dimanche 19 juillet 2015

Chine — La natalité ne remonte guère malgré l'assouplissement de la politique de l'enfant unique

Depuis novembre 2013, les règles strictes de « planification familiale » en Chine ont été assouplies. Les couples sont maintenant autorisés à avoir un deuxième enfant si un des parents est enfant unique. Après plus de 35 années d’application, souvent brutale, de la politique de l’enfant unique par couple, certains avaient prévu un mini baby-boom. La Commission nationale de la santé et de la planification familiale avait estimé que les nouvelles règles permettraient à 11 millions de couples supplémentaires d’avoir un deuxième enfant. Certains couples bénéficiaient déjà d’une exemption, notamment les membres de minorités ethniques. La Commission pensait que 2 millions de ces couples essaieraient d’avoir cet enfant supplémentaire lors de la première année de ce régime plus souple. Mais, à la fin de l’année 2014, moins de 1,1 million de personnes avaient demandé le permis nécessaire pour avoir ce second enfant.

Ceci inquiète le gouvernement chinois qui a modifié ces règles non pas par sympathie pour les enfants uniques ou les parents qui désireraient un autre héritier, mais en raison du vieillissement de la population. Le pays vieillit rapidement. En 2012, son bassin d’emploi a diminué pour la première fois en 50 ans. Dans les grandes villes, le taux de fécondité — c’est-à-dire le nombre moyen d’enfants qu’une femme est susceptible d’avoir au cours de sa vie féconde — est parmi les plus bas dans le monde et se situe à environ un enfant par femme. Ce chiffre très bas est similaire à celui qu’on retrouve dans de nombreuses grandes villes occidentales. Pour le pays dans son ensemble, le taux de fécondité est inférieur à 1,6, bien en dessous de 2,1 enfants par femme nécessaires pour assurer le remplacement des générations (voir le graphique ci-dessous).


La politique de l’enfant unique n’a pas freiné la fécondité chinoise autant que ses partisans l’imaginent. Au moment où cette politique a été instaurée en 1979, le taux de fécondité était déjà tombé à 2,8 par rapport à 5,8 une décennie plus tôt en raison de mesures moins contraignantes qui encourageaient déjà les familles à avoir moins d’enfants. L’application impitoyable de la nouvelle politique à partir de 1979 a donné lieu à de nombreux avortements et infanticides forcés. Elle a causé des souffrances aux parents qui voulaient plus d’enfants. Mais son impact global sur les naissances a été limité. Dans la plupart des pays, les États-Unis étant une exception notable ces derniers quarante ans, la prospérité croissante s’est accompagnée par une baisse de la natalité. Le taux de fécondité de l’Inde a constamment diminué pendant la même période, sans loi ni politique explicite, même si son économie n’a pas cru aussi rapidement que la Chine. Dans la riche Corée du Sud, le taux de natalité est tombé à 1,3 enfant par femme, alors qu’il était de six en 1960.

Les autorités chinoises ont maintenant changé leur fusil d’épaule : au lieu de proclamer sans relâche les vertus de l’enfant unique, elles encouragent désormais les couples admissibles à « procréer légalement ». Mais elles ne devraient pas être surprises de ne pas atteindre leur objectif dans les circonstances actuelles.

Depuis les années 1980, les familles rurales dont le premier enfant était une fille ont été autorisées à avoir un second enfant. Plus récemment, les couples formés de deux enfants uniques ont été autorisés à avoir une deuxième progéniture, puis depuis novembre 2013 ceux dont un des parents était enfant unique. Pourtant, l’augmentation des naissances a été faible. Plusieurs universitaires, parmi lesquels Cai Yong de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, ont mené une étude en 2007-10 dans la province côtière du Jiangsu (Kiang-sou). Ils ont constaté que parmi les 2500 femmes citadines et paysannes qu’ils ont interrogées et qui étaient autorisées à avoir un deuxième enfant, seuls 6,5 % d’entre elles l’ont fait. Les minorités ethniques (près d’un dixième de la population) peuvent depuis longtemps avoir deux enfants ou plus. Mais en moyenne, chaque femme issue d’une minorité ethnique ne donne naissance qu’à environ 1,5 enfant, selon un recensement effectué en 2010.

M. Cai estime que la hausse des revenus est une des principales causes de la diminution de la taille de la famille. « Le développement est le meilleur contraceptif », dit-il. Notons cependant que cette explication n’est pas universelle : les États-Unis ont une natalité supérieure à celle du Québec, de l’Espagne ou des pays baltes par exemple, tout en étant plus riches et plus « développés ». Selon M. Cai, le nombre de naissances aurait chuté même sans la politique de l’enfant unique, mais pas aussi vite ni aussi bas.

Les familles s’inquiètent des frais associés aux enfants : une bonne éducation et de bons soins de santé coûtent de plus en plus cher. Une étude du Crédit suisse en 2013 a révélé que les couples dépensent généralement plus de 22 500 yuans (4750 $) par an pour élever un enfant jusqu’à l’âge de 18 ans. C’est plus de trois quarts du revenu disponible annuel moyen par citadin adulte. Un rapport du gouvernement en 2015 affirmait que, dans les cinq premières années de la vie d’un enfant, les parents citadins dépensent deux fois plus que ceux de la campagne, avant même que le coût élevé de l’habitat urbain ne soit pris en compte — en particulier près des meilleures écoles (voir le billet suivant).

Les familles chinoises désirent que leur progéniture bénéficie non seulement d’une bonne instruction, mais acquière également un avantage sur ce qu’ils considèrent comme le marché mondial de l’emploi. Il n’est pas rare que des parents dépensent ainsi près de 15 % de leur revenu annuel sur des cours particuliers, y compris des cours d’anglais hebdomadaires. Il en va de même en Corée où plusieurs considèrent qu’il s’agit d’un gaspillage d’argent qui participe à l’effondrement de la démographie. Plus de la moitié des enfants chinois de moins de six ans suivent des cours supplémentaires en plus de ceux de l’école maternelle, selon iResearch, une société d’études de marché chinois.

Les grands-parents permettent d’atténuer le coût de la garde d’enfants (ils vivent souvent avec leurs enfants adultes). Mais des mariages et des maternités de plus en plus tardives signifient que l’âge des grands-parents vivants augmente également ; ils sont désormais moins alertes pour s’occuper de deux enfants. N’avoir qu’un seul enfant est devenu si coutumier en Chine que la société chinoise n’est plus préparée à accueillir une progéniture multiple : les chambres d’hôtel pour deux enfants ne peuvent pas être réservées en ligne (les parents doivent appeler en personne) ; les voitures de jeu dans les parcs peuvent transporter deux adultes et un enfant ; le porte-brosse à dents dans les salles de bains familiales n’a souvent de place que pour trois brosses.

Des décennies de propagande sur les seuls avantages de l’enfant unique ont changé les mentalités, déclare Wang Feng, de l’Université de Californie à Irvine. La croyance selon laquelle la Chine est trop peuplée est largement partagée, tout comme la conviction que le pays s’en serait moins bien sorti sans la politique de l’enfant unique. De nombreux Chinois sont enclins à croire que la surpopulation, plutôt qu’une mauvaise organisation, est la cause des terribles embouteillages ainsi que de la pollution de l’air et de l’eau qui affligent leur pays. Avoir un seul enfant est perçu comme un acte patriotique sur ce plan.

La prochaine mesure du gouvernement dans ce dossier pourrait être de permettre à tous les couples d’avoir deux enfants. On spécule beaucoup que le parlement du pays approuvera cette mesure l’an prochain. Les bureaucrates de planification familiale s’inquiètent encore de ce qui pourrait arriver si les restrictions devaient être levées. Mais, il est fort probable que la mentalité actuelle quant à la famille idéale, les coûts et les tracas associés à la présence de plusieurs enfants continueront à réduire le taux de natalité, peu importe la vitesse à laquelle la politique de l'enfant unique sera ajustée. Comme les Japonais et les Coréens, un nombre croissant de jeunes Chinois préfèrent désormais ne pas se marier ou ne pas avoir d’enfant du tout.

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« Demain, la Chine ne sera plus ! »

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Corée du Sud — Les 5 prochaines années seront capitales pour résoudre la crise démographique

Corée du Sud — les garderies en anglais sont du gaspillage et néfastes au développement de votre enfant

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1 commentaire:

Le Saguenéen a dit…

Comme l'exemple des États-Unis le montre c'est en partie une question de revenu disponible (plus on en a, plus on peut avoir des enfants) et une question de culture (les États-Unis non littoraux ont encore une culture traditionnelle favorable à l'accueil des enfants et à l'accroissement démographique : l'idée que le pays est vide, qu'il est bon d'avoir de nombreux Américains).

Les Chinois, les Coréens ne referont pas plus d'enfants tant qu'ils penseront « mal » : à savoir que trois enfants c'est trop (pour faire 2,1 en moyenne, il en faut qui pense que 3 c'est bien étant donné que tous ceux-ci n'en auront pas 3 puisque le désir n'est pas toujours assouvi). Il faut aussi que l'inflation éducative (assez inutile) cesse, elle paralyse et ruine les familles.