mardi 25 juillet 2023

Immigration et niveau de vie ne riment pas

Le Devoir a commenté mardi 25 juillet l'étude de la banque TD dont nous avons parlé il y a deux semaines : « Malgré » une forte immigration, le niveau de vie au Canada est à la traîne : rapport de la TD, Cette même étude faisant l'étude à d'autres de la même veine, voir liens connexes ci-dessous.

Le Canada est à la traîne des économies développées au chapitre du niveau de vie de sa population, qui, par surcroît, ne cesse de se dégrader depuis 2014. On parle ici d’un indice — le PIB réel par habitant — dont la croissance anémique condamne le Canada à se classer bon dernier parmi les membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Si le dénominateur, gonflé par une porte désormais grande ouverte à l’immigration, n’explique qu’en partie cette baisse, se veut-il une réponse inappropriée à la faiblesse chronique du numérateur ?

Dans sa lecture canadienne publiée en mars, l’OCDE résumait que l’accroissement de la population, soutenu par des niveaux élevés d’immigration, continuera d’être un important moteur de la croissance de l’économie dans les années à venir. Mais l’amélioration à long terme du niveau de vie fait plutôt appel à une productivité plus élevée. « La faible croissance de la productivité depuis 2015 a entraîné un élargissement des écarts de PIB par habitant entre le Canada et les économies plus performantes. »

En effet, la natalité a encore baissé en 2023 : Québec — janvier-avril 2023, baisse de 5,6 % des naissances p/r à 2022, plus de décès que de naissances


Ainsi, l’immigration débridée n’est qu’un remède temporaire à la pénurie de main-d’œuvre et qu’un contre-pied parmi d’autres au vieillissement de la population. Pour un apport fondamental structurant et pour le plus long terme, il serait plutôt bienvenu de remédier à des années de faiblesse de l’investissement et de croissance de la productivité.

Autrement dit, une hausse du PIB, même dopée par une croissance démographique exceptionnellement forte, ne va pas nécessairement de pair avec une augmentation du niveau de vie. D’autant qu’« ajouter des personnes à la population n’est pas sans coûts, surtout quand on le fait rapidement », rappelle le Conference Board du Canada, qui évoque notamment son effet sur le marché immobilier résidentiel, mais aussi sur l’inflation et sur les services publics. « Bien que les nouveaux arrivants soient un ajout fort apprécié à l’offre de main-d’œuvre, ils font aussi augmenter la demande globale », ajoute-t-il.

Progression anémique du PIB par habitant

Dans son étude Travailler dur ou travailler, c’est trop dur ?, le Mouvement Desjardins revient à cette progression du PIB réel par habitant inférieure à la moyenne des économies avancées pour ajouter que l’écart s’est creusé graduellement, mais de façon constante depuis 2014. « En fait, le virage amorcé depuis 2014 vers une croissance à faible productivité et des secteurs moins intenses en capital a nui à la productivité globale du travail ainsi qu’à la croissance du PIB réel par habitant. »

La croissance démographique n’est pas le seul élément en cause. Une progression plus modeste de la productivité par heure travaillée (ou productivité du travail) fait aussi partie de l’explication. Se greffe à l’équation une composition de l’activité économique reposant désormais davantage sur des industries ayant une intensité de capital moindre et ayant connu une croissance de la productivité minime, voire négative. Bref, « l’activité économique s’est déplacée vers des secteurs aux gains de productivité plus limités. Plus précisément, elle a surtout augmenté dans les services publics à partir de 2015 », peut-on lire.

Sans compter la carence en investissements dans les structures non résidentielles, les machines et équipements et la propriété intellectuelle, plutôt ternes depuis 2015. « L’utilisation de ces intrants rend la main-d’œuvre plus efficace », explique l’économiste Marc Ercolao, de la TD. Il ajoute que le problème peut également être attribué au perpétuel déclin des dépenses en recherche et développement au cours des vingt dernières années. Et qu’il faudrait aussi retenir la concentration relativement importante de petites entreprises au Canada dans la production et l’emploi, les entreprises de plus petite taille ayant tendance à exporter et à investir moins que leurs homologues de plus grande taille.

Sous l’angle mathématique, il y a donc inadéquation entre la progression du numérateur et celle d’un dénominateur dont la croissance, sous l’effet d’une immigration suralimentée, vient amplifier le phénomène d’érosion du niveau de vie observée au Canada, peut-on déduire.

D’ailleurs, à la TD, l’on constate que le retard du Canada en matière de PIB par habitant n’est pas nouveau, mais qu’il s’est aggravé depuis la pandémie. « L’effectif canadien évolue actuellement à un rythme historique de 3 % (sur une base annuelle), mais il s’agit d’une évolution très récente. La croissance moyenne de la population depuis 2020 (1,2 %) n’a dépassé que d’un cheveu son rythme d’avant 2000 […] En revanche, la croissance du PIB réel suit une tendance à la baisse depuis les années 1980. »

Marc Ercolao explique qu’au cours de la décennie prépandémie, le Canada a égalé les États-Unis en termes de croissance moyenne à un peu plus de 2 % par an, et s’est maintenu au-dessus de la moyenne de 1,4 % du G7. Et dans les années postpandémiques, le Canada a enregistré la deuxième expansion moyenne parmi les plus rapides, l’un des principaux moteurs de la surperformance ayant été la tendance du pays à de forts gains démographiques.

Mais lorsqu’on l’ajuste pour tenir compte de cette variable démographique, on peut observer une détérioration du PIB réel par habitant du Canada. « Au début des années 1980, le Canada bénéficiait d’un avantage par rapport à la moyenne des économies avancées de près de 4000 dollars américains tout en restant assez près du niveau des estimations américaines. En 2000, cet avantage s’était pratiquement évaporé, et le PIB par habitant des États-Unis avait devancé celui du Canada de plus de 8000 dollars américains […] Depuis le choc pétrolier de 2014-2015, la performance du Canada est allée de mal en pis, le PIB réel par habitant augmentant d’un maigre taux de seulement 0,4 % par an, contre une moyenne de 1,4 % pour les économies dites avancées. »

On peut donc conclure que l’économie canadienne a masqué ses problèmes de productivité persistants par une croissance, qualifiée d’insoutenable, alimentée par l’ajout de travailleurs.

Malheureusement, sans réorientations fondamentales, peu de redressement du niveau de vie canadien semble se profiler à l’horizon. « L’OCDE prévoit que le Canada se classera bon dernier parmi les membres de l’OCDE pour la croissance du PIB réel par habitant jusqu’en 2060 », met en exergue l’économiste de la TD.

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