mercredi 27 novembre 2024

Kebab, « barber shop », « fast-food », déclin de la vigne, augmentation des fautes d'orthographe... : voyage dans la France hors sol

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En agronomie, on appelle culture hydroponique le fait de faire pousser des fruits ou des légumes en dehors des champs, dans des serres, sur un substrat inerte (terreau, billes d’argile, laine de roche, fibres de coco…) parcouru par des solutions liquides enrichies en nutriments.

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On peut avoir régulièrement l’impression que la France contemporaine fonctionne sur ce modèle. La roche mère a été arasée, de nouvelles couches se sont déposées, et ce qui pousse maintenant dans de nombreux endroits est hors-sol, sans les racines qui ont longtemps nourri notre culture. C’est une France générique où tout semble interchangeable, uniformisé, sans ancrage profond. Dans de nombreux territoires, cette réalité hydroponique est devenue la norme et marque les paysages comme les modes de vie.

Dans la nuit du 31 octobre dernier, deux fusillades ont eu lieu, l’une à Poitiers et l’autre à Saint-Péray, dans l’agglomération de Valence, événements au cours desquels deux jeunes ont trouvé la mort et plusieurs autres ont été blessés.

[...]  Certes, la roche mère subsiste encore à la façon d’un vieux relief érodé. Les fusillades se sont déroulées dans le quartier des Couronneries à Poitiers et dans la commune ardéchoise de Saint-péray, toponymes se rattachant au référentiel de la France traditionnelle. Mais si le substrat historique affleure encore, on note également les indices du dépôt d’une couche culturelle yankee, résultat de l’américanisation désormais assez ancienne du pays. À Poitiers, le plus haut et le plus emblématique bâtiment du quartier d’habitat collectif des Couronneries, sorti de terre à la fin des années 1960, porte le nom de tour Kennedy. La discothèque de Saint-Péray devant laquelle la fusillade s’est produite s’appelle The Seven.

[...] À Poitiers, dans le cadre d’un vaste programme de rénovation urbaine, la vieille tour Kennedy est en voie de démantèlement et le foyer de jeunes travailleurs qui s’y trouvait sera relogé dans une nouvelle résidence s’intitulant Barankaï K2, le terme « barankaï » signifiant « communauté » en philippin (nous sommes loin du vieux patois poitevin), «K2» faisant référence au nom de l’ancien immeuble, comme un «Kennedy 2». À Saint-Péray également, la couche culturelle d’inspiration technocratique est présente dans la toponymie, puisque la discothèque est implantée au cœur d’une vaste zone commerciale portant le nom de « zone Pôle 2000 », la référence moderniste à l’an 2000 ayant été très en vogue parmi les aménageurs dans les années 1980 et 1990. Cette zone commerciale regroupant de multiples enseignes et desservie par plusieurs ronds-points est par ailleurs typique des paysages de la France hydroponique.

Parallèlement à la multiplication des zones commerciales, la topographie de la France hydroponique se caractérise également par l’émergence de commerces communautaires ou en lien avec la présence d’une population issue des immigrations. À Poitiers, l’auteur de la fusillade a fait feu sur la terrasse d’un kebab. Ce type d’établissement, comme les bars à chicha, est régulièrement le théâtre de règlements de comptes entre bandes rivales. En juin 2020, de violents affrontements avaient opposé des Tchétchènes et des Maghrébins dans le quartier des Grésilles à Dijon, à la suite d’une altercation dans un bar à chicha, le Black Pearl, le nom de l’établissement étant puisé soit dans la pop culture hollywoodienne en référence au nom du navire de Jack Sparrow (alias Johnny Depp) dans le film Pirates des Caraïbes, soit dans l’une des plus célèbres séries télévisées turques, intitulée Black Pearl. En juin 2024 à Saumur, le jeune Bilal était tué dans le cadre d’un règlement de comptes à la terrasse d’un kebab. Quelques mois plus tard, en septembre dernier, c’est à Cagnes-sur-Mer qu’un autre kebab essuyait des tirs faisant deux blessés graves. On notera qu’historiquement, les règlements de comptes entre malfrats se déroulaient dans les bars et les bistrots (par exemple, la fusillade du Bar du Téléphone dans le nord de Marseille en 1979). Dans les quartiers marqués par un référentiel hydroponisé, délinquants et trafiquants s’affrontent désormais préférentiellement dans des kebabs ou des bars à chicha.

Selon les lieux, le dépôt, sur la couche yankee, d’une couche culturelle qu’on qualifiera d’« orientale » est plus ou moins épais et visible. Dans de nombreux territoires, les kebabs, bars à chicha, barber shops [anathème de dire barbiers] ou établissements halals s’intègrent dans le tissu commercial traditionnel ou américanisé. Dans certains quartiers, ils sont omniprésents et constituent la quasi-totalité de l’offre commerciale, comme l’écrivait en octobre 2024 le député LFI de Vénissieux, Idir Boumertit, à propos de la reprise par l’enseigne halal Triangle du supermarché Casino de sa ville, qui, si «elle permet de conserver une offre commerciale de moyenne surface sur le plateau des Minguettes et de maintenir les postes des salariés », impliquerait également « des ajustements dans l’offre de produits, et notamment la suppression des boissons alcoolisées et du porc. (…) Ce changement soulève des questions légitimes sur la capacité de l’offre commerciale à répondre aux besoins variés de l’ensemble des habitants », poursuivait-il, estimant qu’« il est important que la population multiculturelle de Vénissieux puisse accéder à une diversité de produits ». D’après le député, l’arrivée de Triangle pourrait également menacer l’équilibre économique des « petits commerces indépendants du plateau des Minguettes qui proposent une offre similaire ».

Dans le quartier des Couronneries à Poitiers, la place de Coimbra où se situe le kebab (halal) qui fut le lieu du drame, présente, elle, une diversité de commerces et de services (boulangerie, boucherie, restaurant Pac Miam, bureau de poste…). Ce restaurant s’appelle L’Otentik. Une rapide recherche sur internet montre que ce nom - ou sa variante L’Otantik - est également celui d’autres restaurants kebabs ou snacks à Niort, Brest, Saint-Martin de Crau, Saint-Priest, Bondy, Clermont-Ferrand ou bien encore à Uckange. Le choix de ce nom pour un restaurant de kebab renvoie sans doute au terme «otantik», traduction turque du terme français « authentique ». Mais cette variante orthographique n’est pas sans rappeler l’essor dans toute une partie de la population, via la pratique des textos et les réseaux sociaux, d’une nouvelle syntaxe basée sur une phonétique des plus rudimentaires. Ce sabir, très éloigné de l’orthographe officielle, constitue sur le plan linguistique une des manifestations de cette culture hydroponique en cours de métabolisation.

Si la consommation régulière de vin se maintient quelque peu dans les tranches d’âge les plus âgées, les jeunes générations sont nettement moins consommatrices. Dans la jeunesse populaire, on est passé en deux générations du pinard au pétard.

Plusieurs études statistiques ont objectivé la baisse significative de la maîtrise du français parmi les élèves. D’après les données du ministère de l’Éducation nationale, la proportion d’élèves de CM2 faisant 15 fautes ou plus à la même dictée de 67 mots a littéralement explosé depuis la fin des années 1980. Alors qu’en 1987 seul un tiers des élèves effectuaient 15 fautes ou plus, ce très faible niveau de maîtrise de l’orthographe est devenu quasiment généralisé en 2021 (90% des élèves se trouvant dans cette situation).

Ce constat est partagé par de nombreux enseignants, comme cette professeur dans un collège privé de Pau ayant commencé à enseigner en 1992 : « Ce que je faisais il y a vingt ans pour un niveau de sixième ou de cinquième serait compliqué à faire aujourd’hui dans les mêmes classes. » Ces lacunes, observées initialement chez les enfants et les adolescents, se retrouvent dorénavant mécaniquement, au gré de l’avancée en âge des cohortes générationnelles, progressivement dans l’ensemble de la société. Le vocabulaire employé est moins fourni et la langue, relâchée. Des études l’ont mesuré, mais on le constate empiriquement quand on compare par exemple des micros-trottoirs réalisés auprès de Français ordinaires dans les années 1960 et ceux tournés aujourd’hui.

Norbert Elias insistait sur l’importance de l’écrit dans les processus de civilisation. On peut dès lors se demander si l’écriture numérique a les mêmes vertus civilisatrices que l’écriture manuscrite sur papier. L’écriture cursive participe en effet de la structuration de la pensée et l’apprentissage de l’écriture passe par l’inculcation de règles formelles qui sont beaucoup moins respectées avec l’écriture numérique, sans même parler des textos ou des commentaires sur les réseaux sociaux.

Les premiers éléments d’enquête laissent à penser que les fusillades de Poitiers et de Saint-Péray sont à relier avec le trafic de drogue. Il ne s’agit, hélas, pas de cas isolés. Les règlements de comptes entre trafiquants, les rivalités pour le contrôle d’un point de trafic ou les actions de représailles contre les forces de l’ordre à la suite d’une opération de police dans un quartier abritant un trafic, scandent désormais l’actualité nationale et n’épargnent plus aucun territoire, comme le montre la liste de faits suivante.

Recension non exhaustive d’événements liés au trafic de drogue en octobre 2024 :

  • 2 octobre : un corps retrouvé calciné dans un véhicule à Marseille (Bouches-du-Rhône) ;
  • 3 octobre : un homme blessé dans un règlement de comptes à Chenôve (Côte d’or) ;
  • 6 octobre : un homme grièvement blessé par balle à Rennes (Ille-et-Vilaine) ;
  • 8 octobre : démantèlement d’un réseau à Tarbes, Aureilhan et Sarrouilles (Hautes-Pyrénées) ;
  • 9 octobre : interception d’un « go fast » transportant une tonne de cannabis près d’Orléans (Loiret) ;
  • 9 octobre : incendie par des trafiquants de véhicules du commissariat de Cavaillon (Vaucluse) ;
  • 12 octobre : un réseau de trafiquants démantelé à Albi, Castres et Mazamet (Tarn) ;
  • 13 octobre : un blessé pour une dette de stupéfiants à Murol (Puy-de-dôme) ;
  • 13 octobre : un mort par balle dans un règlement de comptes entre revendeurs de drogues à Nevers (Nièvre) ;
  • 15 octobre : des trafiquants arrêtés à Montigny-lès-Cormeilles (Val-d’oise) ;
  • 17 octobre : le député LFI Andy Kerbrat interpellé pour achat de stupéfiants à Paris ;
  • 18 octobre : une tonne de cannabis saisie à Vigneux-sur-Seine (Essonne) ;
  • 19 octobre : un blessé par balle sur un point de revente à Montpellier (Hérault) ;
  • 20 octobre : un blessé dans une rixe liée au trafic à Maubeuge (Nord) ;
  • 20 octobre : fusillade à Reims (Marne) ;
  • 22 octobre : un mort et un blessé à Grenoble (Isère) ;
  • 23 octobre : un jeune tué par balle sur un point de trafic à Grenoble (Isère) ;
  • 24 octobre : un homme grièvement blessé par balle sur un point de revente à Vénissieux (Rhône) ;· 
  • 25 octobre : fusillade à Grenoble (Isère) ;
  • 25 octobre : fusillade à Longjumeau (Essonne) ;
  • 26 octobre : un enfant de 5 ans blessé par balle dans une fusillade à Pacé (Ille-et-Vilaine) ;
  • 28 octobre : rixe et attaque du commissariat par des trafiquants à Cahors (Lot) ;
  • 28 octobre : une blessée pour une dette de stupéfiants à Lorient (Morbihan) ; 
  • 30 octobre : fusillades à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et Villeurbanne (Rhône) ;
  • 30 octobre : un blessé dans une rixe à Rennes (Ille-et-Vilaine).

Si, face à la multiplication des drames liés au trafic de drogue et à la gravité croissante de la criminalité entourant cette activité illicite, le discours politico-médiatique se focalise sur les réponses répressives à apporter, une dimension essentielle du problème nous semble en partie négligée. Si, comme l’avait déclaré Gérald Darmanin, la France compte près de 4 000 points de deal, c’est parce que la consommation de cette substance est aujourd’hui massive. À titre de comparaison, ce nombre de lieux de vente de produits illicites est à mettre en regard avec les 23 000 buralistes de France, qui, eux, exercent une activité légale. On compte donc un peu moins de six bureaux de tabac pour un point de trafic. Dans certaines zones, le ratio est totalement inversé. On dénombre par exemple cinq points de deals dans le quartier de Perseigne, à Alençon, contre deux bureaux de tabac, et le « four » (nom donné par les trafiquants au point de deal) fait désormais partie intégrante du paysage urbain générique de nombreux quartiers de la France hydroponique.

En 2022, 129 tonnes d’herbe et de résine de cannabis ont été saisies par les forces de l’ordre, ce qui constitue un record historique. Cette gigantesque économie souterraine comptant points de vente, réseaux de livraison à domicile (appelés « Ubershit ») et axes logistiques sillonnés par les go fast, permet de servir pas moins de 5 millions de consommateurs réguliers ou occasionnels de cannabis. D’après les chiffres de L’OFDT, le nombre de consommateurs s’est envolé en trente ans, puisque le nombre d’« expérimentateurs » est passé de 12,7 % des 18-64 ans en 1992 à 50,4 % en 2023. Si l’on s’en tient au public ayant consommé du cannabis au moins une fois dans l’année, son poids est passé de 4,4 % à 10,8 % de la population sur la même période.

Mais que recherchent ces très nombreux consommateurs? D’après le site de L’OFDT, « une prise de cannabis entraîne en général une euphorie modérée et un sentiment de bien-être, suivi d’une somnolence ». La consommation de cannabis s’effectue ainsi souvent dans une optique récréative et conviviale, comme le décrit par exemple David Lopez dans Fief, roman narrant les tribulations d’un groupe de jeunes hommes dans une petite ville de la France périphérique. La scène inaugurale du livre plante le décor : «C’est un nuage qui m’accueille. Quand j’ouvre la porte je vois couler sous le plafonnier cette nappe brune épaisse, et puis eux, qui baignent dedans. Ixe, ça ne le dérange pas qu’on fume chez lui, du moment qu’on ne fume pas de clopes. Je le regarde, entre lui et moi c’est presque opaque. Il plane dans le brouillard. On est bien reçus chez toi, je dis. Je n’ai pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que déjà, il me pose la question rituelle. Tu veux rouler ? Je dis oui.»

Dans Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu raconte notamment comment le « shit » est consommé par une partie de la population d’une commune du vieux bassin industriel lorrain. L’effet récréatif est ici aussi recherché. Mais, plus profondément, le recours régulier au cannabis permet d’accepter son sort peu enviable. Quelques décennies plus tôt, cette sédation sociale était obtenue dans une partie des milieux populaires par la consommation de vin au domicile ou dans les bistrots et débits de boissons. Dans le milieu des années 1950, dans le bassin minier de Douai, on en comptait par exemple 53 dans la commune d’Aniche (pour 9 400 habitants), 22 à Lallaing (4 600 habitants) et 14 à Lewarde (1 500 habitants).

Le nombre de bistrots, comme la consommation de vin, a radicalement diminué. En équivalent de litres d’alcool pur par habitant de 15 ans et plus, la consommation de vin est ainsi passée de près de 22 litres au début des années 1960 à un peu moins de 6 litres aujourd’hui.

Si la consommation régulière de vin se maintient quelque peu dans les tranches d’âge les plus âgées, les jeunes générations sont nettement moins consommatrices. Dans la jeunesse populaire, on est passé en deux générations du pinard au pétard. La frappe ou « peufra », catégorie de résine de cannabis affichant un taux de THC très élevé, omniprésente dans les chansons et les clips de rap, remplit aujourd’hui le rôle de puissant sédatif sociologique, en lieu et place du pinard et de l’alcool servis jadis dans L’Assommoir.

Cette substitution ne s’opère pas que sur ce type de consommation, elle s’observe également pour la consommation dite récréative. Le consultant Martin Cubertafond note ainsi, dans le média Vitisphère, que d’ores et déjà, sur le marché américain, quand il s’agit de quantifier la part de marché du vin, « on ne parle plus de part d’estomac, mais de part d’euphorie, pour inclure le cannabis (en plus de la bière, des spiritueux et du vin) ».

Le développement de la consommation de cannabis (et des autres drogues) et le recul concomitant de la civilisation du vin constituent un autre symptôme de l’entrée progressive dans une France hydroponique. L’implantation des points de deal avec leurs «choufs» et «charbonneurs» (guetteurs et vendeurs), mais également les tags et graffitis indiquant les tarifs des différents produits aux clients, signe, dans de nombreux quartiers, ce passage d’un référentiel à un autre. Symétriquement, l’empreinte de la vigne sur les paysages hexagonaux a considérablement reculé au cours des dernières décennies.

C’est notamment le cas en Languedoc-Roussillon, région qui s’était historiquement spécialisée dans la production de vins à bon marché destinés à approvisionner la consommation de masse. La superficie du vignoble languedocien et roussillonnais s’est ainsi rétractée de 431 000 hectares en 1968 à 184 000 en 2020.

Le Bordelais qui fut, un temps, protégé par son aura et son image, connaît avec retard les effets de la chute de la consommation. Les plans d’arrachage s’y multiplient. Un nouveau plan de réduction de la production prévoit ainsi de supprimer 8 000 hectares de vignes dans les appellations les moins prisées, soit 11 % de la surface plantée dans le Blayais et la Côte de Bourg et 10 % dans l’entre-deux-mers. Dans ces terroirs viticoles, les paysages sont d’ores et déjà en train de se transformer, avec notamment l’apparition de pâtures et de friches ou jachères.

À Saint-Péray, dans la vallée du Rhône, toute une partie des terres agricoles situées dans la plaine ont laissé la place à la zone d’activité Pôle 2000 et à l’urbanisation, la population étant passée de 4 300 habitants en 1975 à 7 600 aujourd’hui. Sur les coteaux surplombant la vallée et au pied du vieux château de Crussol, le vignoble de la prestigieuse appellation Saint-Péray, fait de la résistance. Les zones économiquement ou touristiquement valorisées sont ainsi, ici comme ailleurs, moins concernées par le développement de la culture et des paysages hydroponiques.

L’américanisation en profondeur, tant sur le plan culturel, linguistique que gastronomique, constitue une autre des facettes de l’hydroponisation du pays. Au fil des ans, une épaisse couche culturelle yankee s’est déposée et le référentiel (le « soft power », en bon français) américain est omniprésent.

Durant les dernières semaines, la fascination pour l’élection présidentielle américaine en a constitué une illustration des plus révélatrices. Cette année encore, les chaînes d’info se sont mises « à l’heure américaine» avec des envoyés spéciaux déployés dans les fameux « swing states ». Le téléspectateur a été abreuvé de commentaires des spécialistes du caucus de l’Iowa et, dans la dernière ligne droite du scrutin, chaque nouveau sondage outre-Atlantique a été disséqué en plateau avant que les principaux médias tricolores se préparent à retransmettre en direct la nuit électorale américaine.

Plus globalement, toute notre classe politique a adoré la série The West Wing (À la Maison-Blanche). Cette fascination profonde de l’élite politique pour l’Amérique transparaît bien dans les propos d’un Arnaud Montebourg relatant une visite gouvernementale à Washington : « Nous avons attendu dans cette pièce la fin des discussions des deux présidents seuls dans le Bureau ovale. Il y avait une petite ambiance de fête entre nous, on était à la blague, comme si nous étions heureux d’être enfin là. Comme si l’aboutissement symbolique d’une carrière politique française ne pouvait se concevoir qu’à la Maison-Blanche, le plus contemporain du saint des saints. »

Sous Nicolas Sarkozy, L’UMP est devenue « Les Républicains » [comme aux États-Unis]. Ce parti et le PS ont importé en France le mécanisme des primaires, qui était intrinsèquement américain (pays où les élections sont à un tour), alors que, dans notre système électoral, historiquement, c’est au cours du premier tour que chaque camp sélectionnait son candidat… Autre illustration paradoxale du mimétisme qui a saisi la scène politique française : de la cancel culture au wokisme, en passant par le « Black lives matter » et les luttes intersectionnelles, tout le référentiel idéologique de la gauche radicale, historiquement très anti-yankee, provient aujourd’hui des campus américains

Dernier exemple de l’influence très profonde de l’actualité américaine sur la sphère politique française, après la remise en cause du droit à L’IVG par la Cour suprême américaine en 2022, nous avons voté sa constitutionnalisation, quasiment à l’unanimité, alors qu’en France aucun courant politique ou religieux, puissant et structuré ne fait de la restriction de l’accès à L’IVG son combat emblématique. Jamais autant d’IVG n’ont été pratiquées en France, et, pour autant, il a été jugé très urgent de la constitutionnaliser. Comme si, d’une certaine manière, la France se pensait comme le 51e État américain. La culture et l’imaginaire américains constituent assurément un des principaux ingrédients de la solution liquide irriguant le substrat de la France hydroponique

Source: Le Figaro

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