La citation en titre est tirée de Guerre et Paix de Tolstoï, la scène se passe fin 1806 dans le salon très réactionnaire d’Anna Plavova Scherer :
– Eh, mon cher vicomte, — вмешалась Анна Павловна, — l’Urope (она почему то выговаривала l’Urope, как особенную тонкость французского языка, которую она могла себе позволить, говоря с французом) l’Urope ne sera jamais notre alliée sincère.
– Eh ! Mon cher vicomte, intervint Anna Pavlova, – l’Urope (elle prononçait, on ne sait pourquoi, l’Urope, comme s’il s’agissait d’une finesse particulière de prononciation à laquelle elle pouvait se permettre de recourir en parlant à un Français) – l’Urope ne sera jamais notre alliée sincère.
Tolstoï, Guerre et Paix, Tome 2, deuxième partie, chapitre 6 (trad. Élisabeth Guertik), écrit en 1866.
Il s’agit en fait de l’ancienne prononciation de Paris et même de la haute société jusqu’au début du XVIIIe siècle. Cette prononciation s’est conservée en québécois populaire.
L’usage est d’abord donc de prononcer Europe comme Urope, mais au cours du XVIIIe on distinguera le cas du style familier où la première syllabe se prononcera « u » et le style déclamatoire où il se dira « eu ».
Antonini en 1752 écrit : « Europe, Eustache et d’autres mots semblables s’écrivent toujours avec e ; mais il y est muet dans le discours familier : prononcez Urope, Ustache. »
Viard en 1778 : « Eu se prononce presque comme un u dans eucharistie, euchologe, eunuque, Euphrate, Euterpe, Europe. »
Mais cette prononciation, dit Thurot à la fin du XIXe siècle, est tombée en désuétude au commencement de notre siècle. « C’est une faute, écrit Domergue en 1805, de dire Uridice ».
Jean-Denis Gendron dans D’où vient l’accent des Québécois ? Et celui des Parisiens ?, résume ainsi les choses dans un tableau :
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