lundi 5 mai 2025

En France, le wokisme fait de la résistance

Après avoir été déprogrammé par son éditeur, Face à l’obscurantisme woke paraît enfin cette semaine aux Presses universitaires de France. Un livre collectif qui pourrait être un tournant dans la bataille culturelle qui se joue entre wokes et antiwokes. Alors que le wokisme reflue aux États-Unis, il fait de la résistance en France, où le président de la République souhaite accueillir des chercheurs américains.

Rarement un livre aura été autant vilipendé avant même sa parution. avant même que quiconque n’ait pu le lire. on dit que le monde de l’édition se nourrit de polémiques, mais Paul Garapon, qui dirige les Puf, le temple de l’édition universitaire, se serait bien passé de celle qu’a déclenchée l’annonce de la parution de Face à l’obscurantisme woke. Au point que l’éditeur, pourtant initiateur du projet, a hésité à censurer l’ouvrage, sans doute effrayé par la campagne médiatique orchestrée par une partie du monde journalistique et intellectuel de gauche.

Aux yeux des journalistes du Monde et de Libération, le seul titre du livre a suffi pour le disqualifier et instruire un procès en trumpisme et en poutinisme à ses auteurs. côté intellectuels, c’est l’historien Patrick Boucheron, professeur au collège de France et coauteur de la cérémonie d’ouverture des Jo de Paris, qui a décoché les premières flèches. Le vendredi 7 mars, lors d’une conférence de presse à l’occasion d’une journée de mobilisation contre les coupes budgétaires opérées par Donald Trump au sein de la recherche américaine, il s’indigne : « On trouve aussi quelques idiots utiles dans l’Université. Il y a des livres qui continuent de paraître. Il y en a un aux Puf qui s’appelle Face à l’obscurantisme woke. Aux Puf ! Aux Puf ! » s’étrangle-t-il.

La maison d’édition est tout près de céder devant la pression exercée par le mandarin. Au lendemain de la sortie de Patrick Boucheron, alors que le texte était édité, maquetté, la jaquette choisie, la parution annoncée pour début avril sur le site des Puf et sur les réseaux sociaux, la direction annonce dans un communiqué qu’elle suspend la publication. « À deux doigts de se trumpiser en publiant un pamphlet antiwoke, les éditions Puf rétropédalent », peut-on lire dans Le Nouvel Obs.


Mais quelques jours après la polémique, sans doute par crainte d’apparaître comme un censeur, Paul Garapon revient finalement sur sa décision qu’il dit avoir prise dans l’urgence. Le livre est repoussé, mais pas enterré. Les lecteurs vont pouvoir se faire leur propre opinion. Le Figaro Magazine s’est procuré en exclusivité Face à l’obscurantisme woke, qui paraît cette semaine, pour juger sur pièces. Et rétrospectivement, on comprend mieux l’inquiétude des thuriféraires du wokisme.

Une contre-révolution scientifique

De nombreux essais sont déjà parus sur le sujet, mais ce qui a déclenché l’ire et suscité la peur de l’intelligentsia, c’est que Face à l’obscurantisme woke n’est en rien un pamphlet, n’en déplaise à une certaine presse. Il s’agit du fruit des travaux de chercheurs dont la légitimité académique est incontestable. rassemblant les contributions de 26 auteurs (Nathalie Heinich, Sami Biasoni, Céline Masson, Samuel Fitoussi, Guylain Chevrier, Tarik Yildiz, Florence Bergeaud-Blackler, Renée Fregosi, Pierre-André taguieff…), l’ouvrage de 460 pages est dirigé par trois universitaires reconnus : la professeur de lettres Emmanuelle Hénin, le professeur d’histoire Pierre Vermeren et le linguiste Xavier-Laurent Salvador, par ailleurs directeur de l’observatoire du décolonialisme.

Dans la bataille culturelle qui se joue actuellement entre wokes et antiwokes, le livre pourrait être un tournant. Il démontre d’abord la faiblesse intellectuelle du wokisme. « Ce qui caractérise le mouvement woke, c’est son ignorance et la pauvreté abyssale des raisonnements qu’il propose, ce n’est clairement pas une idéologie charpentée, structurée comme pouvait l’être le marxisme ou le maoïsme », analyse Emmanuelle Hénin avant de pointer les contradictions évidentes du mouvement : Ne pas cesser de revendiquer les droits des femmes tout en clamant que la femme n’existe pas, il faut le faire. Encore hier, je suis tombée sur la vidéo d’une enseignante à Sciences Po expliquant qu’on ne peut pas garder la devise “Liberté, Égalité, Fraternité” car le mot “fraternité” exclut les femmes. Ce type de raisonnement absurde, on en trouve à la pelle par des gens qui sont pourtant professeurs ou professeurs des universités », raconte-t-elle au téléphone, mi-amusée, mi-dépitée. Et de conclure : « Nous sommes dans un délire idéologique, mais plus profondément dans une contre-révolution scientifique. »

Pour les auteurs, le wokisme, comme l’indique le titre de leur ouvrage, est moins une idéologie qu’une nouvelle forme d’obscurantisme inaugurant un âge de la bêtise. S’il se réclame d’une démarche scientifique et se pare de la légitimité universitaire, il n’est rien d’autre qu’un charabia pseudo-intellectuel fondé sur quelques mots-clés : « hétéropatriarcat », « racisme systémique », « culture du viol », « intersectionnalité »… Le caractère grotesque des sujets de recherche à la mode, qu’énumère Emmanuelle Hénin dans son introduction et qui attirent les financements au détriment de recherches fondamentales, est édifiant : « Musicologies gaies, lesbiennes et queer » ; « hétéronormativité dans les sources : représentations et transgressions de l’injonction hétérosexuelle » ou encore « Contre-je : genre et énonciations minoritaires en littérature ».

Des institutions gangrenées

Aux yeux des auteurs, le wokisme constitue une incroyable régression de la rationalité au cœur même du temple de la raison et du savoir que devrait être l’Université. Ils y voient aussi une défaite de l’universalisme et une dérive totalitaire car cet obscurantisme s’impose par la terreur intellectuelle et la censure (annulation de colloques et de conférences, marginalisation et diabolisation des chercheurs non woke), et applique à tous les sujets une même grille de lecture identitaire et manichéenne opposant systématiquement les « dominés » aux « dominants », c’est-à-dire les femmes et les minorités (qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles) au « mâle blanc hétérosexuel occidental ». Le wokisme, en plus d’aggraver le déclin de l’enseignement et de forger une jeune génération d’ignorants, alimente ainsi les fractures communautaires et vient légitimer la rhétorique séparatiste des islamistes.

Les auteurs alertent sur l’ampleur du phénomène et son extension aux sciences dures. Certes, contrairement aux États-Unis, personne en France n’affirme que « les mathématiques puent le suprémacisme blanc ». Mais rappeler la réalité biologique des sexes peut s’avérer périlleux, et pas seulement. Au nom d’un constructivisme absolu, les sciences sociales woke dénient la biologie dans son ensemble. Le professeur Leonardo Orlando, contributeur du livre, a fait les frais de cette « biophobie » voyant son cours sur Darwin annulé à Sciences Po. Loin de se limiter aux seuls amphithéâtres universitaires, l’obscurantisme étend son emprise dans toutes les institutions (écoles, médias, entreprises et même Église) pour mieux tenter de redescendre dans la société. Il faut notamment lire le chapitre de Vincent Tournier sur la manière dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel (aujourd’hui Arcom) a contribué, sous couvert de nobles objectifs, au développement du wokisme, en particulier à travers son très contestable « baromètre de la diversité ». « Diversité », on l’aura compris, ethnique et non idéologique. 

L’obscurantisme woke est soutenu par l’ensemble des instances occidentales, de l’ONU et l’UE jusqu’aux institutions culturelles et organismes de pilotage de la recherche, CNRS en tête, souligne Emmanuelle Hénin dans son introduction. Dans l’entretien qu’ils ont accordé au Figaro Magazine, Xavier-Laurent Salvador et Pierre Vermeren expliquent ainsi le rôle central et délétère joué par les institutions européennes. Acquises aussi bien à l’idéologie woke qu’à la rhétorique des Frères musulmans, celles-ci sont chargées d’orienter les crédits à la recherche. L’Union européenne a ainsi financé à coups de millions d’euros des projets de recherche sur la théorie du genre, mais aussi liés d’une manière ou d’une autre aux Frères musulmans. Dernier exemple en date, le financement à hauteur de 10 millions d’euros d’un projet de Coran européen. C’est sans doute l’aspect le plus subversif du livre, celui qui explique la panique de certains universitaires et leur tentative de censure. Face à l’obscurantisme woke révèle en creux que le wokisme est aussi un moyen d’ascension sociale pour un monde de la recherche prolétarisé. Pour nombre d’universitaires déclassés, la conversion au wokisme permet d’obtenir de précieuses subventions et un certain confort matériel. Les intellectuels woke, pour certains d’entre eux, sont moins des militants sincères que des opportunistes instrumentalisant « les luttes contre les discriminations » pour mieux avancer dans leur carrière et asseoir leur pouvoir. Patrick Boucheron aurait-il été autre chose qu’un mandarin médiéviste connu des seuls spécialistes s’il n’avait enfourché le militantisme woke ?

Reflux américain, consolidation française

Dans le contexte de l’élection de Trump, Face à l’obscurantisme woke devrait susciter le débat en France. Mais paradoxalement, le reflux du wokisme aux États-Unis semble l’encourager en France. « Il y a une tentation française de vouloir jouer un mouvement de résistance face aux Américains et de positionner la France comme la nation woke », explique l’essayiste Pierre Valentin, contributeur de l’ouvrage. 

Le président de la République a ainsi invité les chercheurs américains qui seraient persécutés par Trump à venir poursuivre leurs travaux en France. Étant donné que ce sont les départements de sciences humaines les plus politisés des universités américaines qui sont visés par les coupes budgétaires du président américain, il y a plus de chances que nous attirions des apôtres du « genre » ou de la « race » que de futurs ingénieurs ou prix Nobel de médecine. Avons-nous vraiment besoin d’importer de nouveaux islamo-gauchistes ?

Au moment même où Emmanuel Macron faisait ces annonces, l’affaire Fabrice Balanche venait confirmer les constats de Face à l’obscurantisme woke sans que cela n’émeuve le président de la République. Après avoir été chassé de son cours par des « étudiants » cagoulés et en keffieh aux cris de « sale sioniste, dehors ! », le maître de conférences en géographie à l’université Lyon-2 et spécialiste de la Syrie se voyait lâché par toute sa hiérarchie. Isabelle von Bueltzingsloewen, présidente de l’université lyonnaise, s’exprimait après plusieurs semaines de silence, non pour condamner les injures et les intimidations, mais tout au contraire pour accabler son collègue. L’association France Universités, qui regroupe des dirigeants d’universités, loin de désavouer la présidente abondait dans son sens, dénonçant « les fantasmes d’islamogauchisme et de wokisme » qui régneraient à l’Université. Fabrice Balanche a été placé sous protection fonctionnelle. Où ira-t-il se réfugier lorsque l’Université française sera devenue l’ultime refuge du wokisme ?

Face à l’obscurantisme woke
sous la direction d'Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador et Pierre Vermeren,
paru aux Presses universitaires de France,
à Paris,
le 30 avril 2025
464 pp.,
ISBN-13: 978-2130849131


Source: Le Figaro Magazine



NOTRE LIVRE A SUSCITÉ UNE PEUR

Le professeur d’histoire Pierre Vermeren et le linguiste Xavier-Laurent Salvador, qui ont codirigé « Face à l’obscurantisme woke » avec la professeur de lettres Emmanuelle Hénin, racontent la levée de boucliers déclenchée par ce livre. Ils dévoilent l’ampleur du phénomène woke, son influence au sein des institutions françaises ainsi que ses ressorts idéologiques, mais aussi financiers.

Le Figaro Magazine  Pourquoi ce livre et pourquoi a-t-il fait couler tant d’encre avant même sa parution ?

Xavier-Laurent Salvador – Ce livre répond à une réalité qui nous heurte depuis six ans, à l’Observatoire du décolonialisme. Celui-ci réunit des gens qui alertent et documentent l’émergence de l’obscurantisme woke à l’Université. Ce n’est pas nous qui l’appelons woke, on assiste au développement endémique des idéologies identitaires, que nous considérons comme un obscurantisme. Nous documentons, par nos rapports et nos livres, cette dimension qui fout en l’air le système académique, du recrutement à la recherche, en substituant de fausses sciences aux postulats disciplinaires qui ont permis de structurer l’Université. Il s’agit de documenter pour renseigner le grand public au sujet de ce lieu mystérieux, qui fait peur à tout le monde, appelé Université. C’est notre mission de moines pèlerins d’alerter le politique et la population.

Pierre Vermeren – C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui en France, l’Université compte entre 1,7 et 2 millions d’étudiants. Or, nous sommes dirigés par des gens qui ont fait Sciences Po et l’ENA. Hormis quelques professeurs de droit, ils n’ont aucune connaissance de l’intérieur des universités. C’est un monde où ils n’envoient pas leurs enfants et dans lequel ils n’ont pas étudié. Ils délèguent à des universitaires – qui sont encore relativement bien choyés et nombreux (88 000) – la formation de 2 millions de jeunes sans savoir ce qui s’y passe. L’autonomisation de l’Université a considérablement aggravé cette dérive : l’État laisse sombrer plus de la moitié d’entre elles dans des déficits graves. Macron a doublé le nombre d’étudiants étrangers sans toucher aux moyens, ce qui a accéléré l’appauvrissement des formations. Le problème est structurel. D’ailleurs, les ministres de l’Enseignement supérieur nommés par Macron sont des scientifiques inconnus, ces universitaires n’ayant aucune marge de manœuvre. Cela en dit long sur le désintérêt total de l’État.

X.-L. S. – Comme la France a délégué à l’Europe la gestion et le pilotage de la politique de recherche de son cycle supérieur, les priorités de la recherche sont définies par une institution européenne sur laquelle plus personne n’a la main et qui elle-même pense mécaniquement selon des termes qui ne sont pas ceux de l’Université française, mais anglo-saxonne. Concrètement, les appels à projets (qui sont structurants et qui définissent l’orientation de la recherche au niveau européen et donc français) découlent d’une vision de bureaucrates s’inscrivant dans des mots-clés ou thèmes qui répondent à l’obscurantisme woke. La chaire des universitaires français est financée à concurrence de 500 euros par an, mais à côté, l’Europe propose des appels à projets à hauteur d’un ou plusieurs millions d’euros par an. De fait, on ne peut pas en vouloir à nos collègues de sombrer dans cet obscurantisme. Soit ils vivent de rien et l’on se moque de leurs conditions de travail, soit ils se soumettent aux logiques anglo-saxonnes et se voient promettre plusieurs millions d’euros par contrat. On passe très vite de l’étude littéraire et stylistique de Proust à « Proust : queer LGBTQIA+ et fluidité du pronom personnel ».

P. V. – Les financiers européens définissent aujourd’hui l’essentiel des projets de recherche. En mettant la loupe sur ce problème à travers notre livre, on a suscité une levée de boucliers et une peur. Ceux qui se sont insurgés, y compris l’éditeur qui était venu nous chercher – car il a été soumis à des pressions de ses lecteurs et auteurs –, nous reprochent au fond d’ouvrir la boîte de Pandore de l’Université.

— Vous attendiez-vous à subir autant d’attaques avant même la parution du livre ? D’où sont-elles venues ?

P. V. – Ces attaques sont assez obscures : on ne sait pas qui a fait pression sur l’éditeur. Celui-ci s’est servi de la sortie publique et assumée de Patrick Boucheron pour justifier la censure, mais ce sont principalement des auteurs et lecteurs des Puf qui ont fait pression sur la direction pour contester la décision de la plus grande maison d’édition universitaire française. Cela dévoile le camp woke dans l’Université française, le même qui prétend que le wokisme est une fable… Ceux qui ont critiqué le livre ne l’ont d’ailleurs pas lu. Ils ont contesté le principe qu’une maison d’édition universitaire parle du wokisme !

X.-L. S. – Dans le contexte actuel, avec François Hollande qui, au mépris de nos propres doctorants, propose qu’il y ait un statut de réfugié académique mondial pour accueillir en France tous les wokes de la terre, on comprend que l’on ne pouvait que se faire massacrer. Pour autant, on ne l’avait pas vu venir de cette façon. Je pensais que le livre sortirait, et que c’est plus tard que l’on se serait fait attaquer. Je ne m’attendais pas à ce que le caractère « sloganesque » de la couverture soit à ce point attaqué sans que l’on ait été lus. Ils se prennent tous pour des assassins de couloir, mais la sortie de Boucheron montre en fait à quel point ces gens sont hors-sol.

— Au-delà de l’Université, vous montrez que cette idéologie pénètre aussi le monde de l’édition, des médias, de la politique…

P. V. – La première partie de notre livre est consacrée à l’entrisme de cette idéologie dans diverses institutions (pas toutes, mais on a aussi bien évoqué les grandes entreprises que l’Église catholique, la presse, les médias, la communication de façon générale). L’Université joue son rôle de laboratoire et de fabrique des savoirs. Mais aussi de fabrique idéologique : après la Seconde Guerre mondiale, le marxisme académique a pris le pouvoir dans le paysage intellectuel des médias et de la sphère artistique. Il y a un phénomène d’osmose : lorsque l’Université produit des savoirs, cela descend dans l’Éducation nationale, dans la jeunesse, puis remonte dans toutes les sphères culturelles au sens large. Ce laboratoire, évidemment, pénètre les institutions. Il y a bien sûr des résistances, chez les politiques, dans certains médias, mais on demeure dans la perspective gramscienne de fabrication de la pensée et de la vision idéologique du monde de demain.

— Le wokisme est-il cantonné aux sciences humaines ?

P. V. – C’est la partie centrale de notre ouvrage. On a commencé à le préparer il y a trois ans et à l’époque, on découvrait que le phénomène emportait aussi les sciences dures (médecine, biologie… ou mathématiques, que l’on appelle « sciences blanches » aux États-Unis). Des scientifiques de haut niveau ont contribué sur cette question. Cela montre la profondeur du mal, car il a débordé des seules sciences humaines ! C’est particulièrement vrai dans le domaine du genre : à Nice, un collègue a été interdit de cours et a vu son traitement suspendu pendant deux ans car, en tant que professeur de psychologie, il a eu le malheur de dire qu’un homme n’était pas une femme. La maladie est profonde.

— Vous avez beaucoup évoqué l’influence américaine. Comment analysez-vous la contrerévolution trumpiste ?

X.-L. S. – Les États-Unis ne sont pas la France : là-bas, l’antiwokisme est à la mode, face à des wokes réduits au rang de petits chatons. En France, on nous a accusés d’être trumpistes, poussant les Puf à nous censurer au nom de la vertu. Or en France, ce sont précisément les wokes qui sont majoritaires, et les antiwokes des petits chatons. Quand on signe une tribune, on a 50 signataires ; quand eux signent une tribune, c’est avec 15 000 personnes. Ils ont toute la jeunesse avec eux. Et c’est normal : ils la financent. Ils ont l’argent, le pouvoir et les postes. Nous n’avons pas avec nous un mouvement qui nous porterait et nous rendrait puissants au point de faire la pluie et le beau temps dans les 5e et 6e arrondissements. C’est Boucheron qui fait la pluie et le beau temps. En revanche, la violence de Trump est la conséquence d’un impensé par les démocrates depuis Obama, qui consiste à laisser filer l’Université dans tous ses délires. Notre livre interroge : faut-il aller dans le mur ou freiner avant la chicane ? En revanche, l’accueil en France de cette population d’universitaires woke me terrorise.

P. V. – Et il faut prévenir les universitaires américains qu’ils seront payés chez nous comme des ouvriers américains ! Aujourd’hui, un universitaire français a le salaire d’un instituteur suisse, trois fois moins qu’une infirmière hospitalière dans ce pays, ou trois à quatre fois moins qu’un universitaire en Suisse ou aux États-Unis. Ces « réfugiés » risquent de tomber dans la misère, le tout sans crédits de recherche et dans des locaux sous-équipés : à la Sorbonne, les tableaux à la craie risquent de les déstabiliser ! En outre, bien des étudiants de premier cycle ne comprendront pas leurs enseignements, sans parler de la langue ! Je leur conseille plutôt d’aller en Allemagne.

— Aux États-Unis, Trump s’attaque au financement des universités. Est-ce le nerf de la guerre ?

X.-L. S. – Oui, mais pas en France, au niveau européen. L’Europe, institution bureaucratique qui a un peu dérapé, est totalement acquise au wokisme. Elle réserve 15 % pour chacun des projets de recherche dans le cadre du Conseil européen de la recherche (ERC) à la DEI (diversité, équité, inclusion) au niveau des ressources humaines (RH) ; or les RH, dans un projet de recherche, ce sont des doctorants. L’Europe, depuis dix ans, finance le renouvellement de ce Léviathan woke, pensé par l’Europe pour l’Europe. Cela modifie le paysage universitaire français, qui « s’anglo-saxonnise » à grande vitesse.

P. V. – L’État français s’est déshabillé et la loi d’autonomie des universités, votée par la droite et contestée par la gauche, a servi ces intérêts. La droite ne connaît pas l’Université, les dirigeants macronistes pas davantage, ils se sont donc débarrassés d’un boulet, délégué à l’Europe, et ont voté l’autonomie pour que les universités gèrent leur propre pénurie. Bien sûr, il y a aussi une crainte qui vient de la Libération, qui conduit l’État à refuser de définir une politique scientifique.

X.-L. S. – Il y a donc une politique incitative : on ne vous dirige pas, mais on vous encourage à candidater sur des projets en science des sociétés, ou en « société et genre ». Vous pouvez ne pas le faire, mais si vous le faites, vous pouvez toucher 3 millions d’euros de crédits…

P. V. – C’est pareil pour l’islamisme : un projet de recherche financé par l’Europe qui ne serait pas lié d’une manière ou d’une autre aux Frères musulmans n’a pratiquement aucune chance d’être financé. En effet, dans les instances européennes, tout se fait en anglais – les Français restent des mauvais praticiens de cette langue et aucun Français ne dirige ces instances.

Leurs normes DEI sont définies par les Anglo-Saxons, bien que ni les États-Unis ni l’Angleterre ne fassent partie de l’Union européenne (mais les Allemands et les Hollandais se sont ralliés à ce système). 
 
— À l’université Lyon-2, Fabrice Balanche a été chassé de son amphithéâtre aux cris de « sale sioniste dehors » par des « étudiants » en keffieh se présentant comme « antiracistes ». Quels liens peut-on faire entre le wokisme et l’islamisme ? 
 
P. V. – Il y a les défauts de contrôle déjà évoqués ; des financements européens pour des projets de recherche sur l’islam politique ou le monde arabe dans lesquels il y a, a minima, une inclusivité faite à la galaxie des Frères musulmans. L’écosystème des Frères musulmans est très puissant et actif à Bruxelles et dans certains pays européens. Ils ont désormais réussi à pénétrer dans l’Université européenne et française, dans les milieux de la recherche (en témoigne l’affaire de Lyon-Bron en cours parmi bien d’autres). Or, la recherche française étant devenue pauvre, elle est une porte ouverte dans laquelle s’immiscent États étrangers et organisations islamistes bien mieux dotées : think tanks, éditions universitaires, laboratoires et programmes de recherche, chercheurs…, tous trouvent de bonnes fées quand ils sont dans le besoin.

X.-L. S. – Et la France donne 17 milliards chaque année à Bruxelles…

— Iriez-vous jusqu’à dire que Bruxelles est une officine islamiste ? 
 
P. V. – Ils ne s’occupent pas que de cela, mais aussi du genre, qui n’est pas a priori très islamiste. Mais dans ce chaos institutionnel, avec cette dispersion des sources de financement, les islamistes font leur miel. Ils sont capables d’obtenir des financements dans les universités françaises par le biais des associations, par celui de programmes de recherche européens et, à la fin, peuvent facilement faire élire des docteurs, par un jeu de mutations (vous avez été élu en Angleterre, aux États-Unis ou en Allemagne, puis vous pouvez venir en France avec les chaires juniors et autres laboratoires internationalisés). Ils ont pu faire sauter des verrous grâce à des complicités européennes ou des financements étrangers et sont en voie de s’installer dans l’institution avec beaucoup de complaisance de la part de spécialistes qui savent que, désormais, si vous souhaitez travailler sur le monde arabe, vous ne serez pas financé par le gouvernement égyptien ; en revanche, si vous voulez travailler sur la finance islamique ou le Coran des Européens, les bourses se délient. Après le financement viendra le temps du soutien et du recrutement : d’autant que la pression des pays arabes sur les Frères les oblige à s’installer en Europe (cela n’a d’ailleurs pas changé depuis la famille réfugiée Ramadan !)

X.-L. S. – Et du côté des étudiants, cela rejoint très bien le mouvement woke. Il y a une convergence sidérante. Al Jazeera communique en France en écriture inclusive, par exemple. La logique intersectionnelle rend en effet service à l’islam politique. En disant qu’une femme est une minorité discriminée et qu’une femme voilée est doublement discriminée, on crée artificiellement un discours politique mettant en avant toutes les revendications d’un islam politique. Aïssam Aït-Yahya est venu il y a quelques années sur un campus universitaire à l’invitation des associations étudiantes, alors que c’est un terroriste théoricien du djihad. L’Université prétend ne pas être au courant, bien qu’elle ait prêté une salle… C’est ainsi que l’on retrouve écrit sur les murs les sept piliers de l’islam. Les accommodements raisonnables des universités sont en fait un signe de corruption dans le système électoraliste universitaire. Mais il n’y a aucun contrôle. Ni la Cour des comptes, ni la presse… Le poids électoral de ces associations au discours moral et politique est majeur. Elles sont tuyautées par des États et tiennent en main le sort des élections. Il ne faut donc pas s’étonner que les universités ferment les yeux sur le fait qu’on organise des iftars, avec des salles de prière à côté, allant jusqu’à chasser de son amphithéâtre un enseignant au prétexte qu’il n’est pas dans la ligne. C’est un phénomène connu de longue date. Par exemple, à Saint-Denis, Samuel Mayol – membre de notre observatoire – a fait l’objet d’une chasse aux sorcières après avoir alerté sur une salle de prière clandestine dans les locaux de l’IEP.

P. V. – Notre système en déshérence est sous-financé. Les groupes organisés, de Bruxelles aux associations woke, ont une grande facilité de pénétration. La gouvernance est assurée par des professeurs qui votent en minorité et par 4 % des étudiants votants : ces groupes minoritaires règnent. Le wokisme est minoritaire chez les étudiants, l’islamisme plus encore, mais les élections leur offrent des positions de pouvoir. 
 
X.-L. S. – Et l’on démontre dans le livre à quel point ils sont profondément sectaires. Leur morale entraîne l’adhésion de la jeunesse et en fait une force politique qui contraint l’institution à se wokiser. Des postes et de l’argent sont à la clé.


Aucun commentaire: