lundi 22 avril 2024

« On ne peut plus se contenter de défendre la liberté d’expression théoriquement. Il faut démanteler le complexe juridico-politique qui l’entrave »

Texte de Mathieu Bock-Côté paru dans Le Figaro du 20 avril 2024 sous le titre : « Trans­pho­bie » : quand les progres­sistes trans­forment leurs contra­dic­teurs en délin­quants idéo­lo­giques.

La ten­ta­tive de cen­sure du colloque des natio­naux-conser­va­teurs, à Bruxelles, auquel devait par­ti­ci­per Éric Zem­mour, et des confé­rences de Jean-Luc Mélenchon, a placé la ques­tion de la liberté d’expres­sion au coeur du débat public, au point où Emma­nuel Macron a cru devoir rap­pe­ler qu’en démo­cra­tie, mieux vaut com­battre poli­ti­que­ment une idée que l’inter­dire. Ce qui relève du simple bon sens, mais ce qui est bien peu, pour peu qu’on scrute l’actua­lité.

Car au même moment, une cam­pagne pour cen­su­rer la publi­cité d’un ouvrage était menée sur Twit­ter par des figures impor­tantes de la mai­rie de Paris, sans que cela ne sus­cite la moindre réac­tion. Elle visait Trans­ma­nia, de Mar­gue­rite Stern et Dora Mou­tot, un livre enquête sur l’idéo­lo­gie trans et les dan­gers qu’elle fait por­ter sur la jeune géné­ra­tion.

C’était le cas d’Emma­nuel Gré­goire, pre­mier adjoint à la mai­rie, qui a tweeté : « La trans­pho­bie est un délit. La haine de l’autre n’a pas sa place dans notre ville. Paris n’est pas la vitrine de cette haine crasse. » Il annonçait vou­loir sai­sir l’entre­prise expo­sant cette affiche «pour deman­der le retrait de cette publi­cité ». Il en rajou­tait le len­de­main. « Invo­quer la liberté d’expres­sion pour jus­ti­fier les dis­cours hai­neux, c’est la spé­cia­lité de l’extrême droite et c’est tou­jours aussi détes­table et ridi­cule. Paris est et res­tera une ville refuge pour tous et toutes. Ne lais­sons pas gagner les dif­fu­seurs de haine. »

David Bel­liard, autre figure de la mai­rie de Paris, n’était pas en reste : « (…) Cette publi­cité pour un bou­quin trans­phobe par­ti­cipe à la nor­ma­li­sa­tion de la haine envers les per­sonnes trans. Une idéo­lo­gie mor­ti­fère, à mille lieues des valeurs de Paris. Cette publi­cité doit être reti­rée. »

Le pan­neau publi­ci­taire a été retiré. La cam­pagne pour cen­su­rer la publi­cité du livre a fonc­tionné. On y trou­vait tous les élé­ments jus­ti­fiant aujourd’hui l’exten­sion du domaine de la cen­sure. D’abord l’assi­mi­la­tion de la cri­tique du pro­gres­sisme à un pro­pos hai­neux, la haine consis­tant à ne pas sous­crire au grand récit de la diver­sité heu­reuse. Dans le cas pré­sent, c’est la théo­rie du genre et l’idéo­lo­gie trans qu’il faut sanc­tua­ri­ser en expli­quant que leur cri­tique ne relève pas de l’opi­nion mais du délit et de la haine de l’autre : on parle alors de trans­pho­bie. On pour­rait aussi dire que la cri­tique de la théo­rie du genre relève désor­mais du délit d’opi­nion, même du délit de blas­phème, que le régime diver­si­taire a sécu­la­risé.

On en appelle alors à l’inter­dic­tion de tels pro­pos. Elle peut pas­ser par un appel clas­sique à l’invi­si­bi­li­sa­tion de celui qui est trans­formé en déviant idéo­lo­gique, en délin­quant de la pen­sée. Elle peut aussi pas­ser par des pour­suites judi­ciaires, menées par des asso­cia­tions mili­tantes, sou­vent publi­que­ment finan­cées, pra­ti­quant le har­cè­le­ment judi­ciaire contre ceux qui s’entêtent à mal pen­ser.

L’objec­tif est tou­jours le même : asso­cier une épi­thète calom­nieuse à un adver­saire poli­tique, géné­ra­le­ment en le fai­sant condam­ner par une jus­tice elle-même idéo­lo­gi­sée, et réduire désor­mais ce contra­dic­teur à cette condam­na­tion, en le trans­for­mant en délin­quant idéo­lo­gique, et en délin­quant mul­ti­ré­ci­di­viste, si les condam­na­tions s’accu­mulent. Le récit média­tique per­met­tra de pré­sen­ter le condamné en paria. Dès lors qu’un indi­vidu est asso­cié à «l’extrême droite», au «racisme», à la «trans­pho­bie», ou à d’autres termes sem­blables, il sera consi­déré comme radio­ac­tif. Tous com­pren­dront qu’il vaut mieux ne pas s’y asso­cier, sous peine d’être soi-même conta­miné par ces mêmes éti­quettes.




Il s’agit de condam­ner à la mort sociale, qui peut alors prendre la forme du ban­nis­se­ment des réseaux sociaux, de la per­sé­cu­tion ban­caire, de l’inca­pa­cité à tenir une confé­rence (car des anti­fas mena­ce­ront de la per­tur­ber, ce qui jus­ti­fiera son inter­dic­tion pour pré­ve­nir le moindre trouble à l’ordre public), et de bien d’autres méthodes qui condamnent objec­ti­ve­ment à une vie sous le signe de la dis­si­dence.

On ne peut plus se conten­ter de défendre la liberté d’expres­sion théo­ri­que­ment. Il faut déman­te­ler le com­plexe juri­dico-poli­tique qui l’entrave. Cela implique de reve­nir sur les lois sur les pro­pos « hai­neux» (et sur le concept même de «pro­pos hai­neux») qui se sont accu­mu­lées avec le temps, d’en finir avec le droit accordé aux asso­cia­tions de traî­ner les dis­si­dents devant les tri­bu­naux et de stop­per le finan­ce­ment d’asso­cia­tions mili­tantes dont la seule fonc­tion consiste à décré­ter un scan­dale média­tique quand l’idéo­lo­gie domi­nante est cri­ti­quée.

Les seules limites à la liberté d’expres­sion devraient être l’appel à la vio­lence et la dif­fa­ma­tion. Pour le reste, en démo­cra­tie libé­rale, les argu­ments s’échangent dans le débat public, et non pas devant les tri­bu­naux. Rares sont ceux, hélas, qui sont prêts à une telle remise en ques­tion du dis­po­si­tif de cen­sure que subissent nos contem­po­rains.

Transmania
par Dora Moutot et Marguerite Stern,
paru le 11 avril 2024,
chez Magnus,
398 pp.,
ISBN-10 ‏ : ‎ 2384220403
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2384220403.

Voir aussi

Sur l'interdiction d'une réunion politique à Bruxelles par un bourgmestre belgo-turc lié aux Loups Gris :

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