Le territoire de la première nation Déné Sayisi installée dans la région de Churchill et du lac Tadoule, dans le nord du Manitoba, semble être un endroit peu propice à l'installation d'une ferme solaire. Le nombre d'heures d'ensoleillement y est inférieur de moitié à celui d'un endroit comme l'Arizona. Les panneaux solaires qui y seront installés produiront moins de la moitié de l'électricité. Pourtant, le gouvernement canadien a engagé 300 millions de dollars canadiens (200 millions d'euros) pour pointer des panneaux vers le ciel gris et subarctique, non seulement au Manitoba, mais aussi dans tout le nord enténébré du pays.
L'idée est de réduire la quantité de diesel brûlée pour le chauffage et l'électricité. Ce carburant doit être acheminé par avion, par bateau via la baie d'Hudson ou par camion sur des lacs et des rivières gelés pendant l'hiver. En conséquence, l'électricité peut coûter dix fois plus cher que dans les villes du sud. En 2019, Justin Trudeau, le Premier ministre, a promis de mettre fin à l'utilisation du diesel d'ici à 2030.
La réduction des émissions est un objectif. Mais les panneaux solaires de M. Trudeau font également partie de la présumée réconciliation avec les populations autochtones. Les communautés du Nord sont censées bénéficier de nouveaux emplois bien rémunérés, d'une indépendance énergétique et d'un air dépourvu d'émanations diesel désagréables. » Nous devons transformer la culpabilité qui nous habite en action. Des actions pour la réconciliation », a déclaré le gouvernement Trudeau en 2021.
« Des mesures pour lutter contre le changement climatique ».
Ainsi, depuis 2016, le gouvernement fédéral finance la formation d'entrepreneurs autochtones à la gestion de projets d'énergie renouvelable, dans l'espoir qu'ils puissent rapprocher le gouvernement et les communautés hésitantes. Darrell Brown, lui-même d'origine crie, a lancé Kisik Clean Energy après avoir été l'une des premières personnes à recevoir une formation. Son premier projet s'est bien déroulé. Lui et son équipe ont installé des panneaux solaires dans la Première nation de Gull Bay, dans le nord de l'Ontario, ce qui a permis de réduire d'un quart la consommation annuelle de diesel (environ 110 000 litres).
D'autres ont suivi les traces de M. Brown. Le nombre de projets d'énergie renouvelable dans les communautés nordiques non raccordées au réseau a doublé entre 2015 et 2020. Mais la dépendance au diesel est restée élevée. Quelque 682 millions de litres ont été brûlés en 2020, selon l'Institut Pembina, un groupe de réflexion.
Le deuxième projet de M. Brown ne se déroule pas aussi facilement. Le chef actuel des Dénés Sayisi s'est montré réticent à le soutenir. Cela s'explique en partie par le fait que M. Brown est financé par le même ministère fédéral qui a brutalement déplacé les Dénés Sayisi en 1956 de Little Duck Lake à Churchill, ce qui aurait entraîné la mort d'un tiers de leurs membres. L'accès à la communauté est délicat et sporadique, souvent suspendu lorsque les dirigeants sont confrontés à des surdoses de drogue.
À l'origine, le projet des Dénés Sayisiprévoyait des éoliennes, une technologie énergétique mieux adaptée aux endroits sombres. Mais les turbines ont été rejetées par crainte qu'elles n'effraient les caribous. Un micro-réseau reposant uniquement sur des batteries et des panneaux solaires permettra de réduire de 20 à 25 % la consommation de diesel des Dénés Sayisi pour produire de l'électricité, mais à un coût estimé à 20 millions de dollars canadiens. Il est difficile d'établir le bien-fondé financier de ce projet. M. Brown poursuit.
Les niveaux de pauvreté qui existent dans le nord du Canada font de la transition énergétique que M. Trudeau souhaite mettre en œuvre un défi politique. Le gouvernement dépense de l'argent pour fournir de l'énergie propre à des personnes qui n'ont pas les moyens de se nourrir, note Ranjan Datta, de l'université Mount Royal, en Alberta, ou qui luttent contre des toxicomanies sans bénéficier d'un soutien suffisant en matière de santé mentale. Le coût de la vie, et non les émissions qui y sont associées, est la principale préoccupation de la plupart des gens.
Comme beaucoup de politiques climatiques de M. Trudeau, celle-ci semblait meilleure sur le papier que dans la pratique. On brûle moins de diesel qu'on ne l'aurait fait autrement. Mais l'élimination de la combustion dans les systèmes énergétiques du Nord reste hors de portée. En attendant, la culpabilité de M. Trudeau semble avoir été transférée sur les épaules d'entrepreneurs comme M. Brown, qui ont été laissés à eux-mêmes pour installer des panneaux solaires dans l'obscurité.
Source : The Economist
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