samedi 27 juin 2020

Australie — La bulle des étudiants étrangers a éclaté

L’arrêt brutal des voyages internationaux est encore plus douloureux pour les universités australiennes que pour leurs homologues d’autres pays anglophones, car elles s’appuient davantage sur les revenus des étudiants étrangers. En effet, plus de 440 000 étudiants étrangers étaient inscrits dans des établissements australiens d’enseignement supérieur en 2019. Au dernier décompte, ils occupaient environ 30 % de toutes les places. Près de 40 % d’entre eux venaient d’un seul pays, la Chine.

Ville fantôme : le campus de l’Université de Sydney presque désert

L’inscription des étudiants étrangers est très lucrative. Un avantage de l’anglais imposé comme langue sur la scène mondiale. En 2018, ces inscriptions ont produit près de 9 milliards de dollars australiens (quasiment la même somme en dollars canadiens, 5,8 milliards de dollars américains) de revenus, soit un peu plus du quart de tous les financements universitaires, et bien plus par étudiant que les homologues locaux ne contribuent en frais d’inscription et en subventions gouvernementales attribués par étudiant local inscrit.

Cet essor a fait de l’éducation la quatrième exportation d’Australie, derrière le charbon, le minerai de fer et le gaz naturel. Il a financé des centres de recherche de classe mondiale, de nouvelles installations d’apprentissage rutilantes et de vastes collections d’art. L’enveloppe salariale des vice-recteurs a gonflé (dans les grandes universités, elle s'élève à bien plus de 1 million de dollars australiens). Comme l’explique un universitaire de l’Université de La Trobe1, les campus ont grossi pour rivaliser de taille avec  « les plus imposants établissements en Inde et en Chine ».

Pendant des années, cela a fait l’objet d’un débat politique houleux. Les universités disent qu’elles ont été forcées de courtiser des étudiants étrangers parce que le gouvernement ne leur donne pas assez d’argent pour couvrir leurs frais croissants. Michael Spence, le vice-recteur de l’Université de Sydney, a déclaré : « L’éducation des étudiants locaux n’atteint pas le seuil de rentabilité. » Si l’Australie « dépend davantage des frais de scolarité que des systèmes comparables dans le monde », soutient-il, « c’est une conséquence des décisions que les gouvernements successifs ont prises. »

Certains membres du gouvernement de coalition conservatrice actuelle rétorquent que les universités ont provoqué la crise. Ils « misent beaucoup trop sur l'argent des étudiants internationaux » et « sont devenus surexposés », a récemment déclaré James Paterson, un sénateur. Les vice-recteurs ont « privatisé les bénéfices » des étudiants étrangers, « en se construisant des Taj Mahal », se plaint un commentateur conservateur. Mêmes certains employés des universités critiquent cette approche de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. « Ce n’était pas une combine à la Ponzi », explique un universitaire de La Trobe, « mais ce n’en était pas loin ».

Maintenant, soutient Salvatore Babones du Center for Independent Studies, un groupe de réflexion, « l’heure de vérité a sonné ». L’année universitaire australienne commence en janvier, au moment où la Covid-19 est apparue pour la première fois en Chine. Une interdiction de vol a cloué en Chine une armée d’étudiants alors qu’elle aurait dû s’enrôler en Australie. Certains étrangers sont parvenus à se faufiler en Australie en passant par des pays tiers, mais l’Australie a depuis fermé ses frontières aux non-citoyens, et elle ne devrait pas les rouvrir avant la fin de l’année.

Universities Australia, qui représente l’industrie universitaire, ne sait pas exactement combien d’étudiants étrangers elle a perdus. L’Université de Sydney a raté son objectif d’inscriptions pour 2020 de 17 %, selon M. Spence, et fait maintenant face à un déficit de 470 millions de dollars australiens. Dans l’ensemble de l’industrie, les revenus pourraient chuter de 3 à 4,6 milliards de dollars australiens, selon Universities Australia, mettant en péril 21 000 emplois, dont beaucoup dans la recherche. Les étudiants qui ne s’inscrivent pas cette année ne n’inscriront probablement pas en 2021 ni les années suivantes, tout rebond rapide semble impossible. Peter Hurley du Mitchell Institute de l’Université Victoria, un autre groupe de réflexion, estime que l’industrie universitaire pourrait perdre 19 milliards de dollars australiens au cours des trois prochaines années. Les projets de construction et l’embauche de personnel occasionnel ont déjà été supprimés.

Le gouvernement n’est pour l’instant pas disposé à aider. Il dit qu’il financera toujours les places des étudiants locaux. Mais il a exclu les universités de son programme de subvention salariale de 60 milliards de dollars australiens, Job-Keeper. Dan Tehan, le ministre de l’Éducation, a appelé à « se concentrer davantage sur les étudiants nationaux ».

Peu pensent que les universités feront faillite. Les petites institutions régionales sont les plus menacées, mais comme elles sont une source importante d’emplois, les gouvernements des États fédérés et du fédéral pourraient être persuadés de les soutenir. Elles devront cependant passer par une cure d’amaigrissement pour survivre. Les universités seront « plus petites en termes de personnel et de revenus », déclare John Dewar, vice-chancelier de La Trobe.

Il pourrait y avoir « un changement massif dans les types de cours qu’elles proposent », prédit M. Hurley. Cela semble être exactement ce que le gouvernement conservateur désire.

Les universités en crise n’ont pas suscité la sympathie de la population, quand, en l’absence de tout débat public, de nombreuses universités à travers l’Australie ont tranquillement décidé que les étudiants resteraient enfermés dans leurs chambres pour le reste de l’année.

Alors que le reste de la population australienne s’est rapidement adaptée à la vie où une plus grande distanciation sociale s’impose — travailler, manger, faire de l’exercice et voyager selon les directives COVID-19 — la plupart des universités ont décidé qu’il était trop difficile de reprendre l’enseignement « présentiel » (en personne, face à face) pour la majorité de leurs étudiants.

Elles ont choisi la solution la plus facile et la moins chère en disant à leurs étudiants et à leurs enseignants que la plupart des cours se donneront uniquement en ligne toute l’année (c'est-à-dire jusqu’à décembre 2020), argüant que leur priorité est de protéger leur santé.

L’Université de Technologie de Sydney est à cet égard assez typique. Même si les écoles, les centres commerciaux, les gymnases, les pubs, les clubs, les théâtres et même les rencontres sportives réunissant 10 000 spectateurs sont à nouveau permis, il est impossible à la « jeune université la mieux classée d’Australie » d’organiser des tutoriels avec distanciation sociale pour une trentaine d’étudiants alors que le second semestre de l’année comme sous peu.

L’université est déterminée à garder la plupart des salles de classe fermées pour le reste de l’année, même si la salle de sport privée du campus UTS a rouvert cette semaine, accueillant 100 étudiants en sueur à la fois.

Mis à part une poignée de cours présentiels dans des matières où l’enseignement en ligne est trop difficile, l’UTS a déclaré à ses 43 000 étudiants que « l’apprentissage en ligne demeurera pour toutes les autres activités d’apprentissage... jusqu’à ce que la distanciation sociale le permette ».

Vu que la Première ministre de la Nouvelle-Galles-du-Sud, Gladys Berejiklian, a déclaré que les règles de distanciation sociale resterait en place jusqu’à ce qu’un vaccin contre la Covid-19 soit disponible, l’avenir des étudiants de l’UTS et ceux de la plupart des autres universités à travers l’Australie risque d'être très solitaire.

Incapables de se rencontrer et de travailler face à face avec leurs pairs, ils se voient refuser les avantages sociaux, éducatifs et intellectuels d’une éducation universitaire complète à laquelle l’expérience du campus est essentielle. Comment encore justifier les frais d’inscription et les salaires mirobolants de certains universitaires dans ces conditions ?




[1] Ainsi nommé en l’honneur de Charles La Trobe, premier gouverneur de l’État de Victoria, est le descendant d’une famille de huguenots français établis en Angleterre après la révocation de l’Édit de Nantes. La devise de l’université est en français : « Qui cherche trouve ».


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