La chronique de Mathieu Bock-Côté parue dans le Figaro de ce 27 juin 2020.
Il est d’usage, chez les analystes médiatiques qui se veulent modérés, de relativiser l’importance de la mouvance indigéniste en répétant qu’elle n’est pas vraiment représentative de la population immigrée habitant les quartiers que l’on dit poliment « sensibles ». Ils ajoutent généralement que celle-ci rêve seulement de s’intégrer, pour peu que la société française lui offre les opportunités le permettant. La France pourrait encore miser sur l’assimilation tranquille des immigrés au modèle républicain à condition que ce dernier tienne ses promesses. On aura compris le message : elle serait la première responsable de l’échec de l’assimilation, et n’aurait qu’elle à blâmer.
Le moins qu’on puisse dire est que la doxa ne convainc que ceux qui la professent – et ceux qui ont intérêt à y croire. Surtout, elle ne situe pas son analyse au bon niveau. Il est peu probable, en effet, que les indigénistes soient les fidèles représentants de l’homme ordinaire des banlieues. Mais qui se contente de dire cela ne dit pas grand-chose et laisse de côté la question pourtant centrale des minorités idéologiques radicales dans l’histoire, surtout lorsque celle-ci s’accélère et entre dans une dynamique de crise, ou plus encore dans une dynamique révolutionnaire. Dès lors, le commun des mortels, qui préfère l’évolution tranquille aux élans anarchiques, est laissé de côté. Il est emporté par les événements. Sa résistance passive devient impuissante devant les bandes qui entendent exercer une nouvelle souveraineté.
Comparaison n’est pas raison, certes, mais l’histoire nous éclaire. On l’a souvent rappelé, en 1917, les bolcheviques de Lénine n’étaient pas majoritaires [malgré leur nom de bolcheviques qui signifie... majoritaire], et ne représentaient certainement pas les préférences majoritaires des ouvriers et paysans russes – Lénine lui-même en était conscient au point d’avoir théorisé le rôle du parti dans l’avènement forcé de la conscience révolutionnaire. Ils étaient toutefois les plus résolus, les plus décidés, les plus radicaux. Ils voulaient faire tomber le régime et ne doutaient pas un instant de leur légitimité et de la monstruosité de leurs ennemis. Le fanatisme vaccine contre le doute et traduit les plus grands crimes en actes vertueux.
Certes, nous ne sommes pas en 1917, et dire le contraire serait de la mauvaise sociologie. Mais nous avons pour de bon quitté l’époque de la démocratie apaisée, où les coalitions modérées s’échangeaient le pouvoir sans jamais s’affronter sur l’essentiel. Les minorités agissantes sont de retour. Des manifestations en soutien à Adama Traoré aux manifestations de clandestins qui défilent impunément à Paris sans jamais craindre leur expulsion, en passant par l’explosion de Dijon et les incivilités au quotidien qui visent autant les policiers que le quidam qui a la mauvaise idée de s’aventurer dans le mauvais RER, on constate une dégradation de la vie civique qui rend la situation de moins en moins tenable.
C’est de ce point de vue qu’il faut aborder les récentes manifestations indigénistes, et celles qui viendront. Elles entendent idéologiser la situation des « quartiers » en créant une conscience raciale révolutionnaire. En défilant à Paris, elles voulaient faire une démonstration de force, en multipliant d’ailleurs les provocations à l’endroit d’un pouvoir tremblant idéologiquement intimidé et physiquement apeuré et qui pour donner des gages aux indigénistes, en rajoute dans la comédie antifasciste et assimile au racisme toute opposition affirmée à cette offensive animée par l’esprit de conquête. Le patriote désespéré doit se taire pendant que le racialiste peut braire.
À travers le racialisme, les indigénistes essayent de structurer l’espace politique dans une perspective décoloniale devant aboutir à la soumission de la France en lui imposant une représentation d’elle-même absolument étrangère à son histoire. C’est une prise de possession symbolique. Qui s’y oppose, naturellement, est suspecté de dérive xénophobe et de tentation réactionnaire. Les défenseurs de l’universalisme sont accusés de défendre le « suprémacisme blanc » alors que l’indigénisme racialiste est présenté par ses compagnons de route complaisants comme le véritable vecteur de l’esprit républicain.
L’indigénisme entend aujourd’hui convaincre les immigrés et leurs descendants qu’ils sont persécutés et qu’ils doivent moins s’assimiler que se soulever. Il souhaite radicaliser les tensions identitaires en créant une situation qui serait irréversible. Il installe au coeur de la vie publique le fantasme mauvais de la France raciste. Les concessions à cette mouvance croyant désormais que le coup de force est possible, loin de la ralentir, ne feront que la légitimer. Si la démocratie française doit se défendre, c’est contre cette mouvance maquillant dans une rhétorique victimaire le désir de soumettre la nation.
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