dimanche 18 juin 2023

Doux avec l'islamisme, dur contre les chrétiens

La chronique de Mathieu Bock-côté dans le Figaro du 17 juin 2023.

Cela fait quelques mois, déjà, que l’abaya est devenue le symbole de l’offensive islamiste à l’école et, plus encore, de la sécession culturelle d’une partie de la jeune génération issue de l’immigration, qui entend marquer visiblement une forme de différence conquérante. Certains veulent voir dans sa présence une « atteinte à la laïcité ». Cela nous rappelle à quel point le discours public français n’envisage le commun que sous le signe de la laïcité, comme s’il s’agissait de la seule identité collective autorisée. Mieux vaudrait, si ce vocabulaire était autorisé, parler d’une atteinte à l’identité française, d’une agression symbolique explicite contre le peuple français ou, plus exactement, de l’effet inévitable d’un changement démographique qui ne peut s’accompagner que d’un changement culturel. Un pays ne change pas de peuple sans changer d’identité. La laïcité ne survivra jamais à la mutation démographique française. Chose certaine, qui porte l’abaya veut faire comprendre très clairement qu’il ne se sent pas français : pire encore, qu’il refuse l’identité française en France.

Il en va de même des récents événements à Nice. Christian Estrosi s’est alerté de la multiplication des prières musulmanes dans certaines écoles. Il dénonce ainsi des « tentatives d’intrusion du religieux au sein des sanctuaires de la République ». Mieux vaudrait parler moins pudiquement.

Ce n’est pas la religion qui revient, c’est l’islam qui arrive. Ceux qui parlent indistinctement du « phénomène religieux » sous prétexte de ne pas cibler une religion en particulier et de ne pas discriminer oublient que toutes les religions ne sont pas interchangeables et n’entretiennent pas la même relation avec l’histoire de France et l’espace public. Surtout, ils empruntent un appareil conceptuel qui brouille leur vision du réel, au point même de le rendre méconnaissable, en laissant croire que se rejouerait en France la bataille mythique entre les « Lumières » et l’« obscurantisme » alors qu’il s’agit en fait de l’empiètement d’une civilisation sur le territoire d’une autre, qui aura transformé profondément la physionomie culturelle du pays d’ici la fin du siècle.

Mais, sans surprise, l’appel à la restauration de la laïcité à l’école se détourne de sa finalité déclarée. Pap Ndiaye, en ce moment, ne cache pas son hostilité envers l’école privée et, encore, moins, envers l’école privée hors contrat. Il veut limiter considérablement leur autonomie, les standardiser idéologiquement, les mater. Elles sont accusées, clairement ou à demi-mot, de soustraire les enfants aux « valeurs de la République » - ce reproche n’est pas nouveau, et traverse l’histoire française depuis la Révolution, qui s’est donné pour mission de reconditionner le peuple français pour le délivrer de ses préjugés, de le régénérer dans la matrice de la modernité. La mystique républicaine n’est pas étrangère à celle de l’homme nouveau, qui fonctionne à la purge culturelle. Étrangement, depuis quelques mois, l’adhésion aux valeurs républicaines semble se confondre avec une conception nouvelle de l’éducation à la sexualité, centrée sur la déconstruction des stéréotypes de genre. Qui n’embrasse pas la théorie du genre sera tôt ou tard jugé antirépublicain.

Autrement dit, les instruments juridiques mis en place pour contenir l’islamisme se retournent contre le catholicisme. Plus encore, la lutte contre le séparatisme se transforme en entreprise de persécution à bas bruit des porteurs de la continuité historique française. On reproche à l’école privée de se faire conservatrice d’une anthropologie [censément] désuète, d’un rapport à l’autorité contradictoire avec la psychologie démocratique, de transmettre une culture que l’époque a décrétée morte – à moins qu’elle ne souhaite tout simplement la voir mourir. L’école privée est accusée, en quelque sorte, d’incarner une autre idée de la France. Les esprits plus cyniques diront que l’éducation nationale ne tolère pas l’existence d’un contre-modèle, d’une pédagogie qui réussit là où elle échoue, et qui, par effet de contraste, démontre chaque jour ses propres limites. Mais les cyniques ne voient pas assez loin : c’est vraiment l’intolérance philosophique qui commande l’hostilité à l’école privée et à la conception de la culture qu’elle défend. Et c’est un vice profond inscrit dans une certaine conception du logiciel « républicain » qui se dévoile. L’universalisme désincarné veut gagner sa dernière bataille contre l’école libre, mais se montre complaisant comme jamais avec la civilisation islamique, qui progresse en France. La lutte contre l’islamisme se retourne en lutte contre la liberté scolaire et l’enracinement culturel – ce qui nous rappelle que le combat pour les libertés et le combat pour l’identité, loin de s’opposer, se fécondent mutuellement.
 
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