vendredi 20 mai 2011

Il faut mettre fin à l'école monolithique, il faut s'ouvrir à la diversité pédagogique et des programmes

Anne Coffinier est la créatrice de l’association Créer son école qui travaille depuis 2004 sur le terrain, pour accompagner les parents d’élèves, les enseignants et les responsables locaux dans leur démarche pour l’Éducation de leurs enfants. Dans un entretien accordé à Belle-et-Rebelle, cette femme courageuse et travailleuse offre un état des lieux d’une grande clarté de la situation de l’Éducation en France.

Annie Coffinier, créatrice de l'Association Créer son école

Vous êtes la créatrice de l’association « Créer son école »; comment en vient-on a créer sa propre école ? De quel constat êtes-vous partie ?

D’une insatisfaction ou plutôt d’une révolte. L’école publique (ou son double privé sous contrat) laisse trop d’enfants sur le bord de la route. « En échec scolaire », comme on dit. Ils n’ont pas acquis les fondamentaux nécessaires à leur vie d’adulte ; leur confiance en leurs capacités est perdue, et ils ne croient plus en la société qui, à travers l’école, les a condamnés. Comme dit Erik Orsenna, à 11 ans, l’école en a fait des exclus pour le restant de leurs jours. Des blessés, des démoralisés, des révoltés. Un tel jeu de massacre est monstrueux, et lourd de conséquences pour la société d’ailleurs.

Cette situation m’a révoltée dès que j’en ai pris conscience ; je n’ai pu l’accepter. L’école est destinée à donner une formation et à préparer les enfants à leur vie d’adulte. C’est un non-sens qu’un système éducatif dise qu’il ne peut pas ou ne sait pas instruire 40 % des enfants qui lui sont confiés. C’est à l’offre scolaire de s’adapter, non aux enfants d’être mis au rebut de l’école. Mais cela suppose de cesser de vouloir faire marcher tout le monde dans la même direction à la même vitesse. Bref, il faut en finir avec « l’école unique ».

Est-ce à dire qu’il y a un souci avec l’école en France ?

Oui, c’est patent. L’Éducation nationale doit d’urgence se remettre en cause ! Or, elle n’y parvient pas. Un système de 2 millions de salariés gérant 12 millions d’élèves est quasi structurellement irréformable. Les solutions ne sauraient venir d’en haut. Elles viendront nécessairement d’en bas, de la société civile : des mères, des pères, des professeurs, des communautés locales… L’association Créer son école et la Fondation pour l’école se sont justement mises au service de ces initiatives de la société civile, en en respectant la diversité.

La mission de l’école est d’instruire les enfants, de leur apprendre à développer leurs capacités propres, à tirer le meilleur d’eux-mêmes et à trouver leur place dans la société. Au contraire, on constate aujourd’hui que l’école fonctionne comme une machine à reléguer, à casser comme le montre bien Peter Gumbel dans son livre « On achève bien les écoliers ». L’école ne doit pas continuer à fonctionner sur ce schéma inhumain. Mais, attention, la conclusion n’est pas qu’il faut faire de l’école un sympathique lieu de vie, ouvert sur le monde, sans note ni jugement. La conclusion est plutôt qu’il faut oser proposer diverses écoles aux familles pour que les enfants aient plus de chances de trouver un contexte éducatif et des méthodes qui leur réussissent. Des écoles ambitieuses pour les enfants, mais variées dans leur approche. Bref, il faut en finir avec l’école publique monolithique centralisée et le rêve d’une France dans laquelle tous les enfants ouvriraient à la même heure le même cahier pour la même leçon. Nous devons accepter que les enfants n’aient pas tous la même forme d’intelligence, la même motivation pour étudier, les mêmes aspirations, les mêmes aptitudes, le même contexte social. C’est une chance pour la société d’ailleurs. À l’école de tenir compte de cette réalité sous peine de mettre au rebut jusqu’à 40 % d’une classe d’âge inadaptée à l’institution scolaire, tout en retardant dans leurs avancées les 60 % qui pourraient s’accommoder de l’école telle qu’elle est. Bref, arrêtons d’avoir peur de la diversité, de la différence. Seule l’émergence d’écoles variées permettra aux enfants qui ont des aptitudes et des aspirations variées de s’accomplir. Il est temps de rompre d’urgence avec l’égalitarisme idéologique.

En créant l’association Créer son école, j’ai voulu aider les professeurs et les parents à se saisir de leur responsabilité et à proposer autre chose aux enfants que l’école imposée par les hiérarques de l’Éducation nationale. C’est un pari réussi puisqu’il y a aujourd’hui près de 500 établissements indépendants, dont vous pourrez apprécier la qualité et la diversité en consultant l’Annuaire des écoles indépendantes 2011. Ces écoles scolarisent 46 000 élèves de la maternelle au baccalauréat. 20 nouvelles écoles ouvrent en plus chaque année. Ce mouvement de libération parti du bas ne pourra plus être arrêté. Il correspond à un phénomène très naturel : celui de parents, de professeurs, de responsables locaux qui fondent des écoles.

Quelle doit être le rôle d’une femme dans le combat pour l’éducation ?

À mes yeux, la mère est celle qui donne la vie, qui manifeste l’amour et la confiance en l’enfant, qui manifeste une espérance indéfectible en ses capacités et en son avenir. Elle est celle qui ne se lasse pas, qui ne se résigne pas . Elle est irremplaçable autant que l’amour est irremplaçable dans une vie.

Mais je voudrais aussi souligner le rôle des parents, que l’institution scolaire française a tendance à tenir à bout de gaffe. Ce sont eux les principaux éducateurs et responsables de l’enfant. Il leur revient de poser les choix pour leur enfant, tant qu’il est mineur. Sauf déchéance des parents, ce n’est pas à l’État ou à l’école de le faire. L’État n’intervient que pour garantir qu’un système scolaire performant est en place et que chacun a bien accès à une instruction qui convienne à ses attentes. L’État n’aurait par exemple aucune légitimité à éduquer les enfants contre la conscience de leurs parents. Or c’est ce qui lui arrive de faire.

En demandant aux infirmières scolaires de dispenser des pilules du lendemain dans les collèges sans avoir à demander l’autorisation des parents ou à les informer avant ou après, il est clair que l’État ne respecte pas la primauté éducative des parents. Cette ingérence brutale est une dérive préoccupante, car elle méconnait la séparation des pouvoirs et des responsabilités. Elle est aussi contraire aux principes de l’école républicaine tels que définis par Jules Ferry. La conséquence inéluctable est que de plus en plus de familles se défient de l’école publique et incitent leurs enfants à s’en méfier. C’est manifestement le cas des familles pratiquantes, à commencer par les familles musulmanes. En s’ingérant dans les consciences et les mœurs, l’État se coupe d’un nombre croissant de jeunes choqués par l’immoralité d’État. Dans ce contexte, la femme est souvent celle qui ose dire non, qui ose — par amour pour son enfant — entrer en dissidence contre l’institution.

Est-ce que le fait d’être une femme vous a-t-il avantagé ou désavantagé dans votre combat ?

Être une femme a surtout joué dans ma motivation, je pense. La vie nous a donné à mon mari et moi trois enfants, et il est clair que ce n’est pas étranger à mon intérêt pour l’éducation ! Au fil de mes rencontres, je me rends compte que les femmes sont généralement plus investies dans l’éducation et l’instruction que les hommes. Il me semble que les hommes devraient certainement s’intéresser plus à la formation intellectuelle et humaine de leur enfant. Ils se reposent trop souvent sur les mères. Ce qui m’a donné une place spéciale parmi les penseurs de la réforme de l’école, c’est plutôt mon histoire personnelle  : je suis un pur produit de l’école publique et de la méritocratie républicaine française (puisque j’ai étudié à l’école publique de province jusqu’au bac, que j’ai ensuite enchaîné par Normale Sup et l’ENA). Mais c’est précisément pour servir l’intérêt général que je suis entrée en dissidence par rapport à l’Éducation nationale. J’aurais pu faire comme tant d’autres — chanter les louanges de l’école publique et mettre mes enfants dans le privé — mais j’ai préféré entrer au service de tous en aidant à se développer des alternatives au système dominant. Il est clair que ce n’est pas le choix le plus facile.

Quelles résistances rencontrez-vous le plus souvent dans votre combat ?

Des résistances idéologiques de la part de personnes qui ne s’intéressent pas aux enfants, et qui préfèrent brasser des grands concepts généreux sans souci du réel : ils parlent de pacte républicain, d’égalité républicaine… Mais, soyons sérieux, lorsque l’école laisse 40 % des enfants sur le bas côté, n’est-il pas violé ce pacte républicain ? En quoi serait-ce anti-républicain que des écoles soient créées par des professeurs avec le soutien de parents, de collectivités locales ? Pourquoi faudrait-il que tous aient la même pédagogie pour que l’unité de la République soit assurée ? Il est temps d’en finir avec l’idéologie.

Considérez-vous comme rebelle face au mastodonte de l’éducation nationale ?

Oui, clairement. Je suis une dissidente. Je crois aux personnes, à la fécondité de la liberté des personnes responsables, et déteste les institutions qui étouffent les personnes, les culpabilisent et les infantilisent. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui dans l’Éducation nationale. Les professeurs ne sont pas traités comme des adultes responsables et libres mais comme des exécutants d’une politique décidée en haut lieu, loin des classes, par des idéologues. Il existe nombre de bons professeurs, heureusement. Mais ce n’est pas grâce à l’institution scolaire, c’est malgré elle. Les professeurs ne sont généralement que peu soutenus par l’administration de leur établissement ou leur hiérarchie…Bref, il faut qu’ils aient un tempérament fort et indépendant, qu’ils n’aient pas besoin de reconnaissance de leurs pairs, qu’ils osent être éventuellement montrés du doigt dans les salles des professeurs… Il faut une bonne dose d’anticonformisme pour parvenir à être un bon prof. Et l’anticonformisme n’est pas donné à tous. Il faut réformer les structures pour libérer les personnes de ce carcan qui les étouffe. Les professeurs doivent pouvoir choisir leur établissement et s’y engager durablement. Chaque école doit pouvoir gérer ses moyens et son budget. Bref, les professeurs et le directeur doivent être traités en majeurs responsables. En retour, ils doivent accepter de rendre des comptes de leur résultat, à savoir de la progression des enfants, de leur bonne assimilation des connaissances transmises.

Que pensez-vous du pass contraception qui a désormais cours dans les lycées français ?

J’y suis évidemment hostile : c’est un abus de confiance caractérisé. Chacun le sent en soi-même à commencer par les enfants. C’est un viol des consciences. L’école républicaine est là pour instruire les enfants sans s’immiscer dans leur for intérieur, dans leur conscience et leur intimité. Ce n’est pas le rôle de l’école de s’occuper de la jouissance sexuelle des jeunes qui leur sont confiés. L’Éducation nationale n’a pas vocation à donner une éducation contre celle dispensée par les parents. Ce serait une dérive totalitaire où l’État prétendrait savoir mieux que les familles ce qui est bon pour les enfants. C’est une ligne rouge à ne pas franchir, une ligne au-delà de laquelle le totalitarisme commence. Il est évident aussi qu’une telle mesure montre qu’une défiance de principe s’est instaurée à l’égard des familles. Non, l’école n’est pas légitime à faire de telles intrusions. Jules Ferry le disait clairement, dans sa fameuse lettre aux instituteurs, où il exhortait ces derniers à la délicatesse : ne rien faire à l’école qui puisse froisser ne serait-ce qu’un parent d’élève dans sa foi ou sa conscience.

Est-ce que les parents démissionnent ? si oui, de quoi démissionnent-ils ?

Nous sommes pris dans un cercle vicieux où les intrusions éducatives de l’école engendrent l’attitude démissionnaire des parents sur fond de perte de confiance à l’égard de l’institution, tandis que cette démission parentale pousse l’école à interférer toujours plus dans le champ éducatif. Il faut rompre ce cercle vicieux. Chaque acteur doit rester à sa place. L’école est là pour instruire. Aux parents d’éduquer. L’école et les parents doivent reconnaître et conforter l’un l’autre leur autorité. L’école ne doit pas se mêler du for intérieur et les familles, à partir du moment où elles choisissent de scolariser leur enfant dans telle école, doivent tout faire pour conforter et respecter l’autorité des professeurs et de l’institution en général.

Source : Belle et rebelle




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3 commentaires:

Perpétue a dit…

L'analyse de madame Coffinier s'applique parfaitement au système scolaire public québécois et à son double, les écoles privées subventionnées (et non subventionnées tant l'étouffoir est efficace ici).

Merci à Anne Coffinier d'analyser si clairement le malaise et de donner aux parents de France des moyens de créer des écoles vraiment libres. Au Québec y aurait-il moyen de faire la même chose ou le système nous bloque-t-il encore plus?

Pour une école libre a dit…

À notre connaissance, il est plus facile de créer une école en France qu'au Québec : les programmes imposés aux écoles non subventionnées sont relativement laxistes en France (malgré des restrictions supplémentaires récentes) et il y a peu d'exigence quant aux compétences de diplômes pour enseigner dans une école non subventionnée (le bac, le D.E.C, car la loi date de nombreuses années), ce n'est pas le cas au Québec où, à notre connaissance, il faut une formation universitaire idoine ou jugée équivalente à celle-ci par le gouvernement.

En France, une fondation soutient également financièrement les écoles non subventionnées. Elle vit de dons qui sont déductibles d'impôt. Nous ne savons pas si ceci serait possible au Québec, bien que nous sachions que certaines petites écoles « paroissiales » vivent de tels dons.

Comme vous le comprenez, nous aimerions aussi en savoir plus et connaître l'expérience de personnes impliquées dans la création d'école non subventionnées au Québec pour enrichir notre connaissance sur ce plan.

Dia a dit…

Le député Laurent Louis (MLD) a imaginé mercredi sur Twitter l'imposition d'un stage parental sanctionné par un certificat pour les couples désireux d'avoir un enfant

http://www.7sur7.be/7s7/fr/1502/Belgique/article/detail/1265965/2011/05/18/Un-depute-imagine-un-permis-pour-avoir-des-enfants.dhtml