Lors d’un récent entretien, Olivier Séguin, avocat pour le Centre Juridique pour les Libertés Constitutionnelles (CJLC), a fourni des éclaircissements sur un cas litigieux impliquant une enseignante de troisième année dans une école de Montréal. Cet enseignant a souligné les problèmes liés au guide ministériel intitulé « Pour une meilleure prise en compte de la diversité sexuelle et de genre ».
Le Centre de justice pour les libertés constitutionnelles a annoncé le lancement d’un recours constitutionnel devant la Cour supérieure du Québec contre le ministère de l’Éducation. Cette action est intentée au nom d’une enseignante qui a refusé de mentir aux parents d’un élève de 14 ans souhaitant une transition de genre féminin-masculin, comme la direction de son école lui avait ordonné de le faire.Suivant les directives du Guide et procédures du ministre de l’Éducation sur l’identité de genre des personnes trans et non binaires, l’école secondaire montréalaise de l’élève a créé un ensemble de procédures rendant illégal le fait d’informer les parents (ou les tuteurs) lorsque leur enfant cherche à effectuer une transition de genre.
Au début du mois d’octobre 2023, les administrateurs de l’école ont informé les enseignants qu’ils devaient désigner l’élève de 14 ans par les pronoms masculins « il/lui » en classe. Mais lorsqu’ils ont affaire aux parents de l’élève, les enseignants ont reçu l’ordre d’utiliser le prénom féminin de l’élève et les pronoms féminins. Ils ont donné cet ordre alors qu’il n’y avait ni preuve ni soupçon de maltraitance parentale.
L’enseignante a informé l’administration que, tout en acceptant de respecter les préférences de l’élève en matière de pronoms, elle s’opposait à l’obligation de mentir aux parents sur le changement de sexe de leur enfant, en particulier lors d’une future rencontre entre les parents et l’enseignante.
Cette rencontre n’a pas eu lieu. Au lieu de cela, l’école a autorisé l’enseignant à soumettre un rapport écrit à l’élève, avec copie aux parents, qui évitait l’utilisation de pronoms. Tout en accordant cette exception, l’école a précisé que l’enseignant serait tenu de rencontrer les parents lors de la rencontre parents/professeurs prévue au printemps si les parents en faisaient la demande. Les administrateurs ont notifié à l’enseignante que si elle divulguait des informations sur la transition de genre de l’enfant à l’école au cours de cet entretien, elle serait immédiatement licenciée.
À ce moment-là, l’enseignante, assistée par le Centre de justice, a déposé un recours constitutionnel visant à annuler le guide et les procédures du ministre de l’Éducation, notamment parce qu’ils « contreviennent aux droits parentaux protégés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés… au mépris des principes de justice fondamentale et sans justification suffisante dans une société libre et démocratique ». L’enseignante estime également que le guide et les procédures violent son droit à la liberté de conscience garanti par l’article 2 de la Charte.
Le fait de devoir mentir aux parents de ses élèves a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour l’enseignante plaignante. « Je ne pourrais pas vivre avec moi-même si je faisais cela », a déclaré l’enseignante. « Je ne pourrais pas les regarder dans les yeux et leur mentir intentionnellement sur le fait que nous permettons à leur enfant de subir une intervention psychosociale importante à leur insu ».
Selon l’avocat de l’enseignante, Olivier Séguin, ce serait la première fois qu’une action en justice soulève la question de la liberté de conscience sans soulever également la question de la liberté de religion. L’article 2 (a) de la Charte garantit à la fois la liberté de conscience et la liberté de religion.
« Il est vrai que l’interdiction de mentir est commune à toutes les religions, mais l’objection de conscience de mon client n’est pas de nature religieuse », explique Me Séguin.
L’enseignant a ajouté : « Une collaboration transparente avec les parents est essentielle à mon rôle d’enseignant et au bien-être à long terme des enfants. Mentir aux parents sur la façon dont nous traitons leurs enfants, ou sur ce qui se passe avec les enfants à l’école, viole les principes de ma vocation ».
S’il est vrai que la loi ne mentionne pas expressément la manière dont les écoles doivent traiter les cas comme celui-ci, affirme M. Séguin, les auteurs du Guide semblent avoir émis une directive ministérielle en catimini, par le biais d’un « guide » destiné aux écoles, dans lequel ils font dire à la loi des choses qu’elle ne dit tout simplement pas.
Par exemple, dans sa section intitulée « Encadrements légaux » [sic, calque de l’anglais, cadre juridique] (page 8), le Guide cite l’article 60 du Code civil du Québec, qui prévoit que la demande de changement de nom peut être faite à l’initiative d’un mineur âgé de 14 ans ou plus, mais le Guide ignore l’article 62, situé juste à côté, qui prévoit que les parents doivent être avisés de la demande de changement de nom et qu’ils ont le droit de s’y opposer:
62. À moins d’un motif impérieux, le changement de nom à l’égard d’un enfant mineur n’est pas accordé si, selon le cas, les père et mère ou les parents de l’enfant mineur à titre de tuteurs légaux, le tuteur, le cas échéant, ou le mineur de 14 ans et plus n’ont pas été avisés de la demande ou si l’une de ces personnes s’y oppose.
Les auteurs du guide citent également l’article 71 du même Code civil qui prévoit, comme l’article 60, que la demande de changement de sexe peut être faite à l’initiative d’un mineur âgé de 14 ans ou plus. Mais là encore, les auteurs du Guide omettent de mentionner l’article 73[.1], qui prévoit que les parents doivent pouvoir s’opposer à un tel changement. [Ceci n'est pas évident, l'article parle plutôt du fait qu'un tuteur peut s'opposer à la décision de l'autre devant un juge.]
M. Séguin ne considère pas le ministre de l’Éducation Bernard Drainville comme responsable de ces omissions. Le journal québécois Le Devoir avait déjà souligné qu’en s’opposant aux toilettes mixtes dans les écoles, il s’était placé en contradiction avec « les recommandations de son propre ministère », c’est-à-dire les recommandations énoncées dans le Guide.
Dans le même article, Le Devoir rapporte que le Guide est le fruit d’une collaboration entre (1) le ministère de la Justice et (2) le ministère de la Famille, (3) le Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, (4) la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l’Université du Québec à Montréal, et (5) la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie dans les réseaux de l’éducation.
M. Séguin affirme qu’il ne croit pas que les omissions soient le fruit d’une incompétence involontaire, déclarant : « Les irrégularités dont le Guide est truffé sont à la fois trop évidentes et trop nombreuses pour y voir autre chose qu’une volonté d’induire les lecteurs en erreur en prétendant faussement traduire la lettre de la loi. J’y vois une forme d’usurpation de pouvoir, un déni de démocratie ».
Quant à la position de son client, il déclare : « Le secret à l’égard des parents, qui revient en pratique à leur mentir, est une violation grave du contrat juridique qui lie l’État et ses citoyens. »
1 commentaire:
Lu par ailleurs :
« En fait, je crois que la référence précise est l'article 73.1. Et malheureusement, cet article ne dit pas qu'un parent peut s'opposer au changement de mention de sexe de son enfant de 14 ans et plus. Cet article précise que le second tuteur peut s'opposer à la décision du premier tuteur, si la demande est faite par un tuteur justement et non le jeune de 14 ans et plus... Pour avoir parlé avec l'avocat de cette cause, celui-ci est conscient de cette difficulté...
Et ce qui vaut pour le changement de mention de sexe vaut ensuite pour le changement de prénom. L'enfant de 14 ans peut faire tout cela sans avis public et sans aviser ses parents.»
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