lundi 8 mars 2021

Prof de Sciences Po : « Le militantisme de gauche ne supporte plus ni la contradiction ni la science »

Klaus Kinzler est l’un des deux professeurs accusés d’« islamophobie » à Science-Po Grenoble.

Il dénonce le manque de soutien d’une partie de ses collègues. Assurant n’avoir « pas peur », il dit vouloir continuer à « défendre la liberté dans le milieu académique » [universitaire]. 

La tension monte au sein de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble. Alors que ces dernières semaines ont été marquées par le débat sur « l’islamo-gauchisme » dans les universités, l’établissement est en proie à une vive polémique après les accusations d’islamophobie visant deux professeurs. Une enquête a notamment été ouverte par le parquet pour « injure publique » et « dégradation » après que les noms de ces deux professeurs ont été affichés publiquement à l’entrée de l’institution. 

« On a essayé de me punir »

Mais plus que l’attitude de ces étudiants, Klaus Kinzler fustige celle de ses collègues, dont « une bonne partie ne me soutient pas ou pas vraiment ». Ces derniers, estime-t-il, « sont très loin à gauche et ont plutôt ont des sympathies pour ceux qui défendent le terme islamophobie ».

« On a essayé de me punir », poursuit-il. « Et ce ne sont pas les étudiants, mais mes collègues, pour le fait d’avoir exprimé un avis différent de la doxa d’extrême gauche dans ce chapitre. »

Revenant sur les affiches mentionnant son nom, le professeur d’allemand assure que cela ne « l’émeut pas outre mesure ». « Les méthodes de l’UNEF et des plus extrémistes des étudiants n’ont pas changé depuis 50 ans », relativise-t-il. « Il n’y a rien de bien nouveau. » Et Klaus Kinzler, refusant tout parallèle avec la situation de Samuel Paty, assassiné au mois d’octobre. « C’est un débat entre universitaires, je ne veux pas trop dramatiser », répond-il. « Ce que je regrette, c’est que je ne sois pas soutenu par la plupart de mes collègues, qui sont plus proches de ces étudiants extrêmes que de moi, qui suis un libéral centriste convaincu depuis 40 ans. C’est ça qui m’effraie, beaucoup plus que ce qu’ont fait les étudiants. »

Il accuse le laboratoire Pacte, « affilié au CNRS », d’être à l’origine de la fatwa contre lui et son collègue. « Ils m’ont accusé de harcèlement et d’atteinte morale » en ne s’appuyant sur aucun fait.



Klaus Kinzler est professeur de civilisation et histoire allemandes et d’études européennes à l’Institut d’études politiques de Grenoble. Avant cela, il a été notamment professeur au lycée international de Grenoble, à l’Université Pierre-Mendès-France de Grenoble et principal adjoint dans un collège de la banlieue ZEP [immigrée] de Grenoble.

Sa bio sur son site. Il semble, d’après ses écrits, être un européiste de centre gauche.


Après les accusations d’islamophobie visant deux professeurs de l’IEP de Grenoble, le président de l’UNI Olivier Vial s’inquiète de la virulence de certains activistes et d’enseignants dans le monde universitaire.

Deux professeurs de l’IEP de Grenoble sont accusés d’islamophobie par des affichages sauvages à l’entrée de l’IEP de Grenoble.

« La sociologie est un sport de combat », disait Bourdieu. Appliquant la formule à la lettre, certains de ses héritiers ont transformé la recherche universitaire en pugilat dont l’objectif est d’anéantir ceux qui ne pensent pas comme eux afin de les « effacer » purement et simplement de l’espace public.

La cabale dirigée contre deux enseignants de l’Institut d’études politiques de Grenoble illustre à merveille les méthodes et les visées de ces petits Torquemada du « politiquement et scientifiquement correct ». La semaine dernière, des messages furent placardés sur les murs de Sciences Po pour dénoncer la présence supposée d’« islamophobes » et « de fascistes dans les amphis ». Les noms de deux enseignants sont ainsi livrés à la vindicte afin de les forcer à démissionner. Pour accroître la pression, des militants de gauche et d’extrême gauche vont immédiatement et massivement relayer ces accusations sur les réseaux sociaux. La chasse est lancée contre ces enseignants : deux mois de harcèlement et de dénigrements pour avoir simplement tenté d’interroger la pertinence du concept d’« islamophobie ».

Chaque année, début décembre, l’IEP organise une « semaine pour l’égalité ». L’édition 2020 souhaitait consacrer une journée intitulée « Racisme, islamophobie et antisémitisme ». L’un des enseignants incriminés fait part aux organisateurs de ses doutes quant à la place réservée au concept d’islamophobie. Prudent, il ne demande pas sa suppression. Il se contente, dans un courriel, de proposer « comme base de discussion, une journée libellée ainsi : racisme, Antisémitisme et autres formes de discriminations contemporaines (islamophobie, homophobie, misogynie…) ». Cette bien timide demande est pourtant perçue comme une déclaration de guerre par l’Union syndicale de Sciences Po (NDLR, le syndicat étudiant majoritaire née d’une scission de l’Unef avec son aile gauche). Le syndicat étudiant placarde le courriel de l’enseignant et dénonce une demande « lunaire », une « falsification historique », une « vision réactionnaire » ! Classer l’islamophobie comme une discrimination contemporaine serait une forme de révisionnisme qui viserait à invisibiliser le caractère millénaire de cette oppression.

L’enseignant propose alors d’intervenir au cours d’une table ronde pour préciser sa conception. « Cet enseignant a dit vouloir participer en tant que discutant à la table ronde dite “Racisme, islamophobie, antisémitisme” ». La semaine pour l’Égalité n’est pas la semaine de l’égalité des points de vue. Tous les points de vue ne se valent pas, nous jugeons le discours de cet enseignant intolérable », éructe le syndicat appelant « la direction à statuer sur son cas. » À ces menaces, s’ajoute un communiqué signé par la direction du Pacte, un laboratoire de recherche local qui revendique « une pensée décolonisée ». Ce dernier accuse l’enseignant, au motif qu’il remet en cause le concept d’islamophobie, de « nier, au nom d’une opinion personnelle, la validité des résultats scientifiques d’une collègue et de tout le champ auquel elle appartient ». Cette simple prise de position, qu’autrefois on appelait débattre, est désormais qualifiée par la direction de ce laboratoire de recherche « de harcèlement et une atteinte morale violente ». La force de ces activistes étudiants comme de ces universitaires est de savoir passer en un instant du statut de procureurs à celui de victimes pour fuir toute discussion et discréditer leurs adversaires.

Mais alors, si tous les points de vue ne se valent pas, qui décide de la pertinence de tel ou tel concept ? En lisant les écrits de ceux qui instruisent les procès en islamophobie, on comprend, par exemple, que l’islamophobie serait une notion « légitime » alors que « les discours qui utilisent l’expression d’“islamo-gauchisme” sont pernicieux », selon l’USSP. Pourtant, ces deux notions ont grandi dans le giron du CNRS.

Le concept d’islamo-gauchisme a été forgé, au début des années 2000, par Pierre-André Taguieff, politologue et directeur de recherche au CNRS pour décrire une réalité politique et historique : l’alliance d’une partie de la gauche avec l’islam politique. Celle-ci ne date pas d’hier. Dès 1920, Lénine organise à Bakou une conférence des peuples d’Orient au cours de laquelle un « appel au djihad » est lancé par Sultan Galiev contre l’impérialisme. Cette alliance sera à nouveau théorisée au milieu des années 1990 par Chris Harman, un responsable trotskiste, dans son livre « le prophète et le prolétaire ». Par la suite, Tariq Ramadan incarnera cette alliance à l’occasion du Sommet européen de Londres. Pourquoi ce concept serait-il moins scientifique que celui d’islamophobie qui a été popularisé au début des années 2000 par Vincent Geisser, un ancien étudiant de l’IEP de Grenoble (la pensée en circuit court), également chercheur au CNRS ? En 2003, ce sociologue publie La nouvelle islamophobie et entame une tournée de conférences sur les campus, grâce à l’aide des Étudiants musulmans de France (proche des Frères musulmans) pour faire connaître ses thèses.

Si ce n’est pas la « qualité » de celui qui crée le concept qui permet d’en garantir la scientificité, qu’est-ce que c’est ? L’unanimité de la communauté scientifique sur le sujet ? Les deux concepts font en réalité débat. La notion d’islamophobie a même fait l’objet d’une sévère et très documentée critique de la part de Philippe d’Iribarne, également directeur de recherche au CNRS.

C’est au nom d’une conception morale, politique et idéologique, que certains s’arrogent le droit d’attribuer les bons points et les ukases. Convaincus d’incarner le « Bien », comme leurs prédécesseurs pensaient incarner « le sens de l’histoire », ils estiment toujours que la fin justifie les moyens. C’est ce qui explique qu’ils n’ont pas la moindre hésitation à discréditer toute personne qui s’oppose à eux. Ainsi, quand l’enseignant incriminé a reçu le soutien de l’un de ses collègues, l’Union syndicale Sciences Po n’a pas hésité à lancer contre ce dernier un appel à dénonciation anonyme sur les réseaux sociaux pour recueillir « les propos problématiques » qu’il aurait pu tenir : l’objectif affiché est de lui retirer ses cours et de briser sa carrière.

Ces attaques permettent de tenir en respect leurs adversaires, d’en faire des exemples afin que tout le monde soit bien averti : remettre en cause l’islamophobie, c’est au mieux prendre le risque d’une carrière, voire d’une vie brisée.

Le parquet de Grenoble a ouvert une enquête pour injure publique. Des inspections ont été diligentées. Espérons que l’on saura tirer les leçons du drame qui a coûté la vie à Samuel Paty, et que les responsables de cette cabale seront sanctionnés.

Si les sciences sociales continuent à se vivre comme un sport de combat, c’est l’Université qui finira au tapis.

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