jeudi 23 septembre 2021

Des professeurs autrement qualifiés


Depuis quelques jours, de nombreux articles traitent des enseignants « non légalement qualifiés » qui sont dans notre réseau scolaire. Julie Stea (ci-contre) croit qu’il faut arrêter d’avoir peur des professeurs « non légalement qualifiés » et les considérer comme des professeurs « autrement qualifiés ».
Sa lettre ouverte :

Ces derniers sont compétents, ont un parcours différent mais sont très bien qualifiés pour faire ce travail. Ils ont des diplômes universitaires dans des domaines pertinents et souvent beaucoup d’expérience auprès des jeunes.

Je suis moi-même une enseignante « non légalement qualifiée ». Le mot important ici est « légalement » et c’est, à mon avis, ce qui devrait changer.

Nous sommes découragés d’être perçus négativement par la population. J’ai plus de 20 ans d’expérience avec les jeunes, j’ai un diplôme universitaire, j’ai passé mon examen de français du premier coup avec une excellente note et j’adore ce travail ! Je me sens aussi compétente qu’une enseignante qualifiée avec le parcours traditionnel. J’ai beaucoup de facilité à travailler dans les écoles, j’ai d’excellentes relations avec les directions et, surtout, avec mes collègues qui préfèreraient de loin que je puisse continuer avec eux au lieu de me faire remplacer par une jeune étudiante sans expérience ! (Rien contre l’étudiante, elle va apprendre et acquérir de l’expérience comme tout le monde.)

Une solution à la pénurie

Monsieur le Ministre de l’Éducation, les universités ainsi que le système nous mettent des bâtons dans les roues pour rendre nos qualifications légales. À 47 ans, faire une maîtrise qualifiante (d’une durée de quatre ans à temps plein) me prendrait sept ans ! D’autres avant moi l’ont fait et c’est le temps que cela leur a pris : sept ans, car nous avons des familles et devons travailler en même temps. Si M. Roberge permettait aux enseignants « qualifiés autrement » (qu’on appelle les « non légalement qualifiés ») de bénéficier de certaines équivalences, d’être évalués sur le terrain, de rendre légales et valides leurs qualifications et surtout leur expérience, d’une autre façon qu’avec la maîtrise qualifiante, alors il n’y aurait plus de pénurie dans le domaine de l’éducation !

D’ailleurs, il y a seulement quelques années de cela, il était possible d’être légalement qualifié en ayant terminé des études universitaires dans un domaine précis (par exemple : histoire, géographie, physique, musique, etc.) et en faisant ensuite une mineure ou un certificat de 30 crédits en éducation. Depuis quand et pourquoi n’est-il plus possible de cheminer de cette façon ? Pourquoi ce changement et à qui profite-t-il ?

Ceux qui ont déjà un diplôme universitaire ont quatre ans ou plus d’études dans leur champ. Ils acquièrent encore plus de connaissances que ceux qui ont un parcours traditionnel. Ce n’est pas logique de leur demander encore quatre ans d’études pour une maîtrise qualifiante.

Pensez-vous que ces gens diplômés et passionnés par leur domaine vont vouloir se tourner vers l’éducation si on leur impose encore quatre ans d’étude ? La conséquence est néfaste, nous perdons ces passionnés qui sont souvent les meilleurs pour captiver et transmettre leur passion à nos jeunes.

Nous sommes nombreux dans cette situation, à avoir les compétences adéquates, et nous ne demandons qu’à être légalement qualifiés. J’ai même dû faire la passation de la classe que je souhaitais cette année, et où j’étais l’an dernier, à une jeune qui sortait directement de l’université. La directrice a même appelé les ressources humaines pour essayer de me garder dans l’équipe. C’est moi qui ai ouvert la classe cette année les deux premières semaines. Lorsque le poste a été accordé à ma successeure, je suis restée une journée avec elle (j’ai vu toutes les lacunes dues à son manque d’expérience) et l’ai aidée à se familiariser avec les jeunes, les parents, le fonctionnement de l’école, etc.

La direction et mes collègues auraient bien aimé que je puisse conserver le poste. Moi, encore plus. Tout cela nous donne vraiment l’impression que nous n’avons aucune valeur, mais ce n’est pas le cas ! Ma valeur, je la connais, mes collègues de travail la connaissent, les parents des élèves auxquels j’ai enseigné la connaissent, les élèves eux-mêmes la connaissent et même la direction de l’école où j’étais la connaît… Mais sur le plan administratif et aux yeux de la population, nous, les « qualifiés autrement », on ne vaut rien. Cela doit changer car malheureusement, la société québécoise perd de très bons professeurs qui sont compétents et qui adorent le métier.

En espérant que ce message reçoive une écoute et apporte un changement dans la façon dont nous sommes perçus, nous, les « non légalement qualifiés ».

Voir aussi 

Québec — Les intérêts du ministère et des syndicats au centre du système scolaire ?

On se rappellera cette histoire rapportée dans Le Devoir d’un excellent prof de latin qui, lui aussi, n’était pas qualifié au sens de la Loi. Il avait dû renoncer à son poste et enseigner le latin à son successeur qui ne le connaissait pas ou peu, mais qui détenait le diplôme nécessaire en pédagogisme. La chose avait même ému Josée Boileau dans le Devoir qui dénonçait « un incroyable salmigondis administratif, goutte d'eau qui s'ajoute à un parcours fait d'obstacles syndicaux et bureaucratiques qui ne peuvent faire rire que dans les films de Denys Arcand ou un épisode des Bougon. »

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