Deux fois par semaine, le centre sportif de l’université de Waterloo suspend son calendrier habituel de cours de natation en milieu de matinée et réserve sa piscine de 25 mètres à l’usage exclusif d’un groupe démographique qui, selon ses dires, n’a pas une bonne « relation avec l’eau ».
« L’objectif est d’amener plus de Noirs dans un espace où ils n’ont pas toujours été les bienvenus », peut-on lire dans la description officielle de la « baignade des Noirs », une séance de 60 minutes réservée aux Noirs. Les utilisateurs peuvent faire des longueurs, s’entraîner à plonger ou s’inscrire à une leçon. Mais ils doivent être des « Black Folx », tout comme les instructeurs. Folx est une graphie progressiste (eh, oui !) de folks (les gens) censément inclusive.
« Ce temps est réservé à la construction d’une meilleure relation avec l’eau pour la communauté noire », peut-on lire en caractères gras sur la page web du Black Folx Swim.
L’université de Waterloo accueille plus de 30 000 étudiants étrangers. De nombreux nouveaux arrivants au Canada ne possèdent pas les compétences de base en natation et courent un risque élevé de noyade. C’est pourquoi de nombreuses sociétés de sauvetage ciblent spécifiquement les nouveaux Canadiens pour les cours de natation.
Mais à part une nage hebdomadaire adaptée aux transgenres et quelques événements épars réservés aux femmes, le Black Folx Swim est le seul moment de nage de l’université qui soit spécifique à un groupe démographique, et le seul qui s’adresse aux étudiants d’une origine ethnique particulière.
Et Waterloo n’est pas la seule dans ce cas. Alors que l’idée d’espaces explicitement réservés aux Noirs dans les universités canadiennes aurait été impensable il y a seulement quelques années, on a assisté ces derniers mois à une vague de salons, d’espaces d’étude et d’événements réservés aux Noirs dans les établissements d’enseignement post-secondaire canadiens.
L’université de Colombie-Britannique a récemment inauguré un espace réservé aux étudiants noirs, qui comprend des douches, des casiers et même une salle de sieste. Pour y accéder, les étudiants doivent faire une demande et affirmer qu’ils font partie de l’une des catégories suivantes : « Noirs d’origine africaine, Afro-Américains, Afro-Canadiens, Afro-Caraïbes, Afro-Latins et Afro-Indigènes ».
L’Université métropolitaine de Toronto (TMU), anciennement l’université Ryerson, a ouvert un salon pour les étudiants noirs en 2022. Cet espace se veut un refuge contre « les méfaits du racisme institutionnel ». Dans de nombreuses déclarations publiques, la TMU s’est qualifiée de foyer d’oppression institutionnelle colonialiste, et le salon se veut un lieu où les étudiants peuvent « guérir » et « se ressourcer » de cette oppression, et « promouvoir l’épanouissement des Noirs ».
L’Université de Toronto dispose d’un bureau consacré à la participation des étudiants noirs (Black Student Engagement) qui organise une série d’événements d’initiation et d’orientation réservés aux Noirs. S’il existe des programmes d’« intégration » sanctionnés par l’université pour les étudiants d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est, ils se limitent pour l’essentiel à des rendez-vous de mentorat et à des ateliers.
L’université de Toronto n’est pas la seule à organiser des événements réservés aux Noirs. Comme l’indique un article de VICE, il n’y a pas si longtemps, en 2015, le Canada ne comptait pas un seul baptême estudiantin (bizutage) réservé aux Noirs. Mais après que les universités d’Ottawa ont lancé le Bizutage Black like me (« noir comme moi ») cette année-là, la pratique s’est rapidement banalisée.
Les campus universitaires canadiens ont toujours abrité des sociétés ou des cercles d’étudiants dont l’appartenance est déterminée par des caractéristiques nationales ou ethniques.
L’université McGill, par exemple, compte plus de 40 « cercles culturels » sur le campus, qui s’adressent à des groupes d’étudiants allant des Tamouls aux Marocains en passant par les « Asiatiques nés en Amérique du Nord ».
Mais les nouveaux « espaces noirs » sont différents dans la mesure où leur objectif explicite est de délimiter des zones réservées aux Noirs dans le but de créer des « espaces inclusifs ».
Lorsque l’université Simon Fraser a annoncé son intention de construire un centre pour les étudiants noirs, les administrateurs ont déclaré que le projet découlait directement de l’adoption de la Charte de Scarborough sur le racisme anti-Noir, un document datant de 2021 signé par 46 universités canadiennes.
La charte stipule que les Noirs sont sous-représentés dans les universités canadiennes en raison d’un écheveau de racisme institutionnel anti-Noir.
En tant que telle, elle préconise de suivre de près les caractéristiques ethniques des étudiants et des enseignants des universités canadiennes et de mettre en œuvre un certain nombre de « processus délibératifs » pour s’assurer qu’un nombre représentatif d’entre eux soient des Noirs.
L’un de ces processus est la construction d’« espaces d’affirmation et d’accessibilité […] qui favorisent l’appartenance à la communauté noire ».
À la TMU, le salon des étudiants noirs est le fruit d’un rapport publié en 2020 et intitulé « Anti-Black Racism Campus Climate Review » (examen du climat raciste anti-Noir sur le campus).
Les auteurs concluaient que même après dix ans d’efforts concertés de lutte contre le racisme, l’université était toujours en proie au racisme anti-Noir, qui, selon le rapport, se manifestait principalement de manière « intuitive », par exemple par un « sentiment de non-appartenance » et un « manque de représentation dans les programmes d’études ».
Le rapport recommandait notamment la création d’un « espace réservé aux étudiants noirs sur le campus, doté des ressources nécessaires pour qu’ils se sentent en sécurité ».
« Les universités ont toujours été des lieux peu sûrs pour les étudiants noirs. Le salon n’est qu’une étape vers le démantèlement de cette réalité néfaste », a déclaré Eboni Morgan, animatrice du soutien aux étudiants noirs, lors de l’inauguration de l’espace.
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