mercredi 21 juin 2023

Quillette : « Au Canada, demander des preuves est désormais considéré comme du "négationnisme" »

Les affirmations sensationnelles de 2021 selon lesquelles des tombes d’enfants indigènes non marquées avaient été découvertes en Colombie-Britannique semblent désormais douteuses. Mais le dire pourrait bientôt être considéré comme une infraction pénale. Texte de Jonathan Kay dans Quillette.

Cela fait maintenant plus de deux ans que le Canada a été secoué par des allégations selon lesquelles 215 tombes anonymes d’écoliers autochtones avaient été découvertes sur le terrain d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique. Il n’y avait pas de corps ou de restes humains, mais des données de géoradar (radar à pénétration de sol) indiquant des dislocations du sol régulièrement espacées. Mais on ne s’en serait pas douté à la manière dont l’histoire a été rapportée à l’époque. Un titre de Global News annonçait la « Découverte de restes humains sur le terrain du pensionnat de Kamloops ». Un autre, dans le Toronto Star, déclarait : « Les restes de 215 enfants ont été retrouvés ».

Élèves amérindiennes au pensionnat de Kamloops

Je faisais partie des nombreux Canadiens qui ont cru à ces titres. Les sévices racistes perpétrés par les pensionnats canadiens des XIXe et XXe siècles, créés pour « civiliser » les peuples indigènes et les dépouiller de leur culture, sont largement débattus depuis des décennies. Compte tenu de cette sombre histoire, il n’était pas difficile de croire que certains des prêtres et des éducateurs qui dirigeaient ces écoles n’avaient pas seulement fait preuve de cruauté et de négligence (ce que l’on savait déjà), mais qu’ils avaient également commis des actes de massacre contre des enfants sans défense.

Sans attendre que les preuves tangibles sortent de terre, les drapeaux ont été mis en berne, les célébrations de la fête du Canada du 1er juillet ont été annulées, Justin Trudeau s’est agenouillé devant les caméras et la nation tout entière est entrée dans une période collective d’autoflagellation sans précédent. Avant la fin de l’été, Justin Trudeau s’est engagé à verser plus de 300 millions de dollars de nouveaux fonds aux communautés autochtones, afin qu’elles puissent mener à bien la sinistre tâche consistant à fouiller la terre à la recherche de cadavres d’enfants. La Presse canadienne l’a ensuite qualifiée d’histoire de l’année.

Vingt-quatre mois plus tard, beaucoup de choses ont changé. Pendant toute cette période, on n’a pas trouvé une seule tombe, un seul corps ou un seul ensemble de restes non marqués à Kamloops, ni dans aucune des autres communautés des Premières Nations qui ont effectué des levés similaires au géoradar.

Cela ne signifie pas que des tombes et des corps ne seront pas découverts à un moment indéterminé dans l’avenir. Mais étant donné que les données radar initialement annoncées auraient indiqué aux groupes autochtones et aux enquêteurs médico-légaux l’emplacement exact des restes humains présumés, le fait que deux années se soient écoulées sans qu’aucune preuve matérielle n’ait été déterrée ne peut être qualifié que d’étrange.

Comme je l’ai noté dans un article récent pour un magazine britannique, et ici à Quillette, c’est un sujet dont beaucoup de Canadiens polis ont peur de parler. En 2021, la découverte supposée de ces 215 tombes anonymes a pris l’allure d’un récit national sacré. Souligner les lacunes de ce récit qui se sont développées depuis, comme je le fais ici, ressemble à un sacrilège séculaire.

En outre, des intérêts politiques considérables sont en jeu. Lors de la campagne électorale fédérale de 2021, Trudeau a fait campagne en promettant de réparer les horreurs meurtrières infligées aux Canadiens autochtones par ses ancêtres. Les dirigeants autochtones, et c’est bien compréhensible, étaient heureux de prendre l’argent du Premier ministre pour ce faire. Les journalistes ont assuré à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs que les tombes présumées constituaient une preuve supplémentaire que le Canada était un « État génocidaire », suscitant ainsi toutes sortes de nouvelles initiatives caritatives, de mots-clics et de campagnes de t-shirts. Après tout cela, peu de personnalités publiques sont incitées à admettre que nous aurions peut-être pu attendre les faits avant de nous lancer avec autant d’ardeur dans la confection de vêtements.

Seul un grand média canadien, le National Post, a osé publier une analyse complète et franche sur comment tout le monde s’est trompé dans l’histoire des tombes non marquées. D’autres médias ont soit ignoré le dénouement de l’histoire, soit sont allés plus loin en dénonçant le révisionnisme comme un symptôme de sectarisme. Au Star, par exemple, un éditorialiste a estimé que le fait de demander aux autorités de produire des preuves matérielles concernant les tombes revendiquées équivalait à « une diatribe raciste à la limite du déni de génocide ».

Pourtant, même s’ils s’en tiennent publiquement à la ligne orthodoxe sur l’histoire des tombes non marquées, les journalistes et les rédacteurs en chef canadiens ajoutent désormais des termes qui signalent l’incertitude croissante quant à ce qui se trouve réellement sous la terre. Global News, une grande entreprise multimédia mentionnée plus haut, offre une étude de cas instructive. En 2021, un titre de Global a fait allusion (à tort) à la « découverte de restes humains ». Dans un article publié un an plus tard, il s’agissait de la « découverte de tombes non marquées ». Puis, le mois dernier, à l’occasion du deuxième anniversaire, les rédacteurs se sont repliés sur une formulation plus juridique, « Des tombes présumées non marquées » (c’est moi qui souligne). Ailleurs dans ses rapports 2023, Global a parlé de « tombes non marquées potentielles » et de « tombes non marquées plausibles ».

Comme la plupart des médias canadiens, Global n’a pas corrigé ses articles précédents sur le sujet, et n’a même pas donné d’explication franche pour justifier sa démarche. L’histoire des tombes anonymes se trouve donc dans un étrange état de limbes, devenant de plus en plus suspecte au fil des mois, mais pas au point d’être officiellement démentie.

Certains sites de médias étrangers n’ont même pas corrigé leurs informations. Le 28 mai 2021, un journaliste du New York Times nommé Ian Austen a annoncé à ses lecteurs qu’un « charnier » contenant des enfants indigènes avait été « signalé au Canada ». En réalité, non seulement aucun « charnier » n’avait été découvert, mais aucune communauté autochtone n’avait fait une telle déclaration. Le chef de la communauté des Premières Nations à laquelle il est fait référence a explicitement déclaré aux médias qu’il n’y avait pas de charnier et a récusé l’utilisation de ce terme.

Cela fait deux ans que le New York Times a publié cette affirmation, sans qu’aucune correction n’ait été apportée. Le Times n’a pas non plus corrigé un reportage complémentaire tout aussi bâclé publié en 2021 par le même auteur, dont le sous-titre faisait référence à « la découverte des dépouilles de centaines d’enfants ». Aucune « dépouille » n’avait été découverte, ni à l’époque, ni aujourd’hui.

Le désir de faire perdurer la thèse des tombes anonymes reste particulièrement fort chez les libéraux au pouvoir au Canada, dont le ministre des Relations entre la Couronne et les autochtones a pris la mesure assez extraordinaire (pour une démocratie libérale, du moins) d’ordonner aux journalistes de ne pas relater les faits hérétiques. Au début de l’année 2022, lorsque quelques chroniqueurs ont commencé à dire tout haut combien il était étrange qu’aucun corps n’ait encore été découvert à Kamloops, le ministre, Marc Miller, a dénoncé ces Canadiens comme faisant « partie d’un type de déni et de distorsion qui a coloré le discours sur les pensionnats indiens au Canada. Ils sont nocifs parce qu’ils tentent de priver les survivants et leurs familles de la vérité ».

 Miller suggère ici que la « vérité » de l’existence des tombes devrait être considérée comme une question de foi par ceux qui ont un cœur (politiquement) pur, quelles que soient les preuves disponibles. Le mot « négationnisme » ajouté par Miller vise clairement à comparer les personnes au cœur impur aux négationnistes de l’holocauste.

 Et pourtant, le mois dernier, Miller lui-même s’est senti obligé de se défiler maladroitement lorsqu’il a tweeté à l’occasion du deuxième anniversaire de l’histoire des tombes anonymes — excusant ceux qui font des « tentatives écœurantes » pour « nier » l’histoire tout en faisant référence à la « découverte de plus de 200 tombes anonymes présumées » (je souligne). Le qualificatif « présumées » trahit l’hypocrisie de Miller : si le fait de reconnaître que ces plus de 200 tombes à Kamloops pourraient ne pas exister permet de qualifier quelqu’un de négationniste « écœurant » du génocide, alors Miller semble avoir sa place sur la liste.

Plus loin dans la discussion, Miller semble suggérer que la vérité sur l’existence des tombes est de toute façon hors de propos, parce que l’acte même de discuter de la question « reste traumatisant pour la communauté, les survivants et leurs familles ».

Les journalistes doivent donc résister à la tentation de contester le consensus crédule de 2021, nous dit Miller. Au lieu de cela, il demande aux médias de jouer le rôle de moines chargés de « réfléchir et de contempler le travail qu’il reste à faire pour que les peuples indigènes guérissent ».

Les injonctions moralisatrices de M. Miller n’ont pas force de loi, heureusement. Mais il n’est pas exclu que cela change. Dans un rapport publié vendredi, Kimberly Murray, l’interlocutrice spéciale indépendante nommée par Trudeau pour enquêter sur la question des tombes sans inscription, a exhorté les politiciens à envisager de toute urgence des sanctions civiles et pénales contre le « négationnisme » des pensionnats. Cette idée a déjà été défendue par une députée du nom de Leah Gazan. Le ministre canadien de la Justice, David Lametti, s’est dit ouvert à cette proposition.


Comme Miller, Murray semble considérer que les affirmations relatives aux tombes non marquées à Kamloops et ailleurs sont moralement infalsifiables, puisqu’il s’agit de « vérités de survivants ». Elle suggère à plusieurs reprises que le simple fait de demander des preuves physiques est en soi une preuve de négationnisme. Sur ce point, Murray cite avec approbation le chef d’une Première nation de la Saskatchewan, qui

aborde subtilement la question du négationnisme en déclarant que « [q] u'on trouve ou non des tombes non marquées, il y a suffisamment de preuves orales et archivistiques documentées pour affirmer que ces sépultures existent ou ont existé ». La communauté reconnaît que les voix des survivants, qui ont des témoignages de première main sur ce qui s’est passé dans les pensionnats indiens, devraient être prioritaires sur toute autre chose.
La question de savoir ce que Murray veut bannir sous la rubrique « négationnisme » n’est cependant pas claire. À la page 108 de son rapport, elle fait référence (1) à des déclarations, telles que celles contenues dans l’article que vous lisez, qui examinent minutieusement des affirmations spécifiques concernant des tombes présumées dans des réserves autochtones spécifiques ; (2) à des déclarations plus générales qui mettent en doute l’existence de tombes non marquées dans n’importe quel pensionnat ; et (3) à des déclarations encore plus générales, qui servent à « défendre le système des pensionnats indiens [et] nier que les enfants ont subi des sévices corporels, sexuels, psychologiques, culturels et spirituels ». Toutes ces déclarations sont décrites par Murray comme des propos détestables. Mais il n’est pas clair lesquels, si tant est qu’il y en ait, Murray veut criminaliser.

Ailleurs dans son rapport, Murray affirme que les négationnistes englobent toute personne qui ne s’engage pas à croire que les pensionnats indiens étaient des instruments de génocide au sens propre. « Le fait de ne pas reconnaître les préjudices génocidaires délibérés infligés aux enfants indigènes devient un obstacle à la réconciliation et renforce une culture du déni au sein de la population canadienne », écrit-elle. Cela suggère qu’une personne peut être un « négationniste » sans rien dire ou écrire du tout, dans la mesure où elle n’a pas tenu compte de l’exhortation de Murray selon laquelle « chacun d’entre nous doit se lever et s’exprimer » comme elle le prescrit.

À long terme, cependant, ce type d’analyse sémantique n’aura probablement pas beaucoup d’importance, puisque tout effort juridique visant à censurer le « négationnisme » (quelle que soit la définition de ce mot) serait presque certainement invalidé par les tribunaux en tant qu’atteinte à la liberté d’expression. Les principes constitutionnels canadiens autorisent l’adoption de lois interdisant la promotion délibérée de la « haine » à l’encontre de groupes identifiables. Mais personne ne peut sérieusement prétendre que le fait de demander des preuves d’allégations de meurtre non prouvées ou de proposer des théories dissidentes sur les pensionnats est susceptible de satisfaire à cette exigence.  

Pourtant, il ne s’agit pas d’un spectacle que les Canadiens devraient ignorer : le simple fait que des personnalités publiques considèrent sérieusement ce type de censure montre à quel point elles refusent désespérément un réexamen critique de la psychose sociale qui règne dans le pays depuis 2021 autour des sépultures anonymes. Trudeau et ses ministres doivent savoir que l’heure des comptes ne peut être repoussée indéfiniment. Mon sentiment est qu’ils espèrent simplement ne pas être au pouvoir lorsqu’elle sonnera.

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