« IL FAUT remettre les choses dans leur contexte. Colbert a entériné une société esclavagiste, qui a existé avant et après lui. Ce n’est pas une raison pour rayer de notre histoire ce grand artisan du royaume de France », estime Iannis Roder, professeur dans un collège de Seine–Saint-Denis, alors que la statue du ministre de Louis XIV, initiateur du « Code noir » (ce texte qui a « normé » l’esclavage dans les colonies françaises [et dans une certaine mesure a constitué un progrès sur la situation précédente), a été vandalisée. Et que l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault demande [soudainement] à débaptiser une salle de l’Assemblée nationale portant son nom.
« Contextualiser et montrer la complexité des choses, c’est le rôle du professeur, qui doit se garder de toute approche moralisante quand il parle d’esclavage, de Shoah ou de colonisation, poursuit Iannis Roder, auteur de plusieurs ouvrages sur l’école. Par exemple, la société coloniale ne se réduit pas à des rapports entre dominants et dominés, entre méchants et gentils. Elle est faite d’interactions et de stratégies entre différents groupes.
Mais les professeurs manquent de temps pour étudier la complexité de ces sociétés coloniales. » Deux à trois heures seulement, comme pour la Shoah et l’esclavage. Quant à Colbert, étudié en cinquième, « si les enseignants évoquent seulement son nom, c’est déjà beaucoup », ajoute-t-il.
« Déconstruire les mythologies des élèves » [issus de la « diversité »]
« L’histoire n’est pas là pour panser les plaies, résume Christine Guimonnet, à l’Association des professeurs d’histoire-géographie [APHG]. Et le professeur se doit de déconstruire les mythologies des élèves. »
Comme cette affirmation, posée en début de cours, par une jeune fille de son lycée, à Pontoise : « Les harkis, c’est des traîtres, Madame. » Difficile mission de l’école, qui doit composer avec les débats idéologiques qui agitent la société comme le « privilège blanc » aujourd’hui —, et la résonance de certaines périodes de l’histoire chez les élèves. Mieux vaut être aguerri.
Dans les précédents programmes de terminale, à choisir entre les « mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France » et celles de « la guerre d’Algérie », les professeurs étaient 75 % à opter pour le premier thème, plus stabilisé d’un point de vue historiographique, et surtout moins sensible [étant donné la composante importante d’enfants issus de l’immigration maghrébine].
Un agent de la Mairie de Paris nettoie la statue de Jean-Baptiste Colbert
Le fait colonial est présent dans les programmes scolaires depuis la IIIe République, alimentant largement le « roman national » jusque dans les années 1960-1970. Depuis, la colonisation et décolonisation occupent une large place dans les programmes du collège et du lycée, avec une approche renouvelée par les recherches universitaires, et enrichie d’histoire sociale et culturelle.
L’esclavage et la traite ont d’abord été traités sous le seul angle du commerce triangulaire [en ignorant la traite musulmane ou même interafricaine], de manière désincarnée. Avant que la loi Taubira de 2001 ne leur donne officiellement, dans les programmes, « la place conséquente qu’ils méritent », explique le texte. Ils sont étudiés du CM1 au lycée, dans le chapitre des empires coloniaux. La question des abolitions, elle, est présente au lycée.
« Face à des publics qui peuvent avoir des revendications fortes, notamment sur la guerre d’Algérie, l’expérience des enseignants joue énormément », conclut Iannis Roder. À l’école primaire, où les professeurs d’école ont rarement suivi une filière universitaire en histoire, certains peuvent être démunis face à des questions qu’ils ne maîtrisent pas. Une brèche pour les « indigénistes » et militants « décoloniaux », qui avancent leurs pions à l’université, notamment dans les sciences de l’éducation.
Source : Le Figaro
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