dimanche 21 mars 2021

Philippe Lemoine: «Le confinement n’a rien d’une fatalité»

Le confinement est inspiré par des modèles d’épidémiologistes qui reposent sur des postulats fragiles, argumente le doctorant en philosophie des sciences*. Au lieu de céder à l’injonction de « faire quelque chose », le gouvernement devrait mettre en balance plus froidement les coûts et les avantages du confinement, plaide-t-il dans les colonnes du Figaro.

« Les confinements et plus généralement les restrictions ont un coût extrêmement important, non seulement économique, mais aussi humain », rappelle Philippe Lemoine. 

Seize départements métropolitains sont à nouveau « confinés ». Il s’agit cependant d’un confinement très relatif puisque peu de choses ont changé pour les habitants de ces départements. Les partisans d’un confinement « strict » se plaignent que ces mesures n’auront aucun effet sur l’épidémie, ce en quoi ils ont sans doute raison. Hormis les restrictions sur les déplacements qui sont difficiles à faire respecter et ne changeront sans doute pas grand-chose aux comportements, le principal changement consiste dans la fermeture des commerces « non essentiels ». Or, d’après l’étude ComCor de l’Institut Pasteur, seul 0,07 % des cas dont on connaît la source de contamination ont été infectés dans un commerce. L’analyse statistique utilisée dans l’étude, qu’il convient de prendre avec prudence, conclut même que la fréquentation des commerces était associée à un risque moins important de contamination.

 

Malgré des politiques de confinement (ou non) très différentes, la pandémie a connu une courbe similaire dans de très nombreux pays. La Suède, au même niveau que le Québec, n’a jamais confiné sa population.

 

Autant dire que si l’incidence se met à baisser dans les départements concernés par ces mesures au cours des jours ou des semaines qui viennent, il est très improbable que cela ait quoi que ce soit à voir avec ces dernières. Cela n’empêchera pas tous les commentateurs, à commencer par les partisans d’un confinement « strict » qui dénoncent aujourd’hui un confinement trop souple à leur goût, d’attribuer la baisse à celui-ci ou, à défaut de baisse, d’expliquer que c’est grâce à ces mesures que les projections apocalyptiques des épidémiologistes auront été démenties. Ce qui ne manquera pas d’arriver. En effet, les modèles des épidémiologistes continuent de partir du principe que les mesures gouvernementales sont le principal, voire dans bien des cas le seul facteur influençant la transmission du virus, alors que toutes les données, françaises comme internationales, montrent qu’il n’en est rien. Il existe de nombreux exemples d’endroits qui n’ont pas confiné, mais où l’épidémie a quand même fini par reculer.

L’exemple le plus connu est sans doute la Suède, où il y a certes des restrictions, mais beaucoup moins sévères qu’en France. Tandis qu’en France [et au Québec] les bars et restaurants sont fermés depuis octobre et qu’un couvre-feu est en vigueur depuis le 15 décembre, les bars et restaurants sont restés ouverts en Suède, même s’ils sont soumis à des restrictions, et il n’y a jamais eu de couvre-feu. Pourtant, plus d’un an après le début de la pandémie, le nombre de morts par habitant est à peu près identique en France [et au Québec] et en Suède.

Les partisans d’un confinement « strict » prétendent que, si la Suède a réussi à s’en sortir aussi bien que la France avec des restrictions beaucoup moins dures, c’est parce que la densité de population y est moins importante ou pour une autre raison du même type. Mais il y a beaucoup d’autres exemples, comme la Serbie, la Floride ou l’Espagne, d’endroits qui n’ont pas confiné et où l’incidence est malgré tout retombée bien avant que le seuil d’immunité collective ne soit atteint.

Ces endroits sont très différents sur les plans culturel, démographique et géographique, donc il n’y a aucune raison de penser qu’ils ont en commun des caractéristiques qui expliquent pourquoi ils ont échappé au destin que leur promettaient les modèles. Il est plus probable que ce soit parce que, même en l’absence de confinement et de restrictions dures, les gens modifient leurs comportements en réponse à l’évolution de l’épidémie, ce qui fait baisser la transmission quand le nombre d’hospitalisations et de décès augmente.

C’est probablement aussi pour cette raison que, tant que le seuil d’immunité collective n’a pas été atteint, l’incidence finit toujours par repartir à la hausse, car, dès que les gens n’ont plus peur et reprennent leurs habitudes, la transmission augmente à nouveau. C’est pourquoi la vaccination reste indispensable pour sortir de la crise. Les changements de comportement qui réduisent la transmission se produisent même sans restrictions quand la situation devient critique et que suffisamment de gens ont peur. Et il semble que les restrictions aient du mal à cibler les comportements qui contribuent le plus à la transmission, ce qui explique sans doute pourquoi l’incidence repart à la hausse même dans des pays comme l’Allemagne qui sont confinés (à des degrés très variables) depuis des mois.

En revanche, les confinements et plus généralement les restrictions ont un coût extrêmement important, non seulement économique, mais aussi humain. Il est frappant que, alors même que les gouvernements occidentaux se livrent depuis des mois aux violations des libertés individuelles les plus importantes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pas un seul d’entre eux n’ait publié la moindre analyse coûts-avantages pour justifier cette politique.

Il est vrai que, à moins de faire des hypothèses complètement fantaisistes sur l’effet des restrictions sur l’épidémie, une telle analyse montrerait à coup sûr qu’elles n’en valent pas la peine. Malheureusement, la plupart des commentateurs ne prennent en compte que le nombre de morts et le risque de saturation des unités de réanimation, à l’exclusion de tout le reste. Bien sûr, la saturation des unités de réanimation a des conséquences tragiques, mais confiner plusieurs millions de personnes pendant des semaines est bien plus terrible encore, même si ça ne donne pas lieu à des images spectaculaires de gens cloués dans des lits d’hôpital au journal télévisé.

De plus, il est probable que le confinement ne changera pas grand-chose à la saturation des unités de réanimation, car, même sans confinement, l’incidence retombera vraisemblablement avant que les hôpitaux ne soient totalement submergés, comme partout où les autorités ont résisté aux appels à imposer des restrictions dures quand l’incidence explosait. Le confinement et plus généralement les restrictions ne sont pas une fatalité. Rien ni personne ne force le gouvernement à prendre ces mesures. Il pourrait et devrait commencer à lever les restrictions en place depuis des mois, alors même que dans la plupart des cas il est douteux qu’elles aient le moindre effet, sinon à la marge.

Beaucoup d’autres pays l’ont fait, il n’y a donc pas de raison pour que la France ne puisse pas faire la même chose. Encore faudrait-il que le gouvernement prenne ses responsabilités et traite les Français comme des adultes au lieu de gérer la crise au fil de l’eau en prenant des décisions absurdes de temps à autre pour répondre à l’injonction constante de « faire quelque chose ».

* Philippe Lemoine est doctorant à l’université Cornell (États-Unis) et chargé de recherche au Center for the Study of Partisanship and Ideology.

Voir aussi 

Il y a une raison pourquoi aucun gouvernement n’a fait une analyse coûts-bénéfices des confinements… 

Covid en Catalogne et Occitanie : des mesures opposées… pour un même résultat ?

 

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