l'espérance de vie à 60 ans des femmes et des hommes. Ils témoignent du retard accumulé par l'URSS depuis les années 1950 et du redressement récent, qui demeure fragile.

Espérance de vie à 60 ans (Herodote.net, 2014)


Herodote.net  Vous nous assurez que la société russe se porte plutôt bien mais son économie, elle, va mal.

Emmanuel Todd  En matière d'économie, je ne veux pas trop m'engager. Notons simplement que les 1,4% de croissance de la Russie et son taux de chômage de 5,5% feraient pâlir d'envie le président Hollande. Et pour ne pas l'accabler, je ne dirai rien de l'indice de popularité de son homologue russe.

Mais il est vrai que la Russie vit pour l'essentiel sur une économie de rente fondée sur l'exploitation de son sous-sol et, de plus en plus, sur son agriculture. Pour le reste, elle s'en tient à une politique protectionniste destinée à protéger ce qui reste de son industrie.

Le pays a deux atouts : un territoire immense de 17 millions de km2 plein de richesses potentielles et une population de 144 millions d'habitants (2013) qui compte encore beaucoup de scientifiques de haut niveau, malgré le départ de 800.000 juifs pour Israël.

Ces deux atouts déterminent la stratégie de Poutine : protéger le territoire et ses ressources avec une armée performante, en attendant que l'économie mondiale achève sa transition vers l'Asie et les nouvelles technologies. On le voit mal faire un autre choix comme d'accueillir des industries de main-d’œuvre ou développer des entreprises exportatrices de biens de consommation.

Mais je m'en tiens là-dessus à des hypothèses. Ce qui, par contre, ne relève pas de l'hypothèse mais du réel, c'est le réconfortant redressement de la démographie russe. Il témoigne d'une santé qui ferait envie à de nombreux pays européens...

Cela dit, n'exagérons rien. Si par malheur, il devait arriver que je sois chassé de ma patrie, ce n'est pas en Russie que je me réfugierais mais aux États-Unis selon une tradition familiale bien établie !

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Démographie russe — le solde naturel est redevenu positif

Russie — la démographie expliquerait-elle le retour au conservatisme ?

Petit fantasme des médias dits progressistes, athlètes russes très offensées

Histoire — chanson du 31 août, corps des troupes de la marine

Ce chant traditionnel de la Marine raconte l'histoire véritable d'un petit navire Français qui vainquit un navire anglais bien plus gros que lui.

Le corsaire Surcouf commandait La Confiance et il captura le navire anglais HMS Kent en 1800.

Ce chant à virer, qui est aussi un chant de guerre figurant au répertoire de la Royale, est l'un des plus célèbre de la marine française.

Le fait qu'il mette en scène la gloire monarchique, la lutte séculaire entre la perfide Albion (l'Angleterre) et la France, la hardiesse des marins français, et son appel à lever le verre avant et après le combat, tout cela n'est assurément pas étranger à son succès...



1. Au trente et un du mois d'août (bis)
Nous vîmes sous l'vent à nous (bis)
Une frégate d'Angleterre
Qui fendait la mer et les flots
C'était pour aller à Bordeaux.

Buvons un coup, buvons en deux,
À la santé des amoureux
À la santé du Roy de France
Et merde ! pour le roi d'Angleterre
Qui nous a déclaré la guerre.

2. Le capitaine au même instant (bis)
Fit appeler son lieutenant (bis)
Lieutenant te sens-tu capable
Dis-moi, te sens-tu assez fort
Pour l'aller crocher à son bord ?

Refrain.

3. Le lieutenant fier et hardi (bis)
Lui répondit : Capitaine, oui ! (bis)
Faites monter tout l'équipage
Hardis gabiers, gais matelots
Faites monter tout l'monde en haut.

Refrain.

4. Vire lof pour lof en arrivant (bis)
Nous l'abordâmes par son avant (bis)
À coup de hache, à coup de sabre
De pique, de couteau, de mousqueton
Nous l'avons mis à la raison.

Refrain.

5. Que va-t-on dire de lui tantôt (bis)
À Brest à Londres et à Bordeaux (bis)
De s'être ainsi laissé surprendre
Par un corsaire de quinze canons
Lui qu'en avait trente et si bons ?




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Violences conjugales : nettement plus fréquentes dans les couples homosexuels

Les violences conjugales seraient toujours un sujet tabou en France au sein des couples homosexuels. Dans sa vidéo, l’association AGIR affirme qu’en 2013, 11 % des homosexuels ont déclaré subir des violences conjugales.

En 2012, 2 % des femmes ont subi, en l’espace de deux ans, des violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. C'est ce que révèle une étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), réalisée en partenariat avec l’Insee.



Sources : France 3 et Europe 1.

Voir aussi

Violences conjugales : les hommes battus oubliés en France comme au Québec ?

Les filles aux parents lesbiennes sont 45% moins susceptibles d'obtenir un diplôme d'enseignement secondaire

samedi 30 août 2014

L'Ouzbékistan suspend internet et les textos pour éviter la triche aux examens

L'Ouzbékistan a suspendu vendredi son réseau internet mobile ainsi que l'envoi de textos pour l'ensemble de sa population, afin d'empêcher toute tricherie aux examens d'entrée aux universités.

Source : Le Point





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mercredi 20 août 2014

Entrevue du ministère de l'Éducation : torrent d'eau tiède et de prêt-à-penser soporifique

Tania Longpré revient sur la dernière sortie médiatique du ministre de l'Éducation du Québec :

« Apprendre à apprendre», mais quoi, monsieur le ministre ? »

Dans une entrevue accordée au Journal Métro, le Dr Yves Bolduc, ministre de l’Éducation du Québec, affirmait qu’il fallait réformer l’éducation et mettre la priorité sur la persévérance scolaire.

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En tant qu’enseignante et future didacticienne, ce discours a des effets secondaires sur moi qui s’apparentent à la prise de somnifères. De même que ces trois mots, répétés comme un mantra par trop de ministres de l’éducation depuis quelques années: TBI, compétences et réformes. Déchiffrons-les:


TBI

À en croire le ministre, c’est pratiquement avec cet outil magique qu’est le tableau blanc interactif qu’on augmentera la persévérance scolaire chez les jeunes. Il a tout faux. Ce qui rend (ou pas !) une classe intéressante c’est… l’enseignant. Je ne suis pas contre le TBI, mais l’équation 1 prof plate + TBI = classe passionnante ne fonctionne pas. C’est un outil incroyable, mais il ne suffit pas de ça pour être un bon enseignant.

Pour rendre la classe intéressante, ce n’est pas dans des TBI qu’il faut investir, mais dans la formation des maîtres. [Note du carnet: dans quelle mesure devenir un prof passionnant s'enseigne-t-il ?] Ce sont eux qui jour après jour passionnent les étudiants. Pourtant, peu de cours DID du DEE (Devenir un Excellent Enseignant) dans les facultés de nos universités. Réformer la formation des maîtres ? Bof, ça, on en parle pas souvent. Que le Dr Bolduc le veuille ou non, un TBI ne remplacera jamais un enseignant passionné.

Approche par compétences

Je cite le ministre : « Si on considère l’approche par compétences combinée à l’utilisation des technologies, on se dirige vers un système où l’enfant apprend à apprendre », c’est bien beau d’apprendre à apprendre, mais pour apprendre quoi ? Les compétences sont beaucoup plus efficaces ! Apprendre à conjuguer un verbe? Trop compliqué, apprenons plutôt à utiliser Antidote ! Pourquoi apprendre à écrire à la main si on peut apprendre à se servir d’un clavier ? Pourquoi avoir une culture générale si on sait utiliser la barre de recherche dans Google?

Je suis ironique, mais vraiment, à en croire certains au ministère de l’Éducation, les connaissances sont une pure perte de temps. De cette façon, ils veulent former des petits travailleurs « en adéquation avec les besoins du marché », mais… pourront-ils penser ? Réfléchir ? Lire ? Écrire ? Discuter ? Débattre ? Créer ? Se casser la tête ?  [Carnet : il est ironique de voir un libéral dire que l'État sait prévoir les besoins du marché... Pas dans l'industrie, mais bien pour l'école ?]

C’est pour transmettre des connaissances que je suis enseignante, pas pour remplacer un mode d’emploi. Une compétence devrait être un outil, pas une fin en soi. Et lorsque j’entends les ministres parler de technologies, je me demande quand j’ai manqué l’épisode affirmant que cela remplaçait notre cerveau, nous rendant du même coup plus intelligents.

Les réformes et « l'école inversée »

Le docteur Bolduc mise aussi sur « L’école inversée », sois celle où l’enfant travaille « par lui-même et évalue ensuite ses réalisations avec un professeur », ah bon!, donc, l’enseignant ne devient « qu’une machine à évaluer », selon le ministre ? Alors, si ce n’est que ça, le maître devient… facultatif ? Pourquoi ne pas fermer les écoles, un coup parti, et faire en sorte que tous apprennent de chez eux, avec un ordinateur et un logiciel autocorrecteur ? Ça, ça règlerait les finances déficitaires de l’éducation ! Plus de financement de transport scolaire, plus de commissions scolaires, plus d’enseignants à former, plus de concierge à payer. La belle affaire&nbsp! Pourquoi ne pas y avoir pensé avant ? [Tania Longpré semble oublier deux fonctions de l'école moderne : la garde des jeunes par des tiers et l'apprentissage d'un certain conformisme social.]  Au-delà de l’ironie, je me pose tout de même une question: seriez-vous docteur aujourd’hui, Monsieur Bolduc, sans vos connaissances ?




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