mercredi 16 janvier 2019

France : la baisse des naissances est la conséquence d’une série de décisions politiques

Pour le démographe Gérard-François Dumont, la baisse des naissances est la conséquence d’une série de décisions politiques. Le recteur Gérard-François Dumont, géographe et démographe, est professeur à l’université de Paris-IV Sorbonne. Il préside aussi la revue Population et Avenir. Il répond aux questions du Figaro.

Mais d’abord un rappel des faits : selon le bilan démographique de l’année 2018, publié mardi par l’Insee, le solde naturel (différence entre le nombre de naissances et de décès) n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En 2018, 758 000 bébés sont nés en France. C’est 12 000 de moins qu’en 2017, et c’est surtout la quatrième année consécutive de baisse. Natalité en berne et en même temps mortalité record : selon le bilan démographique de l’année 2018, publié ce mardi par l’Insee, le solde nature n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’indicateur conjoncturel de fécondité de la France s’établit à 1,87 enfant par femme en 2018, il était de 1,59 au Québec en 2017 (il faudra encore attendre 3 mois pour avoir des chiffres pour 2018 au Québec, il sera probablement légèrement en baisse au vu des chiffres publiés pour les 10 premiers mois de 2018).


LE FIGARO. — Comment s’explique cette quatrième année de baisse des naissances ?

Gérard-François DUMONT. — Cette baisse des naissances est avant tout liée à la diminution de la fécondité. Le bilan démographique de l’année 2018 confirme les effets de la détérioration de la politique familiale. Car la confiance dans la politique familiale joue un rôle dans la décision des couples d’agrandir leur famille. Aujourd’hui, nous sommes toujours dans un cycle de baisse qui a débuté en 2015, après la mise sous condition de ressources des allocations familiales. [Note du carnet : politique du gouvernement socialiste (Hollande) qui n’aide plus toutes les familles quand elles ont des enfants, l’aide à avoir des enfants va prioritairement aux pauvres. Est-ce vraiment sain ?]. Depuis, toute une série de décisions s’est accumulée et a entraîné une perte de confiance. On peut y ajouter de nouveaux signaux négatifs, avec la revalorisation des plafonds de ressources et des allocations familiales à un niveau inférieur à celui de l’inflation. Ce genre de mesures touche tout particulièrement les Français des classes moyennes et inférieures. Enfin, la politique familiale a aussi été très durement touchée, de manière indirecte, par les 13 milliards d’euros de réductions des dotations aux collectivités territoriales. Beaucoup de collectivités qui avaient envisagé de créer de nouvelles crèches ou des relais d’assistantes maternelles ont dû suspendre leur projet. Le nombre de places de crèches a donc bien moins progressé qu’annoncé.

D’autres démographes évoquent l’influence de la crise économique et les maternités de plus en plus tardives pour expliquer cette baisse de la natalité. Vous ne partagez pas leur analyse ? Certains considèrent sans doute qu’il n’est pas politiquement correct d’étudier l’impact de la politique familiale sur la fécondité… Il n’y a pas eu d’effets de la crise économique de 2008 sur les naissances, car la France a maintenu une fécondité plus élevée pendant cette période difficile et jusqu’à 2014. Ces dernières années, il est vrai que les Françaises ont reporté les naissances, notamment en raison de l’allongement des études. Mais ce phénomène de retard de la maternité ne s’exerce plus guère. En effet, la fécondité ne remonte pas chez les femmes plus âgées comme par le passé. Enfin, le nombre de mariages n’a plus d’influence sur la fécondité. Contrairement à l’Italie ou à l’Espagne, où les couples se marient avant d’avoir des enfants, la France est « championne d’Europe » des naissances hors mariage.

La France reste tout de même « championne d’Europe » des bébés… Malgré des coups de rabot successifs, la France conserve une politique familiale nettement meilleure que la moyenne européenne. Là encore, on peut observer le lien entre fécondité et politique familiale. Les pays européens les moins généreux pour les familles — comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou le Portugal — affichent les indices de fécondité les plus faibles. L’Allemagne fait figure d’exception, car elle enregistre peu de naissances malgré un budget élevé consacré à la politique familiale. Cette particularité s’explique par un état d’esprit peu propice à la conciliation de la vie professionnelle et familiale. Les Allemands considèrent que les femmes qui ont un bébé doivent se consacrer uniquement à son éducation durant les premières années de sa vie. Celles qui reprennent un travail — traitées de « mères corbeaux » — restent mal jugées. Récemment, l’Allemagne a fini par prendre des mesures en faveur de l’aide à la garde d’enfant et la fécondité est remontée à 1,59 enfant par femme en 2016 [le même taux que le Québec].

[Cela coïncide cependant avec une forte natalité parmi les immigrants très nombreux en Allemagne. Si le nombre d’enfants nés de mères allemandes a augmenté de 3 % entre 2015 et 2016, dans le même temps, celui des enfants nés en Allemagne de mères étrangères a bondi de 25 %. L’indice de fécondité des mères étrangères est nettement plus élevé que celui des mères allemandes (2,28 enfants par femme contre 1,46). Les enfants nés de mère étrangère représentaient désormais 23,32 % de toutes les naissances en Allemagne (184 660 sur un total de 792 160 en 2016).

En outre, contrairement à ce que l’on pense souvent ce ne sont pas d’abord les femmes allemandes qui refusent d’avoir des enfants à cause de cette mentalité de « mère corbeaux », mais leurs « partenaires mâles ». « Dans un couple, c’est en général l’homme — et plus rarement la femme — qui refuse de faire un enfant », estimait Franziska Woellert, démographe berlinoise,
dans les colonnes de Libération. L’appel constant et un peu facile à « la conciliation travail-maternité » occulte des questions plus fondamentales : le modèle économique permet-il à une famille de vivre décemment avec un salaire à temps plein, quelles sont les priorités de la société, la maternité, la paternité, la famille y ont-elles une place importante ou est-ce plutôt la carrière et l’hédonisme, quelles valeurs familiales l’école d’État inculque-t-elle ? Voir Lutte gouvernementale à « l’hétérosexisme » : manque de modestie constitutionnelle du gouvernement québécois et Urgence gouvernemementale : « Adapter l’école aux écoliers transgenres »]

Les Français voient dans la forte natalité un signe de confiance en l’avenir. La crise sociale des « gilets jaunes » pourrait-elle entraîner une nouvelle baisse des naissances ? Tout dépend évidemment des réponses apportées à cette crise. On peut imaginer que le gouvernement décide de revoir sa politique familiale. Dans les cahiers de doléances, certains ont déjà demandé que les allocations familiales soient revalorisées à hauteur de l’inflation ! Il faut aussi voir les « gilets jaunes » comme un mouvement créateur de liens sociaux. Des Français qui vivaient seuls se sont rencontrés, les ronds-points sont devenus de nouveaux lieux de sociabilité. Il n’est pas exclu que ce mouvement favorise la création de nouveaux couples et de nouveaux bébés !

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