vendredi 12 avril 2019

Multiculturalisme : un groupe autochtone canadien en accuse un autre d'appropriation culturelle

Connie Legrande
Un important gala pour la musique autochtone au Canada a été plongé dans la tourmente après qu’un groupe d’artistes interprètes esquimaux ait accusé un chanteur folk cri d’appropriation culturelle.

Plusieurs chanteurs esquimaux1 bien connus ont rompu tout lien avec les Indigenous Music Awards (IMA), un gala annuel qui devait avoir lieu à Winnipeg le 17 mai, au sujet de la nomination de Connie Legrande, qu’ils accusent d’avoir mal utilisé le chant à la gorge esquimau.

Ces dernières années, des peuples autochtones ont commencé à accuser publiquement des artistes blancs d’« appropriation culturelle » parce qu’ils utilisaient une iconographie ou des récits autochtones dans leur propre travail.

La dispute actuelle, cependant, implique deux peuples autochtones distincts.

La chanteuse crie Connie Legrande, dont le nom d’artiste est Cikwes, est au centre de la controverse. Nommée dans la catégorie « meilleur album folk » des IMA, elle est accusée de s’être approprié le chant de gorge de style inuit.

Mme Lisa Meeches dirige le festival Manito Ahbee et ses Indigenous Music Awards. Cikwes a appris d’une famille esquimaude, a fait valoir Mme Meeches : « Elle est convaincue d’avoir reçu les enseignements appropriés. »

La directrice du Manito Ahbee a cependant reconnu que la ou les personnes qui lui ont montré comment s’y prendre ont regretté de l’avoir fait.

Territoire traditionnel des Cris


Dans un message publié en 2015 sur Facebook et republié mercredi par un autre utilisateur, Connie Legrande avait dit être « fascinée par le chant gorge inuit ». Elle avait ajouté : « J’ai décidé de me l’enseigner moi-même en écoutant la musique de Tanya [Tagaq] ». Elle n’avait alors pas encore trouvé ceux qui allaient la former.

D’après Tiffany Ayalik du duo PIQSIQ, Connie Legrande s’était fait expliquer les bases du chant de gorge dans un contexte particulier : « Deux personnes ont été invitées à chanter de la gorge lors d’un événement artistique organisé par le gouvernement fédéral. Comme l’une d’elles n’a finalement pas pu y prendre part, Mme Legrande a appris les bases minimales du chant de gorge spécifiquement pour cette occasion. »

« Ce n’était pas pour lui permettre d’ensuite s’approprier quelque chose qui ne lui appartenait pas pour en faire un album, le mettre sur iTunes et le vendre », a-t-elle ajouté.



Tanya Tagaq, Kelly Fraser et le duo PIQSIQ ont décidé de retirer leurs candidatures au prix en plus de refuser d’effectuer une performance lors du gala tant que l’organisation n’inclura pas de représentants inuits au sein de sa direction.

L’élément déclencheur de leur colère est la mise en nomination d’une personne issue des Premières Nations qui inclut le chant de gorge dans son répertoire.

« C’est faire preuve d’insensibilité d’avoir une organisation comme les IMA célébrer une artiste qui n’est pas inuite, qui ne chante pas correctement et qui manque de respect, et qui ne rend pas compte du contexte et de l’histoire entourant le chant de gorge », estime Tiffany Ayalik du duo PIQSIQ.

Le duo a d’ailleurs retiré la candidature de son album Altering the Timeline, en nomination pour le meilleur album de musique électronique.



Exemple de chant de gorge

Note

1 Il existe deux principales étymologies concurrentes proposées pour le nom « Esquimaud », toutes deux dérivés de la langue montagnaise (innu-aimun), une langue algonquienne de la côte de l’océan Atlantique. La proposition la plus communément acceptée aujourd’hui semble être celle d’Ives Goddard de la Smithsonian Institution, qui tire le terme du mot montagnais signifiant « tresseur de raquettes » ou « tresser des raquettes ». Le mot « assime·w » signifie « elle tresse une raquette » en montagnais. Les locuteurs montagnais parlent de leurs voisins, les Micmacs, en utilisant des mots qui ressemblent à « esquimau ».

En 1978, José Mailhot, anthropologue québécois qui parle le montagnais, a publié un article suggérant qu’esquimau signifiait « des gens qui parlent une langue différente », ce qui explique mieux le fait qu’on retrouve des termes similaires pour désigner les Esquimaux au nord et à l’ouest des Montagnais et les Micmacs au sud (Mailhot, J. [1978]. « L’étymologie de “Esquimau” revue et corrigée, » Études Inuit/Inuit Studies 2-2 : 59–70). Les commerçants français qui ont rencontré les Montagnais dans les régions orientales ont adopté leur mot pour les peuples les plus occidentaux sur la côte du Labrador.

Certaines personnes considèrent « esquimau » comme péjoratif, car on a dit qu’il signifierait « mangeurs de viande crue » dans les langues algonquiennes de la côte atlantique. Cette hypothèse n’a plus vraiment cours chez les linguistes. Il s’agirait d’une étymologie populaire. Il n’est d’ailleurs pas clair pourquoi « mangeurs de viande crue » serait péjoratif, si tant est que ce soit la véritable origine, ce serait plutôt un descriptif.

Ajoutons que le terme esquimau aujourd’hui regroupe plusieurs langues et peuples : les Inuits du Canada et du Groenland (et leur langue, l’inuktituk) et de l’Alaska (et leurs langues le yupik et l’inupiat).

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