dimanche 14 juin 2015

« Les femmes aussi violentes que les hommes »

Chronique du psychologue Yves Dalpé :

« On connaît l’histoire. Un homme victime de violence amorcée par sa conjointe appelle la police et c’est lui qui se retrouve en prison. Cela n’est pas de l’humour “macho”, c’est un cas typique ; des clients m’ont confié de telles situations. Tout le monde assume que les hommes sont plus violents que les femmes dans la vie conjugale, mais cela est faux. Et quand il y a violence conjugale, on assume aussi que l’homme est nécessairement l’agresseur ou celui qui a amorcé l’épisode de violence. Cela aussi est faux.

En août, j’ai assisté à un atelier sur ce sujet à l’occasion du congrès des psychologues américains qui se tenait à Honolulu. Quatre femmes psychologues, soit deux américaines, une canadienne et une australienne, ont présenté leurs recherches sur la violence des femmes faite aux hommes dans les relations conjugales. Ces chercheuses ont corroboré le fait que les femmes sont aussi violentes que les hommes dans leur vie de couple. Dans une compilation globale de plusieurs pays, on a même établi en 2010 que 51 % des victimes de violence conjugale avaient été des hommes l’année précédente.

Les femmes sont impliquées dans les quatre sortes de violence conjugale, à savoir la violence physique, la violence sexuelle, les menaces de violence et la violence psychologique (émotionnelle). De façon générale, on a tendance à ignorer la violence des femmes envers leur conjoint, à l’amoindrir ou à l’excuser. On assume, par exemple, qu’elles sont violentes seulement par autodéfense. Mais cela n’est pas la vérité. Elles sont violentes et agressives pour d’autres raisons.

Les femmes peuvent proférer des insultes, jurer, crier, pousser le conjoint, le bousculer et le frapper. Elles peuvent le gifler ou lui donner des coups de pied. Elles peuvent détruire des objets appartenant au conjoint. Ou encore, utiliser la force pour avoir une relation sexuelle.

Évidemment, les enfants témoins de ces comportements en souffrent. Il a été démontré que les enfants de pères victimes de violence conjugale amorcée par leurs mères pouvaient en être affectés physiquement et psychologiquement. On a observé chez ceux-ci des problèmes somatiques, des déficits de l’attention, des comportements d’opposition et de défiance, de l’hyperactivité, des problèmes affectifs, de l’anxiété et des inconduites.

Bien sûr, toute violence est moralement condamnable, et est d’ailleurs un acte criminel, qu’elle provienne d’un homme ou d’une femme. Et les hommes victimes de violence conjugale sont aussi touchés que les femmes par cette violence et ont autant besoin d’aide. Les agressions physiques, les comportements contrôlants, les blessures et les agressions sexuelles ont des effets négatifs sur la santé physique et mentale des hommes violentés.

Mais des barrières empêchent les hommes de révéler la violence que leur fait subir leur conjointe. Souvent ils ne réalisent pas qu’ils ont été abusés, même s’ils ont été frappés. Ou encore, ils ont honte de cette situation. Aussi, ils peuvent craindre de ne pas être entendus, crus, ou même d’être blâmés. Quand un homme se plaint de violence conjugale, l’entourage se demande spontanément ce qu’il a fait pour la mériter. On ne réagit pas de la sorte quand c’est une femme qui est victime de violence conjugale.

Mais, au fond, c’est une bonne question autant pour les hommes que pour les femmes, car la violence conjugale est habituellement le résultat d’une interaction conjugale défectueuse. S’il est vrai que les personnes violentes, que ce soit des hommes ou des femmes, ont généralement des troubles de personnalité, il est vrai aussi que la violence conjugale est générée par la dyade. Autrement dit, les deux conjoints y jouent chacun leur rôle. Voir l’un comme un monstre et l’autre comme sa victime est un cliché inexact et nuisible. En adoptant un cadre de référence dyadique et non axé sur un seul individu perçu comme troublé, nous sommes plus exacts et plus efficaces dans la correction du problème.

La notion d’escalade est particulièrement éclairante, car elle est une tendance inhérente à tout conflit. L’un des conjoints peut amorcer un conflit, tandis que l’autre mettra de l’huile sur le feu. Des recherches ont déjà révélé que dans la majorité des meurtres conjugaux, une escalade entre les deux conjoints avait précédé le meurtre et que la victime aurait souvent pu être l’un ou l’autre.

Voilà pourquoi le traitement de la violence conjugale est plus efficace si on établit avec les deux conjoints le degré de participation mutuelle dans les attitudes et les gestes reprochés. Objectivement parlant, il n’y a pas un sexe plus “méchant” que l’autre. »

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Une police de l’opinion au Québec ?

Mathieu Bock-Côté sur le projet de loi 59 :

[...] on a oublié d’examiner ce qui se trouvait dans le projet de loi 59 contre les discours haineux. À tort. Il faut y jeter un œil. Le gouvernement cherche à se donner les moyens juridiques d’empêcher les discours haineux. Dans les faits, il crée les conditions d’une extension sans précédent du domaine de la censure.

Une police de la parole

Avec le projet de loi 59, n’importe qui pourrait porter plainte devant la CDPDJ [Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse] au nom d’une communauté qu’il dira diffamée. N’importe qui se sentant vexé par un propos identifiant d’une manière ou d’une autre un groupe religieux, culturel, sexuel ou politique pourra saisir la commission dans l’espoir de faire taire celui qui l’embête.

La CDPDJ aura le pouvoir d’enquêter. Elle pourra coller des amendes aux délinquants et faire cesser de tels discours et censurer les publications qui les accueillent. Elle décidera de ce qu’on peut dire ou non au Québec.

À terme, il y aurait une liste publique des contrevenants, des proscrits, des mauvais citoyens, qui doivent être mis au ban de la société, et peut-être même ostracisés de l’espace public et médiatique. Ils seront marqués du sceau de l’infamie : voici les intolérants. Il faut vous en méfier !

Pire encore : puisque le gouvernement n’a pas intégré à son projet de loi une définition des propos haineux, c’est la CDPDJ qui imposera sa propre définition. Il suffit d’étudier les travaux de la CDPDJ pour constater qu’elle porte bien mal son nom.

En fait, une proposition semblable circule depuis des années à la CDPDJ et la commission Bouchard-Taylor l’avait reprise (on la trouve dans son rapport dont tout le monde se réclame, mais qu’à peu près personne n’a jamais lu). La CDPDJ comme Bouchard-Taylor voulaient interdire les appels publics à la discrimination.
Quand on comprend tout ce que recoupe leur définition de la discrimination, on a de quoi frémir. Toute remise en question du multiculturalisme ou de la « diversité » comme idéal risquait de tomber sous le coup de la loi.

Le pouvoir aux radicaux

On voit très bien où nous conduira le projet de loi 59. Le souverainiste radical qui n’aime pas la Gazette pourra porter plainte contre elle. L’islamiste qui n’aime pas qu’on critique le hidjab pourra porter plainte aussi. Le militant des droits des homosexuels qui en aura assez d’entendre parler un représentant de la droite religieuse pourra l’accuser de propos haineux. La liberté d’expression sera prise d’assaut par les radicaux de toutes les causes qui veulent définir ce qu’on peut dire ou non à leur endroit. [Note du carnet : Il y a fort à parier que certaines plaintes seront plus recevables que d’autres, selon les affinités du pouvoir politique en place, c’est ce qu’on observe en France ou en Grande-Bretagne. La CDPDJ pourra en effet (voir article 5 du projet de loi) « refuser de donner suite à une dénonciation [...] frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi. »]

C’est un climat de censure qui s’installera et qui poussera chacun à se retenir de peur de piquer une association d’offusqués professionnels, qui traque les propos heurtant les sensibles et les fragiles.
Je souligne qu’à quelques nuances près, ce modèle de régulation de la liberté d’expression existe déjà en France et il donne un pouvoir aussi immense que délirant aux lobbies et aux associations qui poursuivent systématiquement leurs adversaires et critiques.

Le projet de loi 59 est liberticide. Il doit être réécrit.

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« Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire » (sauf l'islamophobie, l'homophobie, la transphobie, etc.)

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« L'idée que le savoir n'a plus d'importance est le plus grand mythe des pédagogues »

Daisy Christodoulou (ci-contre) est l’auteur d’un succès de librairie au Royaume-Uni qui démonte les mythes pédagogistes à propos de l’éducation. Elle y dénonce notamment le préjugé progressiste selon lequel la connaissance serait devenue désuète.


Un des plumes prestigieuses dans le domaine de l’éducation du Guardian, temple journalistique du progressisme britannique, écrivait à son sujet : « Lorsque Les Sept Mythes à propos de l’éducation de Daisy Christodoulou est sorti en livre numérique l’année dernière, je ne l’ai pas lu. Juste une pleurnicherie de droite, me suis-je dit, qui nous dirait que les écoles devraient revenir aux années 1950, qu’il ne faut qu’enseigner des faits, de la grammaire, des tables de multiplication. J’avais déjà entendu tout cela. Comme tant d’autres de ces diatribes, on en parlerait beaucoup dans le Telegraph et le Daily Mail, alors que les autres médias l’ignoreraient. Mais le livre est devenu l’un des plus commentés dans le domaine de l’éducation depuis 20 ans. Il a suscité autant de louanges que de colères.

Alors qu’est-ce qui est différent avec Christodoulou ? Tout d’abord, elle est jeune : à peine 30 ans, avec seulement quatre ans d’expérience comme enseignante au secondaire. Deuxièmement, sa prose est lucide, vigoureuse et dépourvue de jargon. Troisièmement, elle présente ses arguments avec passion, elle écrit avec la minutie d’un médecin légiste, se fondant non sur l’anecdote et sur l’affirmation, mais sur des preuves (ou du moins ce qu’elle présente comme des preuves), tirées des dernières recherches en sciences cognitives scrupuleusement sourcées. Quatrièmement, elle se concentre sur la pédagogie en classe et non sur des arguments concernant les ressources ou la gestion des écoles. “Nous nous préoccupons trop peu de la teneur réelle des leçons : ce qui sera enseigné et comment cela est enseigné,” écrit-elle.

Surtout, elle vise directement les vaches les plus sacrées auxquelles même les ministres [Note du carnet : prétendument] conservateurs paient parfois tribut. La prétention que l’on peut enseigner des “compétences transférables”, que le XXIe siècle change tout et que “l’enseignement dirigé par un enseignant est passif” — ​​des mythes que tout cela, dit-elle. [...] Elle ose critiquer John Dewey, un incontournable de la formation donnée aux enseignants, pour son style abscons et elle réprimande Charles Dickens qui a créé avec son Thomas Gradgrind et sa fille dans Les Temps difficiles le mythe qu’enseigner des faits aux jeunes enfants engendre des attardés émotionnels. »

Entretien que Daisy Christodoulou a accordé au FigaroVox :

LE FIGAROVOX — Vous avez écrit un livre intitulé Sept Mythes sur l’éducation aujourd’hui. Quel est selon vous le mythe le plus persistant de l’éducation contemporaine ?

DAISY CHRISTODOULOU — Le plus grand mythe contemporain à propos de l’éducation, c’est l’idée que la connaissance n’a plus d’importance. On dit désormais que le savoir-faire a plus d’importance que les savoirs, puisque de toute façon les enfants n’ont pas besoin de savoir des choses qu’ils peuvent à tout instant chercher sur leur téléphone intelligent.

Le plus grand mythe contemporain à propos de l’éducation, c’est l’idée que la connaissance n’a plus d’importance.

Toutes ces justifications de l’abandon de la connaissance sont fausses, parce qu’elles nient la manière dont le cerveau humain fonctionne. La science n’est pas du côté des pédagogues progressistes. La recherche menée ces cinquante dernières années par la psychologie cognitive montre bien combien nous dépendons du savoir stocké dans la mémoire longue pour tous nos procédés mentaux. Au contraire, la « mémoire de travail », celle dont nous nous servons pour aborder l’information nouvelle et l’environnement immédiat, est très limitée. C’est pourquoi il est très important de savoir « par cœur » des choses, même si elles n’ont pas une utilité immédiate. Ainsi, même si tout le monde dispose désormais de calculatrices, il est indispensable de connaitre ses tables de multiplication par cœur. Car après vous serez capable de résoudre des problèmes plus complexes sans avoir à utiliser l’espace limité et précieux de la mémoire de travail pour calculer les tables de multiplication.

Cette vérité se vérifie dans d’autres domaines. Pour saisir le sens d’un nouveau fait historique, il faut avoir en tête un canevas de dates historiques enregistré dans la mémoire longue. La recherche sur les joueurs d’échecs a montré que, plus ils retenaient en mémoire les positions précédentes dans leur mémoire longue, meilleurs ils étaient. Plus vous avez de faits enregistrés dans votre mémoire longue, mieux vous êtes à même de comprendre rapidement les nouvelles informations, et de résoudre efficacement les problèmes de la vie quotidienne. Nous adultes, nous oublions à quel point nous sommes dépendants du savoir, et nous surestimons le savoir dont les enfants disposeraient a priori.

Des chercheurs ont même montré que « la mémoire longue était le socle de l’intelligence humaine », et ont défini le fait d’apprendre comme « une transformation de la mémoire longue ». Ainsi le prix Nobel Herbert Simon, affirme que « dans chaque domaine exploré par l’esprit humain, un savoir considérable est nécessaire comme préalable à toute pratique d’expert ». Il y a un fossé entre ces études scientifiques et le statut octroyé au savoir dans les hautes sphères de l’éducation, qui dénigre en permanence l’importance du savoir et de la mémoire.

— The Economist écrivait au sujet de la réforme du collège en France « l’approche traditionnelle française, de la classe assise en rangs d’oignons est absolument inadaptée à la nature changeante de l’emploi dans l’économie du savoir ». Qu’en pensez-vous ?

— C’est un point de vue asséné sans preuve. Rappelons encore une fois l’importance de la mémoire longue, et la faiblesse de la mémoire de travail. Qu’importe l’économie et le monde dans lesquels nous vivons, nous devons prendre en compte la manière dont nos cerveaux fonctionnent. Que nous formions des élèves à travailler dans la finance internationale ou à labourer des champs, à aimer la littérature ou à changer le monde, nous devons admettre que la mémoire de travail est limitée. Si nous tenons compte de cela, l’approche traditionnelle est pleine d’avantages. Une instruction menée par le professeur est régulièrement recommandée dans les analyses sur les techniques d’éducation. L’explication, l’instruction donnée par le maître permettent de segmenter le contenu, de façon à ce qu’il soit assimilable dans les limites de la mémoire de travail. Les élèves concentrent leur attention sur la bonne chose. Le problème avec les approches qui mettent l’enfant au centre de l’apprentissage, c’est que les enfants sont vite désorientés, ne comprennent pas les concepts fondamentaux et perdent du temps dans des digressions secondaires. Ce n’est pas un préjugé : étude après étude, on se rend compte des bienfaits d’une approche qui met le maître au centre du dispositif d’apprentissage.

— Faut-il adapter l’éducation à l’économie ?

— Le marché du travail est en train d’évoluer, c’est une évidence. Le nombre de métiers non manuels augmente dans l’économie du savoir. Mais les compétences les plus recherchées sont toujours le fait de savoir lire, écrire et compter. Ce ne sont pas des compétences nouvelles : l’alphabet et les chiffres sont là depuis longtemps, et nous connaissons très bien la meilleure façon de les enseigner. Ce qui est nouveau, c’est que de plus en plus de gens auront besoin de ces compétences essentielles, et qu’il y aura de moins en moins d’avenir économique pour les analphabètes. C’est pourquoi nous devons désormais faire en sorte que tout le monde ait accès à une éducation qui était auparavant réservée à une élite. Il ne faut pas redéfinir une éducation pour le XXIe siècle, mais tenter de généraliser une éducation autrefois élitiste à tous.

— Une des mesures phares de la réforme du collège en France est de mettre en place davantage d’« interdisciplinarité », qui impliquera des « projets » et des « activités » de la part des élèves. Est-ce une façon de fabriquer de meilleurs élèves ?

— Pas du tout. Le problème de l’interdisciplinarité, c’est qu’elle confond les objectifs et les méthodes. L’objectif de l’éducation, c’est de donner les moyens à l’élève d’appréhender le monde dans sa globalité : l’interdisciplinarité est la fin de l’éducation, pas sa méthode. Faire des « projets » sans fin, ce n’est pas une bonne manière d’enseigner, parce qu’ils impliquent trop d’informations, qui surchargent et saturent la mémoire de travail. Au contraire, enseigner des sujets permet de décomposer des savoirs complexes dont nous avons besoin pour les enseigner de façon systématique. Je me souviens avoir enseigné un projet interdisciplinaire sur l’histoire du football à des élèves de collège [secondaire I à IV]. L’objectif était de combiner histoire, géographie et langue anglaise en un seul projet. Mais le problème c’est que les élèves avaient déjà besoin d’avoir des savoirs dans ces disciplines qu’ils n’avaient pas, et qu’on se refusait à leur enseigner, car l’objectif des leçons était toujours l’« activité » et pas l’acquisition et la consolidation du savoir. Avec les projets interdisciplinaires, le savoir disciplinaire devient l’angle mort de l’éducation. On fait des « projets » sur la réorganisation de la bibliothèque de l’école, des thématiques comme le « voyage » ou l’« identité » où le résultat est un carnet de dessins. Mais avec de telles méthodes, comment être sûrs que les élèves soient capables de construire une phrase ?

Sur le papier, les « projets » peuvent paraître une bonne idée, une façon moderne de préparer les élèves aux problèmes qu’ils rencontreront dans la vie quotidienne. Mais il s’agit d’une erreur logique. Là aussi, la science nous enseigne qu’apprendre une discipline requiert une méthode différente de pratiquer cette discipline.

Le problème des « activités », c’est qu’elles conduisent les élèves à être distrait de l’essentiel. Si on est d’accord pour comprendre l’apprentissage comme une transformation de la mémoire longue, alors la question essentielle devient : comment apprendre aux élèves à mémoriser des informations ? Là aussi, il existe une évidence : nous nous souvenons de ce à quoi nous pensons. De ce point de vue, les activités populaires et les projets ont peu d’intérêt. Par exemple, au Royaume-Uni, les inspecteurs d’académie ont conçu une leçon de langue anglaise où l’on invitait les élèves à faire des marionnettes de Roméo et Juliette. C’est très bien si vous voulez apprendre aux élèves à faire des marionnettes. Mais si vous voulez leur apprendre l’anglais, c’est moins efficace, car les élèves passeront leur temps à penser aux mécanismes qui font agir les marionnettes, pas à l’intrigue ou au langage de la pièce. Cela peut paraître un exemple extrême, mais une fois que vous commencez à privilégier les activités sur le savoir, c’est ce qui risque d’arriver.

— Est-ce à dire qu’il faille revenir à une école « à l’ancienne » ?

— Que signifie « à l’ancienne » ? Rousseau et Dewey ont écrit leurs thèses pédagogistes il y a longtemps, et je ne défendrai pas pour autant leurs idées ! En Angleterre, l’école « à l’ancienne » était loin d’être parfaite. Nous devons évidemment faire en sorte que tous les élèves apprennent, et pas seulement une minorité élitiste. Nous devons essayer de nous améliorer, de faire mieux, et de réformer si nécessaire. Mais les améliorations proposées doivent l’être sur la base d’une recherche sérieuse et actualisée sur la façon dont nous apprenons, et pas sur des présupposés idéologiques ou des clichés de consultant en gestion à propos de prétendus changements qu’impliquerait le XXIe siècle. Pour moi, tout le drame de l’éducation contemporaine, c’est qu’il existe une recherche scientifique extrêmement riche sur la manière d’apprendre qui n’est ni connue ni appliquée dans l’éducation.

Sources : Figaro Vox, Guardian, carnet de  Daisy Christodoulou


Seven Myths About Education
de Daisy Christodoulou
paru le 27 février 2014
aux éditions Routledge
ISBN-10 : 0415746825
ISBN-13 : 978-0415746823

Québec — Enseignants incités à gonfler les notes ?

Le syndicat des enseignants de Laval accuse la Commission scolaire de Laval — et par ricochet le ministère de l’Éducation, jugé complice de la manœuvre — d’inciter les enseignants à hausser artificiellement les notes des élèves pour leur faire obtenir la note magique de 60 % et ainsi éliminer 12 classes spécialisées au primaire, à la rentrée. Cela a également l’avantage d’améliorer les statistiques et de moins décourager, dans un premier temps, les élèves et de les voir décrocher.

Il y a quelques jours, la Commission scolaire de Laval a envoyé un communiqué pour indiquer que le taux de réussite connaissait une telle augmentation au primaire que le nombre de ses classes spécialisées allait diminuer, et ce, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec les coupes de 13 millions à pratiquer.

Pour le syndicat de l’enseignement de la région de Laval, c’est de la poudre aux yeux. La réalité, dit Frédéric Sauvé, premier vice-président du syndicat, c’est que le recours au « bulletin modifié » est anormalement élargi pour faire en sorte que l’élève réussisse à tout prix, du moins en théorie.

« À l’origine, les bulletins modifiés s’adressaient aux seuls enfants handicapés dont on savait bien qu’ils ne pouvaient pas répondre aux exigences du programme. Le problème, c’est qu’on étend maintenant ces bulletins aux exigences abaissées à des enfants qui ont un retard scolaire et qui, autrefois, auraient simplement échoué ou redoublé ou qui auraient été dirigés vers une classe spécialisée. »

Ces enfants qui reçoivent un « bulletin modifié » passent d’une année à l’autre suivant des attentes à la baisse. Les enseignants les retrouveront par exemple dans leur classe régulière en 5e année du primaire, alors que leur niveau correspond à la 3e année.

« Il y a une dérive, on se dirige [Note du carnet : encore ?] vers un nivellement par le bas », dénonce M. Sauvé.


Des parents croient à tort que tout va bien, que leurs enfants réussissent. Ils passent d’une année à l’autre, disparaissent des statistiques sur les élèves en difficulté d’apprentissage. Mais quand arrivent les examens du Ministère, des années plus tard, impossible de faire l’autruche : « Les élèves ne les réussissent pas », dit Manon Lafrance, conseillère syndicale.

Source

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Inflation des notes dans les universités nord-américaines ?

« Le Club des Cinq » caviardé, car trop politiquement incorrect et à la langue trop compliquée


vendredi 12 juin 2015

Conservatisme: quelles significations?

Un trait commun dans les courants du conservatisme : une certaine méfiance envers le changement

Par Jean Renaud — directeur de la revue Égards (le n « 47 est sorti !).

J’emploie le mot « conservateur » dans un sens assez large (qui se précisera et se resserrera en cours de route). Je me réfère d’abord au conservatisme occidental tel qu’il est, et plus spécifiquement (pour le situer géographiquement) à celui de l’Amérique du Nord et de l’Europe de l’Ouest (sans contester les riches possibilités des autres parties du monde) […]. Quels sont les traits communs à [des] familles d’esprit très diverses ? Identifions l’un des plus généraux : une certaine méfiance — une peur, diront les gens de gauche — face au changement. [Note du carnet : nous nous rallions à cette définition ainsi qu'une méfiance face à l’utopie, à des abstractions séduisantes, de prime abord, mais qui ne correspondent pas à la réalité et à un optimisme béat en la nature humaine.]

Arrêtons-nous quelques instants sur cette caractéristique. Les « libéraux » souligneront, railleurs, que le conservatisme s’appuie sur l’esprit de routine et d’inertie — et c’est une signification du mot « conservateur » qui se retrouve jusque dans le langage courant. Le changement, qui dérange nos habitudes, n’est-il pas une des constantes de l’existence ? L’enfant « change » physiquement et moralement, afin de devenir un adulte. L’adulte acquiert de l’expérience, s’adapte à des situations diverses, fréquemment inattendues, s’il veut garder ses biens, protéger les siens, améliorer son sort et celui de sa famille. Les « entreprises » sont obligées d’innover non seulement pour progresser, mais pour survivre à leurs compétiteurs. Les États doivent continuellement se réformer s’ils ne veulent pas décliner, se corrompre ou, pis encore, se décomposer et disparaître. L’immobilité n’est ni possible ni souhaitable. Même les plus routiniers des « conservateurs » le reconnaissent. Mais cela justifie-t-il le mouvement pour le mouvement, sans finalité ? Il est clair que non. Le changement se greffe à de bonnes « habitudes ». C’est l’habitude, bonne, ferme, durable, qui crée l’ordre, celui-ci étant la condition du progrès, du changement heureux, profitable, bénéfique.

Alors, comment distinguer un changement nécessaire ou bienfaisant, d’un changement inutile ou nuisible ? On touche ici une caractéristique plus profonde du conservatisme : l’idée qu’il existe une nature des choses et que certains changements la contredisent ou la contrarient. S’il n’est pas en mon pouvoir de la modifier (elle est ce qu’elle est), il m’est possible de la contourner ou de l’ignorer (les effets de l’erreur ou de l’ignorance, quoiqu’inévitables, sont quelquefois différés), de la falsifier (en y greffant quelques commandements nouveaux tirés d’une idéologie quelconque) ou même de la nier radicalement (ce qui nécessite de la remplacer par un « réel » artificiel forgé par des ingénieurs civils et sociaux), bref de ne pas profiter de ses leçons. Que celles-ci ne me soient pas immédiatement intelligibles — et d’ailleurs toujours imparfaitement — n’autorise pas à dédaigner les fruits précieux qu’une attitude, fondamentale, de piété, d’attention, de docilité envers l’enseignement d’un réel empli de merveilles et de mystères, apporte avec le temps, ouvrant une voie où la discussion devient féconde (ne partageons-nous pas une réalité commune ?), l’accord fondé en raison et la constitution progressive d’une civilisation stable et prospère, autant que les choses humaines le permettent, concevables.

À l’homme sartrien, pure liberté, indéterminée, sans nature ni finalité, qui s’invente lui-même, s’oppose l’homme de la gratitude et de l’attention, qui se soumet pieusement et joyeusement à une nature précédant sa raison ou sa volonté, la préférant aux impulsions anarchiques ou fanatiques de son pauvre cœur. Par conséquent, un tel homme respectera des seuils… Lesquels ? Les réponses varient. Mais jusqu’à un certain point seulement. La reconnaissance d’un ordre naturel, même de façon implicite (comme elle peut l’être chez l’homme du peuple, s’il existe encore) est (ou du moins était) un des éléments centraux de l’héritage grec et romain, d’une tradition philosophique et politique dont les conservateurs d’aujourd’hui sont les dépositaires claudicants et maladroits.

Une telle reconnaissance ne résout pas tous les problèmes. Elle indique une direction à la raison et invite à une discipline du cœur (secrètement tenté par la révolte ou le fanatisme). Dans la philosophia perennis occidentale issue de la tradition grecque, l’objet est roi. La pensée se règle et se soumet à ses diktats. Tout son effort est de voir les choses comme elles sont. Pour les modernes, au contraire, le « sujet » importe seul, quand ce n’est pas le philosophe lui-même. La modernité se définit essentiellement par l’inflation du moi. Celle-ci prend diverses formes depuis le « cogito » cartésien. Athée ou déiste, anthropocentrique ou théocentrique, rationaliste ou volontariste, ce qui unit ces tendances contradictoires, ce n’est ni Dieu (nié ou affirmé), ni la raison (hypostasiée ou rabaissée), ni le culte de la science, de la démocratie ou des droits de l’homme, c’est précisément la négation de l’ordre naturel. Le fondement philosophique et théologico-politique de la modernité est une liberté qui tend à être purement indéterminée et à définir elle-même ses fins sans s’appuyer sur le réel, méprisé ou discrédité.

mardi 9 juin 2015

Belgique — Qui pour sauver l'école ?

On parle beaucoup en Belgique du livre de John Rizzo, Sauver l’école ?

John Rizzo, 42 ans, est d’abord un entrepreneur. Cet agrégé d’informatique, après avoir travaillé un temps chez IBM et créé sa propre jeune pousse, s’est intéressé aux questions d’éducation et de pédagogie. Il se documente, rencontre des enseignants et des chefs d’établissement, visite de nombreuses écoles… Puis monte sur l’estrade avec le statut d’instituteur-remplaçant. Son expérience de l’école primaire durera un an. Il se frotte aux élèves, aux collègues… au système. Et décide de raconter son aventure dans un livre paru ce 18 mars.

Entretien avec l’auteur réalisé par Enseignons.be

John Rizzo, le grand public vous découvre pour la sortie de votre livre « Sauver l’école ? ». Qui êtes-vous ?

Je suis un papa bruxellois qui se pose des questions sur l’enseignement. J’ai deux fils de 14 et 12 ans et une fille de 9 ans. L’informatique et la pédagogie sont mes deux passions depuis toujours. J’ai voulu combiner tout cela pour aider le système scolaire en Wallonie et à Bruxelles.

Comment en êtes-vous arrivé à écrire un livre sur l’enseignement ?

Avant de m’intéresser au système scolaire, j’avais fondé une jeune entreprise au sein de laquelle j’ai donné des centaines de cours d’informatique en petits groupes un peu partout dans le monde. Mon métier, à l’époque, était de recruter des instructeurs et de mettre au point avec eux des méthodes d’apprentissage innovantes en utilisant Internet. J’ai fini par revendre cette entreprise, ce qui m’a donné l’occasion de totalement changer de carrière. J’ai choisi l’enseignement, mais cette fois dans le primaire et le secondaire. Dans un premier temps, j’ai lu toute la littérature spécialisée, mais aussi les témoignages de profs, les coups de gueule, les analyses internationales et j’en passe. J’ai multiplié les rencontres avec des enseignants, des directeurs, des inspecteurs, des associations, y compris à l’étranger. Je voulais comprendre comment fonctionne notre système scolaire et surtout, comment l’améliorer.

Puis, j’ai sauté le pas et j’ai effectué plusieurs remplacements dans des écoles primaires, dont un de plus de cinq mois. Je m’y suis d’abord pris de manière traditionnelle, frontale, et j’étais fâché avec mes résultats. Les plus faibles n’avaient pas le temps de suivre et les plus forts s’ennuyaient. C’est à ce moment que j’ai décidé d’utiliser ce que j’avais découvert à travers mes lectures. J’ai commencé à combiner des méthodes pédagogiques abandonnées depuis deux siècles avec les nouvelles technologies, tout en utilisant les dernières trouvailles dans le domaine de la psychologie. Et souvent, cela a très bien fonctionné. C’est à tel point qu’aujourd’hui, je suis convaincu qu’en organisant la plupart des écoles différemment, élèves et professeurs pourraient s’y épanouir et apprendre l’un de l’autre efficacement et avec plaisir.


Et comment faut-il faire alors ?

C’est la question que je me pose au début du livre, qui se déroule comme une enquête. Il est découpé en histoires courtes et se lit comme un roman. Pour illustrer la réponse à votre question, j’ai envie de reprendre une histoire du chapitre 6, « l’école expérimentale ». Je me trouve dans une école bruxelloise avec une population essentiellement immigrée. L’ambiance générale est excellente. La première semaine, j’ai passé du temps à expliquer les nombres divisibles, par 2, par 3, par 4, etc. à ma classe de 4e primaire. Ils ont fait les exercices. Ils les ont corrigés. J’ai annoncé un contrôle qu’ils ont eu le temps de préparer.

Patatras. Ils ratent. J’avais pourtant repris les mêmes calculs que leurs exercices. Au chiffre près. J’ai organisé un contrôle de rattrapage annoncé, plusieurs fois rappelé. Les résultats n’étaient pas franchement meilleurs.

Ce n’est pas très encourageant !

Je me suis senti démuni et idiot. Je me suis demandé si j’expliquais mal. Des parents me confiaient leur enfant, et je n’étais pas fichu de leur enseigner les nombres divisibles ! Puis, j’ai compris que le vrai problème, c’est que ces enfants ne savaient pas étudier. Dans leur tête, ils avaient fini d’étudier quand leur photocopie était remplie. Ils n’avaient pas le réflexe de s’entraîner, de recommencer tant que ce n’était pas assimilé. Ils n’avaient pas appris à se prendre en main.

Du coup, je leur ai dit : à partir de maintenant, vous avez carte blanche en classe, vous pouvez parler, vous pouvez vous lever, vous pouvez même écrire au tableau. Mais vous devez vous entraîner sur les nombres divisibles jusqu’à ce que vous réussissiez un test avec une note minimale de 80 %. Dès que vous vous sentirez prêts pour un test, venez me voir. Si vous ratez, vous recommencerez autant de fois que nécessaire jusqu’à obtenir 80 % au test. C’est votre nouveau niveau d’exigence.

Mais si vous permettiez à chacun d’avancer à son rythme, vous deviez expliquer tout, individuellement, à chaque élève. Vous avez tenu le coup ?

Il n’était pas question que je tombe dans ce piège. En général je n’expliquais rien du tout. Pire : en général, je n’avais pas de corrections à faire… De quoi en faire rêver plus d’un, non ? Un jour, j’ai même pris en charge tous les élèves d’une de mes collègues, absente, en plus de la mienne. Ils ont fait deux fois plus d’exercices que prévu par leur prof, et j’ai pu déposer une pile corrigée sur son bureau en fin de journée.

Ça sonne un peu comme de la sorcellerie… Comment apprennent-ils, si vous ne leur expliquez rien ? Est-ce le numérique ? Le principe des classes inversées ?

Le numérique a joué un rôle, mais finalement assez minime. J’ai bien proposé des jeux éducatifs et des vidéos sur Internet, mais cela n’a jamais eu un succès réel.

Vous n’expliquez plus, ils utilisent peu de numérique, et ils apprennent ?

Ils n’ont pas le choix : il leur faut au moins 80 % et pas un point de moins. Ils travaillent aussi à la maison, mais les parents m’ont appris à la première réunion que depuis le changement de méthode, ils devaient expliquer beaucoup moins. À la maison, les enfants semblaient avoir compris la matière au moment de démarrer leurs devoirs.

Bon, et finalement, comment apprennent-ils ?

Si je n’ai pas encore répondu, c’est qu’il s’agit d’un puzzle assez complexe que j’explique de manière logique et progressive dans le livre. Je commence par y parler de ma recherche d’employés au sein de ma start-up et de ma difficulté à trouver des candidats aptes à y travailler. Ensuite, je parle de mon expérience comme formateur devant des demandeurs d’emploi, et cela se poursuit dans les classes de primaire, où tout le travail de formation de l’esprit et de capacité de travail se fait.

Si je devais expliquer la clé, ce que j’ai fait en classe en une phrase, ce serait d’avoir arrêté de donner la matière pour consacrer toute mon énergie à inciter les élèves à la prendre.

Plutôt que de résumer tout le livre dans cet entretien, je pourrais partager un extrait du livre avec vous. Vous avez une préférence ? Les patrons, les demandeurs d’emploi, la violence, les congés, la motivation, les décideurs, le décret Inscriptions, les neurosciences, la pédagogie, l’éducation, le numérique, les associations, les finances de l’État ?

Pas les finances ! Un extrait à propos de votre méthode pédagogique ?

Bien… levons un coin du voile alors. Nous sommes toujours dans cette école bruxelloise multiculturelle, dans ma classe de 4e primaire. Manoa, la star de cette histoire, est un HP sympa et hyperactif qui a fait tourner en bourrique ma collègue de 3e, tombée en dépression jusqu’à la fin de l’année. Il arrive dans ma classe.

Extrait n° 1 du livre
LA TRAQUE AUX GOMMETTES

Avec la progression individualisée vient rapidement la nécessité de suivre les progrès de chacun. L’expérience de diverses formules toutes plus lourdes les unes que les autres se conclut par la création d’un simple panneau à gommettes où chaque ligne correspond à un élève et chaque colonne représente une matière du dossier. Ainsi, à l’intersection de la ligne « Manoa » et de la colonne « F2 – Conjugaison », on trouve le résultat d’autoévaluation de Manoa au test de conjugaison. Une case vide signifie que le test n’a pas encore été réussi. Si elle est ornée d’une gommette, cela veut dire que ce point de matière est maîtrisé.

J’entends déjà les idéologues : n’est-ce pas stigmatisant d’afficher ainsi, au vu et au su de tous, les difficultés de chacun ?

— Votre attention, les enfants ! Passons vos progrès en revue.
— Andrea, Georges, Mouna, Igor, venez devant la classe. Voici les quatre élèves qui ont déjà réussi tous les tests du dossier. Je pense qu’on peut les applaudir !
Leurs yeux brillent. Ils sont fiers. Une fois de retour à leur place, un sourire immense au visage, je m’occupe des plus faibles.
— Manoa, sur six tests, tu n’en as encore réussi aucun. Nous sommes mercredi. Que vas-tu faire pour en réussir deux demain ?
— J’ai presque réussi M3 et F2, Monsieur. Je vais travailler un peu à la maison et demain, je vais les réussir.
— Parole d’ivrogne ! Cela fait une semaine que tu tournicotes en classe, à la recherche d’une occupation qui t’évite de travailler ! Tu as eu tout un week-end pour progresser, comme les autres. Je ne veux plus de promesses, JE VEUX DES GOMMETTES !

Il m’arrive de crier. Pas souvent, mais quand je m’y mets, la classe est pétrifiée. Je ne suis pas plus surpris qu’excédé : je suis un acteur… un manipulateur ?

— J’vous jure, Monsieur, vous verrez, je vais travailler avec ma maman toute l’après-midi et demain, je vais réussir M3 et F2.

Le lendemain, Manoa exhibe les feuilles remplies à la maison, fier comme Artaban. Puis, il revient d’une séance de test :
— Voici mon test corrigé, Monsieur.
— Hmmm. Je vois que tu as 16/20. Voici ta gommette, je te félicite. Va la coller sur le tableau.
— Ouiiiii ! J’ai réussi ! J’ai réussi ! Regardez les gars, j’ai ma gommette ! Monsieur, vous pouvez prendre une photo du tableau pour montrer à ma maman ?

Ses yeux brillent. Il est si fier.

Jamais je n’ai entendu un enfant se moquer d’un autre pour une différence de gommette. Au contraire : ceux qui les obtiennent péniblement retournent vers ceux qui les ont aidés pour se faire féliciter.

Ai-je manqué de miséricorde envers Manoa ? Est-il normal qu’il ait dû travailler hors de l’école ? Ai-je trop poussé à l’excellence ?

Recension du Vif/L’Express

Passons sur les souvenirs d’enfance, l’école du quartier qu’on gagne à pied, la vocation découverte à 12 ans à peine, la rencontre décisive avec un prof de math... Dans une autre vie, John Rizzo, informaticien et agrégé d’informatique, a travaillé chez IBM, avant de créer sa jeune entreprise. JavaBlackbelt.com, une sorte de Wikipédia pour des candidats à des examens qu’il revend à une firme américaine, avant de se faire congédier, il décide alors de se reconvertir dans l’éducation. « J’ai voulu comprendre pourquoi, quand j’étais chef d’entreprise, sur 50 curriculum vitae, 46 ne valaient même pas la peine que je m’y attarde... », raconte John Rizzo, 42 ans, dans Sauver l’école ? qui paraît ce 18 mars.

L’homme lit tout ce qui lui passe entre les mains, rencontre des enseignants, enquête dans les établissements... Puis finit par monter sur l’estrade : il forme des demandeurs d’emploi et enseigne en primaire, durant un an, comme instituteur remplaçant.

Dans son ouvrage, John Rizzo expose la méthode d’enseignement qu’il a testée dans ses classes. Car, selon lui, c’est d’abord la pédagogie qui est à revoir. « Le problème avec le cours magistral est que l’enseignant va au même rythme pour tout le monde, mais ce n’est pas forcément le bon rythme pour tout le monde. »  Il veut croire qu’avec les outils numériques, ce modèle laissera la place à la « pédagogie inversée ». L’enseignant met des documents à la disposition des étudiants sur des espaces numériques de travail : des textes, des images, mais aussi des vidéos.

L’élève devient le « pilote actif de sa formation », tandis que le professeur, lui, n’est plus là pour déverser ses connaissances, mais s’assurer que ses élèves apprennent.

Le livre se teinte aussi d’idéologie. Ainsi, on y lit une charge contre le décret Inscriptions [forçant la mixité ethnique et sociale dans les écoles belges francophones] ou un plaidoyer pour filtrer les aspirants profs, ce qui est « généralement vecteur de qualité ». Reste la question : pourquoi l’école se révèle-t-elle incapable de se réformer en profondeur ? Il semble que les enseignants les plus innovants n’ont pas été suivis et que les politiques ont « une liberté d’action largement limitée par le marchandage politicien ».


Extrait n° 2 du livre

Rassurante photocopie

Les cartables et les bancs sont à l’image du tableau : ces enfants de deuxième primaire manipulent près d’une vingtaine de cahiers et de classeurs par semaine. Tout est minutieusement organisé [...]. Découvrant cela. je m’enquiers auprès de ma collègue :
— Pourquoi des enfants de 7 ans ont-ils dix cahiers et neuf classeurs en plus de leurs six livres ?
— Si on ne leur donne pas de photocopies complémentaires, ils finissent les livres bien avant la fin de l’année !
[...] Ma collègue, Madame V., débarque régulièrement avec des photocopies qu’elle a eu la gentillesse de faire pour moi :
— Celle-là, il faut la coller dans le grand cahier jaune, mais va d’abord la rogner en salle des profs pour qu’elle ne dépasse pas du cahier. Celle-ci, tu dois la perforer, car elle va dans la farde [Note : classeur] rouge, celles-ci vont aussi dans une farde, mais avec des chemises en plastique, pas besoin de perforer.

[...] Dans l’école que je quitte, comme dans toutes les suivantes, j’ai découvert une propension profonde à la photocopie. Mieux valent cent photocopies éparses qu’un seul manuel scolaire. Il semble difficile pour mes collègues de se fonder sur des manuels pour l’essentiel de la matière. Cela les amène à déployer des trésors d’énergie en préparation de cours alors qu’ils pourraient se consacrer à d’autres dimensions de leur métier pendant ce temps.

Derrière le côté anecdotique de la photocopie se cache, à mon avis, un des principaux gaspillages de temps et de ressources de notre enseignement. On passe des centaines d’heures à réinventer la roue dans chaque école, pour chaque matière. »

Les superprofs

En 1989, Teach for America a été fondée dans l’idée de réduire, voire de combler l’écart scolaire entre les élèves issus de familles pauvres et ceux de familles favorisées. L’organisation envoie notamment ses enseignants dans les quartiers dévastés de la Nouvelle-Orléans ou encore à la frontière mexicaine, où ils scolarisent des légions d’enfants qui ne parlent même pas l’anglais. Autant dire que les défis à y relever sont au moins aussi délicats que ceux des quartiers défavorisés de Bruxelles.

[...] Dans leur vocabulaire, un enseignant normal est celui qui fait progresser ses élèves d’une année scolaire. Dans le même temps, un super-enseignant est capable de faire progresser sa classe de deux ou trois années. [...] Appliquent-ils une pédagogie particulière ? L’épais volume que je consulte [Note : Teaching as Leadership, le livre de l’association] ne se préoccupe guère de cet aspect et s’abstient surtout de privilégier un courant didactique. Il ne fustige pas l’enseignement traditionnel au profit de l’éducation nouvelle. ni l’inverse. Il ne parle pas de méthode syllabique ou globale pour la lecture. Il effleure à peine le sujet de l’autorité. Il ne fournit aucun plan de cours. Mais alors, quelles sont les caractéristiques intrinsèques des superprofs ?

D’abord, ils fixent avec leurs élèves un objectif ambitieux, partagé et particulièrement motivant. Ils le font dès les premières semaines, après avoir noué une relation avec leurs élèves et après avoir compris leurs aspirations. Les enfants ne sont pas des « gagne-petit » : proposez-leur de la médiocrité, vous obtiendrez du désintérêt, voire du renoncement. Mais faites-les rêver et...

Une fois l’objectif fixé, les superprofs s’attachent à nouer un contact profond avec les familles de leurs élèves. Quitte, comme l’explique le livre, à aller les trouver à leur domicile, le soir venu. N’oublions pas qu’il s’agit là d’élèves en perdition : sans un effort concerté, impliquant tant les parents que les enfants et les enseignants, il est inutile d ’envisager de rattraper en peu de temps un retard colossal. Chaque minute de l’année, y compris hors de l’école, doit être optimisée. [...]

Selon Teach for America, la différence entre un superprof et un professeur ordinaire s’articule autour de ces trois piliers : excellence, relation avec les familles et sens de l’urgence.

L’école Idéale

J’avais déjà eu l’occasion de discuter avec Yves, le directeur d’une école normale wallonne. [...] Depuis cette première rencontre, je sais que nous partageons de nombreuses vues. [...] L’école parfaite, me dit-il, est une école à taille humaine. Il faut éviter absolument de mélanger plus de 500 élèves sur un même site, sans quoi ils deviennent étrangers entre eux. De même, les enseignants doivent limiter leurs activités à une seule école. [...] L’école idéale est aussi un lieu souple où l’enseignant ne se limite pas à son diplôme et à son domaine de spécialité. [...] Dans cette école, il n’existe pas d’horaires fixés annuellement. Les professeurs ne sont pas poussés vers la porte aussitôt les cours terminés. Au contraire, à l’image de centaines de milliers d’employés, ils restent trente-huit heures par semaine sur leur lieu de travail. Et comme ils sont sur place, les horaires peuvent être souples : ils peuvent s’adapter aux besoins pédagogiques du moment.

Le temps, c’est de l’impôt

Mais au fil des années, c’est une gigantesque déperdition qui m’est apparue, cachée derrière toutes les autres. Un véritable trou noir générant plus de coûts que la DPPR [Note : prépension à 58 ans] et la fragmentation des réseaux réunis. Ce cataclysme, c’est le gaspillage de temps.

87 % du budget de l’enseignement obligatoire passe dans le salaire de 100 000 professeurs, éducateurs, directeurs, etc. La collectivité achète leur temps. Et dans de nombreux cas, on peut se demander si ce temps est utilisé de manière optimale, au service des enfants. Que penser lorsqu’un enseignant est :
  • avec seulement deux élèves pour un cours de religion ?
  • manifestement mauvais, mais nommé et virtuellement intouchable ?
  • détaché au ministère parce qu’on n’a pas trouvé de solution juridique pour l’éloigner des enfants ?
  • en formation lorsque les enfants ne sont pas en congé ?
  • occupé à réexpliquer ce que les élèves ont oublié à cause des congés scolaires mal répartis sur l’année ? [...]
Et j’en passe...

Que se passerait-il si, subitement, la moitié de nos professeurs était réquisitionnée par la Croix-Rouge pour gérer une catastrophe humanitaire à l’autre bout de la planète ? [...] Au final, je suis convaincu que nos élèves n’apprendraient pas moins.

Sauver l’école ?

de John Rizzo
paru le 13 mars 2015
aux éditions Ker
à Hévillers en Belgique
514 pages
ISBN-10 : 2 875 860 925
ISBN-13 : 978-2875860927

lundi 8 juin 2015

Les CLOM vont-ils révolutionner l'université ?


Philippe François, chercheur auprès de l'IFRAP, se penche sur les cours gratuits en ligne (les CLOM) :


Il a fallu des siècles pour que l’imprimerie permette à des millions de personnes d’accéder au savoir du moment. Il n’a fallu que vingt ans pour qu’Internet ouvre une masse énorme de documentation à deux milliards de personnes. Les « Cours en ligne ouverts et massifs (CLOM) » sont accessibles de partout, à n’importe quel moment, réalisés par les meilleurs enseignants, mis en forme par des professionnels et destinés à un grand nombre d’étudiants, donc moins coûteux pour chacun d’entre eux. En combien de temps vont-ils révolutionner la formation, notamment universitaire ?

Contrairement à la majorité des autres secteurs d’activité (médecine, agriculture, industrie, transport, banque) aucun progrès de productivité1 décisif n’a été réalisé depuis des siècles dans les systèmes de formation. Quand il est financé par les étudiants comme dans certaines universités étrangères ou écoles de gestion françaises2, le véritable coût des études supérieures apparaît et il est logiquement très élevé : c’est une activité employant des personnes très compétentes. Et encore, ces structures sont-elles largement financées par des taxes ou des dons. Un coût qui constitue un sérieux handicap, au moment où la formation tout au long de la vie devient indispensable pour tous, les connaissances et la société évoluant beaucoup plus rapidement qu’auparavant.


En évitant aux étudiants de se déplacer pour s’entasser dans des amphithéâtres où aucun échange n’est possible avec l’enseignant (« on entend le prof, mais on ne le voit pas »), en leur permettant de suivre les cours quand ils le souhaitent et de bénéficier des meilleurs enseignements, l’accès à des formations à travers Internet prétend induire des progrès importants pour les étudiants et pour les enseignants, et une réduction des coûts.

Les précurseurs 

Ces idées ne sont pas nouvelles. En 1994, quand La Cinquième a remplacé La Cinq en faillite, d’austères cours de mathématiques, de physique ou de droit ont été diffusés sur ses écrans. Jusqu’en 2002, France 5, « chaîne du savoir, de la formation et de l’emploi » a continué à diffuser de véritables cours, à 5 heures 30 du matin. Une expérimentation qui a mis en évidence les limites du système : rigidité des horaires, temps d’antenne insuffisant pour diffuser des formations sur des dizaines de matières et à différents niveaux, absence d’un cadre pouvant fournir les compléments indispensables aux cours magistraux (contacts avec des enseignants, travaux pratiques, examens).

À partir de 2002, les progrès techniques ont résolu les problèmes de pénurie : les vidéos ont pu être transmises sur les lignes téléphoniques ordinaires (ADSL), et regardées sur les écrans des ordinateurs individuels et des téléviseurs de qualité avec des tailles spectaculaires. Ces facilités ont aussitôt été utilisées pour retransmettre des conférences, des cours ou des colloques, soit en temps réel, soit en différé. Exemples : Université de tous les savoirs, France télévision éducation, Conservatoire national des arts et métiers, Centre national d’étude à distance (CNED), Collège de France, IAP, CHAM-2014. Sous une forme très particulière, les exposés TED, les Ernest ou les conférences de l’ENS qui ont fait le pari de présenter en quelques minutes la synthèse de sujets complexes, ont montré la puissance de ces outils : l’exposé de Laurent Alexandre, spécialiste du génome humain, a été vu plus d’un million de fois depuis 2012.

Ces diverses formes d’enseignement ou de conférences accessibles à travers Internet résolvent plusieurs des problèmes antérieurs : nombre de cours illimité, disponibles partout, 24 heures par jour et possibilité pour les participants de revoir tout ou partie des conférences ou cours autant de fois qu’ils le souhaitent.
MOOC, CLOM ou FLOT

Le nom américain MOOC (Massive on-line open course) est aussi utilisé pour désigner ces formations disponibles sur la Toile. Deux traductions françaises existent. CLOM, Cours en ligne ouvert et massif, et FLOT, Formation en ligne ouverte à tous.

Les CLOM

Les CLOM vont au-delà de la seule diffusion de conférences magistrales ponctuelles. Ils consistent en une série de cours formant un module complet de formation, incluent des séries d’exercices et fournissent une liste de documents de références et des bibliographies. Des interactions entre participants sont organisées, les exercices sont corrigés et les questions des étudiants reçoivent des réponses soit de la part de l’enseignant lui-même, soit par des assistants, soit encore par d’autres étudiants plus avancés. Cette technique semble bien adaptée actuellement aux cours magistraux assez stables d’une année sur l’autre, et pour des étudiants motivés, donc au moins pour les cours des premières années d’université.

Les CLOM sont apparus en 2002 au MIT (États-Unis) et de très nombreux CLOM sont déjà disponibles en France et à l’étranger sur différentes bases privées ou publiques3, généralement dans la langue du pays, parfois traduits et souvent sous-titrés dans des langues étrangères (ceux du MIT, OpenCourseWare, le sont souvent en une dizaine de langues). Ils soulèvent de légitimes questions :
  • Les cours à distance ne remplacent pas les échanges directs entre étudiants, et entre étudiants et enseignants dans des sessions en petits groupes, même si des solutions palliatives peuvent exister pour les étudiants qui ont des difficultés à se déplacer (malades, isolés).
  •  Pour la certification des diplômes (la personne qui a suivi le cours et passé l’examen final est-elle celle qui est inscrite ?), la présence physique des étudiants semble nécessaire. La plateforme américaine edX propose quand même plusieurs niveaux de validation payante, en utilisant par exemple des contacts aléatoires par Web camera.
  • Les CLOM vont élargir le champ des établissements et des enseignants en concurrence, aux niveaux national et international. Une situation difficile pour certains, mais bénéfique pour la société. Les enseignants-chercheurs qui estiment leur charge d’enseignement trop lourde et peu valorisante quand il s’agit de cours répétitifs de base se réjouiront de la possibilité de consacrer plus de temps à la recherche. Ceux qui aiment enseigner pourront trouver l’occasion de s’investir dans cette spécialité et de se professionnaliser : un CLOM exige une excellente qualité de présentation et offre de nouvelles possibilités d’expression qui les amèneront à travailler avec des experts d’autres secteurs (communication, mise en scène, image, voix...)4. Tous pourront consacrer plus de temps aux formations en petits groupes et aux contacts avec les étudiants.
  • L’utilisation de CLOM pour une partie de la formation des étudiants pourra entraîner une réduction de la diversité des cours donnés, mais une amélioration de leur qualité moyenne. Dans des matières où il existe une soixantaine d’universités en France, il semblerait logique de conserver, comme pour les manuels actuels, environ cinq CLOM par niveau, la notion de « meilleur CLOM » étant incertaine. Une concentration inévitable, la préparation d’un CLOM nécessitant un gros investissement en temps et en argent.
  • Sur un plan pratique, suivre un cours ou une conférence sur un écran existe déjà, par exemple en première année de médecine, où les étudiants sont parfois répartis dans deux amphithéâtres. L’un où se trouve le professeur, l’autre où un écran de projection a été installé. Les étudiants du second amphi seraient sans doute mieux chez eux. Ceux du premier aussi quand les cours sont perturbés par les redoublants.
  • L’assiduité aux CLOM actuels est considérée comme faible. Seuls 10 % des étudiants persévéreraient jusqu’à la fin de la série de cours. Mais les CLOM n’étant encore utilisés que pour des conférences facultatives, il est difficile de juger de ce problème. En France, le taux d’abandon à l’université « classique » est déjà très important les deux premières années. Mais ce n’est pas le cas dans les filières sélectives ni aux États-Unis, où le coût des études constitue une forte motivation à persévérer. Sans doute pour améliorer l’assiduité, les CLOM ne sont généralement pas disponibles en « accès libre » en permanence, mais seulement pendant des sessions de quelques semaines ou quelques mois organisées périodiquement. Une façon de créer un esprit de groupe entre les étudiants d’une même session, et de moins perturber le travail des enseignants qui accompagnent de près le déroulement de chaque session.
  • Dans la définition des CLOM, le qualificatif « Ouvert », renforcé souvent en France par « pour tous » semble les cantonner aux formations non diplômantes de type vocationnel et gratuit. Le sigle FUN (France Université Numérique) retenu pour la plateforme des CLOM est séduisant (pour certains), mais reflète mal le sérieux de cet outil. Si l’on croit que ces CLOM vont révolutionner l’enseignement supérieur, ils ne seront pas plus « ouverts » ni plus « pour tous » que les autres formations. Certains ont des niveaux très pointus, d’autres sont5 ou seront payants.
  • Les plateformes qui gèrent les CLOM peuvent fournir aux enseignants des statistiques anonymisées très fines sur les interactions entre les étudiants et le CLOM. Par exemple, le nombre de fois où chaque partie du cours a été consultée et pendant combien de temps, des informations dont ils n’ont jamais disposé et qui sont essentielles pour savoir ce qui intéresse ou non les étudiants, détecter ce qui leur pose des difficultés, améliorer progressivement le CLOM et, plus fondamental encore, comprendre les différentes façons dont les gens apprennent.
Des questions

Marc Neveu, co-secrétaire général du Snesup, syndicat majoritaire, pose beaucoup de questions sur ce qui ne doit pas selon lui être considéré comme « un outil magique ». Davantage préoccupé par l’accueil physique en ce moment des étudiants, ce professeur d’informatique à Dijon s’interroge notamment sur la valeur et le prix des certificats et diplômes. Pour une France qui a le culte du diplôme. La ministre elle-même précise que les États-Unis n’ont toujours pas réglé la question de la « diplomation ». Et la charge de travail supplémentaire et sa rémunération ? Une heure de vidéo demande dix heures de préparation.

Quid aussi des conséquences économiques d’un tel phénomène, dans le recrutement d’enseignants en France, mais aussi dans le développement d’universités « physiques » en Afrique ? Marc Neveu craint d’ailleurs une forme de colonisation des pays du tiers-monde par un certain nombre de grandes universités.

Passer à l’action
Les formations à travers Internet s’étagent sur trois niveaux où les participants sont de plus en plus « suivis » ou « encadrés ». Cette classification ne préjuge pas de la qualité des différents programmes, dans de nombreux domaines, des « amateurs » ou des professionnels très pointus veulent étudier librement et/ou ne cherchent pas à acquérir de diplôme.
  • Vidéo de conférences, cours, colloques, documentaires
  • CLOM vocationnels
  • CLOM obligatoires intégrés dans une formation diplômante classique
On constate une explosion des modules de formation des deux premiers types, dans tous les domaines et pour tous les niveaux. Les organismes de formation semblent par contre avoir du mal à passer au troisième, c’est-à-dire à intégrer ce nouvel outil dans leurs cursus existants. Pour les formations universitaires payantes, il est probable qu’elles n’ont pas encore trouvé de modèle économique satisfaisant. La musique enregistrée et la presse papier confrontées à la vague numérique leur ont montré que le défi est sérieux. Pour les formations gratuites comme en France, ce problème ne se pose pas, mettant notre pays dans une situation de départ très favorable. Mais ce sont sans doute les bouleversements d’organisation indispensables qui freinent les évolutions. Les hôpitaux publics confrontés à la vague numérique (ex : télémédecine, téléradiologie) montrent la même frilosité. Les CLOM gratuits actuellement disponibles sont destinés à expérimenter, améliorer la visibilité des organismes de formation, et à contribuer à la vulgarisation du savoir. Mais le rapport de l’étude du MIT le prouve : ils travaillent maintenant sur l’adaptation inévitable de leur cursus officiel à l’utilisation des CLOM.

CLOM et FLOT : cours en ligne de l’École normale supérieure

« Ces cours en ligne ouverts à tous que sont les MOOC, pourraient rapidement conduire à un bouleversement majeur dans la diffusion des connaissances. En se lançant dans cette expérience pédagogique, l’ENS souhaite contribuer à l’effort de coopération, de démocratisation des connaissances, à la réflexion sur la pratique de l’enseignement supérieur, mais aussi, nous l’espérons, au brassage culturel et scientifique. »

Les responsables politiques français se disent convaincus de l’importance des CLOM et des autorités intellectuelles comme l’ENS disent qu’ils pourraient rapidement bouleverser l’enseignement supérieur et la diffusion du savoir auprès d’un large public : ce ne sont plus des expérimentations qu’il faut conduire, mais des réalisations en vraie grandeur même si c’est dans des secteurs limités. Des cours magistraux de mathématiques, de physique, de droit doivent être produits en CLOM pour des premières années de licence et utilisés de façon systématique dans des universités volontaires.

En France, la crainte dominante est que ces formations sur Internet provoquent l’irruption des universités étrangères anglophones sur ce marché, ainsi que dans les pays francophones. Comme dans de nombreux domaines (ouverture des données de santé, télémédecine, livre électronique…) ne rien faire est la certitude que cela se produira, mais sans nous. Une catastrophe pour le rayonnement de nos universités et de la langue française.

La position de Pascal Engel, directeur des études à l’EHESS

Les MOOC ne peuvent fonctionner que pour des cours d’introduction. Ils ne sont adaptés qu’à certains types de formations pratiques, pour apprendre la pêche à la ligne par exemple ou pour certains enseignements techniques.

Mais :

Cela pourra conduire à remplacer de grands cours donnés en amphithéâtre en première année, et donc à faire des économies.

Lire l’interview complète dans l’e-mag de l’éducation

Notes

[1] Mis à part le remplacement du tableau noir par le tableau blanc, et par le projecteur de documents enregistrés sur un ordinateur portable.

[2] Pour les plus prestigieuses : 13.000 euros par an en France, 25.000 au Royaume-Uni, 35.000 aux États unis, ces deux dernières incluant les frais d’hébergement

[3] FUN, edX, Coursera, Futurlearn, Cognitum, Khan Academy, Udacity

[4] Pour son CLOM « Statistical mechanics : algorithms and computations », l’équipe de Polytechnique s’est fait aider par l’École de Paris du cinéma (FEMIS). Dans son compte-rendu, on perçoit la stupeur puis l’enthousiasme du professeur d’avoir dû d’abord produire un « teaser » de trois minutes. Résultat : 30.000 étudiants enregistrés en France et à l’étranger.

[5] Sur le Data journalisme, le MOOC de Rue89, Global Editors Network et First Business, est en partie gratuit et en partie payant. La Faculté Ouverte de Paris (FOP) a mis en forme des cours de l’université de Pau qu’elle propose sous forme gratuite aux étudiants de Pau et payante aux autres étudiants et aux entreprises.

Voir aussi

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Peter Thiel et la bulle universitaire : un test de QI extrêmement coûteux

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À la maison, l’étudiant suit les cours en vidéo, à l’école les enseignants surveillent les exercices

La « Khan Academy » maintenant complètement traduite en français


Les « écoles libres » en Grande-Bretagne : des écoles vraiment autonomes et subventionnées par l'État

Des écoles totalement libres et subventionnées par l’État ? Le rêve d’un grand nombre de créateurs d’école en France est une réalité en Grande-Bretagne. Depuis 2010, plus de 300 « écoles libres » ont été créées : des écoles libres de leur programme, gérées comme des entreprises, et subventionnées à 100 %.

Promesses de campagne de David Cameron, dans le cadre de sa « Big society » basée sur un désengagement de l’État et une plus grande place laissée à la société civile, ces écoles connaissent un tel succès que le Premier ministre britannique a promis que 500 nouvelles « écoles libres » verraient le jour dans les cinq prochaines années, s’il remportait les élections législatives. « Au cours de la prochaine législature, nous espérons ouvrir au moins 500 nouvelles écoles libres qui offriraient 270 000 nouvelles places », a-t-il expliqué.

Tiré de l’exemple suédois, le principe des « écoles libres » permet « d’ouvrir aux groupes de parents d’élèves ou d’enseignants, aux associations caritatives ou religieuses le droit de postuler auprès du ministère de l’Éducation pour établir une école secondaire ou primaire », selon l’Institut de l’entreprise. « En cas d’acceptation du dossier de candidature, l’école bénéficie du financement par l’État tout en restant en dehors du contrôle de l’autorité locale ».

S’agissant d’écoles publiques, les parents n’ont pas à payer de frais de scolarité. En effet, les « écoles libres » reçoivent pour chaque élève, la même somme que l’État aurait dépensée pour une école publique normale.

Selon la Fondation IFRAP, la dernière évaluation des résultats des « écoles libres » suédoises (Böhlmark et Lindahl, 2007, 2008) montre un impact positif, mais faible sur les résultats scolaires dans les villes où se sont implantées les écoles libres. « Ces résultats positifs semblent dus tout autant à l’efficacité des écoles libres qu’aux efforts des écoles publiques locales pour répondre à cette concurrence », analyse le « réseau pensant » de l’IFRAP. Qu’attend donc la France pour développer un système similaire, se demande-t-il ?

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vendredi 5 juin 2015

Quatre jeunes Canadiens recevront 100 000 $ pour abandonner l’école et innover

Quatre jeunes Canadiens recevront sous peu 100 000 $ pour lâcher l’école et consacrer plus de temps à leur entreprise.

Les étudiants du Québec et de l’Ontario sont les récipiendaires de la bourse Peter Thiel, un programme controversé de deux ans qui encourage les jeunes à faire de leurs idées des entreprises à succès.

Les gagnants, âgés de 18 à 22 ans, ont tous lancé de petites entreprises orientées vers la technologie.

Simon Tian, 21 ans, de Brossard, a créé une montre intelligente pour permettre aux gens d’accomplir leurs tâches quotidiennes dans tout type d’environnement.

La Torontoise Cathy Tie a cofondé une entreprise visant à améliorer la fiabilité des tests génétiques.

Harry Gandhi, de Waterloo en Ontario, conçoit des lentilles cornéennes pouvant calculer le taux de glucose des diabétiques.

Quant à Liam Horne, de Cambridge en Ontario, il met au point des logiciels pour aider les détaillants à trouver les meilleurs endroits où ouvrir leurs magasins.

Les quatre Canadiens font partie des 20 jeunes en Amérique du Nord choisis cette année pour participer au programme, fondé et financé par un cofondateur de PayPal, le désormais milliardaire Peter Thiel.

« L’université peut être un bon endroit pour apprendre ce qui s’est fait avant, mais elle peut aussi décourager les jeunes d’innover, particulièrement lorsqu’ils doivent s’endetter (pour le faire) », a affirmé M. Thiel dans un communiqué.

« Chaque récipiendaire a un parcours unique, mais ensemble, ils ont prouvé que les jeunes peuvent réussir en pensant par eux-mêmes plutôt qu’en faisant la compétition à de vieux modèles de carrière. »


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