Pourquoi les Français sont autant nostalgiques de la France d’hier ? Il faut lire Métamorphoses françaises (Seuil) de Jérôme Fourquet pour le comprendre.
La France broie du noir. Elle regarde en arrière. Selon un sondage récent 64 % des Français «aimeraient que leur pays redevienne comme autrefois». +8 % en dix ans. Ils ne sont que 34 % à affirmer que la mondialisation leur a été bénéfique, contre 40 % en 2022. 26 points d’écart avec la moyenne mondiale. Les JO Potemkine de cet été n’ont eu aucun effet sur leur moral. « La vie, c’est ce qu’on a vécu ces dernières semaines, c’est ça la vraie vie ! », avait dit Emmanuel Macron à la sortie de la fête olympique. « Oui, ça ira » : tel était le message que voulait faire passer l’historien et architecte de la cérémonie d’ouverture Patrick Boucheron dans son spectacle « pourtoussiste » et progressiste. Les Français ne semblent pas avoir retenu la leçon.
Pourquoi sont-ils autant tournés vers le passé ? Quelle France regrettent-ils ? Pour le comprendre, il faut lire Métamorphoses françaises (Seuil), le nouveau livre de Jérôme Fourquet. Cette synthèse de ses livres précédents — L’Archipel français, La France sous nos yeux et La France d’après —, richement illustrée d’images et d’infographies nous donne en un coup d’œil magistralement agencé l’état de la France d’aujourd’hui.
Jérôme Fourquet n’est pas un prophète. Il n’est pas de ceux qui annoncent tambour battant des fléaux à venir. Il n’est pas non plus un historien faisant la généalogie des maux français. Non, Jérôme Fourquet analyse le présent. C’est un sondeur au sens noble du terme : il lance sa sonde dans les profondeurs du pays, prospecte, explore, compare, décortique. Tel un médecin légiste, il dissèque le cadavre encore chaud de la France d’hier. Il ne fait pas d’ordonnance, mais il a l’œil pour repérer les symptômes les plus ténus, les changements les plus insaisissables, la progression souterraine de maladies secrètes.
Les mœurs ont profondément muté
Les nouveaux Pangloss qui aiment à rappeler que la nostalgie est un sentiment construit par l’extrême droite devraient lire ce livre. Ils comprendraient que l’ampleur du bouleversement qu’a subi la France en quarante ans est inédite dans sa brutalité et sa profondeur. Il est déjà arrivé dans l’histoire de France que des changements radicaux s’opèrent en l’espace d’une génération : songeons à la Révolution française ou à la révolution industrielle. « La forme d’une ville/ Change plus vite, hélas !/ Que le cœur d’un mortel », écrivait Baudelaire pour décrire le galop de la modernité.
Mais quand c’est la forme d’un pays qui change à l’échelle d’une vie d’homme ? Les mœurs ont profondément muté en quarante ans. Jérôme Fourquet introduit son livre par cette comparaison révélatrice : en 1969, Gabrielle Russier est condamnée pour avoir eu une affaire avec un de ses élèves lycéens. En 2017, Emmanuel Macron, qui a épousé sa professeur de français rencontrée au lycée, entre à l’Élysée. O tempora, o mores.
Les quatre cavaliers de la grande métamorphose française s’appellent l’immigration, l’américanisation, la désindustrialisation et la déchristianisation.
La déchristianisation d’abord. «Ce ne sont pas uniquement les églises qui se sont vidées, mais tout un référentiel culturel qui a disparu», insiste Jérôme Fourquet. Deux chiffres vertigineux suffisent à le montrer : la chute des baptêmes d’un côté (on est passé de 82 % de baptisés en 1961 à 27 % en 2018), la flambée des crémations de l’autre (0,9 % en 1980, 43 % aujourd’hui). Cette sortie de la religion a des conséquences en chaîne : des plus graves (la fin du mariage, la reconfiguration des structures familiales et la poussée des familles monoparentales qui composent un quart de la population) aux plus banales (la montée en puissance du tatouage et la disparition du prénom Marie).
La désindustrialisation ensuite. Il n’y a pas que Don Camillo qui a disparu : Peppone l’a suivi dans le tombeau. L’Église rouge, celle du Parti communiste, qui avait profondément structuré la société française a elle aussi disparu. Les églises ferment, les usines, aussi. La mondialisation les a emportées. En quarante ans, la France est passée d’un pays de producteurs à un pays de consommateurs, d’un pays où il y avait encore des agriculteurs à un pays essentiellement porté par le tourisme et le loisir, une zone de chalandise quadrillée par les grandes surfaces. En 1992, l’usine Renault de Billancourt ferme. La même année, Eurodisney ouvre ses portes.
L’américanisation est un phénomène souvent tenu pour secondaire, mais qui marque la France en profondeur. La couche yankee imprègne toute la société, aussi bien en haut qu’en bas, de la diffusion des McDonald’s au choix du nom « Les Républicains » pour la droite française en passant par le phénomène de la danse country dans la France périphérique.
L’immigration enfin est un bouleversement majeur et indéniable de la société française. À ceux qui martèlent qu’elle a toujours existé, que le changement démographique de ces dernières années peut être comparé à l’immigration italienne ou polonaise du XXe siècle, Fourquet vient rappeler l’ampleur de l’évidence. Dans les années 1920 les Polonais constituaient 40 % des effectifs de mineurs, mais seulement 3,2 % des prénoms des nouveau-nés. En l’espace d’une génération cette communauté s’est fondue dans le reste de la population. L’immigration des quarante dernières années est bien différente. En 1900 : 0 % des nouveau-nés étaient porteurs d’un prénom arabo-musulman en France. En 2021, ils étaient 21,1 % Cette dynamique a déjà transformé en profondeur la physionomie culturelle de la France.
page 85 du dernier ouvrage de Jérôme Fourquet |
Il manque sans doute un élément à la dislocation qui n’est pas présent dans le livre de Fourquet : le numérique et la grande virtualisation du monde qui ont changé la tessiture du lien social et accéléré l’archipellisation. La réclusion des jeunes, la chute de la sexualité, la rencontre par applications plutôt que par lieux de socialisation sont des changements dont on peine encore à mesurer l’importance notamment chez la «génération Z » et les suivantes.
Le tableau que dessine Fourquet est déprimant, il faut le dire. Çà et là on décèlera tout de même quelques atouts, quelques pousses d’espérance : la force du tourisme d’une patrie exceptionnellement belle, la richesse de patrimoines locaux encore vivants, la persistance des identités régionales. Mais ce livre sert surtout à mesurer la puissance du bouleversement opéré en un demi-siècle. De telles métamorphoses sociales, économiques et culturelles ne peuvent pas ne pas avoir d’impact politique : le big bang électoral de la dissolution n’en est que l’écho. «Le changement, c’est maintenant!» proclamait un slogan de campagne des années 2010. Face à l’ampleur des changements, il semble au contraire que c’est à un puissant souci de réassurance, à un désir de conservation que les Français aspirent. On les comprend.
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